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26/03/2024 | FRANCE | N°21/03529

France | France, Cour d'appel de Rennes, 1ère chambre, 26 mars 2024, 21/03529


1ère Chambre





ARRÊT N°



N° RG 21/03529

N° Portalis DBVL-V-B7F-RXE5













Mme [K] [C] veuve [W]



C/



Mme [Z] [Y] [V] [TL] [F] veuve [C]



















Copie exécutoire délivrée



le :



à :











RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 26 MARS 2024



>
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre entendue en son rapport,

Assesseur : Monsieur Philippe BRICOGNE, Président de chambre,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,





GREFFIER :



Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des ...

1ère Chambre

ARRÊT N°

N° RG 21/03529

N° Portalis DBVL-V-B7F-RXE5

Mme [K] [C] veuve [W]

C/

Mme [Z] [Y] [V] [TL] [F] veuve [C]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 26 MARS 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre entendue en son rapport,

Assesseur : Monsieur Philippe BRICOGNE, Président de chambre,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 5 décembre 2023

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 26 mars 2024 par mise à disposition au greffe après prorogation du délibéré annoncé au 6 février 2024 à l'issue des débats

****

APPELANTE :

Madame [K] [C] veuve [W]

née le [Date naissance 3] 1987 à [Localité 12] (35)

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Pierre STICHELBAUT, avocat au barreau de SAINT-MALO

INTIMÉE :

Madame [Z] [Y] [V] [TL] [F] veuve [C]

née le [Date naissance 1] 1964 à [Localité 9] (35)

[Adresse 10]'

[Localité 6]

Représentée par Me Cyrille MONCOQ de la SELARL ALPHA LEGIS, avocat au barreau de SAINT-MALO

FAITS ET PROCÉDURE

1. M. [C], père de trois filles ([S], [M] et [K] [C]) nées d'une première union avec Mme [L] [O], s'est remarié le [Date mariage 4] 2014 avec Mme [Z] [F] sous le régime légal de la communauté réduite aux acquêts.

2. Par acte authentique du 27 juin 2018, M. [C] a fait donation à son épouse pour le cas où elle lui survivrait, de la propriété des biens qui composeront sa succession au jour de son décès en l'absence d'héritier réservataire, et à hauteur de la quotité disponible entre époux au jour du décès en cas d'existence d'héritier.

3. M. [C] est décédé le [Date décès 7] 2018 des suites d'un double cancer, laissant pour lui succéder ses trois filles et sa conjointe.

4. La donation entre époux a été portée à la connaissance du conseil des consorts [C] le 20 juin 2019 par maître [E], notaire ayant reçu ladite donation et étant chargé de la succession.

5. Par acte du 25 juillet 2019, [S], [M] et [K] [C] ont assigné Mme [F] devant le tribunal de grande instance de Saint-Malo (devenu tribunal judiciaire à compter du 1er janvier 2020) pour obtenir l'annulation de la donation du 27 juin 2018 sur le fondement de l'insanité d'esprit tirée des articles 414-1, 414-2, 901, 1108 et 1304 du code civil.

6. Par jugement du 19 avril 2021, le tribunal judiciaire de Saint-Malo a :

- débouté Mmes [C] de leurs demandes,

- débouté Mme [F] de sa demande au titre des frais irrépétibles,

- condamné Mmes [C] aux dépens.

7. Le tribunal a retenu que la donation litigieuse ne pouvait être qualifiée de donation entre vifs ou de testament, que l'action en annulation engagée par les consorts [C] après le décès du donateur était soumise aux conditions restrictives de l'article 414-2 du code civil, que M. [C] n'était pas placé sous sauvegarde de justice, outre que l'acte litigieux ne portait pas en lui-même la preuve d'un trouble mental s'agissant d'un acte notarié que le défunt n'avait eu qu'à signer, qu'il n'était pas argué d'une demande d'ouverture de tutelle ou de curatelle, ou de la mise en place d'un mandat de protection future, de sorte qu'indépendamment d'une démonstration de la fragilité psychologique et physique de M. [C] au jour de la donation litigieuse, les requérantes devaient être déboutées de leurs demandes.

8. Mmes [S] et [U] [C] ont acquiescé au jugement.

9. Mme [K] [C] a interjeté appel par déclaration du 10 juin 2021.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

10. Mme [C] expose ses prétentions et moyens dans ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 18 mars 2022, aux termes desquelles elle demande à la cour de :

- infirmer le jugement,

- en conséquence,

- déclarer sa demande recevable et bien fondée,

- annuler l'acte authentique du 27 juin 2018 reçu par maître [E], notaire,

- condamner Mme [F] à lui verser la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civil ainsi qu'aux dépens.

11. Elle soutient que :

- l'acte litigieux doit être qualifié de testament puisque M. [C] entendait donner à son épouse, Mme [F], l'ensemble des biens composant son patrimoine à son décès de telle sorte qu'il a entendu disposer pour le temps où il n'existerait plus,

- quand bien même l'acte litigieux était qualifié de 'donation entre époux de biens à venir', la solution à retenir est celle d'une liberté de la preuve de l'insanité d'esprit en application d'une lecture téléologique de l'article 414-2 du code civil,

- en l'état du dossier médical et des témoignages de l'entourage de M. [C], il est possible d'apporter la preuve de l'insanité d'esprit de ce dernier dans la période immédiatement antérieure et jusqu'à celle immédiatement postérieure à l'acte litigieux,

- en considération de ces éléments, qui témoignent de l'insanité d'esprit dans laquelle se trouvait son père au jour de la conclusion de l'acte litigieux le 27 juin 2018, elle est fondée à en contester la validité ainsi qu'à en solliciter l'annulation sur le fondement des articles 1128, 1129, 414-1 et 414-2 du code civil,

- en tout état de cause, le notaire, officier public ministériel, n'a pas compétence pour apprécier l'état de santé mentale d'une partie,

- il est admis de longue date que la preuve de l'insanité d'esprit est indifférente à l'existence d'une mesure de protection.

12. Mme [F] expose ses prétentions et moyens dans ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 10 août 2022, aux termes desquelles elle demande à la cour de :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- débouter Mme [C] de toutes ses demandes,

- le condamner à lui verser 5.000 € au titre des frais irrépétibles,

- la condamner aux dépens.

13. Elle soutient que :

- la circonstance que la signature de l'acte litigieux n'a pu être faite que le 27 juin 2018 dans un moment où la santé physique de M. [C] était atteinte ne signifie pas que ce dernier n'avait pas consenti à signer l'acte dès lors que même le notaire a reconnu que le couple avait, antérieurement à la période de maladie, réfléchi à mettre en place des moyens de se protéger mutuellement,

- l'acte litigieux ne correspond pas à une donation entre vifs car les biens en question n'ont pu être déterminés qu'au jour du décès du donateur, intervenu avant celui de la donataire,

- l'acte litigieux n'est pas non plus un testament qui obéit à un régime juridique bien spécifique (règles de formes, absence de consentement requis du bénéficiaire),

- l'acte litigieux constitue donc indéniablement une donation de biens à venir relevant de l'article 1096 du code civil,

- le législateur a souhaité offrir une protection particulière au conjoint survivant en encadrant strictement l'action en nullité pour insanité d'esprit dans les seules donations entre vifs ou testaments,

- l'acte litigieux ne remplit pas non plus littéralement les conditions spécifiques visées aux 1° à 3° de l'article 414-2 du code civil invoqué par Mme [C] qui n'apporte pas de preuve suffisante de l'existence d'un trouble mental avéré de nature à entraîner l'annulation de l'acte, d'autant qu'aucune demande de tutelle, de curatelle ou de sauvegarde de justice n'a été déposée par qui que ce soit sur la période entourant la signature de l'acte litigieux,

- s'il est vrai que le notaire n'a pas de compétence médicale à proprement parler, il relève toutefois de sa déontologie d'apprécier l'état de santé des parties au moment de la signature de l'acte et, le cas échéant, d'en refuser l'établissement, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce.

14. L'instruction de l'affaire a été clôturée le 7 novembre 2023.

15. Pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées figurant au dossier de la procédure.

MOTIFS DE L'ARRÊT

1) Sur la qualification de l'acte litigieux

16. Mme [C] estime que l'acte en date du 27 juin 2018 constitue un testament, et qu'en tout état de cause, la démonstration de Mme [F] parvenant à la conclusion selon laquelle l'acte litigieux constitue une 'donation entre époux de biens à venir' n'a aucune incidence sur les règles de preuve de l'insanité d'esprit puisqu'un tel acte demeure une libéralité, dont la preuve de l'insanité d'esprit est libre.

17. Mme [F] conclut que l'acte litigieux constitue une donation entre époux de biens à venir puisque les biens en question n'ont pu être déterminés qu'au jour du décès du donateur, intervenu avant celui de la donataire, laquelle doit être distinguée d'une donation entre vifs ou d'un testament et qu'ainsi elle entre dans le champ d'application de l'article 414-2 du code civil qui n'exclut que les donations entre vifs et le testament.

18. L'enjeu de la qualification de l'acte litigieux réside en effet dans le régime applicable en matière d'insanité d'esprit puisque celle-ci est libre pour les donations entre vifs et les testaments par application des articles 414-1 et 901 du code civil tandis qu'elle est encadrée par les exigences de l'article 414-2 pour tous les autres actes, lequel dispose que :

'De son vivant, l'action en nullité n'appartient qu'à l'intéressé.

Après sa mort, les actes faits par lui, autres que la donation entre vifs et le testament, ne peuvent être attaqués par ses héritiers, pour insanité d'esprit, que dans les cas suivants :

1° Si l'acte porte en lui-même la preuve d'un trouble mental ;

2° S'il a été fait alors que l'intéressé était placé sous sauvegarde de justice ;

3° Si une action a été introduite avant son décès aux fins d'ouverture d'une curatelle ou d'une tutelle ou aux fins d'habilitation familiale ou si effet a été donné au mandat de protection future.

L'action en nullité s'éteint par le délai de cinq ans prévus à l'article 2224.'

19. En droit, l'article 894 du code civil indique que 'La donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l'accepte'.

20. L'article 895 du code civil dispose que 'Le testament est un acte par lequel le testateur dispose, pour le temps où il n'existera plus, de tout ou partie de ses biens ou de ses droits et qu'il peut révoquer'.

21. S'agissant des donations de biens à venir, l'article 1093 du code civil énonce en outre que 'La donation de biens à venir, ou de biens présents et à venir, faite entre époux par contrat de mariage, soit simple, soit réciproque, sera soumise aux règles établies par le chapitre précédent, à l'égard des donations pareilles qui leur seront faites par un tiers, sauf qu'elle ne sera point transmissible aux enfants issus du mariage, en cas de décès de l'époux donataire avant l'époux donateur.' L'article 1096 du même code prévoit que 'Toutes donations faites entre époux pendant le mariage, quoique qualifiées entre vifs, seront toujours révocables.'

22. En l'espèce, l'acte authentique établi par le notaire Me [E] le 27 juin 2018 consiste en une donation entre époux souscrite entre M. [C] dénommé 'donateur' et Mme [F] dénommée 'donataire'.

23. Le paragraphe 'DONATION ENTRE EPOUX' mentionne ainsi que :

'Si l'époux prédécédé ne laisse pas d'héritier à réserve, cette donation sera de la toute propriété des biens qui composeront sa succession. En cas d'existence d'héritiers à réserve et si ceux-ci en demandent la réduction, la donation sera de la quotité disponible entre époux en vigueur au jour du décès. Le choix, s'il y a lieu, appartiendra au survivant, qui pourra attendre jusqu'au partage pour exercer son option, sauf si les héritiers le mettent en demeure d'opter après écoulement du délai de quatre mois. Si le survivant n'exprime pas son option à la suite de cette mise en demeure ou s'il décède sans avoir opté, il sera censé l'avoir fait pour la quotité entre époux en usufruit.

La quotité sera calculée sur une masse formée conformément à la loi.'

24. Il ressort également de cet acte que M. [C] a entendu transmettre à Mme [F], son épouse, les biens qui composeront sa succession à son décès. Cette rédaction témoigne de la volonté de M. [C] de faire don de biens pour l'avenir puisque le transfert de propriété ne devait avoir vocation à s'opérer qu'au jour de son décès.

25. Il s'agit donc d'une donation entre époux établie par acte notarié, hors contrat de mariage, révocable à tout moment.

26. Il ne s'agit pas en revanche d'une donation au dernier vivant puisque cette donation est dépourvue de tout caractère de réciprocité. De ce point de vue, l'argument selon lequel le notaire a reconnu que le couple avait, antérieurement à la période de maladie, réfléchi à mettre en place des moyens de se protéger mutuellement, est inopérant puisque la donation est faite au seul bénéfice de Mme [F], sans réciprocité.

27. Comme telle, cette donation relève, en application de l'article 1096 ci-dessus rappelé, de la catégorie des donations entre vifs. Ainsi, s'agissant du régime de la preuve de l'insanité d'esprit, elle obéit aux dispositions des articles 414-1 et 901 du code civil et non à celles de l'article 414-2 du même code qui concerne la nullité des actes en général à l'exclusion de la donation entre vifs et du testament.

28. Le jugement, qui a appliqué le régime de la preuve de l'article 414-2 du code civil, sera infirmé sur ce point.

2) Sur l'annulation de l'acte litigieux

29. En droit, l'article 414-1 du code civil dispose que 'Pour faire un acte valable, il faut être sain d'esprit. C'est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l'existence d'un trouble mental au moment de l'acte.'

30. Aux termes de l'article 901 du code civil, 'Pour faire une libéralité, il faut être sain d'esprit. La libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l'erreur, le dol ou la violence.'

31. Il est de principe que la charge de la preuve de l'insanité d'esprit du testateur incombe à celui qui agit en annulation du testament et le trouble mental dont la preuve doit être rapportée doit exister au moment précis où l'acte attaqué a été fait.

32. Si l'état d'insanité d'esprit existait à la fois dans la période immédiatement antérieure et dans la période immédiatement postérieure à l'acte litigieux, il revient alors au défendeur d'établir en pareil cas l'existence d'un intervalle lucide au moment où l'acte a été passé.

33. L'annulation est encourue dès que le trouble des facultés intellectuelles est suffisamment grave pour priver l'acte juridique de l'un de ses éléments constitutifs, à savoir une volonté saine, libre et éclairée. L'auteur de l'acte doit être hors d'état de vouloir et de comprendre la portée exacte de son engagement.

34. L'affaiblissement intellectuel causé par une maladie ou par la vieillesse ne peut être par lui-même une cause d'incapacité de disposer de ses biens à titre gratuit lorsque le donateur conserve une lucidité suffisante pour comprendre la portée de son acte. Pour faire annuler la libéralité consentie par un donateur très malade, il est indispensable de démontrer l'altération grave des facultés mentales de la personne concernée.

35. Le trouble mental étant un simple fait, son existence peut être prouvée par tous moyens, notamment, par des écrits émanant du disposant et dénotant une altération des facultés intellectuelles, des certificats médicaux et, plus ordinairement, par témoins.

36. Enfin, le caractère authentique des énonciations figurant à ces actes ne s'attache pas à l'appréciation de l'état mental de leurs auteurs et ne fait pas obstacle à ce que puisse être rapportée la preuve de l'insanité d'esprit invoquée.

37. En tout dernier lieu, les juges du fond disposent d'un pouvoir souverain d'appréciation tant de la gravité du trouble allégué que de l'époque à laquelle il est susceptible d'être survenu.

38. En l'espèce, il résulte des pièces médicales versées aux débats que M. [C] était, au jour de la signature de l'acte de donation entre époux du 27 juin 2018, atteint d'un double cancer de l''sophage et des sinus, lequel avait été diagnostiqué au mois de février précédent et est rapidement devenu métastasique.

39. La synthèse 'Hépato gastro entérologue' établie le 18 juin 2018 par le centre hospitalier de [Localité 12] retrace que :

- M. [C] a été équipé d'une endoprothèse 'sophagienne en avril 2018 dans un contexte de dysphagie sur carcinome épidermoïde du tiers inférieur de l''sophage métastatique,

- il a été équipé d'une sonde de gastronomie d'alimentation le 17 mai 2018, - il a été placé sous radiothérapie à compter du 22 mai 2018.

40. Le dossier 'patient' de M. [C], établi le 8 juin 2018 par le docteur [N] relevant du même établissement rapporte qu'il a été hospitalisé le 6 juin 2018 pour des douleurs intolérables, qu'une impossibilité alimentaire était constatée depuis 9 jours (un état de dénutrition était relevé) nécessitant la mise en place d'une alimentation entérale, que l'évolution des deux cancers était très rapide au point que le docteur [I] indiquait que le pronostic vital était engagé, qu'une perte de poids de 21 kg était enregistrée depuis le début de la maladie, que M. [C] était anxieux '+ + +', qu'il développait un syndrome confusionnel avec cauchemars.

41. A la date du 8 juin 2018, le médecin note une nette diminution de la douleur, la disparition du syndrome confusionnel et de l'anxiété. Les traitements de radiothérapie et corticoïdes étaient maintenus. La morphine était prescrite en intraveineuse à raison de 290 mg / 24 h en continu.

42. Un retour au domicile était mis en place le 15 juin 2018 avec un suivi par l'équipe de soins palliatifs à domicile.

43. La fiche de suivi de l'hospitalisation à domicile fait toutefois état de ce que dès le 18 juin 2018, la douleur demeure évaluée à 8-9/10, le patient ne dort quasiment plus en raison de cette douleur.

44. Le 19 juin 2018, l'équipe de suivi des soins à domicile note que le patient se dit algique à 8/10, avec anxiété sur les traitements en cours et les effets secondaires d'un auto-sevrage en IRS et anxiolytique. Le patient ne s'alimente plus par la bouche, il a du mal à gérer son ordonnance, son épouse n'appréhende pas le caractère palliatif de la situation car elle héberge ses parents âgés en dépendance et atteints de troubles cognitifs, elle ne comprend pas non plus la notion de personne de confiance.

45. Le 24 juin 2018, l'infirmière relève 'patient asthénique, dit en avoir marre d'être dans cet état-là. Discussion + + avec lui. Son AEG (altération de l'état général) ne lui permet plus de faire des activités ce qui l'ennuie beaucoup. Patient refuse de voir la psychologue. Algie : se dit 'un tout petit peu mieux' depuis mise en place ttt (traitement) jeudi dernier mais est encore algique. Douleurs gastriques + +. N'utilise que 4 bolus d'opioïde par jour, l'ai encouragé à en faire plus mais septique. Alimentation : aucun apport per os, patient nauséeux, ressent un dégoût face aux aliments ['] surveillance pondérale : 60,100 kgs ['] Sommeil : patient ne dort que 3 h par nuit, ne trouve pas le sommeil. N'arrive pas non plus à dormir dans la journée. Patient se dit épuisé. Etat cutané : pas d'altération mais accepte lit médicalisé + matelas à air en prévention ['] M. souhaiterait revoir le Medco (médecin coordonnateur) afin de refaire un point / douleur rapidement car souhaiterait être soulagé. Mot laissé entourage. Discussion ++ avec conjointe, celle-ci est également épuisée. Parle d'une hospitalisation aux [8] pour Mr. Mot laissé à ASE car conjointe du patient exprime une baisse de salaire importante qui les 'met en difficulté'.

46. Le 27 juin 2018, l'équipe de soin à domicile note :

- à 15 h 41 : 'visite de suivi le 27/06/2018 état clinique : patient très algique à type de brûlures oesophagienne, ne supporte plus la chimio, vomissement cédant partiellement au zophren, hallucination visuel et épisode confusion, TA 15/08 pouls 88 apyrétique, pâleur, perd de poids malgré l'augmentation de la nutrition entérale, ne prend plus rien per os, bilan biologique ce jour et séance de Rx à 18 h 00. CAT demande d'hospitalisation, contact Tenue en double rapporteur sans opposition des parties SAABRI en HGE, qui accepte et doit rappeler pour confirmer le lit demain.

- à 15 h 51 : 'FIN de séjour : patient pris en charge dans le service d'hospitalisation à domicile dans le cadre cancer de l''sophage. L'état du patient s'est aggravé durant son séjour nécessitant son hospitalisation. La transmission des données médicales et paramédicales ont été organisée par les IDE en charge du patient. Afin d'assurer l'organisation et continuité des soins pendant et après le transport. L'information est tracée dans le dossier du patient.'

- à 16 h 24 : 'Suivi hebdomadaire : passage ce jour avec médecin coordinateur, présence de sa femme. Etat général : patient asthénique ++, constantes OK : TA à 15/08 pouls à 84 ['] Alimentation : ne l'alimente plus per os, uniquement entérale. Algie : très douloureux malgré sa PCA. Médical : séance de radiothérapie ce soir à 18 h. Séance de radiothérapie + chimiothérapie le 28.06. Suivi : hospitalisation prévue en HGE au CH de [Localité 12] (en attente de confirmation du service).

47. Le cahier des transmissions, renseigné du 28 juin 2108, date de la réhospitalisation, au [Date décès 7] 2018, date du décès, fait apparaître que :

- M. [C] est hyperalgique (le 28/06), agité dans son sommeil, ne se sent pas paisible, est retrouvé dyspnéique à 16 h, avec difficulté à verbaliser, 'propos peu cohérent, mouvement clonique' (le 29/06), est en état de confusion + + + et débranche son alimentation et ôte son MHC (le 30/06), comportement qu'il critique quand il retrouve ses esprits,

48. Il y est encore noté que le 30 juin à 22 h, M. [C] a fait tomber sa bouteille en voulant se lever, qu'il n'arrive pas à coordonner ses mouvements lors de la réfection du lit, qu'il dit être au travail, et parle d'administration, que ses gestes sont incontrôlés, qu'il est agité + +.

49. Le 1er juillet à 5 h, il dort profondément, ne répond pas aux stimulations tout de suite, se réveille comme en sursaut, dyspnéique, s'apaise puis accepte de se recoucher et se rendort profondément. A 13 h 30, il s'agite, a l'impression d'étouffer avec son masque à oxygène, l'a donc ôté. Il désature à 69 % et commence à cyanoser et à paniquer. La saturation remonte, le patient s'apaise et la cyanose disparaît. A 13 h 40, il est rassuré par l'arrivée de sa fille. A 18 h 40, il est énervé + + + après avoir reçu la visite de sa femme une partie de l'après-midi, à laquelle l'équipe médicale a demandé de ne pas stimuler le patient qui veut alors discuter et enlever son masque sans cesse.

50. Le 2 juillet 2018 à 8 h 52, M. [C] est 'agité + + +, il ne sait pas 'ce qu'il fait ici', pense qu'il doit aller travailler. Avait une nouvelle fois débranché son midd ligne'.

51. L'incohérence des propos, la confusion, la désorientation et les hallucinations seront relevées chaque jour jusqu'au décès le [Date décès 7] 2018.

52. L'examen par la psychologue le 29 juin 2018 à 15 h 25 note quant à elle un questionnement sur la présence de 'troubles cognitifs' dans la mesure où M. [C] 'termine rarement ses phrases', présente des 'difficultés dans l'élaboration des fonctions exécutives', 'suit des yeux des mouvements au plafond et reconnaît que voit des choses parfois bizarres (forme et couleurs' mais pas d'animaux),'. Elle précise que le patient reconnaît des périodes de confusion, ce qui majore son angoisse, qu'il présente une désorientation spatio-temporelle, plus fréquente la nuit, ne sait plus où il est, ni l'heure, ne reconnaît plus les intervenants. Elle ajoute qu'il travaille à la [13] mais qu'il est occupé '+ + + ' à la restauration de la maison d'une superficie de 180 m².

53. Le même jour, à 18 h 51, l'interne M. [G] note que Mme [F] a demandé à être contactée si un passage en réanimation était envisagé car elle se posait des questions sur le caractère raisonnable de la réanimation. M. [C] faisait connaître qu'il souhaitait de son côté aller en réanimation si son état se dégradait.

54. Il s'évince de l'ensemble de ces éléments médicaux que l'état de santé de M. [C] était altéré à un point de gravité tel qu'en état de confusion mentale, empreint aux hallucinations, désorienté temporo-spatialement, sous morphine à très hautes doses en raison des douleurs intolérables permanentes, très affaibli physiquement en raison d'un état avancé de dénutrition et engagé dans le processus de mort, il n'était plus sain d'esprit depuis au moins le 6 juin 2018, date de sa réhospitalisation, et ce jusqu'au [Date décès 7] 2018, date de son décès.

55. L'état de confusion mentale et les hallucinations visuelles, relevées dès le 6 juin 2018, se sont trouvées médicalement caractérisées le jour même du 27 juin 2018, date de la signature de la donation entre époux chez maître [E], notaire à [Localité 11].

56. Ces constatations s'opposent à considérer que M. [C] pouvait se trouver dans un intervalle lucide à ce moment précis. De ce point de vue, Mme [F] n'apporte aucune preuve de ce que M. [C] avait retrouvé ses facultés mentales à ce moment exact où elle a conduit M. [C] chez maître [E], notaire, aux fins de signature de la donation litigieuse. Au contraire, l'état de M. [C] avait empiré à un point tel qu'en dépit des soins palliatifs mis en place à domicile, une nouvelle hospitalisation était programmée le jour même. Et c'est probablement l'urgence vitale de la situation qui a conduit Mme [F] non seulement à mettre en place une hospitalisation à domicile à compter du 15 juin 2018 mais encore à organiser pendant cette période entre deux séjours à l'hôpital une séance de signature notariée aux fins de donation de biens avant que les circonstances ne deviennent irrémédiablement compromises pour elle.

57. L'état de santé dans lequel s'est trouvé M. [C] le 27 juin 2018 a eu pour conséquence de priver l'acte juridique litigieux de l'un de ses éléments constitutifs, à savoir une volonté saine, libre et éclairée de son auteur M. [C] qui se trouvait hors d'état de vouloir et de comprendre la portée exacte de son engagement.

58. Cette insanité d'esprit résulte encore des témoignages versés aux débats :

- [T] [J] atteste le 5 octobre 2018 de ce qu'il connaissait [R] [C] depuis 30 ans, que la rencontre de celui-ci avec [Z] [F] l'a conduit à se renfermer, s'isoler, qu'il lui téléphonait en cachette, que pendant sa maladie, il était affaibli, avait du mal à finir ses phrases, était confus, qu'il n'aurait jamais déshérité ses enfants, qu'il était manipulé par [Z],

- [D] [B] atteste le 18 octobre 2018 de ce que le 23 juin 2018, M. [C] était très faible, qu'il tenait des propos confus et qu'il ne pouvait pas tenir une discussion, ne tenait pas non plus sur ses jambes et est allé se coucher, que son épouse avait été méchante et odieuse avec lui en lui reprochant son cancer, que le jour des obsèques, celle-ci n'avait pas suivi le convoi funéraire jusqu'au cimetière préférant rester 'rigoler' avec ses amies sur le parking de l'église, ce qui avait choqué tous les proches de M. [C],

- [X] [A] fait état le 16 octobre 2018 de ce qu'il avait pu constater lors de ses deux visites à l'hôpital que M. [C] était dans un grand état de faiblesse, de confusion mentale dans ses propos avec hallucinations visuelles, moments d'hébétude suivis de forte agitation gestuelle,

- [P] [H], cousine de M. [C], indique le 8 octobre 2018 qu'elle était allée rendre visite à son cousin [R] à son domicile le 26 juin 2018, qu'il était très amaigri, faible et confus dans ses propos, qu'il peinait réellement pour échanger lors de la conversation, qu'il souffrait beaucoup et ne pouvait plus s'alimenter, qu'elle avait également constaté de l'animosité le jour des obsèques et que son épouse était à l'église mais pas au cimetière.

59. Les échanges de SMS entre [Z] [F] et [K] [C] les 26 juin et 27 juin 2018 confirment le fait que Mme [F] était parfaitement informée de l'état de santé de M. [C] puisqu'elle écrit qu'il était en 'petite forme' et 'très petite forme' avec une 'nuit difficile' le 26 juin, et qu'il était 'pas mal agité', et 'bien barré' le 30 juin 2018.

60. Sous le bénéfice de ces observations, le jugement qui a rejeté la demande d'annulation de la donation litigieuse entre époux sera infirmé et l'annulation de la donation prononcée.

2) Sur les dépens et les frais irrépétibles

61. Succombant, Mme [F] supportera les dépens d'appel. Le jugement sera infirmé s'agissant des dépens de première instance, qui seront pareillement mis à sa charge.

62. Enfin, eu égard aux circonstances de l'affaire, il n'est pas inéquitable de condamner Mme [F] à payer à Mme [C] la somme de 3.000 € au titre des frais irrépétibles exposés par elle en première instance et en appel et qui ne sont pas compris dans les dépens.

63. Le jugement sera infirmé s'agissant des frais irrépétibles de première instance tandis que les demandes de Mme [F] de ce chef seront rejetées.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Infirme en toutes ses dispositions le jugement du tribunal judiciaire de Saint-Malo du 19 avril 2021,

Prononce l'annulation de l'acte authentique de donation entre les époux M. [R] [C], donateur, et Mme [Z] [F], donataire, reçu le 27 juin 2018 à [Localité 11] (22) par maître [E], notaire en ladite ville,

Condamne Mme [Z] [F] aux dépens de première instance et d'appel,

Condamne Mme [Z] [F] à payer à Mme [K] [C] la somme de 3.000 € au titre des frais irrépétibles,

Rejette le surplus des demandes.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21/03529
Date de la décision : 26/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 01/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-26;21.03529 ?
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