1ère Chambre
ARRÊT N°112
N° RG 21/05314 - N° Portalis DBVL-V-B7F-R6JT
M. [U] [M]
Mme [K] [D] épouse [M]
C/
S.A.S. EY&ASSOCIES
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 26 MARS 2024
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Fabrice ADAM, Premier Président de chambre entendu en son rapport,
Assesseur : Monsieur Philippe BRICOGNE, Président de chambre,
Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 23 janvier 2024
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 26 mars 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTS :
Monsieur [U] [M]
né le 21 Juillet 1967 à [Localité 6] (44)
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Benoît BOMMELAER de la SELARL CORNET-VINCENT-SÉGUREL, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Bertrand LARONZE de la SELARL L.R.B. AVOCATS CONSEILS, Plaidant, avocat au barreau de [Localité 6]
Madame [K] [M] née [D]
née le 03 Avril 1971 à [Localité 5]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Benoît BOMMELAER de la SELARL CORNET-VINCENT-SÉGUREL, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Bertrand LARONZE de la SELARL L.R.B. AVOCATS CONSEILS, Plaidant, avocat au barreau de [Localité 6]
INTIMÉE :
La société EY & Associés, SAS, ayant son siège social [Adresse 1], immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Nanterre sous le n°817.723.687, agissant poursuites et diligences de son Président en exercice, domicilié en cette qualité audit siège, venant aux droits de la société Ernst & Young et Associés, SAS dont le siège social était situé [Adresse 1], et qui était immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Nanterre sous le n°449.142.348 ;
Représentée par Me Pierre SIROT de la SELARL RACINE, Postulant, avocat au barreau de [Localité 6]
Représentée par Me Daphné BES de BERC de L'AARPI BGB Associés, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES':
La société par actions simplifiée Financière [M] dont les associés et co-gérants sont M.'[U] [M] et Mme [K] [D] épouse [M] a, par acte sous seing privé du 31 décembre 2008, acquis 450 des 500 parts sociales formant le capital de la société Bowling Power Ball.
Pour les besoins de son activité, cette dernière société avait préalablement souscrit le 15'mars 2007 auprès de la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel Atlantique Vendée (ci-après la CRCAM) un contrat portant sur deux prêts (n° 49 417 de 216'000'euros et n° 49 425 de 100'000'euros) dont les remboursements étaient garantis par les cautions solidaires des époux [M], M. [M] étant alors «'directeur réglementaire'» de la dite société, à hauteur de la somme globale de 410'800'euros en principal, intérêts et frais.
La société Ernst & Young et Associés assurait une mission d'expertise-comptable classique pour deux des filiales de la société Financière [M], à savoir les sociétés Bowling Power Ball et Varopi.
Suivant acte sous seing privé du 14 juin 2010, la société Financière [M] a cédé ses parts dans le capital de la société Bowling Power Ball à M. et Mme [X].
Par jugement du 20 juillet 2011, le tribunal de commerce de [Localité 6] a prononcé le redressement judiciaire de la société Bowling Power Ball. Cette procédure a été convertie en liquidation judiciaire par décision du 26 novembre 2014.
Après mise en demeure infructueuse (4 décembre 2014), la CRCAM a, par acte du 10'décembre 2015, fait assigner les époux [M], cautions, devant le tribunal de grande instance de Nantes qui, par jugement du 28 mai 2019, les a condamnés à payer à la banque les sommes de 37'706,38 euros et 71'280,19 euros avec intérêts au taux légal.
Cette décision a été confirmée par arrêt de la cour d'appel de Rennes du 21 octobre 2022.
Estimant que la société d'expertise-comptable Ernst & Young et Associés aux droits de laquelle se trouve la société EY & Associés, avait failli à son devoir d'information et de conseil et n'avait pas engagé les démarches nécessaires pour assurer la reprise des engagements de caution par le cessionnaire des parts sociales de la société Bowling Power Ball, les époux [M] l'ont, après vaine tentative de règlement amiable, assignée, par exploit du 14 avril 2016, devant le tribunal de grande instance de Nantes aux fins de voir reconnaître sa responsabilité et en réparation du préjudice qu'ils estiment avoir subi.
Par jugement du 8 juillet 2021, le tribunal a':
- déclaré irrecevables les demandes de M. [U] [M] et Mme [K] [D] épouse [M] à l'encontre de la société EY & Associés,
- condamné M. [U] [M] et Mme [K] [D] épouse [M] in solidum à verser à la société EY & Associés la somme de 3'000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- condamné M. [U] [M] et Mme [K] [D] épouse [M] in solidum à payer au Trésor Public une amende civile de 1'000 euros,
- débouté les époux [M] de leur demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [U] [M] et Mme [K] [D] épouse [M] in solidum à payer à la société EY & Associés la somme de 3'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [U] [M] et Mme [K] [D] épouse [M] in solidum aux entiers dépens,
- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire de la présente décision.
Le tribunal a notamment retenu que les époux [M] ne rapportaient pas la preuve qui leur incombait qu'ils avaient donné mission à la société EY & Associés de les assister dans la cession des parts sociales qu'ils détenaient, par l'intermédiaire de la société Financière [M], au sein de la société Bowling Power Ball. Il s'est, en outre, fondé sur l'existence d'une incertitude quant à l'entité juridique avec laquelle les demandeurs auraient contracté, Ernst & Young, société d'Avocats ou Ernst & Young et Associés (société d'expertise comptable).
Les époux [M] ont interjeté appel de cette décision par déclaration du 16 août 2021.
Aux termes de leurs dernières écritures (11 octobre 2023), M. [U] [M] et Mme'[K] [D] épouse [M] demandent à la cour de :
- infirmer purement le jugement en ce qu'il a :
' déclaré irrecevables les demandes formées par [U] [M] et [K] [D] épouse [M] à l'encontre de la société EY & Associés, venant aux droits de la société Ernst & Young et Associés,
' condamné [U] [M] et [K] [D] épouse [M] in solidum à verser à la société EY & Associés, venant aux droits de la société Ernst & Young et Associés, la somme de 3'000'euros de dommages et intérêts pour procédure abusive,
' condamné [U] [M] et [K] [D] épouse [M] in solidum à payer au Trésor Public une amende civile de 1'000 euros,
' débouté [U] [M] et [K] [D] épouse [M] de leur demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
' condamné [U] [M] et [K] [D] épouse [M] in solidum à payer à la société EY & Associés, venant aux droits de la société Ernst & Young et Associés, la somme de 3'000'euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
' condamné [U] [M] et [K] [D] épouse [M] in solidum aux entiers dépens, et, statuant à nouveau,
- juger recevables leurs demandes,
à titre principal et au visa de l'article 1147 du code civil :
- condamner la société EY & Associés, venant aux droits de la société Ernst & Young et Associés, à leur payer la somme de 131'856,74' euros outre les intérêts au taux légal à compter du 4 juillet 2023 et anatocisme jusqu'à parfait paiement,
à titre subsidiaire et au visa de l'article 1382 du Code civil :
- condamner la société EY & Associés, venant aux droits de la société Ernst & Young et Associés, à leur payer la somme de 131'856,74' euros outre les intérêts au taux légal à compter du 4 juillet 2023 et anatocisme jusqu'à parfait paiement,
en tout état de cause :
- débouter la société EY & Associés, venant aux droits de la société Ernst & Young et Associés, de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions, à leur encontre,
- condamner la société EY & Associés, venant aux droits de la société Ernst & Young et Associés, à leur payer la somme de 10'000'euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la même aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la Selarl C.V.S., Avocat aux offres de droit conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
Les époux [M] soutiennent que leur action est recevable, en premier lieu, parce qu'ils justifient d'un intérêt à agir contre le rédacteur de l'acte de cession de parts sociales, au titre de sa responsabilité contractuelle ou, dans l'hypothèse où la qualité de parties au contrat leur serait déniée, au titre de sa responsabilité quasi délictuelle.
Ils estiment, en second lieu, avoir qualité à agir contre la société EY & Associés, dont la mission d'assistance et de conseil est établie à travers des échanges et une facture d'acompte du 17 février 2010 émanant de la société Ernst & Young et Associés que l'intimée a absorbée. Ils ajoutent que, si certains mails ont été rédigés par la société Ernst & Young société d'Avocats, c'est bien la société EY & Associés qui a facturé la prestation de sorte qu'il est incontestable que cette dernière en est l'auteur.
Ils contestent, en dernier lieu, le moyen tiré de la prescription de leur action, le point de départ du délai de cinq ans étant la survenance du dommage, soit la date de leur assignation en paiement par la CRCAM, c'est à dire le 10 décembre 2015.
Ils font ensuite valoir que leur action est bien fondée, puisque la société EY & Associés était débitrice non seulement d'une obligation d'information envers eux en tant que dirigeants de la société Financière [M] mais aussi en tant que cautions, ce notamment au regard du maintien de leur engagement malgré la cession des parts sociales. Ils prétendent que la responsabilité de l'expert comptable peut être engagée sur ce point malgré l'absence de contrat entre l'expert-comptable et son client définissant précisément la mission dévolue.
À titre subsidiaire, ils estiment pouvoir engager la responsabilité délictuelle de la société EY & Associés au regard de sa faute et du préjudice qu'ils subissent du fait du jugement du 28 mai 2019 rendu au profit de la CRCAM.
Ils contestent, enfin, le caractère abusif de leur action en justice, la capacité d'ester en justice étant constitutionnellement garantie, leur action n'étant pas mal dirigée et n'ayant pas dissimulé des éléments de preuve comme l'a retenu le jugement objet de l'appel. Ils affirment que leur appel n'est pas fautif et que la demande adverse tendant à leur condamnation à verser la somme de 20'000'euros à titre de dommages-intérêts n'est fondée sur aucun préjudice.
Dans ses dernières conclusions (8 décembre 2023), la société EY & Associés demande à la cour de :
à titre principal,
- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes des époux [M] pour défaut de qualité à défendre de la société EY & Associés venant aux droits de la société Ernst & Young et Associés ;
à titre subsidiaire,
- déclarer irrecevables les demandes des époux [M] à son encontre pour défaut d'intérêt à agir des appelants,
- déclarer irrecevables car prescrites, les demandes des époux [M] à son encontre,
en tout état de cause,
- débouter les époux [M] de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,
- confirmer le jugement en ce qu'il a':
' condamné les époux [M] in solidum à lui verser la somme de 3'000 euros de dommages intérêts pour procédure abusive,
' débouté les époux [M] de leur demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
' condamné les époux [M] in solidum à lui payer la somme de 3'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
' condamné les époux [M] in solidum aux entiers dépens ;
y ajoutant,
- condamner les époux [M] in solidum à lui verser la somme de 20'000 euros de dommages intérêts en réparation du préjudice résultant du caractère abusif de l'appel interjeté,
condamner les époux [M] in solidum à lui verser la somme de 20'000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile relativement à l'appel,
- condamner M. [U] [M] et Mme [K] [D] épouse [M] in solidum aux entiers dépens d'appel dont distraction au profit de la Selarl Racine dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
La société EY & Associés précise qu'elle vient aux droits de la société Ernst & Young et Associés depuis la fusion-absorption de celle-ci par acte du 1er juillet 2019.
Elle considère que l'action des appelants est irrecevable comme étant mal dirigée, n'ayant pas qualité pour défendre sur cette demande. Elle qualifie à ce titre de tronquées les pièces produites par les époux [M], lesquels ne démontrent pas qu'elle était tenue d'une mission relative à la cession des parts de la société Bowling Power Ball. Elle affirme que, si cette mission avait été envisagée, résultant en la production d'une facture d'acompte, elle a finalement été restreinte à la seule cession de la société Varopi, qui est d'ailleurs l'objet de la facture définitive.
Elle ajoute que l'action est irrecevable pour défaut d'intérêt à agir des époux [M], puisque seule la société Financière [M] était partie prenante à l'opération de cession.
Elle estime enfin que cette action est irrecevable en raison de l'acquisition de la prescription quinquennale, qui a commencé à courir au jour de la cession de la société Bowling Power Ball, soit le 14 juin 2010.
À titre subsidiaire, elle soutient que la demande est infondée, puisque la responsabilité de l'expert comptable ne s'apprécie qu'au regard de la mission qui lui est confiée. Or, elle observe que les époux [M] ne rapportent nullement la preuve qu'elle ait été mandatée dans le cadre de la cession des parts sociales de la société Bowling Power Ball. Elle rappelle qu'en tout état de cause, seule la société Financière [M], partie au contrat de cession, avait vocation à être conseillée. Elle considère également qu'aucun préjudice actuel, direct et certain n'est établi.
À titre infiniment subsidiaire, elle estime ne pas être redevable des intérêts dus par les époux [M] à la CRCAM, qui n'ont couru qu'à raison du défaut d'exécution du jugement pourtant assorti de l'exécution provisoire. Elle prétend, en outre, n'avoir à indemniser que la perte de chance subie par les époux [M] d'éviter cette dette, perte de chance qu'elle propose de fixer à 10'%.
Elle expose que la procédure diligentée est abusive puisque les époux ont mal dirigé leur action, agissent en leur nom personnel plutôt qu'en tant que représentants de la société Financière [M] et n'ont pas produit en première instance les éléments utiles à l'examen de leur demande. Il en va de même pour l'appel dont les époux [M] ont parfaitement conscience du caractère irrecevable et mal fondé. Elle soutient qu'elle subit de ce fait un préjudice tant matériel que d'atteinte à sa réputation et son honneur.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 décembre 2023.
SUR CE, LA COUR':
Sur la fin de non recevoir tirée du défaut de qualité à défendre':
Pour conclure à l'irrecevabilité de la demande des époux [M], la société EY & Associés, venant aux droits de la société Ernst & Young et Associés, soutient qu'elle n'a pas été chargée d'assister la société Financière [M] dans le cadre de la cession de sa filiale Bowling Power Ball. Elle relève que d'ailleurs, les époux [M] versent aux débats à l'appui de leur demande deux courriels émanant de Mme'[Z] [I], qui travaillait au sein de l'établissement nantais de la structure Ernst & Young Société d'Avocats, et ont adressé leur réclamation à une autre structure, la société Ernst & Young Atlantique.
Il n'est pas contesté que la succursale nantaise ([Adresse 3] à [Localité 6]) de la société Ernst & Young & Associés (RCS 449 142 348) était l'expert-comptable de la société Bowling Power Ball ainsi qu'il résulte tant du projet des comptes annuels 2009 qu'elle a établi le 12 mars 2010 (et où sa dénomination figure au pied de chaque page) que du courrier que cette société a adressé aux époux [M] le 17 février 2015 (pièce n° 13 des appelants)': «'La société Ernst & Young et Associés fournissait à la société Bowling Power Ball des prestations d'expertise comptable classiques. Notre mission comprenait ainsi des prestations de révision et établissements des comptes annuels, établissement des déclarations fiscales, d'assistance en matière comptable, sociale et fiscale et de secrétariat juridique'».
Il est établi que, cherchant à céder la société Bowling Power Ball, M. [U] [M], dirigeant de la société Financière [M], est entré en contact, dans des circonstances qu'aucune des parties n'a jugé utile de préciser, avec Mme [Z] [I], collaboratrice de la société Ernst & Young Société d'Avocats (société également établie [Adresse 3] à [Localité 6], tout comme la société d'expertise-comptable Ernst & Young Atlantique ' RCS 305 376 394 pièce n° 5 de l'intimée) qui lui a adressé le 22 octobre 2009 le courriel suivant (pièce n° 3)':
«'Nous revenons vers vous concernant votre projet de cession de la totalité des parts de la société Bowling Power Ball. À ce titre, je vous transmets un document de base sur lequel je vous propose d'échanger. Nous vous proposons de vous assister dans la rédaction des différents documents (la dite promesse de cession que vous trouverez en pièce jointe, acte de cession de parts, garantie de passif le cas échéant, agrément de l'acquéreur, mise à jour des statuts, changement de gérant).
Pour la réalisation de cette prestation, nous estimons notre budget à 3'500'euros HT et hors débours.
Notre périmètre d'intervention ne prend pas en compte les négociations avec l'acquéreur....'».
Le 26 octobre 2009, Mme [I] a adressé, après échange téléphonique, à M. [M] une (nouvelle ') version de la promesse de cession de parts sociales (pièce n° 4 des appelants).
Le 11 décembre 2009, toujours dans le cadre dudit projet de cession, M. [Y] [V], collaborateur de la société Ernst & Young et Associés, a communiqué au cabinet Priou Brianceau, conseil des époux [X], divers renseignements et pièces nécessaires à l'établissement d'une étude de faisabilité portant sur le rachat des parts de la société Bowling Power Ball (pièce n°'6 des appelants).
Le 17 février 2010, la société Ernst & Young et Associés a adressé à la société Financière [M] et à M. [U] [M] une facture (pièce n° 15 des appelants) d'un montant de 3'900'euros HT dont l'objet est «'acompte sur notre mission d'assistance et de conseil dans le cadre de vos projets de cession des sociétés Varopi et Bowling Power Ball'».
Il n'est pas contesté que cette facture a été intégralement payée.
La promesse de cession des parts sociales de la société Bowling Power Ball aux époux [X] a été signée quelques jours plus tard, le 6'avril 2010, l'acte de cession étant signé le 14 juin 2010.
Aux termes de cet acte sous seing privé (qui ne comporte pas la mention de son rédacteur), le prix de la cession s'est élevé à la somme de 56'752'euros (dont 51'076,80'euros revenant à la société Financière [M], associé cédant à hauteur de 90 % des parts sociales) et les cessionnaires ont, d'une part, versé aux époux [W] (associés cédants à hauteur de 10 % des parts sociales) une somme de 143'696,61'euros correspondant au solde d'un prêt consenti à la société et, d'autre part, remboursé, sur la base de l'attestation de l'expert comptable de la société (qui est Ernst & Young et Associés) le montant des comptes courants d'associés (84'526 euros à la société Financière [M] et 2'060'euros à la société Varopi).
Il résulte de la chronologie de ces faits que si M. [U] [M] et la société Financière [M] ont effectivement, dans un premier temps, été mis en contact avec une collaboratrice de la société Ernst & Young Société d'Avocats, Mme [I], laquelle a préparé un projet d'acte (promesse de cession), la mission d'assistance et de conseil relative à la cession litigieuse a été facturée par le prestataire habituel de la société Financière [M] et de sa filiale, la société Bowling Power Ball, c'est à dire par la société d'expertise-comptable Ernst & Young et Associés.
Pour justifier cette facture, l'intimée ne peut sérieusement prétendre que s'il avait été initialement prévu qu'elle serait chargée du dossier, celui-ci a, en définitive, été traité par une autre structure... alors que la dite facture (d'acompte) est postérieure de plusieurs mois à l'intervention de Mme [I], point sur lequel elle ne fournit aucune explication crédible.
La présence, relatée par les époux [W] (cf. leur attestation), de Mme [I] lors de la signature de la cession «'dans les locaux de la société Ernst & Young'» (il sera, à cet égard, relevé que les différentes sociétés d'expertise-comptable et d'avocats portant la dénomination «'Ernst & Young'» ont, à [Localité 6], leurs bureaux dans les mêmes locaux, situés [Adresse 3]) n'est pas de nature à démontrer que la société d'avocats était la contractante de la société Financière [M] dès lors qu'il n'est justifié d'aucune prestation facturée aux clients par cette société.
Si l'intimée fait également valoir que la facture du 27 mai 2010 de 3'200 euros HT qu'elle a établie ne concerne que la cession de la société Varopi, autre filiale de la société Financière [M] cédée simultanément, le cour relève que cette facture ne fait nullement état, pour le déduire, de l'acompte facturé le 17 février précédant et payé, ce dont la cour tire la conséquence que cet acompte a été intégralement imputé sur la prestation relative au projet de cession de l'autre filiale, la société Bowling Power Ball, étant d'ailleurs relevé que la somme facturée dans le cadre de cet acompte (3'900 euros) correspond à peu près à celle annoncée par Mme [I] (3'500'euros) en octobre 2009, étant seulement légèrement supérieure (de 11,5'%).
Enfin, aucune conséquence ne peut être tirée du fait que les époux [M] aient effectivement, dans un premier temps, adressé (courrier du 19 janvier 2015, pièce n° 6 des intimés) leur réclamation à une autre structure, la société Ernst & Young Atlantique (dont tous conviennent qu'elle n'est jamais intervenue dans ce dossier ' pièce n° 13 des appelants) tout en faisant état, dans ledit courrier, du «'cabinet Ernst & Young'» sans autre précision, ce qui atteste seulement de la confusion qui existait dans l'esprit des clients entre les différentes entités, établies à la même adresse, portant la dénomination Ernst & Young (EY ou E&Y).
De ces éléments, il ressort la preuve que c'est bien à la société Ernst & Young et Associés, sa société d'expertise-comptable, que M. [M], au travers de sa holding, la société Financière [M], a confié le soin de l'assister, cette dernière étant leur contractante pour avoir facturé la prestation quelles qu'aient été ses dénégations ultérieures (lettre du 17 février 2015, pièce n° 13 des appelants, dans laquelle elle admet seulement avoir communiqué des documents à l'expert-comptable de l'acquéreur potentiel).
C'est, en conséquence, à tort que le tribunal a considéré que la société Ernst & Young et Associés n'était pas le prestataire de la société Financière [M] et a donc retenu cette fin de non recevoir.
Sur la fin de non recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir des demandeurs':
L'intérêt à agir des époux [M] qui, en leur qualité de cautions de la société Bowling Power Ball ont été condamnés et poursuivis par la CRCAM, créancier de ladite société, n'est pas sérieusement contestable dès lors qu'ils reprochent (à tort ou à raison ' cf. infra) à la société Ernst & Young et Associés d'avoir, lors de la cession de cette société, manqué à son obligation de conseil faute d'avoir attiré l'attention de sa contractante sur le fait que les cautions restaient tenues à l'égard du prêteur, invoquant tant le fondement contractuel que le fondement quasi délictuel.
Cette fin de non recevoir doit également être rejetée.
Sur la fin de non recevoir tirée de la prescription':
L'article 2224 du code civil énonce que':
«'Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer'».
Pour soutenir que la demande est prescrite, la société Ernst & Young et Associés prétend que le point de départ de l'action à son encontre doit être fixé au jour de la cession (14 juin 2010), les époux [M] ne pouvant ignorer qu'elle n'avait pas pour effet de les libérer dès lors que le contrat de prêt le leur rappelait expressément dans la clause suivante (page 8)':
«'Chaque caution déclare... que la modification ou la disparition des liens ou des rapports de fait ou de droit susceptibles d'exister entre l'une ou l'autre des cautions et l'emprunteur, ainsi que le changement de forme juridique de l'une ou de l'autre des cautions et/ou de l'emprunteur et/ou du prêteur n'emportera pas le désengagement de la caution'».
Si les époux [M] ont effectivement paraphé le contrat de prêts (dont les vingt deux clauses concernant les cautions figurant en petits caractères en pages 7 et 8) et signé les actes de cautionnement annexés, ils n'ont pu mesurer le sens et la portée exacts de la clause ci-dessus énoncée que lorsque le Crédit Agricole les a mis en demeure, par lettre recommandée du 4'décembre 2014 (leur pièce n°'11), de satisfaire à leurs obligations, et réaliser qu'ils n'avaient été ni mis en garde ni déchargés de leurs obligations de cautions lors de la cession par la société Financière [M] de la société Bowling Power Ball.
Le point de départ de la prescription quinquennale doit donc être fixé au 4 décembre 2014 de sorte qu'au jour où l'assignation a été délivrée à la société Ernst & Young et Associés (10 avril 2016), l'action n'était pas prescrite.
Il s'ensuit que l'action des époux [M] contre cette société doit être déclarée recevable.
Au fond':
La société Ernst & Young et Associés est intervenue en tant que conseil de la société Financière [M] avec, à défaut de lettre de mission (aucune n'étant produite aux débats), une «'mission d'assistance et de conseil dans le cadre du projet de cession de la société Bowling Power Ball'» ainsi qu'il ressort de la facture qu'elle a établie le 17 février 2010.
Les époux [M], cautions de la société cédée et associés de la société cédante, sont des tiers par rapport à ce contrat, mais cette circonstance ne leur interdit nullement de rechercher la responsabilité quasi délictuelle (sur le fondement de l'article 1382 ancien du code civil, applicable au présent litige au regard de la date de la prestation) de l'expert-comptable, à charge de démontrer que celui-ci a commis une faute dans l'exécution de son contrat et que cette faute leur a causé un préjudice.
Les appelants exposent que l'expert-comptable a omis d'attirer l'attention de la société Financière [M] sur la situation des cautions de la société Bowling Power Ball alors qu'il savait que celle-ci avait emprunté des sommes importantes ainsi qu'il ressort du projet de bilan arrêté au 31'décembre 2019 établi le 12 mars 2010 par l'intimée (sa pièce n° 7) lequel projet en fait expressément état en page 7':
«'détail du bilan passif, emprunts et dettes auprès des établissements de crédit':
- compte 164100': prêt 49417': 140'091,17'euros,
- compte 164400': prêt 49425': 67'291,98'euros'»,
étant précisé que ces deux prêts correspondent très exactement aux prêts consentis le 15 mars 2007 par la CRCAM dont les époux [M] s'étaient portés cautions.
En présence de ces deux lignes (dont le montant cumulé excédait la somme de 200'000'euros), il appartenait à l'expert-comptable, parfaitement au fait des règles applicables en matière de cession d'entreprise et tenu à un devoir d'information et de conseil envers son client, d'interroger la cédante sur l'existence d'éventuelles cautions accordées par les dirigeants et associés et de l'alerter sur le fait que ces derniers n'étaient pas libérés de plein droit de leurs obligations à ce titre.
Ne rapportant la preuve (qui lui incombe) de ce qu'elle a satisfait, en sa qualité de professionnelle, à cette obligation d'information et de conseil, la société Ernst & Young et Associés a commis une faute de nature à engager sa responsabilité envers sa contractante.
Les époux [M] font, à juste titre, valoir que cette faute leur a causé un préjudice puisqu'elle leur a fait perdre une chance d'être libérés de leurs obligations de caution et donc de ne pas avoir à régler au Crédit Agricole la somme de 131'856,74' euros, somme incluant le capital restant dû au titre des deux prêts (71'280,19 + 37'706,38 soit 108'986,57'euros) et des intérêts échus entre le 20'mars 2013 et 31'décembre 2017 (14'772,59 + 8'858,02 soit 23'630,59'euros).
Cette chance doit être qualifiée de réelle et sérieuse puisqu'il est usuel qu'en cas de cession d'une entreprise, une substitution de caution intervienne lorsque celle-ci a été consentie par l'associé dirigeant (comme c'est, en l'espèce le cas des époux [M]).
Il est évident que la CRCAM n'aurait cependant accepté de libérer ces derniers de leurs obligations que dans le mesure où les cessionnaires étaient notoirement solvables. Or, les appelants ne fournissent, quant à ce, aucun renseignement utile.
Il sera, toutefois, relevé que les époux [X] ' [E], cessionnaires, ont dépensé pour acquérir la société Bowling Power Ball une somme de l'ordre de 300'000'euros (56'752 + 143'696,61 + 84'526 + 2'060 + frais) et qu'ils n'ont pas été en mesure d'apporter les fonds nécessaires pour prévenir le redressement judiciaire de la société prononcé dès le mois de juillet 2011 puis sa liquidation, prononcée en novembre 2014, c'est à dire quatre ans après.
En l'état de cet élément qui permet de supposer que les capacités financières des cessionnaires étaient limitées, la chance perdue doit être considérée comme faible et limitée à 30'%.
La société EY & Associés, venant aux droits de la société Ernst & Young et Associés, fait valoir que le préjudice indemnisable doit être calculé sur le capital restant dû mais non sur les intérêts dès lors que si époux [M] avaient satisfait à leur obligation de payement, aucun intérêt n'aurait couru.
Il sera toutefois observé que le décompte comprend des intérêts ayant couru depuis le 20 mars 2013, soit près de deux années avant la mise en demeure du 4 décembre 2014 lesquels doivent incontestablement être pris en compte. Compte tenu de la date d'effet de la mise en demeure (5 janvier 2015), l'assiette du préjudice inclura les intérêts jusqu'à cette date, soit une somme de 8 881,75 euros (soit les 657/1 748èmes des intérêts).
L'intimée sera donc condamnée à verser aux époux [M] la somme de [(108'986,57 + 8'881,75)*0,30] 35'360,50'euros avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, constitutif de droits, et capitalisation des intérêts.
Le jugement critiqué sera, en conséquence, infirmé en toutes ses dispositions.
La responsabilité de la société Ernst & Young et Associés étant retenue, la demande indemnitaire de la société EY & Associée venant à ses droits sera rejetée.
Sur les dépens et les frais irrépétibles':
Partie succombante, la société EY & Associés supportera la charge des dépens de première instance et d'appel.
Elle devra, en outre, verser aux époux [M] la somme de 6'000'euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS':
Statuant par jugement rendu publiquement et contradictoirement,
Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 8 juillet 2021 par le tribunal judiciaire de [Localité 6].
Statuant à nouveau':
Rejette les fins de non recevoir soulevées par la société EY & Associés.
Condamne la société EY & Associés à verser à M.'[U] [M] et Mme [K] [D] épouse [M] la somme de 35'360,50'euros à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
Dit que les intérêts seront capitalisés par périodes annuelles à compter du présent arrêt.
Rejette le surplus des demandes.
Rejette la demande en dommages et intérêts de la société EY & Associés.
Condamne la société EY & Associés aux dépens de première instance et d'appel.
Autorise les avocats qui en ont fait la demande à recouvrer directement contre elle ceux des dépens dont ils auraient pu faire l'avance sans avoir reçu provision.
Condamne la société EY & Associés à verser à M.'[U] [M] et Mme [K] [D] épouse [M] la somme de 6'000'euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
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