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16/04/2024 | FRANCE | N°21/04413

France | France, Cour d'appel de Rennes, 1ère chambre, 16 avril 2024, 21/04413


1ère Chambre





ARRÊT N°129



N° RG 21/04413 - N° Portalis DBVL-V-B7F-R23O













M. [Z] [A]



C/



Mme [L] [J] [E] [Y]

Association [12]

















Copie exécutoire délivrée



le :



à :











RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 16 AVRIL 2024





COMPOS

ITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,

Assesseur : Monsieur Philippe BRICOGNE, Président de chambre,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère entendue en son rapport,



GREFFIER :



Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats ...

1ère Chambre

ARRÊT N°129

N° RG 21/04413 - N° Portalis DBVL-V-B7F-R23O

M. [Z] [A]

C/

Mme [L] [J] [E] [Y]

Association [12]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 16 AVRIL 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,

Assesseur : Monsieur Philippe BRICOGNE, Président de chambre,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère entendue en son rapport,

GREFFIER :

Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 16 janvier 2024

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 16 avril 2024 par mise à disposition au greffe après prorogation du délibéré annoncé au 19 mars 2024 à l'issue des débats

****

APPELANT :

Monsieur [Z] [A]

né le [Date naissance 1] 1993 à [Localité 15] (56)

CCAS MAIRIE DE [Localité 13] [Adresse 10]

[Localité 8]

pris en son nom personnel et en sa qualité de représentant légal de sa fille mineure [R] [A] née le [Date naissance 6]/2012

Représenté par Me David LE RESTE, avocat au barreau de VANNES

INTIMÉES :

Madame [L] [J] [E] [Y]

née le [Date naissance 2] 1952 à [Localité 9]

[Adresse 3]

[Localité 14]

assistée de

L'Association [12] es-qualité de curateur de Madame [L] [Y] suivant jugement en date du 17 avril 2018

[Adresse 5]

[Localité 7]

Représentées par Me Anne-Laure GAUVRIT de la SELARL LBG ASSOCIES, avocat au barreau de VANNES

FAITS ET PROCÉDURE

Par acte authentique du 10 avril 2015, Mme [L] [Y] a réalisé, par l'intermédiaire de Me [F] [S], notaire à [Localité 11], une donation entre vifs portant sur un terrain de loisir accolé à sa maison, sis [Adresse 4] à [Localité 14], au profit de M. [Z] [A].

En date du 18 mars 2016, ce même terrain a fait l'objet d'une donation entre vifs de la part de M. [A] au profit de sa fille, Mme [R] [A].

Par jugement du 17 août 2017, le tribunal correctionnel de Vannes a entre autres infractions, déclaré M. [A] coupable du délit d'abus frauduleux de l'ignorance ou de la faiblesse sur une personne vulnérable, pour la conduire à un acte ou à une abstention préjudiciable, faits commis du 1er janvier 2015 au 21 juin 2016 sur la personne de Mme [Y].

Sur l'action publique, M. [A] a été condamné à une peine de trois ans d'emprisonnement dont 6 mois assortis d'un sursis avec mise à l'épreuve pendant trois ans, ainsi qu'au paiement d'une amende de 50.000 € et à la peine complémentaire d'interdiction de séjour sur les communes de [Localité 14] et de [Localité 15].

Sur l'action civile, celui-ci a été déclaré entièrement responsable des préjudices subis par Mme [L] [Y] et condamné à lui payer la somme de 242. 185,64 € à titre de dommages et intérêts, outre la somme de 12.000 € en réparation du préjudice moral.

Par jugement du 17 avril 2018, Mme [Y] a été placée sous mesure de curatelle renforcée pour une durée de 60 mois, l'association [12] étant désignée en qualité de curateur.

Arguant du vice de son consentement au moment de l'acte, Mme [Y], assistée par l'association [12], a suivant acte d'huissier du 10 septembre 2020, fait attraire M. [A] devant le tribunal judiciaire de Vannes en nullité de la donation consentie à ce dernier et subséquemment, aux fins de voir annulée la donation du même terrain faite par M. [A] à sa fille.

Par jugement du 11 mai 2021, le tribunal judiciaire de Vannes a :

- déclaré Mme [Y] et l'ASCAP 56 recevables en leurs demandes,

- annulé la donation entre vifs réalisée par acte authentique du 10 avril 2015 entre Mme [Y] et M. [A],

- annulé la donation entre vifs réalisée par acte authentique du 18 mars 2016 entre les mêmes,

- condamné M. [A] à payer à Mme [Y] la somme de 1.500 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [A] aux entiers dépens,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement.

M. [A] a interjeté appel de tous les chefs de jugement par déclaration du 15 juillet 2021.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

M. [A] expose ses demandes et moyens dans ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 20 septembre 2023 auxquelles il est renvoyé.

Il demande à la cour de :

- réformer le jugement en toutes ses dispositions,

- in limine litis, déclarer l'action de Mme [Y] assistée de son curateur, l'association [12], non recevable comme étant prescrite,

- ordonner avant dire droit la comparution personnelle du maire ayant autorisé le permis de construire, M. [K] [V], pour l'interroger sur les intentions et les implications de Mme [Y] dont il a pu être témoin,

- dire et juger que la preuve du trouble mental et les man'uvres dolosives au moment de la donation en date d'avril 2015 n'est pas rapportée,

En conséquence,

- dire et juger qu'il n'y a pas lieu d'annuler les donations entre vifs réalisées par actes authentiques des 10 avril 2015 et 18 mars 2016,

- réformer le jugement en ce qu'il a annulé les donations précitées,

- ordonner qu'il soit porté mention de la propriété à son profit sur les registres de propriété, publicité foncière, urbanisme,

- débouter Mme [Y] de toutes ses demandes dirigées à son encontre que ce soit en son nom personnel ou en sa qualité de représentant légal de sa fille,

- débouter les parties intimées de leurs plus amples prétentions et demandes de condamnations.

Il soutient que :

- les conditions de l'article 464 alinéa 1er n'ont pas été respectées puisque la donation litigieuse a été faite trois ans avant le jugement d'ouverture de la mesure de curatelle renforcée, de sorte que l'action est prescrite,

- c'est à tort que les premiers juges ont considéré que le délai quinquennal de prescription des nullités devait s'appliquer et qu'il a retenu comme point de départ la date du 21 juin 2016, date à laquelle la violence aurait cessé,

- c'est également à tort que le tribunal a déduit la violence de l'abus de faiblesse, l'intimée n'ayant formulé aucune prétention en lien avec l'acte de donation litigieux lors du jugement correctionnel, puisqu'elle n'a sollicité que l'indemnisation d'un préjudice moral et n'a jamais allégué de manoeuvres ou de consentement vicié pour cet acte,

- Mme [Y] échoue à rapporter la preuve qui lui incombe de la notoriété du trouble dont elle aurait été affectée lors de la donation consentie en avril 2015, en application de l'article 503 ancien du code civil

- le consentement de Mme [Y] a été recueilli au sein d'un acte qui n'a pas fait l'objet d'une procédure en inscription de faux et par un notaire qui n'a été visé par aucune procédure en recherche de responsabilité,

- Mme [Y] ne verse aucune preuve ni aucun justificatif médical établissant l'existence d'un trouble mental au moment de la donation, les pièces médicales produites étant bien postérieures puisqu'elles résultent de l'instruction judiciaire ou de la procédure d'ouverture d'une mesure de protection, en tout état de cause, elles ne mettent nullement en évidence un trouble mental ayant aboli son discernement en avril 2015,

- l'intention libérale ressort des auditions de Mme [Y] au cours de la procédure pénale,

- l'existence de man'uvres frauduleuses spécifiques à la donation ayant pu vicier le consentement de Mme [Y] ne ressort pas de la procédure pénale et n'est pas démontrée,

-Le Maire de [Localité 14] dont la comparution personnelle est requise, pourra témoigner de ce que Mme [Y] avait proposé de sa propre initiative d'aider M. [A] pour les formalités administratives liées à l'obtention d'un permis de construire sur le terrain donné,

- la jurisprudence considère que le trouble mental doit être prouvé, nonobstant le délit d'abus de faiblesse. Cette preuve n'est pas rapportée en l'espèce.

- la motivation du tribunal relève d'une interprétation exégétique, de supputations et est ambivalente sinon contradictoire,

- le tribunal a considéré que Mme [Y] se prévalait du vice de violence mais aucune menace sous quelle que forme que ce soit n'est caractérisée.

Mme [Y] assistée par l'ASCAP 56 es qualité de curateur expose ses demandes et moyens dans ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 20 décembre 2021 auxquelles il est renvoyé.

Elle demande à la cour de :

- dire et juger qu'elle, ainsi que l'ASCAP 56, sont recevables et bien fondés en leurs conclusions,

Y faisant droit,

- confirmer en toute ses dispositions le jugement en ce qu'il a jugé que son consentement était vicié par des man'uvres dolosives lors de la signature de l'acte authentique du 10 avril 2015 entre elle et M. [A], et a donc annulé la donation entre vifs réalisée à cette date, ainsi que celle réalisée par acte authentique en date du 18 mars 2016 au profit de la fille de M. [A],

- confirmer en outre le jugement en ce qu'il a condamné M. [A] à lui payer la somme de 1.500 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens,

Y additant,

- condamner M. [A] à lui payer la somme de 3.500 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile s'agissant de la procédure d'appel,

- condamner M. [A] aux entiers dépens d'appel.

Elle soutient que :

- s'agissant de la fin de non-recevoir soulevée, l'article 464 du code civil n'est pas applicable aux faits de l'espèce. D'une part, il ne s'agit pas d'un délai de prescription. D'autre part, c'est le délai de droit commun des nullités des libéralités qui s'applique (article 1304 du code civil), le point de départ devant être fixé au jour où les faits ont cessé, soit au 21 juin 2016, de sorte que l'action n'est pas prescrite.

- Au fond, le consentement de Mme [L] [Y] a été vicié par des man'uvres dolosives consistant à l'isoler, à créer des scénarios pour la pousser à accepter la donation et à la tromper sur la valeur du terrain avec la complicité du notaire,

- elle présente une fragilité psychologique la rendant vulnérable, ainsi que des difficultés à résister aux influences extérieures, cette extrême vulnérabilité et l'altération de ses facultés ayant été confirmées à la fois par son placement sous curatelle renforcée, par le réquisitoire introductif du procureur de la République et par le jugement du 7 mars 2019 rendu par le tribunal judicaire de Vannes annulant un contrat de crédit souscrit par elle le 8 janvier 2016 pour l'achat d'un véhicule, en retenant que son consentement avait été vicié à cette époque.

L'instruction de l'affaire a été déclarée close le 5 décembre 2023.

Pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées figurant au dossier de la procédure.

MOTIVATION DE LA COUR

1°/ Sur la recevabilité de l'action de Mme [Y]

Se fondant sur les dispositions de l'article 464 du code civil, M. [Z] [A] soutient que l'action de Mme [Y] est irrecevable comme étant prescrite, en ce que le jugement d'ouverture de la curatelle renforcée est intervenu plus de trois ans après la donation litigieuse.

Il résulte des dispositions de l'article 464 du code civil que : 'Les obligations résultant des actes accomplis par la personne protégée moins de deux ans avant la publicité du jugement d'ouverture de la mesure de protection peuvent être réduites sur la seule preuve que son inaptitude à défendre ses intérêts, par suite de l'altération de ses facultés personnelles, était notoire ou connue du cocontractant à l'époque où les actes ont été passés.

Ces actes peuvent, dans les mêmes conditions, être annulés s'il est justifié d'un préjudice subi par la personne protégée.

Par dérogation à l'article 2252, l'action doit être introduite dans les cinq ans de la date du jugement d'ouverture de la mesure'.

Toutefois, ce délai biennal n'est en rien un délai de prescription.

En outre, le texte précité n'a aucune vocation à s'appliquer en l'espèce, Mme [Y] ayant fondé son action en nullité des donations sur les dispositions de l'article 901 du code civil, précisément parce que la donation litigieuse n'entrait pas dans la période dite « suspecte » de l'article 464 précité, pour avoir été faite le 10 avril 2015 soit plus de trois ans avant le jugement d'ouverture de curatelle renforcée.

C'est donc en parfaite méconnaissance de la portée de l'article 464 du code civil que M. [A] tente de soutenir que toute action en nullité serait fermée pour les engagements qui n'auraient pas été souscrits dans les deux ans précédant la mise en place d'une mesure de protection.

Par ailleurs, comme l'a justement relevé le tribunal, au regard de la date de la donation litigieuse, la prescription de l'action en nullité de celle-ci est soumise aux dispositions de l'article 1304 du code civil, dans sa version antérieure à l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 relative à la réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.

Cet article dispose que 'Dans tous les cas où l'action en nullité ou en rescision d'une convention n'est pas limitée à un moindre temps par une loi particulière, cette action dure cinq ans.

Ce temps ne court dans le cas de violence que du jour où elle a cessé, dans le cas d'erreur ou de dol, du jour où ils ont été découverts.

Le temps ne court, à l'égard des actes faits par un mineur, que du jour de la majorité ou de l'émancipation, et à l'égard des actes faits par un majeur protégé, que du jour où il en a eu connaissance, alors qu'il était en situation de les refaire valablement. Il ne court contre les héritiers de la personne en tutelle ou en curatelle ou de la personne faisant l'objet d'une habilitation familiale que du jour du décès, s'il n'a commencé à courir auparavant.'

En l'espèce, M. [Z] [A] a été condamné par le tribunal correctionnel de Vannes le 17 août 2017, pour avoir 'A [Localité 14] et dans le Morbihan, entre le 1er janvier 2015 et le 21 juin 2016, en tous cas sur le territoire national et depuis temps n'emportant pas prescription, frauduleusement abusé de l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse d'[L] [Y] et de [T] [Y], personnes majeures qu'il savait particulièrement vulnérables en raison de leur âge, d'une maladie, d'une infirmité ou d'une déficience physique ou psychologique, pour les conduire à des actes ou abstentions gravement préjudiciables pour elles, en l'espèce en leur faisant acquérir et en acquérant en leur nom de nombreux véhicules, en se faisant remettre des sommes d'argent (espèces ou virements) et des formules de chèques, en utilisant ces formules de chèques ou en les encaissant et en se faisant donner un terrain.'

Ainsi, la donation litigieuse est un des éléments matériels constitutifs du délit d'abus de faiblesse pour lequel M. [A] a été définitivement condamné puisqu'il n'a pas fait appel de la décision.

Par définition, l'abus de faiblesse implique que le consentement à l'acte a été abusivement obtenu de la victime soit par l'exercice d'une contrainte physique ou psychologique constitutive de violence, soit par des man'uvres dolosives destinées à la manipuler ou à la tromper.

Il est observé que désormais, le nouvel article 1143 du code civil dispose qu'il y a violence 'lorsqu'une partie, abusant de l'état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant à son égard, obtient de lui un engagement qu'il n'aurait pas souscrit, en l'absence d'une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif.' Si cette disposition ne peut certes pas servir de fondement textuel à la présente action, il n'en demeure pas moins que le législateur n'a fait que consacrer une jurisprudence abondante et ancienne, associant l'abus de faiblesse à une contrainte constitutive du vice de violence.

Il ressort en l'espèce de la motivation du tribunal correctionnel, l'intention manifeste de M. [Z] [A] de 'tirer profit de son ascendance' sur [L] [Y] et 'd'empêcher toute prise de conscience'.

Il convient donc de considérer que Mme [Y] était privée de toute possibilité d'agir pendant la période de prévention, le délai de prescription n'a donc pu commencer à courir, au plus tôt, qu'au jour où l'abus de faiblesse a cessé soit, d'après la période de prévention retenue, le 21 juin 2016.

L'assignation ayant été délivrée le 10 septembre 2020, l'action n'est pas prescrite.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté cette fin de non-recevoir et déclaré l'action de Mme [Y] recevable.

2°/ Sur la mesure d'instruction sollicitée

L'article 146 du code de procédure civile dispose : 'qu'une mesure d'instruction ne peut être ordonnée sur un fait que si la partie qui l'allègue ne dispose pas d'éléments suffisants pour le prouver. En aucun cas une mesure d'instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l'administration de la preuve'.

En l'espèce, M. [Z] [A] sollicite avant dire droit la comparution personnelle de M. [K] [V], ancien maire de la commune de [Localité 14] ayant autorisé le permis de construire de M. [A] sur le terrain litigieux, afin de 'l'interroger sur les intentions et les implications de Mme [I] dont il a pu être témoin'.

Il s'agit pour M. [A] d'établir que Mme [Y] était en possession de ses moyens et que son consentement n'a pas été vicié.

A toutes fins, il est observé que la demande de nullité de la donation n'est pas fondée sur l'insanité d'esprit mais sur le dol. Ainsi, l'avis du maire de la commune concernant l'état mental que présentait Mme [Y] lors du projet de permis de construire (c'est-à-dire au cours de l'année 2016, soit plusieurs mois après la donation du 10 avril 2015) n'est pas indispensable à la résolution du litige.

Surtout, cette demande d'audition qui aurait pu être sollicitée par M. [A] dans le cadre de l'instruction, présente à ce jour un intérêt probatoire des plus limités, s'agissant de recueillir les souvenirs du maire de la commune sur les « intentions et les implications de Mme [Y] », neuf ans après les faits.

Enfin, il n'est pas démontré que dans le cadre de la présente instance, M. [A] ait tenté d'obtenir une attestation de M. [V] relatant les faits qu'il cherche à établir, permettant ainsi la discussion contradictoire de cette pièce.

Pour l'ensemble de ces motifs, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [Z] [A] de cette demande.

3°/Sur la demande de nullité des donations

L'article 901 du code civil dispose que 'pour faire une libéralité, il faut être sain d'esprit. La libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l'erreur, le dol ou la violence.'

L'article 1130 du code civil énonce que 'L'erreur, le dol ou la violence vicient le consentement lorsqu'ils sont de telle nature que, sans eux, l'une des parties n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes. Leur caractère déterminant s'apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné.'

L'article 1137 du code civil précise que 'le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des man'uvres ou des mensonges.'

En l'espèce, Mme [Y] fonde son action sur les dispositions de l'article 901 du code civil en indiquant que son consentement a été vicié par les man'uvres dolosives de M. [A].

Les développements de ce dernier, relatifs aux conditions d'application des articles 464 et 503 ancien du code civil, sont donc inopérants.

Par ailleurs, il s'évince de l'article 901 du code civil, que pour valablement effectuer une libéralité, il faut un consentement libre et éclairé. En conséquence, la libéralité est nulle si le disposant était privé de tout discernement au moment de l'acte, en raison d'une affection mentale (insanité d'esprit) ou si son consentement a été vicié par l'erreur, le dol ou la violence.

Contrairement à ce que soutient M. [A], ces deux hypothèses ne sont pas cumulatives, de sorte qu'il n'y a pas lieu de démontrer l'existence d'un trouble mental en plus d'un vice du consentement au moment de l'acte.

En l'espèce, si les éléments médicaux versés aux débats ne permettent pas de retenir l'insanité d'esprit (qui n'est pas invoquée) de Mme [Y] lors de la donation de son terrain en avril 2015, ils démontrent en revanche l'évidente vulnérabilité de cette dernière lors de la donation.

L'expertise psychologique réalisée le 17 janvier 2017 dans le cadre de la procédure pénale met en exergue le caractère suggestible et influençable de Mme [Y], décrite comme isolée et mue par un désir de reconnaissance dans un contexte de relations familiales difficiles. L'expert décrit une personnalité perturbée, associant comportements hystériques et traits de caractère pseudo-psychopathique, présentant des capacités de raisonnement parasitées par cette organisation psychique qui l'ont vraisemblablement empêchée d'apprécier la spoliation que vivait sa mère. Il ajoute que l'agressivité qu'elle exprimait vis-à-vis de sa mère n'avait pu qu'accentuer sa vulnérabilité mais aussi le désir de paraître et le besoin de reconnaissance.

Le certificat médical réalisé par le Docteur [P] [C] le 24 juin 2017, atteste que la fragilité psychologique de Mme [Y] est ancienne puisqu'il note une anorexie mentale à l'âge de 17 ans, suivie d'un syndrome dépressif. Au regard de son 'extrême vulnérabilité' et de sa naïveté, il préconise une mesure de curatelle renforcée, laquelle a été ordonnée par le juge des tutelles suivant jugement du 17 avril 2018.

Par ailleurs, Mme [Y] produit un certificat médical du Docteur [U] du 22 janvier 2008 faisant état d'un état anxio-dépressif réactionnel justifiant un arrêt maladie.

Il résulte de ces éléments que l'état de vulnérabilité de Mme [Y] est ancien et continu depuis de très nombreuses années.

M. [A] peut difficilement contester cet état de vulnérabilité au moment de la donation du terrain, en avril 2015, dès lors que celle-ci a été expressément qualifiée d'abus de faiblesse.

Il avait d'ailleurs pertinemment conscience d'utiliser Mme [Y] en abusant de sa vulnérabilité, ainsi qu'il ressort des écoutes téléphoniques : 'moi j'ai trouvé une gadji, ben écoute la gadji (incompréhensible) bonnes affaires moi j'en ai profité, je peux pas me reprocher ça'.

Il a également admis devant le juge d'instruction avoir perçu la vulnérabilité et la solitude de Mme [Y], ajoutant que celle-ci voulait lui 'donner le ciel'.

Les échanges avec sa concubine, révélés par les écoutes téléphoniques, ont confirmé les intentions frauduleuses de ce dernier : 'il y a eu trop', 'on avait tout le temps avec elle, elle était pas près d'être morte » ou encore « fallait pas prendre tout ça, je vous avais dit d'arrêter. On a trop voulu et puis voilà, on aurait pas dû aller aussi loin, avec le terrain y avait bien assez, on en parlait plus'.

Outre l'exploitation de la faiblesse psychologique de Mme [Y], l'instruction judiciaire a mis en évidence les man'uvres frauduleuses déterminantes du consentement de cette dernière pour la conduire à consentir à la donation de son terrain.

Il résulte en effet des pièces produites (procédure pénale et articles de presse) que Mme [Y] a été trompée avec la complicité du notaire, Me [S], sur la valeur réelle de son terrain.

De fait, dans l'acte de donation du 10 avril 2015, ce terrain de 656 m², accolé à sa maison et situé en plein c'ur du bourg de [Localité 14], est classé comme un terrain de loisir (c'est-à-dire non constructible) que le notaire a évalué à la somme de 7.500 € en pleine propriété.

Or, il est avéré que ce notaire s'est fait remettre un certificat d'urbanisme mentionnant que le terrain était en réalité classé en zone UB et donc constructible (ce zonage étant inchangé depuis 2010) de sorte que la valeur réelle du terrain avoisinait la somme de 90.000 € (150 €/m²), cette information ayant été sciemment dissimulée à Mme [Y] pour la déterminer à céder son terrain. M. [A] ne pouvait qu'avoir connaissance du caractère constructible de ce terrain, nonobstant les énonciations mensongères de l'acte de donation puisqu'il a déposé un permis de construire le 4 mars 2016 et avait d'ores et déjà engagé des travaux de terrassement du terrain litigieux.

Il est observé qu'un projet de donation portant sur un terrain adjacent appartenant à la mère de Mme [L] [Y] (victime des mêmes faits d'abus de faiblesse), en faveur du co-auteur de M. [A] avait été projeté mais n'avait pas pu aboutir en raison du refus ferme et déterminé de cette dernière.

En outre, la lecture des pièces issues de la procédure pénale révèle que M. [Z] [A] a exercé de fortes pressions sur Mme [Y] pour parvenir à ses fins, en particulier s'agissant du terrain. Il ressort ainsi du réquisitoire définitif (cet élément n'étant pas contesté par M. [A] dans ses écritures), que le géomètre-expert chargé de l'arpentage se souvenait qu'initialement, la superficie de la parcelle ne devait être que de 100 m² mais que celle-ci augmentait à chaque rendez-vous, sans qu'[L] [I] ne soit toujours d'accord et qu'il avait vu [Z] [A] fortement négocier avec cette dernière pour réussir à obtenir 256 m2 de terrain en plus.

Par ailleurs, M. [Z] [A] n'a jamais expliqué de manière convaincante les motifs pour lesquels Mme [L] [Y] aurait accepté, alors qu'elle le connaissait seulement depuis quelques mois, de lui consentir une donation sur son terrain, outre la souscription de nombreux crédits pour financer des véhicules et un camping-car dont elle n'a jamais bénéficié ainsi que la remise de sommes importantes à son profit, ce qui dénote d'un comportement parfaitement irrationnel.

L'ensemble des actes et libéralités consentis par Mme [Y] à M. [A] ne peuvent s'expliquer que par l'exploitation de la faiblesse psychologique de celle-ci, en s'imposant dans son quotidien, en jouant sur le ressentiment qu'elle éprouvait vis à vis de sa mère et en lui faisant croire à des scénarios dans lesquels il se rapprochait d'elle, ce qui lui permettait de briser sa solitude.

Le réquisitoire définitif souligne à cet égard que M. [A] et son complice ont entretenu Mme [Y] dans l'idée qu'elle pourrait monter avec eux une société pour son fils dans laquelle celui-ci (aux facultés intellectuelles très altérées) pourrait travailler, qu'ils pourraient voyager ensemble et qu'ils pourraient vivre auprès d'elle et l'aider au quotidien ainsi que veiller sur son fils.

De fait, si Mme [Y] n'avait pas été dupée sur les véritables sentiments et intentions de M. [A] à son égard, croyant faussement avoir trouvé en lui un ami, elle ne lui aurait pas consenti, en plus de tout le reste, un terrain accolé au sein, sans aucune contrepartie.

Ainsi contrairement à ce que soutient M. [A], des man'uvres frauduleuses spécifiques à la donation sont caractérisées en l'espèce, celles-ci étant exclusive de toute intention libérale.

Enfin, M. [A] ne peut sérieusement arguer de la validité du consentement de Mme [Y] du seul fait de la forme authentique de la donation litigieuse, compte tenu du contexte de la donation et des suspicions de collusions avec le notaire instrumentaire (en page 11 du réquisitoire définitif, il est indiqué que M. [A] aurait lui-même conseillé à Mme [L] [Y] ce notaire aux fins d'obtenir la procuration sur les comptes de sa mère que le notaire de [Localité 15] lui refusait, et que Me [S] avait 'fait ce qu'il avait à faire avec elle') .

Au surplus, le moyen tiré de l'absence de mise en cause du notaire relève d'une particulière mauvaise foi dès lors que celui-ci est décédé en mai 2016, concomitamment à l'ouverture de l'information judiciaire.

Au total, la cour considère que ces faits sont constitutifs d'un ensemble de man'uvres frauduleuses ayant eu un caractère déterminant dans la réalisation de la donation litigieuse au profit de M. [A].

Par substitution de motifs, l'annulation de l'acte de donation du 10 avril 2015 reçu par Me [S] sur le fondement du dol est par conséquent pleinement justifiée ainsi que l'annulation subséquente de la donation du même terrain consentie par M. [Z] [A] à sa fille.

4°/ Sur les frais irrépétibles et les dépens

Les dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront confirmées.

Succombant en appel, M. [Z] [A] sera condamné aux dépens d'appel et il n'est pas inéquitable de le condamner à payer à Mme [L] [Y] la somme de 3.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

5°/ Sur l'amende civile

Aux termes de l'article 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10.000 €, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.

Si le droit d'exercer un recours est un droit fondamental, encore faut-il que celui-ci ne procède pas d'une démarche abusive et mal attentionnée, manifestement vouée à l'échec.

En l'espèce, il est pour le moins téméraire de la part de M. [A] de soutenir encore devant la cour, l'intention libérale de Mme [Y] à son égard ainsi que la parfaite validité de cette donation, laquelle constitue tout à la fois un élément matériel de l'infraction d'abus de faiblesse pour laquelle il a été définitivement condamné et son produit.

La cour estime au surplus que cette initiative procédurale ne peut que procéder d'une intention persistante de nuire à sa victime dès lors que celui-ci n'ignore pas que son comportement a causé à Mme [Y] un préjudice d'une exceptionnelle gravité tant au plan moral, sur une personne déjà particulièrement fragile, qu'au plan financier, puisque cette dernière a été placée dans une situation financière particulièrement difficile, par la faute de M. [Z] [A] et de son complice, lesquels ont été reconnus entièrement responsables de son préjudice.

Enfin, il s'évince du présent arrêt que l'appel formé par M. [Z] [A] ne repose en définitive sur aucun moyen sérieux de réformation, les moyens de droit invoqués étant soit étrangers au litige soit manifestement voués à l'échec, ce qui confirme le caractère abusif de l'appel et justifie de condamner M. [Z] [A] au paiement d'une amende civile de 8.000 € afin de sanctionner la mobilisation abusive et inutile de moyens judiciaires particulièrement contraints.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 11 mai 2021 par le tribunal judiciaire de Vannes,

Y ajoutant,

Condamne M. [Z] [A] aux dépens d'appel,

Condamne M. [Z] [A] à payer à Mme [L] [Y] la somme de 3.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [Z] [A] à payer au Trésor Public une amende civile d'un montant de 8.000 €,

Dit que le greffe transmettra à l'Agent judiciaire de l'État une copie du présent arrêt aux fins de recouvrement de l'amende civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21/04413
Date de la décision : 16/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 22/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-16;21.04413 ?
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