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10/04/2024 | FRANCE | N°19/02887

France | France, Cour d'appel de Rennes, 8ème ch prud'homale, 10 avril 2024, 19/02887


8ème Ch Prud'homale





ARRÊT N°111



N° RG 19/02887 -

N° Portalis DBVL-V-B7D-PXQF













M. [V] [S]



C/



SAS [UE]

















Infirmaton partielle















Copie exécutoire délivrée

le :



à :

-Me Samuel [G]

-Me Jean-David CHAUDET





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 10 AVRIL 2024





COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Madame Nadège BOSSARD, Présidente,

Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller,

Madame Anne-Cécile MERIC, Conseillère,



GREFFIER :



Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé







DÉBATS :



A l'...

8ème Ch Prud'homale

ARRÊT N°111

N° RG 19/02887 -

N° Portalis DBVL-V-B7D-PXQF

M. [V] [S]

C/

SAS [UE]

Infirmaton partielle

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

-Me Samuel [G]

-Me Jean-David CHAUDET

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 10 AVRIL 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Madame Nadège BOSSARD, Présidente,

Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller,

Madame Anne-Cécile MERIC, Conseillère,

GREFFIER :

Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 15 Février 2024

En présence de Madame [JE] [I], Médiatrice judiciaire

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 10 Avril 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANT et intimé à titre incident :

Monsieur [V] [S]

né le 18 Août 1964 à [Localité 5] (50)

demeurant [Adresse 4]

[Localité 2]

Ayant Me Samuel MOULIN, Avocat au Barreau de RENNES, pour postulant

et représenté à l'audience par Me Eva JOLY, Avocat plaidant du Barreau de PARIS et par Me David LEMERCIER, Avocat plaidant du Barreau de ROUEN

INTIMÉE et appelante à titre incident :

La SAS [UE] prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège social :

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentée par Me Jean-David CHAUDET de la SCP JEAN-DAVID CHAUDET, Avocat postulant du Barreau de RENNES et par Me Marie-Pascale VALLAIS de la SELARL VALLAIS AVOCAT, Avocat plaidant du Barreau de NANTES

M. [V] [S] a été engagé par la société [UE] selon contrat de travail à durée indéterminée, signé le 28 avril 2006, avec effet à compter du 2 mai 2006, aux fonctions de responsable qualité, catégorie agent de maîtrise, coefficient 320, avec une rémunération de 2 500 euros bruts pour un 4/5ème de temps de travail soit quatre jours sur cinq.

La société [UE] exerce, sous l'enseigne Castel Viandes, une activité d'abattoir à [Localité 1] (44) et produit notamment des viandes sous vide, des viandes piécées et hachées pour la grande distribution et des enseignes de la restauration rapide.

La convention collective applicable est celle des entreprises et des commerces de gros des viandes.

M. [S] était chargé selon les termes de son contrat de travail de :

- gestion de production dans le cadre de lancements de produits avec suivi qualitatif des produits (produits Label, produits hachés...),

- contrôles qualitatifs dans le cadre des cahiers des charges de production,

- optimisation et fiabilisation des process de production dans le respect des procédures HACCP (Hazard Analysis Critical Control Point) et de la législation en vigueur,

- contrôles et validation HACCP et Qualité générale,

- contrôle et optimisation des mesures de sécurité alimentaire,

- contrôle et optimisation des mesures Risques professionnels,

- contrôle et optimisation de la gestion des déchets, rejets et dossiers installations classées,

- mission de R§D en relation avec la direction commerciale pour nouveaux produits,

- relations extérieures avec les organismes professionnels, DSV, DGCCRF, etc...,

- gestion des audits,

- communiquer à ses supérieurs hiérarchiques les problèmes rencontrés et les éventuelles suggestions et informations qui y sont relatives.

Il était assisté de deux salariées, Mme [E] épouse [B] et Mme [U] épouse [Y].

Sont présents dans ce type d'établissements des techniciens vétérinaires qui procèdent à des contrôles et en réfèrent à la direction départementale des services vétérinaires laquelle procède ponctuellement à des inspections.

Les clients de la société font quant à eux diligenter des audits afin de vérifier si le cahier des charges qu'ils ont défini dans le cadre de leur relation commerciale avec la société [UE] est respecté.

Le 20 mars 2008, une inspection de la direction départementale des services vétérinaires a constaté des points de non conformités sur le site de l'abattoir de [Localité 1]. Le 25 avril 2008, la direction des services vétérinaires a donné un délai jusqu'à fin juillet 2008 à la société [UE] pour remédier aux non conformités.

En octobre 2008, la société [UE] a proposé à M. [S] de poursuivre leur collaboration dans le cadre d'un contrat de prestation de service et non plus dans celui d'un contrat de travail et de procéder à une rupture conventionnelle du contrat de travail, ce que M. [S] a refusé.

Le 22 octobre 2008, un audit qualité réalisé par la société cliente Mc [W] a constaté la persistance de non conformités avec son cahier des charges malgré les mesures correctives sollicitées lors d'une précédente visite le 8 juillet 2008 qui avait déjà constaté des écarts de conformité.

Le 13 novembre, la société [UE] a recruté une technicienne qualité diplômée, Mme [D], selon contrat de travail à durée déterminée 'afin d'endiguer les non conformités et maintenir l'établissement dans sa catégorie'.

Le 17 novembre 2008, l'établissement d'abattage de bovins de la société [UE] a été déclassé en catégorie III (établissement présentant un ou plusieurs points de non conformité).

Une nouvelle visite de l'auditeur Mc [W] a eu lieu le 21 novembre 2008 visant à vérifier la mise en place d'actions correctives.

Le 8 décembre 2008, M. [S] a dénoncé auprès de l'inspecteur vétérinaire de la direction départementale de la protection des populations présent sur le site de l'abattoir la pratique par la société [UE] de réemballage de viandes en violation selon lui des règles sanitaires en vigueur.

Le 8 décembre 2008, après un rendez-vous fixé à 14H45, la société a adressé à M. [S] une convocation à un entretien préalable à un licenciement fixé le 17 décembre 2008 et l'a mis à pied à titre conservatoire.

Par lettre recommandée avec avis de réception adressée le 20 décembre 2008, la société [UE] a notifié à M. [S] son licenciement pour cause réelle et sérieuse au motif 'd'une attitude critique et de dénigrement de la direction, (son) incapacité à (se) situer dans (son) rôle de responsable qualité et à (son) insuffisance professionnelle'.

Par lettre adressée à la société [UE] le 21 avril 2009, M. [S] a reproché à son employeur de n'avoir 'pas cessé de chercher à (l)e déstabiliser pour obtenir (s)on départ', a contesté la légitimité de son licenciement et a précisé ' vous me contraignez de mettre à la lumière des pratiques que vous mettez tant d'énergie à dissimuler'.

Par lettre du 26 mai 2009, la société [UE] a demandé à M. [S] de cesser de 'colporter des rumeurs auprès de certains de (ses) clients'.

Le 4 décembre 2012, [V] [S] a dénoncé aux services de gendarmerie des faits susceptibles de constituer des atteintes à la santé publique commis au sein de la société [UE].

Le 14 avril 2013 M. [S] a saisi le conseil de prud'hommes de Nantes aux fins de :

A titre principal,

' Condamner la SAS [UE] à lui verser 364.312,32 € nets de dommages et intérêts pour licenciement nul,

A titre subsidiaire,

' Condamner la SAS [UE] à lui verser 250.000 € nets de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

En tout état de cause,

' Ordonner la remise des documents sociaux (attestation Pôle Emploi et bulletin de paie rectifiés) sous astreinte de 150 € par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir,

' Intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil pour les sommes ayant le caractère de salaire et à compter de la décision à intervenir pour les autres sommes,

' Application des articles 1153, 1153-1 et 1154 du code civil,

' Exécution provisoire de la décision à intervenir,

' Fixer le salaire brut moyen mensuel à 2.545 €,

' Condamner la SAS [UE] à lui verser 3.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

' Condamner la SAS [UE] aux entiers dépens et en tous frais d'exécution,

' Dire qu'à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par la décision à intervenir, et en cas d'exécution par voie extrajudiciaire, les sommes retenues par l'huissier instrumentaire devront être supportées par la société défenderesse.

L'affaire a été radiée le 16 avril 2014 pour absence de communication de pièces puis réenrôlée le 11 mai 2015.

Elle a de nouveau été radiée le 18 mai 2016 et a été rétablie le 14 mai 2018.

Par jugement du 28 mars 2019, le conseil de prud'hommes de Nantes a :

- dit que la procédure engagée par M. [S] contre la SAS [UE] était recevable,

- débouté M. [S] de l'ensemble de ses demandes,

- débouté la SAS [UE] de ses demandes reconventionnelles,

- condamné M. [S] aux dépens éventuels.

M. [S] a interjeté appel le 30 avril 2019.

L'affaire a été appelée à l'audience du 24 mars 2022.

Par jugement du tribunal correctionnel de Nantes en date du 30 juin 2022, la SAS [UE] et son gérant M. [O] [UE] ont été partiellement relaxés des chefs de la poursuite mais ont été déclarés coupables de faits de tromperie sur la nature, la qualité substantielle, l'origine ou la quantité d'une marchandise courant janvier 2010 et jusqu'au 31 décembre 2013 à Chateaubriant et de faits de mise sur le marché de produits d'origine animale ou de denrées en contenant préjudiciables à la santé, courant janvier 2010 et jusqu'au 31 décembre 2013 à Chateaubriant.

Par arrêt en date du 8 juillet 2022, la 8ème chambre sociale de la cour, saisie du présent litige, a ordonné la réouverture des débats, renvoyé la procédure à la mise en état, invité les parties à développer leurs observations sur les conséquences qu'elles entendaient tirer de la décision du tribunal correctionnel de Nantes rendue le 30 juin 2022 à l'encontre de la SAS [UE] et de M. [UE], à l'égard de la présente procédure, réservé les dépens de l'instance.

Vu les écritures notifiées par voie électronique le 27 janvier 2024 suivant lesquelles M. [S] demande à la cour de :

' Dire et juger recevable et bien fondé l'appel interjeté par lui à l'encontre du jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Nantes le 28 mars 2019 (F 18/00368),

' Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [S] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

Statuant à nouveau,

' Dire et juger recevables et bien fondées les demandes de M. [S],

A titre principal,

' Dire et juger le licenciement de M. [S] nul,

' Condamner la SAS [UE] à payer à M. [S] la somme de 461.184 € (517.007,52 € - 55.823,52 €) à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

A titre subsidiaire,

' Dire et juger le licenciement de M. [S] dépourvu de cause réelle et sérieuse,

' Condamner la SAS [UE] à payer à M. [S] la somme de 250.000 € nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

En tout état de cause,

' Ordonner la remise des documents sociaux, à savoir l'attestation Pôle Emploi et le bulletin de paie rectifiés, et ce sous astreinte de 150 € par jour de retard à compter de la notification à intervenir,

' Dire et juger que les sommes réclamées porteront intérêts au taux légal à compter de l'introduction des sommes ayant le caractère de salaire et à compter de la décision à intervenir pour les autres sommes, avec capitalisation en application des articles 1153, 1153-1 et 1154 du code civil,

' Fixer le salaire brut moyen mensuel à 2.545 €,

' Condamner la SAS [UE] à verser à M. [S] la somme de 15.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, tant en première instance qu'en cause d'appel,

' Condamner la SAS [UE] aux entiers dépens, ainsi qu'aux éventuels frais d'huissier en cas d'exécution forcée de la décision à intervenir, tant de première instance que d'appel,

' Dire et juger qu'à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par la décision à intervenir et qu'en cas d'exécution par voie extrajudiciaire, les sommes retenues par l'huissier instrumentaire devront être supportées par la partie défenderesse,

' Débouter la SAS [UE] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

Vu les écritures notifiées par voie électronique le 7 février 2024, suivant lesquelles la SAS [UE] demande à la cour de :

In limine litis,

' Rectifier l'erreur matérielle commise dans le jugement du conseil de prud'hommes de Nantes du 28 mars 2019 en ce qu'il a omis de reprendre sa décision de rejet des pièces de M. [S] n°78 et 86,

A titre principal,

' Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Nantes :

- en ce qu'il a dit l'action de M. [S] non prescrite

Statuant à nouveau,

Vu les articles 381 du CPC, L.3245-1 et L.1471-1 du code du travail

Juger que M. [S] est prescrit dans son action en contestation de son licenciement,

En conséquence,

Juger sa demande irrecevable.

- En ce qu'il a débouté la SAS [UE] de sa demande reconventionnelle,

Statuant à nouveau,

Condamner M. [S] à verser 5 000 € à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile,

A titre subsidiaire,

Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Nantes du 28 mars 2019 en toutes ses dispositions,

En conséquence,

Débouter M. [S] de toutes ses demandes,

Condamner M. [S] à verser 5 000 € à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile,

En tout état de cause,

Condamner M. [S] à verser à la SAS [UE] une somme de 4 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Subsidiairement, et dans l'hypothèse où la Cour ferait droit ne serait ce que partiellement aux demandes de M. [S], le débouter de sa demande en paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile, s'il bénéficie de l'aide juridictionnelle,

En cas de condamnation de la concluante au paiement de l'article 700 du code de procédure civile, la dispenser totalement du remboursement au Trésor des sommes avancées par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, en vertu des dispositions de l'article 123 du décret du 19 décembre 1991 pris en application de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 8 février 2024.

MOTIFS :

Sur la fin de non recevoir tirée de la prescription de l'action en contestation du licenciement :

La société [UE] soulève l'irrecevabilité de l'action en contestation du licenciement au motif de sa prescription considérant que le délai écoulé entre le licenciement notifié le 20 décembre 2008 et le rétablissement après radiation de l'affaire devant le conseil de prud'hommes le 11 mai 2015 est supérieur au délai de 5 ans défini à la date du réenrôlement par l'article L1471-1 du code du travail.

M. [S] invoque avoir saisi le conseil de prud'hommes dans le délai de prescription et fait valoir que la radiation de l'affaire n'a eu aucun effet sur l'interruption ainsi acquise du délai de prescription.

Il convient de constater qu'à la date du licenciement de M. [S] le 20 décembre 2008, le délai de prescription applicable à la contestation de la rupture du contrat de travail était le délai de 5 ans prévu par l'article 2224 du code civil pour les actions personnelles.

M. [S] a saisi le conseil de prud'hommes de Nantes le 14 avril 2013 soit moins de cinq ans après son licenciement de sorte que son action n'était pas prescrite à cette date.

En vertu de l'article 2242 du code civil, l'interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance.

Le cours de la prescription est interrompu par l'introduction d'une instance prud'homale. La radiation de l'affaire du rôle est sans effet sur la poursuite de cette interruption.

La radiation de l'affaire qui ne fait que suspendre l'instance ne met donc pas fin à l'interruption du délai de prescription par la demande en justice initialement introduite.

La radiation de l'affaire le 16 avril 2014 n'a donc été d'aucun effet sur le cours de la prescription qui était interrompu et l'est demeuré. Le rétablissement de l'instance devant le conseil de prud'hommes le 11 mai 2015 n'était soumis à aucun délai autre le cas échéant que la péremption.

C'est donc vainement que la société [UE] soulève la prescription de l'action en contestation du licenciement.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a jugé que l'action en contestation du licenciement était recevable.

Sur la demande de réparation d'une omission de statuer du conseil de prud'hommes sur la demande tendant à voir écarter deux pièces des débats :

En vertu de l'article 463 du code de procédure civile, la juridiction qui a omis de statuer sur un chef de demande peut également compléter son jugement sans porter atteinte à la chose jugée quant aux autres chefs, sauf à rétablir, s'il y a lieu, le véritable exposé des prétentions respectives des parties et de leurs moyens.

La demande doit être présentée un an au plus tard après que la décision est passée en force de chose jugée ou, en cas de pourvoi en cassation de ce chef, à compter de l'arrêt d'irrecevabilité.

Le juge est saisi par simple requête de l'une des parties, ou par requête commune. Il statue après avoir entendu les parties ou celles-ci appelées.

La décision est mentionnée sur la minute et sur les expéditions du jugement. Elle est notifiée comme le jugement et donne ouverture aux mêmes voies de recours que celui-ci.

En cas d'appel, tous les points du litige soumis au premier juge sont déférés à la connaissance de la cour à laquelle il revient de statuer à nouveau et de réparer les omissions éventuelles de statuer.

La société [UE] demande à la cour de statuer sur sa demande formée en première instance et sur laquelle le conseil de prud'hommes ne s'est pas prononcé tendant à ce que soit écartées des débats deux retranscriptions d'enregistrements de conversations réalisées par M. [S] et communiquées en pièce 78 et 86, respectivement intitulées ' attestation [N] [IB] du 3 mai 2016 : retranscription de l'entretien avec [F] [J] technicien DSV' et 'entretien de [V] [S] avec [X] [M] le 30 avril 2016 en présence de [AH] [S]'.

Il résulte du jugement entrepris que le conseil de prud'hommes était saisi d'une telle demande mais n'a pas statué de ce chef. Il convient donc d'y procéder.

La société [UE] demande que les deux pièces soient déclarées irrecevables comme consistant dans la retranscription d'enregistrement réalisés à l'insu des personnes concernées au motif que l'enregistrement d'une communication réalisé à l'insu de l'auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve.

En l'espèce, M. [S] communique en pièce 78 l'attestation de Mme [N], enseignante, laquelle 'déclare que M. [S] lui a fait écouter l'entretien qu'il a eu le 20 février 2013 avec [F] Prod'hommes technicien vétérinaire de la DSV à la chaîne d'abattage de Castel Viandes à Chateaubriand' et précise 'j'ai pu entendre l'intégralité de l'entretien dont je résume les points abordés essentiels qui sont transcrits de façon littérale dans le document dactylographié mis en annexe et que j'ai paraphé'.

M. [S] communique en pièce 86 la retranscription d'un entretien entre, d'une part, Mme [X] [M] ancienne stagiaire au sein de la société [UE], d'autre part, M. [S] et Mme [AH] [S].

Au soutien d'une recevabilité de ces moyens de preuve, M. [S] invoque les dispositions de l'arrêt de la chambre sociale de la cour de cassation du 25 novembre 2020.

Selon celles-ci, 'l'illicéité d'un moyen de preuve n'entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l'utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve lequel peut justifier la production d'élément portant atteinte à la vie personnelle d'un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi'.

En l'espèce, la retranscription en pièce 86 d'un entretien entre Mme [X] [M] ancienne stagiaire au sein de la société [UE], d'une part, et M. [S] et Mme [AH] [S], d'autre part, ne mentionne pas le consentement de Mme [M] à être enregistrée. Dès lors, cet enregistrement réalisé à l'insu de l'auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal.

S'agissant de la retranscription de l'enregistrement de M. [J], technicien vétérinaire de la DDSP, Mme [IB] [N] atteste avoir procédé à cette retranscription annexée à son attestation. Il s'agit de la pièce 78 (attestation et annexe).

Afin de démontrer que M. [J] avait donné son accord, M. [S] produit une attestation de Mme [WJ], laquelle se présente comme membre d'une association de soutien aux lanceurs d'alerte et atteste avoir rencontré l'épouse de M. [J] le 22 novembre 2020 qui lui a déclaré avoir été présente lors de l'entretien de M. [S] avec son époux et que ce dernier avait donné son accord pour être enregistré car il souffrait d'une tumeur au cerveau.

Cette attestation qui relate des faits dont l'attestant n'a pas été directement témoin n'est pas de nature à démontrer que M. [J] avait consenti à l'enregistrement d'un entretien avec M. [S].

Dès lors, l'enregistrement litigieux réalisé sans accord de M. [J] constitue un procédé déloyal.

M. [S] a agi de la sorte dans la quête de preuves pour établir qu'existaient des pratiques critiquables au sein de la société [UE] dont il avait été salarié et pour démontrer qu'il était de bonne foi lorsqu'il dénonçait de tels faits. Il ne disposait pas d'autres moyens de preuve lors de l'instance devant le conseil de prud'hommes ce qui, au regard de l'impératif de santé publique invoqué par M. [S] dans le cadre de sa démarche, justifiait la production de ses retranscriptions lesquelles ne portait pas une atteinte excessive au droit à la vie personnelle des intéressés après mise en balance avec le droit à la preuve du salarié de sorte que l'utilisation de ces moyens de preuve ne portait pas atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble.

En revanche, au stade de la procédure d'appel, M. [S] communique des pièces nouvelles notamment des procès-verbaux d'auditions de membres des services vétérinaires qui ne rendent plus indispensable la production de retranscriptions d'enregistrements réalisés de manière déloyale.

Il convient donc d'écarter les pièces communiquées par M. [S] sous les numéros 78 et 86.

Sur le licenciement :

Tout licenciement prononcé en violation d'une liberté fondamentale encourt la nullité.

M. [S] sollicite le prononcé de la nullité de son licenciement considérant avoir été licencié pour avoir porté à la connaissance des autorités des agissements pénalement répréhensibles de son employeur.

La demande ne peut être examinée au regard des dispositions des articles L1132-1 et L1132-3 du code du travail lesquels ne visent la discrimination d'un lanceur d'alerte que dans leur rédaction issue de la loi du 21 mars 2022 non applicable au jour du licenciement de M. [S]. Celui-ci ne peut donc pas bénéficier des modalités probatoires spécifiques au lanceur d'alerte prévues par ladite loi.

Sa demande doit être examinée au regard des seules dispositions de l'article 10 de la Convention Européenne de Droits de l'Homme qu'il invoque et qui garantissent la liberté d'expression.

En raison de l'atteinte qu'il porte aux libertés d'expression, en particulier au droit des salariés de signaler les conduites ou actes illicites constatés par eux sur leur lieu de travail, le licenciement d'un salarié pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, des faits dont il a eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions et qui, s'ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales, est frappé de nullité.

En l'espèce, M. [S] verse aux débats le procès-verbal d'audition par la gendarmerie nationale de M. [C], inspecteur vétérinaire, en date du 12 février 2013 aux termes duquel ce dernier a déclaré : 'je précise qu'en fin 2008, M. [V] [S] est venu me voir directement afin de me dénoncer une 'remballe' de produits surgelés qui aurait été faite un des week-ends précédents. Je ne me souviens pas si ce monsieur m'avait apporté des précisions à ce sujet. J'étais seul lors de cet entretien rapide; le jour même, accompagné de Mme [H], nous nous sommes rendus au poste de travail dont avait parlé M. [S] ainsi que dans les frigos correspondant, les faits dénoncés remontant à plusieurs jours, nous n'avons pas été en mesure de constater ou non la véracité de ses dires'.

Il produit une attestation de M. [T], directeur départemental de la protection des populations, datée du 20 décembre 2012 rédigée en ces termes 'je soussigné [Z] [T], directeur départemental de la protection des populations de la Loire atlantique, atteste que M. [S] a signalé à mes services avant son licenciement de son poste de responsable qualité à l'abattoir de [Localité 1], la présence en chambre froide de cet établissement de produits congelés qui selon lui auraient fait l'objet d'une 'remballe ' dans des conditions irrégulières au cours d'un des week-ends précédents et à l'insu de l'unité locale des services vétérinaires. Les investigations réalisées à l'abattoir dans ces circonstances et dans le cadre des contrôles inopinés journaliers liés à l'inspection permanente n'ont rien révélé. Il convient de préciser que la remballe concerne des produits frais à date limite de consommation dépassée et pour lesquels un déconditionnement-reconditionnement sont effectués. Cette opération n'est donc pas irrégulière pour les produits surgelés qui bénéficient d'une date préférentielle de consommation.'

M. [S] soutient avoir procédé à cette déclaration auprès de l'inspecteur des services vétérinaires le 8 décembre 2008 à 11heures et avoir été convoqué à 14H par son employeur pour se voir notifier sa mise à pied conservatoire.

Lors de l'enquête pénale, un enregistrement audio intitulé ' enregistrement déclaration remballe DSV 08-12-08" a été saisi par les services de gendarmerie, comme mentionné dans le procès-verbal versé aux débats.

La dénonciation de faits susceptibles de caractériser des infractions pénales a ainsi été effectuée par M. [S] avant son licenciement.

Le fait qu'ils n'aient pas donné lieu à condamnation ni à poursuite est indifférent.

Afin de contester que le licenciement constituait une mesure de rétorsion à cette déclaration, l'employeur souligne que les faits motivant le licenciement sont antérieurs à la dénonciation alléguée et que la lettre de licenciement est motivée par des faits objectifs, matériellement vérifiables, tirés de l'insuffisance professionnelle et du comportement de M. [S].

La lettre de licenciement est ainsi rédigée :

« Faisant suite à l'entretien préalable du 17 décembre 2008 au cours duquel vous étiez assisté de M. [P] [K], nous vous notifions par la présente votre licenciement consécutif à votre attitude critique et de dénigrement de la Direction, votre incapacité à vous situer dans votre rôle de responsable qualité et à votre insuffisance professionnelle.

Nous vous reprochons tout d'abord votre attitude lors de l'audit Mac [W] (qui est un de nos principaux clients) programmé le 22 octobre 2008.

Alors que l'audit était prévu de longue date, vous avez tout d'abord alerté au dernier moment le Président Directeur Général pour lui indiquer que nous n'étions pas prêts. La préparation de l'audit s'est ainsi faite dans la précipitation. Vous étiez en charge d'accompagner l'auditeur dans l'entreprise. Lorsque vous êtes arrivés sur les lieux de l'audit, vous lui avez immédiatement indiqué que vous vous déchargiez de toute responsabilité sur la chaîne d'abattage, celle-ci incombant, d'après vos dires à Monsieur [UE], PDG ! ne cessant de le mettre en cause directement, au risque d'exposer l'entreprise à la perte de l'un de ses principaux clients.

Vous avez ce jour-là, rejeté toute responsabilité sur le Directeur de l'entreprise, n'assumant en aucun moment les fonctions qui vous revenaient.

Dans les jours qui ont suivi, nous avons été rendus destinataires d'un courrier dénonçant votre attitude portant atteinte à l'image de sérieux et à la crédibilité de notre entreprise. Votre positionnement lors de cet audit est parfaitement inacceptable.

La direction de MAC [W], avec laquelle nous sommes rentrés en contact, nous a accordé, à titre tout à fait exceptionnel, un deuxième audit qui a été programmé en urgence le 21 novembre 2008. C'est le Directeur de l'entreprise qui a pris en charge, avec l'aide de [L] [D], ingénieur qualité recrutée en urgence, spécialement à cette fin, la gestion de ce second audit qui s'est déroulé fort heureusement dans les meilleures conditions pour l'entreprise.

En effet, lors de celui-ci, l'auditeur est resté en tout et pour tout moins de quarante minutes sur la chaîne d'abattage, et a constaté très rapidement, la mise en place des bonnes pratiques d'abattage, et des exigences stipulées dans le cahier des charges de notre client.

Paradoxalement, entre le 22 octobre et le 21 novembre, vous vous êtes de votre côté contenté d'établir des listes des modifications à opérer dans la perspective du deuxième audit, vous déchargeant ainsi de votre responsabilité sur le Directeur de l'entreprise, le responsable de chaîne abattage et le responsable maintenance, comme si vous n'étiez pas concerné.

Or, pendant la période précédant le 22 octobre, vous n'avez jamais adressé de correspondance officielle à ces personnes : vous avez du prendre conscience de l'importance de l'enjeu, ce qui vous a conduit à établir ces listes de modifications à prévoir, pensant ainsi vous soustraire à vos obligations professionnelles.

Ce n'est pas la première fois que vous manifestez ouvertement des critiques contre la direction et sortez totalement de votre rôle dans l'entreprise. Il y a quelques mois, vous vous êtes permis d'insulter la Direction des Services Vétérinaires, en la personne de Monsieur [C], Docteur Vétérinaire, le traitant de « voleur, lui et ses agents », car ils avaient saisi les abats d'un veau vous appartenant. Ce manquement à la politesse n'est pas acceptable, et encore moins au poste que vous occupez.

Vous avez dernièrement dépassé toutes les limites lors de notre rendez-vous fixé le 8 décembre dernier où vous êtes tout d'abord présenté avec près de ¿ d'heures de retard, au mépris des règles les plus élémentaires de bienséance. Lors de notre entretien, vous n'avez pas hésité à porter des jugements de valeur très sévères et non fondés tant à mon encontre me qualifiant de "Reine mère qui fait de l'abus de droit" qu'envers le Directeur de l'entreprise, Monsieur [UE], ou la Responsable des Ressources Humaines, Madame [R].

Vous avez enfin défié mon autorité en refusant de quitter mon bureau. Votre comportement m'a contraint à vous notifier une mise à pied conservatoire à effet immédiat à laquelle vous vous êtes opposé puisque vous êtes retourné à votre bureau et n'avez quitté votre travail qu'en fin d'après-midi vers 17 h 30.

Nous faisons le constat de façon générale de votre incapacité à vous situer dans votre rôle et dans la relation employeur-salarié qui nous lie et à adopter en toutes circonstances une attitude professionnelle appropriée aux circonstances.

A ce premier constat, s'ajoutent certaines carences dans l'exercice de votre fonction de Responsable qualité qui ont été récemment mises en lumière à l'occasion de la décision de déclassement en catégorie III dont nous avons fait l'objet le 17 novembre 2008.

Les Inspecteurs de la DSV ont souligné la persistance de non conformités dans les rapports d'inspection des 20 mars, 27 juin et 16 octobre 2008 dont vous avez été rendus destinataires. Les inspecteurs relèvent notamment l'insuffisance de l'application par le personnel des bonnes pratiques d'hygiène, l'absence de renforcement du plan nettoyage-désinfection dans certains secteurs ainsi que le non-respect de certaines mesures spécifiques liées aux ESST, comme par exemple l'utilisation de bouchons occipitaux en mousse non conforme.

Ces différents points relevaient, à n'en pas douter, de vos attributions et de vos responsabilités puisque vous êtes, en votre qualité de Responsable qualité, le garant de la politique qualité de l'entreprise. Il vous appartenait à cet effet d'être force de propositions pour atteindre un objectif de qualité maximum, de coordonner l'ensemble des actions qualité dans l'entreprise et de vous assurer que la politique mise en place est comprise par le personnel et mise en 'uvre à tous les niveaux de l'organisation tout comme de veiller au respect et à l'application des procédures.

A l'évidence, vous n'avez pas mis en 'uvre les moyens et actions nécessaires à garantir la conformité des conditions de fonctionnement de l'abattoir dans les domaines qui vous incombaient. Ce constat dénote de surcroît un manque de réactivité et votre manque de présence sur le terrain, ce qu'exige pourtant votre fonction.

J'ai d'ailleurs eu l'occasion de vous alerter ces derniers mois sur votre présence irrégulière sur le site et votre devoir de présence nécessaire à l'encadrement de l'équipe que vous gérez.

Pour l'ensemble de ces raisons, nous sommes contraints de mettre un terme à notre collaboration et à vous notifier votre licenciement pour cause réelle et sérieuse (') »

S'agissant de l'attitude de M. [S] lors de l'audit Mc [W], la société [UE] produit les attestations des deux assistantes qualité ayant travaillé avec M. [S], Mme [Y] et Mme [B], et celles de M. [DP], responsable de la chaîne d'abattage, de M. [A], directeur de la maintenance, et de Mme [D], engagée le 13 novembre 2008 dans le cadre d'un contrat de travail à durée déterminée afin de remédier aux non conformités avant l'audit Mc [W] du 21 novembre 2008.

Mme [Y], ancienne assistante de M. [S], atteste en ces termes : 'après les audits clients, il ne nous consultait pas ou très peu pour répondre au plan d'action demandé par les clients. De nombreuses fois, il s'est donc engagé à réaliser des travaux qui n'étaient pas réalisables dans les délais qu'il indiquait.'

Mme [D], engagée temporairement comme technicienne qualité, atteste que son 'contrat de travail de cette mission ponctuelle précisait bien que cette 'mission a été mise en place suite à de mauvais résultats d'audits (Mc [W] et rapports DSV) afin d'endiguer les non conformités et de maintenir l'établissement dans sa catégorie actuelle'. L'insuffisance d'action du service qualité sur cette période a forcé la direction à avoir recours à mes services pour nous conformer aux attentes de nos clients. La plus urgente des tâches était de recadrer les bonnes pratiques d'hygiène au sein de notre abattoir qui était alors sous le coup de deux audits non conformes du client Mc [W]. Un nouvel audit déterminant, prévu le 21 novembre suivant, devait statuer sur l'avenir de notre contrat commercial avec le client. J'ai ainsi effectué une remise plat des bonnes pratiques à effectuer auprès du service production. Pour cela, ma présence quotidienne en atelier a permis de replacer les équipes de production au niveau de qualité attendu par le client. Le défaut de présence du service qualité notamment de M. [S] sur le terrain a été un élément préjudiciable pour l'entreprise dans ce contexte. Dans un second temps, il a fallu répondre aux non-conformités soulevées par les services vétérinaires concernant tant la gestuelle des opérateurs en atelier que des remises à jour documentaires ou encore des formations.'

Mme [B], ancienne assistante de M. [S], déclare que 'M. [S] avait des compétences limitées dans le domaine de la qualité et qu'il n'avait aucune expérience des process agroalimentaires. Pire, il n'avait aucune maîtrise des outils informatiques mis à sa disposition, ce qui générait de grandes difficultés dans l'appréhension de son métier, notamment au niveau des aspects liés à la traçabilité A cause de ces lacunes, j'étais obligée de réaliser des tâches qui normalement lui incombaient. Par ailleurs j'ai pu constater à maintes reprises, qu'il ne faisait pratiquement aucune visite sur le site d'abattage. (...) Sa présence sur le site était effective uniquement les jours d'audit, tout du moins, lorsqu'il n'en oublait pas la date, ce que j'ai moi-même pu constater lors d'un audit Carrefour' prévu de longue date. Il lui est même arrivé de faire patienter un auditeur plus de deux heures, en ayant pour prétexte qu'il devait s'occuper de sa ferme. Par la suite, ayant moi-même repris son poste de travail après son départ, j'ai pu constater que de nombreux auditeurs externes se trouvaient particulièrement surpris de son comportement et de son incompétence professionnelle, ce qui a d'ailleurs conduit la société à être déférencée par la société Mc [W] le 22/10/2008. A cette même période, nous avons aussi enregistré un autre déclassement au niveau de l'abattoir essentiellement dû à son manque de suivi dans les réponses qu'il devait apporter aux autorités compétentes (DSV). Sur le peu de réponses qu'il a pu faire, il ne s'assurait même pas de la mise en oeuvre concrète auprès des salariés. D'ailleurs, il ne communiquait presque jamais avec M. [DP], le responsable de la chaîne d'abattage ni avec M. [A], le responsable de la maintenance, personnes pourtant centrales et incontournables dans la mise en place d'une démarche qualité.'

M. [DP], responsable de la chaîne d'abattage, déclare dans une attestation : 'j'ai cotoyé entre 2006 et 2008 M. [V] [S], responsable qualité de l'entreprise Castel Viandes et j'ai très rapidement perçu chez lui un manque de connaissances et de maîtrise sur notre activité (abattage de bovins). Cela a entraîné nombre de difficultés notamment dans le suivi des différentes procédures de non conformités. J'ai toujours pensé qu'il y avait eu une erreur de recrutement le concernant ou qu'il avait trompé la direction sur ses compétences en la matière. En effet, lors de très rares discussions avec lui sur le terrain professionnel, il s'est illustré par une méconnaissance préoccupante des tâches à accomplir lors de l'abattage des animaux. Au delà de ses compétences professionnelles, que je jugeai insuffisantes, j'ai pu également constater qu'il avait des problèmes d'organisation dans son travail , car durant cette période il y a eu beaucoup de retard dans les réponses que l'entreprise devait formuler suite aux points relevés par les audits clients. Ces réponses n'étaient jamais faites dans les temps. Pire, suite aux différentes réclamations de clients M. [V] [S] ne me transmettait pas les éléments écrits (rapport d'audit) qui m'auraient permis de faire évoluer les choses au niveau des bonnes pratiques. Je me suis retrouvé seul et sans information. Par exemple, je n'ai jamais eu en ma possession les rapports d'audit du client Mac [W] du 8 juillet 2008 ni celui du 22 octobre 2008. Sans ces éléments, je n'ai pu mettre en oeuvre aucune action corrective.'

Ces attestations expriment les sentiments ou opinions des salariés et opèrent des constatations générales pour imputer les non conformités de la société à des carences de M. [S] sans relater de constatations précises et datées.

M. [S] produit au contraire les tableaux de relevés de non conformités de juin à novembre 2008 lesquels mentionnent les actions correctives mises en place ce qui établit que M. [S] avait échangé à cette fin avec les équipes concernées.

Il communique également des mails de ses assistantes relatifs aux travaux à effectuer et des fiches de liaison entre lui même et M. [A], responsable maintenance, dont l'une datée du 19 août 2008 mentionnant des travaux à réaliser pour le 15 septembre 2008, le 30 septembre 2008 et 15 octobre 2008.

Ces éléments contredisent l'attestation de M. [A], directeur maintenance au sein de la société, qui'souhaite témoigner des défaillances professionnelles de M. [S], (...) De son absence et son manque de communication (...)' ajoutant 'Avec lui ce n'était pas compliqué car je ne recevais aucune consigne de sa part. Il ne me transmettait jamais les rapports des services vétérinaires auxquels il devait normalement apporter des réponses et définir des actions. Je ne le voyais jamais sur le site et il ne m'interpellait jamais sauf en toute urgence quelques jours avant des audits clients. Il était alors très directif, sur le mode 'tout faire et tout de suite' listant des actions à réaliser sans anticipation ni préparation.'

Dans le courrier du 31 octobre 2008 adressé par Mc [W] à M. [UE], PDG de Castel Viandes, le client mentionnait que 'le nombre d'écarts à notre cahier des charges à l'abattoir s'est accentué malgré les alertes répétées de votre propre service qualité. En effet, les multiples audits internes menés lors de ces derniers mois mettent clairement en évidence la récurrence de nombreux écarts aux bonnes pratiques d'abattage. Il semble donc que ces constats ainsi que nos audits ne soient pas pris en compte comme ils le devraient. Un travail concerté de l'encadrement de l'abattoir et du service qualité doit donc être mené pour revenir à un niveau satisfaisant'

M. [S] communique les feuilles de suivi de l'audit Mc [W] datées des 15 juillet 2008, 14 novembre 2008 et 26 novembre 2008 le mentionnant comme interlocuteur de l'auditeur et sur lesquelles figurent les mesures prises pour remédier aux non conformités qu'il s'agisse de consignes données aux opérateurs en matière de stérilisation des couteaux et lavage préalable, lavage des mains entre chaque carcasse, changement de couteaux en fonction des opérations réalisées, stockage dans des conditions hygiéniques des couteaux et autres outils mais aussi une réalisation mensuelle d'audits internes de bonnes pratiques.

Il verse également aux débats un relevé signé par ses soins mais non daté de modifications restant à faire le 18 novembre avant l'audit Mc [W] du 21, adressé au PDG, M. [O] [UE], ainsi qu'à M. [DP] et à M. [A].

Les courriels adressés par les assistantes de M. [S] établissent également des contacts constants entre le service qualité dirigé par M. [S] et le service de maintenance.

Les attestations produites par la société [UE] et les courriers et messages de satisfaction des clients ne démontrent pas que M. [S] aurait alerté au dernier moment la direction sur l'impréparation de la société pour l'audit fixé au 22 octobre 2008.

Il n'est pas plus établi que M. [S] aurait indiqué à l'auditeur qu'il se déchargeait de toute responsabilité sur la chaîne d'abattage, sur le PDG, M. [UE].

La société [UE] ne communique pas le 'courrier dénonçant votre attitude portant atteinte à l'image de sérieux et à la crédibilité de notre entreprise' qu'elle invoque dans la lettre de licenciement.

Si l'employeur expose que 'le Directeur de l'entreprise a pris en charge, avec l'aide de [L] [D], ingénieur qualité recrutée en urgence, spécialement à cette fin, la gestion de ce second audit qui s'est déroulé fort heureusement dans les meilleures conditions pour l'entreprise', il ne produit aucun élément établissant que M. [S] aurait été écarté de cet audit.

M. [S] justifie d'échanges officiels avec ses correspondants de la maintenance le 2 juin 2008 contredisant la lettre de licenciement qui lui fait grief de ne 'jamais adressé de correspondance officielle à ces personnes (...) pendant la période précédant le 22 octobre'.

Il n'est pas plus démontré que M. [S] aurait 'insult(é) la Direction des Services Vétérinaires, en la personne de Monsieur [C], Docteur Vétérinaire, le traitant de « voleur, lui et ses agents', ce dernier n'évoquant pas de tels propos dans ses auditions versées aux débats.

Aucun témoin n'établit que le 8 décembre 2008 M. [S] aurait port(é) des jugements de valeur très sévères et non fondés à l'encontre de Mme [UE], directrice générale, l'aurait qualifiée de "Reine mère qui fait de l'abus de droit" et envers le Directeur de l'entreprise, M. [UE], ou à l'égard de la Responsable des Ressources Humaines, Mme [R].

La lettre de licenciement mentionne par ailleurs que les inspecteurs de la DSV ont à la suite d'une visite d'inspection le 4 novembre 2008 souligné la persistance de non conformités dans les rapports d'inspection des 20 mars, 27 juin et 16 octobre 2008 notamment l'insuffisance de l'application par le personnel des bonnes pratiques d'hygiène, l'absence de renforcement du plan nettoyage-désinfection dans certains secteurs ainsi que le non-respect de certaines mesures spécifiques liées aux ESST (Encéphalopathies Subaigües Spongiformes Transmissibles), comme par exemple l'utilisation de bouchons occipitaux en mousse non conforme.

Ces constatations adressées par le directeur départemental des services vétérinaires au directeur de la société ont conduit au déclassement de l'abattoir en catégorie 3 par courrier du 17 novembre 2008. Ce courrier mentionne également qu'une formation du personnel a été effectuée en interne pour sensibiliser les salariés au respect des bonnes pratiques d'hygiène, aux principes de l'HACCP et au retrait des matériaux de catégorie 1. En outre, ce courrier mentionne 3 séries de non conformités dont deux ne sont pas imputables à M. [S] : d'une part, la restructration/réfection des locaux, d'autre part, le non respect des engagements pris à la suite de l'alerte E.Coli d'avril 2008 de libérer le chef de chaîne de toute activité postée afin de lui permettre de superviser les opérations d'abattage et favoriser l'acquisition au quotidien, par le personnel sur chaîne, des gestes garantissant les bonnes pratiques d'hygiène et la prévention des risques de souillure des carcasses.

Il constate également le non respect de l'engagement de mettre en place un poste sur chaîne supplémentaire destiné au parage des souillures.

Il n'est dès lors pas démontré que le déclassement soit spécifiquement imputable à M. [S].

La société [UE], qui ne démontre pas avoir alerté M. [S] d'insuffisances professionnelles ou d'une présence insuffisante sur site avant sa mise à pied ni établi de plan de progression et qui lui a proposé quelques semaines avant le licenciement de procéder à une rupture conventionnelle et de poursuivre leur collaboration dans le cadre de prestations de service, ne caractérise pas l'insuffisance professionnelle ni le comportement inadapté invoqués.

La société [UE] qui s'est désistée d'une procédure en diffamation contre M. [S] lors de la parution du livre dont il est l'auteur intitulé 'omerta sur la viande' dans lequel il évoque les pratiques qu'il a dénoncées et ses relations avec son employeur, ne démontre pas que M. [S] aurait agi de mauvaise foi en dénonçant des pratiques de réemballe auprès des services vétérinaires.

Compte tenu de l'absence de caractérisation de la cause invoquée par l'employeur pour procéder au licenciement, la cause réelle de la rupture du contrat de travail de M. [S] est la dénonciation effectuée auprès des services vétérinaires au sein même de la société de pratiques de 'remballe' dont les vérifications mêmes sommaires n'ont pu qu'être portées à la connaissance de l'employeur.

Son licenciement est en conséquence nul comme ayant pour cause l'exercice de sa liberté d'expression.

Sur l'indemnité pour licenciement nul :

Selon le droit applicable à la date du licenciement de M. [S], le salarié victime d'un licenciement nul et qui ne réclame pas sa réintégration a droit, quelle que soit son ancienneté dans l'entreprise, d'une part, aux indemnités de rupture, d'autre part, à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à six mois de salaire.

Au regard de l'ancienneté de M. [S] de deux années, de son salaire de 2 545 euros bruts, de son âge au jour du licenciement soit 44 ans, de sa qualification déclarée d'éleveur ingénieur agronome, du délai pendant lequel il est resté sans emploi, le préjudice par lui subi du fait de son licenciement nul sera réparé par l'allocation de la somme de 30 000 euros.

Sur la demande de l'intimé de dommages-intérêts pour procédure abusive :

Selon l'article 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.

Il n'est pas démontré en l'espèce que M. [S] aurait agi de manière dilatoire ou abusive en saisissant la juridiction prud'homale. Le fait que d'autres instances civiles ou pénales soient pendantes entre les parties est sans impact sur l'appréciation du caractère dilatoire ou abusif de la saisine de la juridiction prud'homale. Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

La société [UE] est condamnée aux dépens de première instance et d'appel et au paiement de la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

LA COUR,

Statuant publiquement, contradictoirement, par arrêt mis à la disposition des parties au greffe,

Ecarte des débats les pièces communiquées par M. [S] sous les numéros 78 et 86,

Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a rejeté la demande de prononcé d'une amende civile,

Le confirme de ce chef,

statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

Juge que le licenciement de M. [V] [S] par la société [UE] est nul,

Condamne la société [UE] à payer à M [V] [S] la somme de 30 000 euros (trente mille euros) à titre d'indemnité pour licenciement nul,

Condamne la société [UE] à payer à M. [V] [S] la somme de 10 000 euros (dix mille euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société [UE] aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 8ème ch prud'homale
Numéro d'arrêt : 19/02887
Date de la décision : 10/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 16/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-10;19.02887 ?
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