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26/03/2024 | FRANCE | N°23/01194

France | France, Cour d'appel de Rennes, 1ère chambre, 26 mars 2024, 23/01194


1ère Chambre





ARRÊT N°113



N° RG 23/01194 - N° Portalis DBVL-V-B7H-TRNT













Etablissement Public COMPTABLE DU POLE DE RECOUVREMENT SPÉCIALISÉ D'ILLE -ET-VILAINE,



C/



Mme [V] [R]





















Copie exécutoire délivrée



le :



à :











RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES



ARRÊT DU 26 MARS 2024





COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Monsieur Fabrice ADAM, Premier Président de chambre entendu en son rapport,

Assesseur : Monsieur Philippe BRICOGNE, Président de chambre,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,



GREFFI...

1ère Chambre

ARRÊT N°113

N° RG 23/01194 - N° Portalis DBVL-V-B7H-TRNT

Etablissement Public COMPTABLE DU POLE DE RECOUVREMENT SPÉCIALISÉ D'ILLE -ET-VILAINE,

C/

Mme [V] [R]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 26 MARS 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Fabrice ADAM, Premier Président de chambre entendu en son rapport,

Assesseur : Monsieur Philippe BRICOGNE, Président de chambre,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 23 janvier 2024

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 26 mars 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANTE :

Le COMPTABLE DU POLE DE RECOUVREMENT SPÉCIALISÉ D'ILLE -ET-VILAINE, dont les bureaux sont situés

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 2]

Représentée par Me Laura LUET de la SELARL HORIZONS, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉE :

Madame [V] [R]

née le [Date naissance 1] 1957 à [Localité 6] (TUNISIE)

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Marie VERRANDO de la SELARL LX RENNES-ANGERS, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Maîtres Nicolas BES et Georges-Alexandre DERRIEN de la SCP BES SAUVAIGO & Associés, plaidant, avocats au Barreau de Lyon,

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES':

La société par action simplifiée Alpa Senso a été admise au bénéfice du redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Lyon du 12 septembre 2018. L'entreprise ayant été cédée dans le cadre du redressement, cette procédure a été convertie en liquidation judiciaire par jugement du 31 janvier 2019.

Le comptable du pôle de recouvrement spécialisé d'Ille-et-Vilaine a déclaré le 7'novembre 2018 une créance de 291'165'euros dont 239 369 euros à titre définitif et 51 996 euros à titre provisionnel, cette dernière somme étant limitée le 5 juillet 2019 à la somme de 9'617'euros. Ces déclarations ont été admises au passif de la procédure les 16 mai 2019 (239 369 euros) et 22 août suivant (9 617 euros).

Autorisé par ordonnance du 21 décembre 2021, le comptable du pôle de recouvrement spécialisé d'Ille-et-Vilaine a, par exploit du 22 février 2022, fait assigner à jour fixe, au visa de l'article L 267 du livre des procédures fiscales, Mme'[V] [R] devant le président du tribunal judiciaire de Rennes aux fins qu'elle soit déclarée solidairement responsable avec la société Alpa Senso du payement de la somme de 248'986'euros et, en conséquence, condamnée au payement de la dite somme.

Après diverses vicissitudes procédurales, la présidente du tribunal judiciaire de Rennes a par jugement du 6 février 2023':

- déclaré le comptable du pôle de recouvrement spécialisé d'Ille-et-Vilaine recevable en son action,

- débouté le comptable du pôle de recouvrement spécialisé d'Ille-et-Vilaine de toutes ses demandes.

- laissé à chaque partie la charge de ses dépens.

- débouté les parties de leurs demandes concurrentes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile

Le tribunal a considéré au vu du rapport de fin de mission de l'administrateur judiciaire établi le 22 janvier 2019 et de la requête du 22 juin 2022 du mandataire judiciaire au juge-commissaire aux fins d'autorisation de vérification des créances, que la créance fiscale avait vocation à être intégralement payée de sorte que l'irrécouvrabilité définitive de celle-ci n'était pas établie.

Le comptable du pôle de recouvrement spécialisé d'Ille-et-Vilaine a interjeté appel de cette décision par déclaration du 24 février 2023.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 25 septembre 2023, le comptable du pôle de recouvrement spécialisé d'Ille-et-Vilaine demande à la cour de':

- confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Rennes du 6 février 2023 en ce qu'il l'a déclaré recevable en son action en prononcé de la solidarité fiscale et de condamnation de paiement à l'encontre de Mme [V] [R],

- infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Rennes du 6  février 2023 en ce qu'il l'a débouté de toutes ses demandes,

statuant à nouveau,

- déclarer Mme [V] [R] solidairement responsable avec la société Alpa Senso au paiement de la somme de 248'986'euros,

- condamner Mme [V] [R] à lui payer la somme de 248'986'euros,

- condamner Mme [V] [R] à lui payer la somme de 2'000'euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais de procédure de première instance,

- condamner Mme [V] [R] aux entiers dépens,

- débouter Mme [R] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

y additant':

- condamner Mme [V] [R] à lui payer la somme de 2'000'euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais de procédure d'appel

- condamner la même aux entiers dépens d'appel.

Le comptable du Pôle de recouvrement spécialisé conteste la fin de non recevoir soulevée, rappelant qu'il agit non en qualité de personne physique mais en tant que représentant d'un service déconcentré de l'État dont il est un organe, que la loi n'exige pas qu'il mentionne son état civil. Il ajoute qu'il importe peu que l'autorisation préalable délivrée par le directeur régional des finances publiques à engager des poursuites ne soit pas datée dès lors qu'il est établi qu'elle est antérieure à l'assignation à laquelle elle était jointe.

Il estime avoir agi dans un délai satisfaisant au regard de la prescription quadriennale applicable, l'assignation ayant été délivrée dans les deux ans et demi à compter du jour où il avait la certitude de ne pouvoir récupérer sa créance.

Il rappelle que la société Alpa Senso dont Mme [R] était la dirigeante, a méconnu son obligation de s'acquitter des taxes exigibles au moment du dépôt des déclarations de TVA entre les mois de mars et de septembre 2018, qu'il en est de même de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) due au titre des années 2016 et 2017 et de la cotisation foncière des entreprises (CFE) de l'année 2018. Il observe que Mme [R] ne démontre ni avoir été démise de l'ensemble de ses responsabilités et pouvoirs, ni avoir consenti à une délégation de pouvoir. Il ajoute que la démonstration d'une délégation simple est indifférente, puisque Mme [R] demeurerait responsable des inobservations graves et répétées des obligations fiscales de la société.

Il considère enfin que l'irrecouvrabilité des créances de l'administration fiscale est établie, d'abord par l'importance du passif au regard du total des encaissements, ensuite par les observations de l'administrateur judiciaire selon qui seule une partie des créances privilégiées devrait pouvoir être réglée.

Aux termes de ses écritures (21 juillet 2023) Mme [V] [R] forme un appel incident et demande, au visa des articles L.252, L.267 et R.267-1 du livre des procédures fiscales et 122 du code de procédure civile, à la cour de':

- la juger recevable et bien fondée en son appel incident, ses demandes, fins et conclusions,

- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il :

' déclaré le comptable du pôle de recouvrement spécialisé d'Ille-et-Vilaine recevable en son action en prononcé de la solidarité fiscale et de condamnation à paiement à l'encontre de [V] [R]

' laissé à chaque partie la charge de ses dépens,

' débouté Mme [V] [R] de ses demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,

- confirmer le jugement dont appel seulement en ce qu'il a débouté le comptable du pôle de recouvrement spécialisé d'Ille-et-Vilaine de toutes ses demandes,

statuant à nouveau sur les seuls chefs critiqués,

sur le défaut de capacité d'ester en justice ou défaut de pouvoir d'agir et/ou défaut de qualité et de droit à agir':

- juger que la formule selon laquelle le demandeur agirait « sous l'autorité du Directeur départemental des Finances Publiques et du Directeur général des Finances Publiques » est inexistante,

- juger que l'auteur de la demande, le « Comptable du Pôle de Recouvrement Spécialisé d'Ille-et-Vilaine » n'est pas identifiable au sens processuel et ne peut désigner valablement le demandeur à l'action,

- juger que le « Comptable du Pôle de Recouvrement Spécialisé d'Ille-et-Vilaine » ne saurait agir au nom et pour le compte du « Comptable de la Direction Régionale des Finances Publiques de Bretagne et d'Ille-et-Vilaine » et former des demandes pour son compte,

en conséquence,

- juger que l'acte introductif d'instance est entaché d'une cause de nullité pour défaut de capacité d'ester en justice ou défaut de pouvoir d'agir et/ou que l'action est irrecevable l'intégralité pour défaut de qualité et de droit à agir,

sur la tardiveté de l'action':

- juger que l'action intentée par le Comptable du Pôle de Recouvrement Spécialisé d'Ille-et-Vilaine n'a pas été introduite dans un délai satisfaisant ou raisonnable au sens de l'instruction 12 C-20-88 du 6 septembre 1988,

en conséquence,

- juger irrecevable l'intégralité des demandes du « Comptable du Pôle de Recouvrement Spécialisé d'Ille-et-Vilaine »

en toutes hypothèses,

- juger que M. [P], seul maître de l'affaire, a exercé de façon effective et exclusive le pouvoir de gestion de la société Alpa Senso, de sorte qu'aucune man'uvre ni aucune inobservation grave et répétée des obligations fiscales ne saurait être sérieusement imputable personnellement à Mme [R] laquelle ne disposait d'aucun pouvoir de direction au sein de la société Alpa Senso,

- juger que la créance de l'Administration fiscale est incertaine, le prix du plan de cession des actifs et activité de la société Alpa Senso arrêté par jugement du Tribunal de commerce de Lyon ayant manifestement permis de régler en tout ou partie le passif fiscal,

- juger que l'Administration fiscale ne démontre ni l'existence de man'uvres frauduleuses ou de manquements graves et répétés des obligations fiscales, ni le caractère définitivement irrecouvrable de sa prétendue créance, et encore moins un quelconque lien de causalité entre les manquements qu'elle impute à la dirigeante et l'impossibilité pour elle de procéder soi-disant au recouvrement des impositions visées,

en conséquence,

- juger que les conditions requises pour l'engagement de sa responsabilité sur le fondement de l'article L.267 du Livre des procédures fiscales ne sont pas réunies,

- débouter le Comptable du Pôle de Recouvrement Spécialisé d'Ille-et-Vilaine de sa demande tendant à la voir déclarée solidairement responsable avec la société Alpa Senso au paiement de la somme de 248'986'euros,

pour le surplus, en tout état de cause,

- débouter le Comptable du Pôle de Recouvrement Spécialisé d'Ille-et-Vilaine de toutes ses demandes, fins et prétentions,

- condamner le Comptable du Pôle de Recouvrement Spécialisé d'Ille-et-Vilaine à lui verser la somme de 5'000'euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Mme [R] prétend que l'absence de formule dans l'assignation selon laquelle le demandeur agirait « sous l'autorité du Directeur départemental des finances publiques et du Directeur général des finances publiques », de même que la mention dans le dispositif de l'assignation du « Comptable de la Direction Régionale des Finances Publiques de Bretagne et d'Ille-et-Vilaine », entité distincte du « Comptable du Pôle de Recouvrement Spécialisé d'Ille-et-Vilaine », constituent des fins de non-recevoir pour défaut de qualité à agir. Elle estime, en outre, que l'absence de mention de l'identité de son auteur constitue une nullité pour irrégularité de fond ou, à défaut, une irrecevabilité des conclusions et prétentions. Elle relève encore que l'autorisation préalable du directeur régional des finances publiques n'est pas datée.

Elle invoque également la tardiveté de l'assignation délivrée par l'Administration fiscale, qui n'est intervenue que le 22 février 2022, soit trois ans et demi après l'ouverture du redressement judiciaire, plus de trois ans après l'arrêté du plan de cession et la conversion de la procédure en liquidation judiciaire et deux ans et demi après l'admission définitive de la créance fiscale.

Elle conteste enfin l'imputabilité des faits à son égard, désignant M. [P] comme le gérant effectif de la société Alpa Senso sur les plans comptable, financier et juridique et produit une délégation de signature au profit de celui-ci. Elle indique qu'il n'est ni allégué ni soutenu quelque agissement frauduleux de sa part et que rien ne démontre qu'elle serait à l'origine de l'irrécouvrabilité de la créance du Trésor Public. Elle ajoute que la créance de l'Administration fiscale sera au moins partiellement acquittée, les exigences d'une «'impossibilité définitive'» de recouvrer les sommes et de «'certitude absolue'» de l'Administration fiscale ne sont donc pas remplies. Elle prétend également que le lien de causalité entre ses prétendues fautes commises en tant que dirigeante de la société et l'impossibilité pour le Trésor Public de recouvrer sa créance n'est pas établi.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 décembre 2023.

Par conclusions de procédure du 15 janvier 2024, le comptable du pôle de recouvrement spécialisé d'Ille et Vilaine sollicite le report de la clôture faisant valoir qu'il a appris que la procédure de liquidation judiciaire n'était toujours pas clôturée et qu'aucun pronostic n'était possible (sic) ce qui constituerait, selon lui, une cause grave.

Simultanément, il a déposé de nouvelles conclusions sollicitant, à titre principal, qu'il soit sursis à statuer jusqu'à l'issue de la procédure collective ouverte du chef de la société Alpa Senso et reprenant, subsidiairement, ses prétentions.

Mme [R] s'oppose par conclusions de procédure (22 janvier 2024) au rabat de l'ordonnance de clôture qui n'est fondée sur aucune cause grave ou nouvelle et conclut, en tout état, de cause à l'irrecevabilité de la demande de sursis qui n'a pas été soulevée in limine litis.

SUR CE, LA COUR':

Sur le rabat de l'ordonnance de clôture':

L'article 907 du code de procédure civile énonce que': «'À moins qu'il ne soit fait application de l'article 905, l'affaire est instruite sous le contrôle d'un magistrat de la chambre à laquelle elle est distribuée, dans les conditions prévues par les articles 780 à 807 et sous réserve des dispositions qui suivent'».

Aux termes de l'article 799': «'...le juge de la mise en état déclare l'instruction close dès que l'état de celle-ci le permet et renvoie l'affaire devant le tribunal pour être plaidée'». Il résulte de l'article 802 que': «'Après l'ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office'». Enfin, l'article 803 dispose que': «'L'ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue'».

Dans la présente affaire, un conseiller de la mise en état a été désigné le 4 avril 2023.

Par bulletin adressé, conformément aux dispositions de l'article 912 du code de procédure civile, aux avocats des parties le 22 septembre 2023 à l'issue du délai que le code leur accorde pour conclure, il a informé les parties de ce que la clôture de l'instruction interviendra le 19'décembre suivant et que l'affaire était fixée pour être plaidée au 23 janvier 2024.

Le comptable du pôle de recouvrement spécialisé ayant conclu en dernier le 25 septembre 2023 et le conseiller de la mise en état n'ayant été saisi d'aucune demande de report de la date de clôture, celle-ci est intervenue à la date qui avait été communiquée (19 décembre).

La circonstance tirée du fait que le comptable du pôle de recouvrement spécialisé ait ultérieurement (en janvier 2024) interrogé le liquidateur sur l'état de la procédure de liquidation ' ce qu'il aurait parfaitement pu faire pendant le délai de trois mois entre l'avis et la clôture ' ne saurait justifier une cause grave de même que le fait que la procédure collective n'était toujours pas clôturée.

Sa demande de rabat de l'ordonnance de clôture sera donc rejetée et les conclusions et pièces communiquées postérieurement écartées des débats.

Sur la recevabilité de l'action':

L'article L 267 du livre des procédures fiscales énonce que': «'Lorsqu'un dirigeant d'une société, d'une personne morale ou de tout autre groupement, est responsable des man'uvres frauduleuses ou de l'inobservation grave et répétée des obligations fiscales qui ont rendu impossible le recouvrement des impositions et des pénalités dues par la société, la personne morale ou le groupement, ce dirigeant peut, s'il n'est pas déjà tenu au paiement des dettes sociales en application d'une autre disposition, être déclaré solidairement responsable du paiement de ces impositions et pénalités par le président du tribunal judiciaire. À cette fin, le comptable public compétent assigne le dirigeant devant le président du tribunal judiciaire du lieu du siège social. Cette disposition est applicable à toute personne exerçant en droit ou en fait, directement ou indirectement, la direction effective de la société, de la personne morale ou du groupement'».

L'article 2 du décret du 3 avril 2008 relatif à la Direction générale des finances publiques dispose que «'10° Elle représente l'État, dans les domaines de sa compétence, devant les juridictions des ordres administratif et judiciaire'».

Il résulte de l'article 7 du décret du 16 juin 2009 relatif aux services déconcentrés de la direction générale des finances publiques que «'les directions mentionnées à l'article 1er (directions régionales des finances publiques) comprennent des services et des postes comptables, notamment des services des impôts des particuliers et des pôles de recouvrement spécialisé, dont la liste, les attributions, l'organisation et, en tant que de besoin et pour ce qui concerne les missions liées au recouvrement de l'impôt des particuliers, à la publicité foncière et à la gestion financière et comptable des collectivités territoriales et de leurs établissements publics, le ressort territorial sont fixés par arrêté du ministre chargé du budget ».

L'arrêté du 23 juillet 2010 a créé, au sein des services déconcentrés de la direction générale des finances publiques, des postes comptables dénommés pôles de recouvrement spécialisé, lesquels ont pour ressort territorial le département (article 2) et dont le comptable chargé du pôle est compétent pour engager ou poursuivre toute procédure visant au recouvrement des créances qu'il a prises en charge directement ou dont la responsabilité lui a été transférée par un autre comptable du département (article 3).

Il résulte enfin du Bulletin officiel des finances publiques (BOI-REC-SOLID-10-10-30 du 19 août 2020) qui rappelle la jurisprudence en la matière, que si la procédure visée à l'article L.'267'du LPF est engagée par le comptable, elle ne doit être mise en 'uvre que sur décision personnelle du responsable départemental des finances publiques laquelle est produite avec les pièces venant à l'appui de l'assignation.

Par décision non datée, M. [I] [N], directeur régional des finances publiques de Bretagne et du département d'Ille et Vilaine a autorisé le comptable du pôle de recouvrement spécialisé d'Ille et Vilaine à engager contre Mme [V] [R], présidente de la société Alpa Senso, l'action prévue à l'article L 267 du livre des procédures fiscales.

Muni de cette autorisation (et d'une ordonnance rendue à sa requête l'autorisant à assigner à jour fixe), le comptable du pôle de recouvrement spécialisé d'Ille-et-Vilaine a fait assigner Mme'[R] devant le président du tribunal judiciaire de Rennes.

Si, comme le relève à juste titre l'intimée, la décision du directeur régional des finances publiques autorisant le comptable du pôle de recouvrement spécialisé à agir n'est pas datée, il est cependant établi qu'elle est antérieure à l'assignation puisque celle-ci figurait au nombre des pièces (pièce n° 8) produites à l'appui de la requête et est mentionnée sur le bordereau joint à l'assignation. Dès lors, son antériorité est avérée et aucune conséquence ne peut être tirée du fait qu'elle ne comporte pas de date.

En second lieu, Mme [R] ne peut utilement tirer argument de ce que l'identité (nom, prénom, date et lieu de naissance, adresse, profession...) du fonctionnaire de l'État agissant ès qualité de comptable du pôle de recouvrement spécialisé n'ait pas été mentionnée dans l'assignation dès lors que cet agent n'agit pas en son nom personnel mais comme autorité, représentant légalement désigné de l'État par le livre des procédures fiscales et autorisé par son directeur général à le faire. La nullité prévue à l'article 54'3°'a)'du code de procédure civile n'est donc pas encourue.

En troisième lieu, il importe peu que l'assignation ne précise pas que le comptable du pôle de recouvrement spécialisé ait agi sous l'autorité de tel ou tel directeur des finances publiques dès lors qu'il résulte de l'article L 267 du livre des procédures fiscales que l'assignation a été délivrée par le comptable public compétent et que sa compétence et son pouvoir résultent des décrets et arrêté précités et de l'autorisation jointe donnée par le directeur régional des finances publiques.

En quatrième lieu, si l'assignation comporte effectivement une erreur dans son dispositif (qui fait état d'un autre comptable), cette erreur, au demeurant purement matérielle et rectifiée ultérieurement et, en tous cas, devant la cour, n'entache pas l'acte de nullité ou d'irrecevabilité comme soutenu.

Enfin et contrairement à ce que prétend Mme [R], l'action a été engagée dans un délai satisfaisant, étant rappelé que si la société Alpa Senso a été placée en redressement judiciaire en septembre 2018, cette procédure n'a été convertie en liquidation judiciaire qu'en janvier 2019, que les créances fiscales déclarées dans ces procédures n'ont été définitivement admises qu'en août 2019, que le liquidateur ' [U] [C] ' a été interrogé par lettre du 2 juin 2021 (pièce n° 7 de l'appelant) par le comptable du pôle de recouvrement spécialisé sur les perspectives d'apurement et le versement d'un dividende, demande à laquelle il n'a pas daigné répondre. La requête présentée dans ces conditions en décembre 2021 l'a été dans un délai satisfaisant, sans précipitation (qui n'aurait pas manqué d'être reprochée) ni trop tardivement.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a déclaré la demande du comptable du pôle de recouvrement spécialisé recevable.

Sur la demande au fond':

Pour pouvoir déclarer un dirigeant de droit ou de fait solidairement responsable du passif fiscal d'une société ou de toute autre personne morale, l'article L 267 du livre des procédures fiscales impose que':

- l'inobservation, par le dirigeant, des obligations fiscales de la société soit 'grave et répétée', à défaut de résulter de 'man'uvres frauduleuses',

- ces manquements aient 'rendu impossible le recouvrement des impositions et des pénalités dues par la société'.

La jurisprudence (Com., 13 janv. 2009, n° 07-21.680'; Com., 19 janv. 2022, n°'19-18.560) considère que la condamnation solidaire des dirigeants sociaux suppose que soit constatée l'impossibilité définitive de recouvrer les impositions et pénalités dues par la société.

Le premier juge a, par des motifs pertinents que la cour adopte, considéré que la première des deux conditions rappelées ci-dessus était satisfaite dès lorsqu'il était établi que':

- Mme [R], nommée le 29 décembre 2014 cogérante de la société Alpa Senso, puis seule gérante à compter du 23 juin 2016 (soit plus de deux ans avant l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire), et enfin unique présidente à compter du 6 octobre 2016, après transformation de la société en société par action simplifiée, n'avait pas délégué ses pouvoirs en matière de gestion courante, qu'en effet les seules délégations de signature (9 septembre 2016) consenties à la société Afenix Holding, sa société mère, (représentée par sa présidente, la société Aldefenix, elle même représentée par son actionnaire unique, M. [O] [P]) ne portait que sur cinq catégories d'actes juridiques (acte relatif à toute opération commerciale de la société d'achat de matériel, de matière première et d'approvisionnement ou de prestation'; acte relatif à toute opération commerciale de vente afférente à l'activité de la société'; emprunt pour la société correspondant à des découverts normaux en banque'; prise à bail de tous biens'; règlement des factures en relation avec les actes susvisés),

- si les attestations produites ' en première instance comme en appel ' (Mme [L], ancienne responsable qualité du groupe'; M.'[B], actionnaire et collaborateur de M.'[P]'; Mme [M], responsable comptable'; M. [G], collaborateur de Mme [R]'; Mme [T], déléguée du personnel) établissent que M. [P] s'est immiscé dans la gestion de la société et prenait certaines décisions notamment les plus importantes, ce n'était pas pour autant que Mme [R], dont la rémunération de cadre (10'000'euros bruts par mois) était en adéquation avec ses responsabilités au sein de la société, ne jouait aucun rôle dans la société, notamment en ce qui concerne les affaires courantes,

- les manquements fiscaux reprochés, soit le défaut de payement de sept déclarations successives de TVA concernant les mois de mars (78'349 euros), avril (4'330 euros), mai (125'117'euros), juin (7'848'euros), juillet (11'681'euros), août (12'044'euros) et septembre (7'890'euros) 2018'; partiel de la cotisation foncière des entreprises 2018 (1'205'euros) et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises 2016 et 2017 (deux fois 261'euros), présentaient un caractère grave et répété, s'étant poursuivis durant les sept mois ayant précédé l'ouverture de la procédure collective et ayant pour l'essentiel permis de financer la poursuite de l'activité déficitaire de la société grâce au détournement des fonds collectés auprès des clients au titre de la taxe sur la valeur ajoutée, au préjudice du Trésor public, ces manquements étant imputables à la présidente de la société qui n'a rien fait pour y mettre un terme alors qu'elle ne pouvait les ignorer, ayant tardé à déposer au greffe du tribunal de commerce une déclaration de cessation des payements. Il sera enfin précisé que l'absence de report de la date de cessation des payements ou l'absence de poursuites engagées à son encontre par le liquidateur sont indifférentes, l'action prévue par l'article L 267 du livre des procédures fiscales étant autonome.

En revanche et comme l'a également relevé le premier juge, le comptable du pôle spécialisé de recouvrement ne rapporte pas la preuve d'une impossibilité définitive de recouvrer les sommes dues dès lors qu'au contraire':

- l'administrateur judiciaire de la société, Me [S] [Z] a, dans le rapport de fin de mission qu'il a déposé le 31 janvier 2019, après le plan de cession, précisé que «'les frais de justice, les dettes de poursuite d'activité, les avances consenties par l'AGS et une partie du passif privilégié devraient pouvoir être payés'», le total des encaissements s'élevant à la somme de 655'000'euros pour un passif déclaré de 3'623'057,46'euros (dont 34'647,33'euros à titre superprivilégié et 403'342,31'euros à titre privilégié échu et 51'796 euros à échoir (somme ultérieurement ramenée à celle de 9'617 euros ' cf. pièce n° 4 de l'appelant),

- le mandataire judiciaire, Me [A] [E] a, sous sa responsabilité, déposé le 28 juin 2022, une requête au juge commissaire aux fins de vérification des créances (chirographaires), précisant «'il apparaît que l'évaluation des actifs et du passif privilégié et chirographaire laisse présager un excédent permettant de répartir un dividende aux créanciers chirographaires après règlement complet des frais de justice et des créances privilégiées'», demande à laquelle il a été fait droit par ordonnance du 7 juillet 2022.

C'est dès lors, à bon droit, qu'en l'état de ces éléments, la demande du comptable du pôle de recouvrement spécialisé d'Ille et Vilaine doit être rejetée.

Le jugement critiqué sera donc confirmé en toutes ses dispositions.

Sur les dépens et les frais irrépétibles':

Le comptable du pôle spécialisé de recouvrement d'Ille et Vilaine, qui échoue en ses prétentions, supportera la charge des dépens d'appel.

Les circonstances de l'espèce ne justifient pas qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS':

Statuant par arrêt rendu publiquement et contradictoirement

Rejette la demande de révocation de l'ordonnance de clôture et écarte des débats les conclusions et pièces communiquées postérieurement.

Vu l'article L 267 du livre des procédures fiscales

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 6 février 2023 par le président du tribunal judiciaire de Rennes.

Laisse les dépens d'appel à la charge du comptable du pôle de recouvrement spécialisé d'Ille et Vilaine.

Rejette les demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23/01194
Date de la décision : 26/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 01/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-26;23.01194 ?
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