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16/04/2024 | FRANCE | N°22/04989

France | France, Cour d'appel de Rennes, 3ème chambre commerciale, 16 avril 2024, 22/04989


3ème Chambre Commerciale





ARRÊT N° 171



N° RG 22/04989 - N° Portalis DBVL-V-B7G-TAVB













Société CANARD TOP

S.A.R.L. D.B. FINANCE



C/



S.A.S. ORVIA AGOGENE

























































Copie exécutoire délivrée



le :



à : Me VERRANDO>
Me RIVALAN





Copie certifiée conforme délivrée



le :



à : TC de [Localité 7]













RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 16 AVRIL 2024





COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre,

Assesseur : Madame Fabienne CLÉMENT...

3ème Chambre Commerciale

ARRÊT N° 171

N° RG 22/04989 - N° Portalis DBVL-V-B7G-TAVB

Société CANARD TOP

S.A.R.L. D.B. FINANCE

C/

S.A.S. ORVIA AGOGENE

Copie exécutoire délivrée

le :

à : Me VERRANDO

Me RIVALAN

Copie certifiée conforme délivrée

le :

à : TC de [Localité 7]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 16 AVRIL 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre,

Assesseur : Madame Fabienne CLÉMENT, Présidente,

Assesseur : Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseillère, rapporteur

GREFFIER :

Madame Frédérique HABARE, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 20 Février 2024

ARRÊT :

Contradictoire prononcé publiquement le 16 Avril 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANTES :

Société CANARD TOP BULGARIE

société de droit bulgare, immatriculée sous le N° 204976932, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 6]

[Localité 2] BULGARIE

Représentée par Me Marie VERRANDO de la SELARL LX RENNES-ANGERS, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Emilie SELLIER substituant Me Guillaume CLOUZARD de la SELAS ORATIO AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau D'ANGERS

Société D.B. FINANCE

immatriculée au RCS d'ANGERS sous le n°494 368 236, prise en la personne de son gérant domicilié en cette qualité au siège

[Adresse 5]

[Localité 4]

Représentée par Me Marie VERRANDO de la SELARL LX RENNES-ANGERS, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Emilie SELLIER substituant Me Guillaume CLOUZARD de la SELAS ORATIO AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau D'ANGERS

INTIMÉE :

S.A.S. ORVIA-AGOGENE

immatriculée au RCS de NANTES sous le n°388 515 173, prise en la

personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Gwendal RIVALAN de la SELARL AVOXA NANTES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NANTES

La société DB FINANCE est une société holding, dont l'activité principale est la gestion d'un portefeuille de titres de sociétés filiales, ayant pour activité principale la production et la vente de produits commerciaux d'un jour des espèces palmipèdes.

La société DB FINANCE détenait à l'origine une entreprise française, la société [X], ainsi que de nombreux couvoirs en France, avant de décider de s'étendre à l'étranger et notamment en Europe de l'Est.

Son activité principale correspond à la commercialisation des 'ufs et des canetons d'un jour de canards mulards à destination principale de la production de foie gras.

La société AGOGENE, sise à [Localité 7], est la société holding du groupe ORVIA, lequel exerce, au travers de ses filiales, une activité concurrente de celle de la société DB FINANCE, soit :

- une activité de sélectionneur de palmipèdes, cette activité portant sur la recherche, la sélection et l'amélioration des espèces palmipèdes canard barbarie, canard pékin, canard mulard, oies blanches et grises ; cette activité débouche sur la vente de canards destinés uniquement à la reproduction au profit de couvoirs indépendants ou de couvoirs filiales du groupe ORVIA ;

- une activité d'accouveur de palmipèdes, cette activité consistant à faire se reproduire des canards reproducteurs afin d'obtenir des produits commerciaux ('ufs à couver ou canetons d'un jour), qui sont vendus notamment à des éleveurs et intégrateurs de la filière foie gras.

Dans la filière « foie gras », les différents 'produits' reproducteurs de génétique spécialement sélectionnés sont :

- Les reproducteurs mâles de souche Barbarie de génétique spéciale Foie Gras;

- Les reproducteurs femelles de souche Pékin de génétique spéciale Foie Gras.

Le croisement de ces deux reproducteurs donne un caneton appelé le Mulard qui est utilisé pour produire du Foie Gras.

Les éleveurs ont besoin de canetons Mulards pour produire du Foie Gras.

Ces Mulards sont des hybrides qui ne se reproduisent pas car ils sont stériles.

Plus précisément, pour obtenir un caneton Mulard, les parents Femelles de race Pékin et de génétique spécialement sélectionnés pour le Foie Gras sont inséminés par des mâles de race Barbarie de génétique spécialement sélectionnés pour le Foie Gras.

Par acte en date du 17 mai 2016, la société DB FINANCE a cédé la totalité de ses titres détenus au sein de la société [X] à la société ORVIA-AGOGENE.

Le même jour, la société DB FINANCE, a conclu avec la société ORVIA-AGOGENE des accords commerciaux portant sur les marchés Bulgare et Hongrois lui permettant de garantir son approvisionnement en reproducteurs parents.

Au titre de l'article 3 de ce contrat, la société DB FINANCE s'est engagée pour elle-même et ses filiales, pour une durée de dix ans et sur le territoire bulgare, à se fournir exclusivement auprès de la société ORVIA-AGOGENE et de ses filiales, pour ses achats en reproducteurs mâles de race «barbarie » et femelles de race « pékin » pour sa production de canetons de race « mulards à gaver » destinés au marché du foie gras.

La société ORVIA-AGOGENE et ses filiales s'interdisaient quant à elles de vendre sur le territoire bulgare des produits, ou toute autre forme de reproducteurs dont le croisement aurait pour but de permettre la production de mulards à gaver sur le territoire à une autre société que la société DB FINANCE et ses filiales.

Cette exclusivité s'étendait également à l'interdiction, pour la société ORVIA-AGOGENE et ses filiales, de commercialiser sur ce territoire, ou auprès de tout client qui souhaiterait revendre sur le territoire, des produits mulards à gaver descendants, issus de sa souche ORVIA-AGOGENE et comprenant des 'ufs à couver et des canetons d'un jour.

D'autre part, la société DB FINANCE a souscrit dans les articles 7.1 et 7.2 de ce contrat un engagement spécifique d'interdiction de la pratique des 'mues', c'est à dire d'interdiction de faire se reproduire sur plus d'un cycle de reproduction un canard mâle ou femelle, ceux-ci devant être abattus à la fin de leur premier cycle d'exploitation.

La principale filiale bulgare de la société DB FINANCE était jusqu'en 2018 la société BEAUCAN.

À la suite d'une mésentente avec la dirigeante de la société BEAUCAN et certains de ses associés, la société DB FINANCE a décidé de se désengager et a créé à compter du 1er février 2018 une nouvelle filiale, la société CANARD TOP BULGARIE.

Les relations entre les parties se sont dégradées à compter de 2020 et celles-ci se sont accusées mutuellement de violer les engagements contenus dans leur contrat de commercialisation :

- la société DB FINANCE soutient que la société ORVIA commercialise directement ses produits sur le marché bulgare,

- la société ORVIA soutient que la filiale bulgare de la société ORVIA pratiquait des mues et des modifications génétiques.

Le 03 mars 2020, la société DB FINANCE a adressé à la société ORVIA une mise en demeure de cesser toute pratique contraire aux stipulations contractuelles et le 19 mars 2020, la société ORVIA a résilié aux torts de la société DB FINANCES le contrat de commercialisation.

Par acte du 08 juin 2021, les sociétés DB FINANCE et CANARD TOP BULGARIE ont assigné la société AGOGENE devant le tribunal de commerce de Nantes aux fins de voir :

- condamner la société ORVIA-AGOGENE à payer à la société CANARD TOP BULGARIE des dommages et intérêts à hauteur de 993.124 euros en réparation du gain manqué sur les 'ufs à couver,

- condamner la société ORVIA-AGOGENE à payer à la société CANARD TOP BULGARIE des dommages et intérêts à hauteur de 43.542 euros en réparation du gain manqué au titre des canetons d'un jour,

- condamner la société ORVIA-AGOGENE à payer à la société CANARD TOP BULGARIE des dommages et intérêts à hauteur de 7.782.264 euros lié à la rupture fautive du contrat à durée déterminée d'approvisionnement,

- condamner la société ORVIA-AGOGENE à payer à la société DB FINANCE des dommages et intérêts à hauteur de 50.000 euros en réparation du préjudice résultant de la difficulté à trouver un partenaire sur le marché et de la désorganisation, outre intérêts, frais irrépétibles et dépens.

Par jugement du 21 juillet 2022, le tribunal de commerce de Nantes a :

- déclaré la société DB FINANCE et la société CANARD TOP BULGARIE recevables mais mal fondées en leur action,

- débouté la société DB FINANCE et la société CANARD TOP BULGARIE de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;

- jugé que la résiliation du contrat d'approvisionnement du 17 mai 2016 opérée par la société AGOGENE par lettre du 19 mars 2020 est régulière et fondée, à raison des manquements graves imputables à la société DB FINANCE et à ses filiales bulgares,

- débouté la société ORVIA AGOGENE de sa demande de dommages et intérêts, en indemnisation de son préjudice d'atteinte à son image,

- condamné in solidum la société DB FINANCE et la société CANARD TOP BULGARIE a payer a la société ORVIA AGOGENE la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- rappelé que l'exécution provisoire du jugement est de droit conformément a l'article 514 du même Code,

- condamné in solidum les sociétés DB FINANCES et CANARD TOP BULGARIE aux dépens.

Appelantes de ce jugement, les sociétés DB FINANCES et CANARD TOP BULGARIE, par conclusions du 26 janvier 2024, ont demandé à la Cour de:

- DÉCLARER la société DB FINANCE et la société CANARD-TOP recevables et bien fondées en leur appel, demandes, fins et conclusions,

En conséquence,

- CONFIRMER le jugement entrepris uniquement en ce qu'il :

o Débouté la société ORVIA-AGOGENE de sa demande de dommages et intérêts en indemnisation de son préjudice d'atteinte à son image ;

- INFIRMER le jugement entrepris en ses autres dispositions faisant grief aux sociétés DB FINANCE et CANARD TOP BULGARIE, et notamment en ce qu'il :

o Déclare la société DB FINANCE et la société CANARD TOP BULGARIE mal fondées en leur action,

o Déboute la société DB FINANCE et la société CANARD TOP BULGARIE de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;

o Juge que la résiliation du contrat d'approvisionnement du 17 mai 2016 opérée par la société AGOGENE par lettre du 19 mars 2020 est régulière et fondée, à raison des manquements graves imputables à la société DB FINANCE et à ses filiales bulgares ;

o Condamne in solidum la société DB FINANCE et la société CANARD TOP BULGARIE à payer à la société ORVIA AGOGENE la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

o Rappelle que l'exécution provisoire du jugement est de droit conformément à l'article 514 du même Code ;

o Condamne in solidum la société DB FINANCE et la société CANARD TOP BULGARIE aux entiers dépens sur le fondement de l'article 696 dudit Code dont frais de Greffe liquidés à 69.59 euros TTC ;

Statuant à nouveau sur les chefs de jugement critiqués :

- CONDAMNER la société ORVIA-AGOGENE à payer à la société CANARD-TOP des dommages et intérêts à hauteur de 993.124 euros en réparation du gain manqué sur les 'ufs à couver,

- CONDAMNER la société ORVIA-AGOGENE à payer à la société CANARD TOP des dommages et intérêts à hauteur de 43.542 euros en réparation du gain manqué au titre des canetons d'un jour,

- CONDAMNER la société ORVIA-AGOGENE à payer à la société CANARD TOP des dommages et intérêts à hauteur de 7.782.264 euros lié à la rupture fautive du contrat à durée déterminée d'approvisionnement,

- CONDAMNER la société ORVIA-AGOGENE à payer à la société DB FINANCE des dommages et intérêts à hauteur de 50.000 euros en réparation du préjudice résultant de la difficulté à trouver un partenaire sur le marché et de la désorganisation,

- ASSORTIR l'ensemble des condamnations prononcées, d'intérêts calculés au taux légal à compter du prononcé de l'arrêt, avec capitalisation annuelle des intérêts par application des dispositions de l'article 1343-2 du Code civil,

En tout état de cause :

Et rejetant toute demande contraire comme irrecevable et en toute hypothèse mal fondée,

- DÉCLARER la société ORVIA-AGOGENE irrecevable et mal-fondée en

son appel incident ;

- DÉBOUTER la société ORVIA-AGOGENE de ses demandes, fins et conclusions ;

- CONDAMNER la société ORVIA-AGOGENE à payer en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile à la société DB FINANCE et à la société CANARD TOP la somme de 8.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et une somme de 8.000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel ;

- CONDAMNER la société ORVIA-AGOGENE aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec distraction au profit de l'avocat soussigné aux offres de droit.

Par conclusions du 13 février 2024, la société AGOGENE a demandé à la Cour de :

A titre principal,

- Dire et juger que la résiliation du contrat d'approvisionnement du 17 mai 2016 opérée par la société AGOGENE par lettre du 19 mars 2020 est régulière et fondée, à raison des manquements graves imputables à la société DB FINANCE et à ses filiales bulgares,

- Débouter la société DB FINANCE et la société CANARD TOP BULGARIE de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,

-Confirmer le jugement rendu le 21 juillet 2022 par le Tribunal de commerce de NANTES en ce qu'il a débouté la société DB FINANCE et la société CANARD TOP BULGARIE de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions dirigées contre la société AGOGENE,

A titre subsidiaire,

- Dire et juger que la société DB FINANCE et la société CANARD TOP BULGARIE ne rapportent pas la preuve qui leur incombe des préjudices qu'elles allèguent,

- Débouter la société DB FINANCE et la société CANARD TOP BULGARIE de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions.

En tout état de cause,

- Infirmer le jugement rendu le 21 juillet 2022 par le Tribunal de commerce de NANTES en ce qu'il a débouté la société AGOGENE de sa demande de condamnation de la société DB FINANCE à lui payer la somme de 800 000 € à titre de dommages et intérêts, en indemnisation de son préjudice moral et d'atteinte à son image de marque et à sa réputation,

- Condamner la société DB FINANCE à payer à la société AGOGENE la somme de 800 000 euros à titre de dommages et intérêts, en indemnisation de son préjudice moral et d'atteinte à son image de marque et à sa réputation,

- Condamner in solidum la société DB FINANCE et la société CANARD TOP BULGARIE à payer à la société AGOGENE la somme de 8 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel, outre les entiers dépens d'appel.

MOTIFS DE LA DÉCISION:

La violation par la société ORVIA de son engagement d'exclusivité sur le territoire bulgare :

Aux termes de la convention de commercialisation du 17 mai 2016 :

'le Fournisseur s'interdit de vendre des produits, ou toute autre forme de reproducteurs dont le croisement aurait pour but de permettre la production de mulards à gaver, sur le territoire, à une autre société que l'Acheteur.

(...)

Les engagements d'exclusivité consentis par les parties ci-dessus sont souscrits tant en leur nom propre qu'au nom de leurs Sociétés Affiliées. Chaque partie se porte fort du respect du présent engagement d'exclusivité par ses Sociétés Affiliées'.

La société DB FINANCE entend démontrer la violation de son obligation d'exclusivité par la société ORVIA en versant aux débats les 'Intra Trade Certificate' émis par les filiales de la société ORVIA lors de leurs exportations sur le territoire bulgare.

Ces certificats sont délivrés dans le cadre de la plate-forme TRACES (Trade Control et Expert System) mise en oeuvre par la Commission Européenne, qui concerne, notamment, tous les transports d'animaux vivants à l'intérieur de l'Europe.

Cette plate-forme vise à non seulement à délivrer des documents de circulation (les certificats) mais aussi assurer une circulation optimale des informations y figurant entre toutes les parties intéressées, qu'il s'agisse d'opérateurs privés ou d'administrations.

Selon la société DB FINANCES, ces certificats sont consultables par tous les opérateurs de la plate-forme, ce que conteste la société ORVIA.

Selon le manuel d'utilisation versé aux débats par la société ORVIA, les exportateurs et importateurs d'animaux s'inscrivent sur la plate-forme et sous réserve que cette inscription soit validée par leur autorité de tutelle, ont accès aux services de la plate-forme, soit la création des certificats nécessaires au passage des frontières des animaux.

Selon la page 21 du manuel, les certificats, une fois validés par les autorités de contrôle, ne seraient visibles que des 'AC', ou autorités compétentes, sauf, si, ainsi que l'explique la page 108, ont été remplies des informations relatives aux partenaires professionnels qui peuvent y avoir accès.

Les certificats versés aux débats sont relatifs à des ventes faites en Bulgarie de canetons d'un jour par la filiale hongroise de la société ORVIA et à des ventes d'oeufs à couver faites en Bulgarie par une filiale française de la société ORVIA.

Il n'est pas justifié par la société DB FINANCES qu'elle ait eu accès à ces documents parce qu'elle avait été nommée par la société ORVIA, lors de la demande d'établissement des certificats, comme une partie pouvant y avoir accès.

D'autre part, elle n'a obtenu de l'autorité compétente bulgare l'autorisation de les consulter qu'après avoir déjà versé ces pièces aux débats devant le premier juge.

La société ORVIA, dès lors, plaide une obtention illicite interdisant de les prendre en considération.

Désormais dans un procès civil, l'illicéité ou la déloyauté dans l'obtention ou la production d'un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l'écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

En l'espèce, les certificats litigieux contiennent les informations suivantes : le nom de la société exportatrice, le nom de la société destinataire, les caractéristiques des animaux, les coordonnées du vétérinaire ayant procédé au contrôle, le mode de transport des animaux.

Ils ne portent pas atteinte au secret des affaires de la société ORVIA dans la mesure où ils sont tous relatifs à des ventes d'oeufs à couver et de canetons d'un jour réalisées en Bulgarie de 2016 à 2019, soit durant la période d'exécution du contrat de commercialisation lui faisant obligation de respecter l'exclusivité de la société DB FINANCE sur ce territoire.

Ils sont indispensables à la société DB FINANCE pour démontrer la violation de son exclusivité et ne comportent aucun renseignement de nature à porter préjudice à l'activité économique et commerciale de la société ORVIA.

Il n'y a pas lieu de les écarter.

Ensuite, ces certificats portent en filigrane la mention 'ORIGINAL' certifiant qu'ils ont été validés.

Surtout, ils comportent chacun :

- un numéro de référence intracommunautraire

- la référence de l'autorité nationale de contrôle,

- la référence de l'autorité régionale de contrôle,

- le nom et l'adresse du vétérinaire de contrôle ainsi que son identifiant communautaire.

La société ORVIA est un des acteurs majeurs de la vente de palmipèdes sur le marché européen et à ce titre, est en relation régulière avec les autorités de tutelle française et européenne.

Il lui était aisé de démontrer la fausseté de l'un ou l'autre des certificats si ceux-ci étaient inexacts, en demandant la vérification des références et informations.

A défaut, ces certificats doivent être considérés comme probants.

Toutefois, seuls les certificats relatifs aux ventes de la filiale hongroise de la société ORVIA vers la Bulgarie concernent des canards, soit en l'espèce des canetons d'un jour.

Les certificats relatifs aux ventes d'oeufs à couver sont en effet relatifs à des ventes d'oeufs de poule (gallus gallus) ou a des ventes d'oeufs d'oie (anseriformes), produits non inclus dans le contrat de commercialisation.

Il en résulte la vente par la société ORVIA de 636.454 canetons d'un jour entre la Hongrie et la Bulgarie entre le 16 août 2017 et le 14 octobre 2019.

En revanche, la vente d'oeufs à couver de canard n'est pas démontrée.

Sur la résiliation du contrat de commercialisation :

La société DB FINANCE reproche à la société ORVIA la résiliation abusive du contrat de commercialisation, la plaçant dans l'impossibilité de se fournir en canards à gaver.

Elle lui reproche notamment de ne pas avoir fait précéder cette résiliation d'une mise en demeure, ce à quoi répond la société ORVIA que la gravité des manquements relevés était telle que la poursuite des relations contractuelles aurait été au demeurant impossible.

En vertu des dispositions du contrat de commercialisation: (les Produits sont les canards mâles barbarie de souche ORVIA et les canards femelle pékin de souche ORVIA)

- article 2:

- l'accord porte sur la vente des Produits issus du programme de sélection génétique développé par la société ORVIA

- la société DB FINANCE souhaite acheter les Produits dans le but de les exploiter en tant qu'accouveurs et de vendre les produits mulards à gaver commerciaux descendants comprenant des canetons d'un jour et des oeufs (...)destinés principalement aux éleveurs et intégrateurs de la filière foie gras et accessoirement de la filière viande,

- article 3:

- la société DB FINANCE et ses filiales s'engagent à acheter exclusivement des produits de souche ORIVIA dont le croisement aurait pour but de permettre la production de mulards à gaver pour l'exercice de son activité sur la Bulgarie

- article 7:

- la société DB FINANCE a l'obligation d'indiquer sur ses certificats d'origine délivrés aux clients la quantité, la provenance et l'origine des canetons; tout accouveur doit être en mesure de fournir à son client la traçabilité des canetons (...)les produits issus d'un Produit de souche ORVIA ont donc une origine certaine,

- la société DB FINANCE s'engage à ne tenter aucune modification du croisement préconisé par la société ORVIA entre les Produits et à appliquer le modèle de croisement exact des produits dictés par la génétique ORVIA,

- la société DB FINANCE s'engage à abattre les Produits ayant terminé leur cycle de ponte,

- la société DB FINANCE s'engage à ne pas effectuer de mue à l'issue du cycle d'exploitation.

La société DB FINANCE, via sa filiale la société BEST PLUS détenant elle-même des parts sociales d'une société BEAUCAN, disposait donc d'un couvoir en Bulgarie.

Le couvoir bulgare de la société DB FINANCE était exploité par une société BEAUCAN dans laquelle une filiale de la société DB FINANCE, soit la société BEST PLUS, détenait 50% du capital.

A la suite d'un litige avec ses associés de la société BEAUCAN, la société BEST PLUS a annoncé son retrait au mois de mars 2018 avec préavis de trois mois et, consécutivement, a créé la société TOP CANARD.

Le litige entre associés de la société BEAUCAN étant aigu, la société DB FINANCE a fait délivrer à ses anciens associés une assignation devant une juridiction bulgare.

Les anciens associés de la société DB FINANCE ont fourni différentes pièces à la société ORVIA démontrant que sur instructions personnelles du dirigeant de la société DB FINANCE, M. [X], des mues étaient pratiquées de manière systématique à l'issue du premier cycle d'exploitation des Produits ORVIA.

La société DB FINANCE ne peut utilement plaider que ces mues n'auraient concerné que les palmipèdes de souche '[X]' qui se trouvaient dans le couvoir depuis 2016, n'ayant pas été abattus, ainsi que des palmipèdes destinés à une filière viande.

D'une part, le contrat de commercialisation vise aussi la filière viande.

D'autre part, certaines pièces datent de 2018, alors que les souches [X], antérieures à 2016, n'ont plus aucune raison de se trouver dans le couvoir. Aucune facture de commercialisation de canards de souche [X] n'est versée aux débats pour asseoir la thèse de la société DB FINANCE.

Sur tout, certaines pièces ne peuvent être contestées :

- un procès-verbal d'assemblée générale du 28 mai 2018 signé par la société BEST PLUS évoquant le fait que durant l'année VE, les périodes de pontes des parentaux ont été 'prolongées',

- de nombreux courriels dont M [X] est en copie, évoquant en 2017 des croisements parfaitement interdits aux termes du contrat de commercialisation,

- l'assignation ayant été délivrée par la société BEST PLUS à ses associés de la société BEAUCAN, dans laquelle elle évoque un désaccord sur le mode d'évaluation des troupeaux parentaux et des oeufs en écrivant que les troupeaux femelles ont deux périodes ovipares et les mâles deux périodes inséminatrices, tel étant le 'délai habituel d'utilisation des troupeaux dans la société', ceci alors mêmes que chaque 'Produit' ne devait connaître qu'un cycle de reproduction.

Il en résulte la démonstration de violations caractérisées et systématiques de la société DB FINANCE des obligations essentielles qui étaient les siennes et visaient à préserver les caractéristiques génétiques des Produits lui étant fournies.

Il est certain que ces violations, conduisant à une détérioration des qualités des Produits et donc à la mise sur le marché de canards mulards de moindre qualité alors qu'ils étaient estampillés ORVIA, rendaient impossible la poursuite des relations contractuelles et justifient la résiliation du contrat, sans mise en demeure préalable, par la société ORVIA.

Les préjudices :

La société DB FINANCES demandent l'indemnisation du préjudice ayant résulté de la mise sur le marché bulgare de canetons d'un jour en calculant le préjudice économique de perte de marge lui ayant été causé par cette violation de sa clause d'exclusivité.

La société ORVIA demande pour sa part des dommages et intérêts pour perte d'image commerciale, des canards mulards ayant été commercialisés comme ORVIA alors qu'ils étaient de souche différente.

Le préjudice de la société DB FINANCE :

La société DB FINANCE a donc démontré la vente sur le territoire bulgare par une filiale hongroise de 636.454 canetons d'un jour entre le 16 août 2017 et le 14 octobre 2019.

Toutefois, la majeure partie du préjudice a été subi par la société BEAUCAN, dans laquelle la société DB FINANCES n'est plus associée et aucune somme n'est demandée à ce titre.

Est demandée une somme de 43.542 euros qui serait le préjudice ayant été subi par la société TOP CANARD à compter de sa création.

La date de création de la société TOP CANARD n'a pas été précisée par la société DB FINANCE et ne ressort pas de l'examen de sa pièce numéro 6 qui est l'équivalent pour la Bulgarie d'un extrait de registre de commerce, laquelle ne fournit pas cette donnée.

La société ORVIA oppose que la société TOP CANARD n'a eu aucune activité en 2018 et qu'elle ne lui a passé aucune commande en 2019, ce dont il résulte qu'elle n'est pas intéressée à l'exécution de la convention de commercialisation et n'a subi aucun préjudice des ventes de canetons en provenance de la Hongrie.

Les comptes constituant la pièce numéro 22 de la société DB FINANCE confirment que la société TOP CANARD n'a eu aucune activité en 2018, n'exposant que des dépenses sans avoir aucun chiffre d'affaires.

Aucun préjudice ne lui a donc été causé par la vente des canetons, s'agissant manifestement d'une année de mise en place de ses installations, sans production concurrencée par les canetons en provenance de HONGRIE.

S'agissant de l'année 2019, les ventes de canetons hongrois démontrées sont marginales, soit 13.040 canetons.

Surtout, la société ORVIA conclut, sans être démentie par la production de factures contraires, que la société TOP CANARD ne lui a passé qu'une seule commande durant l'année 2019, au mois de septembre 2019, de femelles PEKIN, et ne s'est donc pas donné les moyens, à défaut d'achat de mâles BARBARIE, d'être en mesure de produire des canetons d'un jour mulard de souche ORVIA.

Dès lors, les ventes de canetons ORVIA en provenance de Hongrie n'ont pas concurrencé sa propre production et elle n'a subi aucun préjudice.

Les société DB FINANCE et TOP CANARD sont déboutées de leurs prétentions indemnitaires.

Les préjudices de la société ORVIA :

La société ORVIA soutient que les pratiques de reproduction de la société DB FINANCE dans sa filiale BEAUCAN ont porté atteinte à sa son image de marque et à sa réputation sur le territoire bulgare.

Elle ne verse pas aux débats la moindre pièce au soutien de cette allégation, et notamment, ne justifie pas que les pratiques incriminées aient été dévoilées à ses partenaires commerciaux ; elle ne justifie pas non plus de plaintes de ces derniers.

Elle est déboutée de sa demande.

Sur les dépens et les frais irrépétibles d'appel :

Chaque partie gardera à sa charge ses propres frais et dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Confirme le jugement déféré.

Dit que chaque partie gardera à sa charge ses propres frais et dépens d'appel.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 3ème chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 22/04989
Date de la décision : 16/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 22/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-16;22.04989 ?
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