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12/03/2024 | FRANCE | N°23/04047

France | France, Cour d'appel de Rennes, 1ère chambre, 12 mars 2024, 23/04047


1ère Chambre





ARRÊT N°88



N° RG 23/04047

N° Portalis DBVL-V-B7H-T5DY













Mme [E] [U] divorcée [R]



C/



M. [C] [R]

S.A. GROUPE LAUNAY





















Copie exécutoire délivrée



le :



à :











RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 12 MARS 2024>




COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,

Assesseur : Monsieur Philippe BRICOGNE, Président de chambre,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,



GREFFIER :



Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé



DÉBATS ...

1ère Chambre

ARRÊT N°88

N° RG 23/04047

N° Portalis DBVL-V-B7H-T5DY

Mme [E] [U] divorcée [R]

C/

M. [C] [R]

S.A. GROUPE LAUNAY

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 12 MARS 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,

Assesseur : Monsieur Philippe BRICOGNE, Président de chambre,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 19 décembre 2023, tenue en double rapporteur sans opposition des parties, par M. Philippe Bricogne, président de chambre entendu en son rapport, et Mme Caroline Brissiaud, conseillère

ARRÊT :

réputé contradictoire, prononcé publiquement le 12 mars 2024 par mise à disposition au greffe après prorogation du délibéré annoncé au 20 février 2024 à l'issue des débats

****

APPELANTE :

Madame [E] [U] divorcée [R]

née le 20 Avril 1935 à [Localité 8] (29)

[Adresse 1]

[Localité 11]

Représentée par Me Eglantine PEILLER, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉS :

La société GROUPE LAUNAY SA immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Rennes sous le n°407.756.980, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 2]

[Localité 10]

Représentée par Me Aurélie GRENARD de la SELARL ARES, avocat au barreau de RENNES

Monsieur [C] [R]

né le 19 Mars 1935 à [Localité 7]

[Adresse 5]

[Localité 10]

Régulièrement assigné par acte d'huissier de justice délivré le 10 décembre 2021 à sa personne, n'a pas constitué

EXPOSÉ DU LITIGE

1. M. [C] [R] et Mme [E] [U] se sont mariés le 31 juillet 1957, sans contrat de mariage préalable. Aucun enfant n'est né de cette union.

2. Une ordonnance de non-conciliation a été rendue par le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Rennes le 29 novembre 2010, qui a notamment :

- attribué la jouissance du domicile familial, situé [Adresse 1], cadastré AO [Cadastre 3], et [Adresse 9], cadastré AO [Cadastre 4] à [Localité 11], à Mme [U] à titre gratuit,

- rejeté la demande de pension alimentaire au titre du devoir de secours formée par Mme [U],

- désigné Me [P] [G], notaire à [Localité 6], en application des dispositions de l'article 255 10° du code civil.

3. M. [R] a assigné Mme [U] en divorce pour altération définitive du lien conjugal par acte d'huissier du 27 octobre 2011.

4. Le retrait du rôle a été ordonné le 24 avril 2014 dans l'attente de l'établissement d'un projet notarié de liquidation du régime matrimonial.

5. Me [G] a établi le 23 novembre 2015 un projet de partage, prévoyant que Mme [U] renonce à solliciter l'attribution de la propriété de la maison de [Localité 11]. Selon le projet d'acte, cette maison devait rester indivise et était destinée à être vendue à un promoteur, pouvant être la SA Groupe Launay qui en avait proposé la somme de 650.000 € selon offre du 30 mars 2015, toujours en négociation quant à la durée du maintien dans les lieux de Mme [U].

6. Le rétablissement au rôle de l'instance en divorce a été demandé par M. [R] par conclusions du 15 décembre 2015.

7. Une offre d'achat émise par la SA Groupe Launay au prix de 650.000 € le 15 décembre 2015 et a été acceptée par M. [R] le 16 décembre 2015 et par Mme [U] le 17 décembre 2015.

8. Une promesse synallagmatique de vente a été conclue le 26 janvier 2016, par M. [R] et Mme [U], d'une part, et la SA Groupe Launay, d'autre part, au prix de 650.000 €, selon acte notarié reçu par Me [G].

9. L'acte stipulait plusieurs conditions suspensives générales et particulières, notamment une condition tenant à l'obtention d'un permis de construire purgé de tous recours.

10. Cette promesse synallagmatique prévoyait encore que la signature de l'acte de vente par acte authentique intervienne avant le 28 octobre 2017. Elle accordait cependant à Mme [U] la possibilité d'occuper l'immeuble à titre gratuit jusqu'au 26 juin 2019 au plus tard, la perte de jouissance en résultant pour l'acquéreur étant incluse dans le prix du bien.

11. Deux clauses pénales distinctes de 65.000 € étaient enfin stipulés :

- en cas de maintien de Mme [U] dans les lieux à la date du 26 juin 2019

- en cas de non-réitération de la vente par acte authentique par l'une des parties.

12. La SA Groupe Launay a déposé une demande de permis de construire le 23 mai 2017, accordée par le maire de [Localité 11] le 9 juin 2017, visant la construction de 59 logements collectifs et deux locaux pour les vélos. Un recours a été intenté contre ce permis de construire.

13. Par courrier du 27 mars 2018, Me [G] a adressé à chacun des vendeurs le projet d'acte authentique prévoyant la renonciation de l'acquéreur à la condition suspensive relative à l'obtention du permis de construire et de démolir purgé de tous recours, la signature définitive devant intervenir le 12 avril 2018.

14. Me [G] a établi le 12 avril 2018 un procès-verbal de carence, faisant état du refus de Mme [U] de signer l'acte de vente, ainsi que l'indiquait son avocate qui s'était présentée seule à l'étude.

15. Par jugement du 25 octobre 2018, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Rennes a débouté M. [R] de sa demande d'autorisation de poursuivre seul la vente du bien immobilier en application des dispositions de l'article 217 du code civil.

16. Après refus d'une assignation à jour fixe, la SA Groupe Launay a, par actes d'huissier des 4 et 11 décembre 2018, fait assigner M. [R] et Mme [U] devant le tribunal de grande instance de Rennes pour qu'il constate la perfection de la vente et condamne Mme [U] à signer l'acte authentique et à lui payer une indemnité de 65.000 € au titre de la clause pénale.

17. Le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Rennes a prononcé le divorce des époux [R]-[U] par jugement du 28 février 2019, alloué à Mme [U] une prestation compensatoire en capital de 65.000 € et rejeté sa demande tendant à se voir allouer l'usufruit du logement de [Localité 11]. Il a également ordonné la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux des époux et désigné Me [G] pour y procéder.

18. Par jugement du 29 mars 2019, le tribunal administratif de Rennes a rejeté le recours formé contre l'arrêté du maire de [Localité 11] accordant le permis de construire à la SA Groupe Launay.

19. Par ordonnance du 25 octobre 2019, le juge des référés du tribunal de grande instance de Rennes a débouté M. [R] de sa demande aux fins d'autorisation de signer seul l'acte de vente du bien indivis en application des dispositions de l'article 815-6 du code civil.

20. Par jugement du 23 juin 2020, le tribunal judiciaire de Rennes, saisi de la demande de la SA Groupe Launay tendant à voir constater le caractère parfait de la vente, objet de l'instance, a :

- ordonné la révocation de l'ordonnance de clôture et la réouverture des débats,

- invité les parties à formuler toutes observations sur la question de savoir si la signature de l'acte authentique a été érigée en modalité d'exécution de la vente ou en condition de sa formation et donc de sa validité, et à en tirer, au besoin, toutes conséquences de droit, notamment quant à la formulation de leurs demandes,

- renvoyé le dossier à la mise en état,

- sursis à statuer sur les demandes.

21. Par jugement du 17 août 2021, le tribunal a :

- dit n'y avoir lieu à vérifier la signature de Mme [U] sur la promesse de vente produite en pièce n° 9 par la SA Groupe Launay,

- constaté à la date du 12 avril 2018 la perfection de la vente intervenue entre M. [R] et Mme [U], vendeurs, et la SA Groupe Launay, acquéreur, portant sur le bien en cause au prix de 650.000 €,

- enjoint à Mme [U] de signer l'acte authentique de vente correspondant au projet communiqué par la SA Groupe Launay en pièce n° 4 sous astreinte provisoire de 300 € par jour de retard durant deux mois, à l'expiration d'un délai de deux mois courant à compter de la signification du jugement,

- dit qu'à défaut de signature de l'acte authentique passé le délai d'astreinte de deux mois, le jugement vaudra vente et sera publié à cette fin au service de la publicité foncière par la partie la plus diligente,

- condamné Mme [U] à verser à la SA Groupe Launay la somme de 65.000 € en application des deux clauses pénales stipulées à l'acte de vente,

- dit sans objet la demande reconventionnelle de garantie de M. [R],

- rejeté la demande de délai pour quitter les lieux formulée par Mme [U],

- condamné Mme [U] à supporter les dépens de l'instance qui comprennent le coût de publication du jugement au service de la publicité foncière,

- condamné Mme [U] à verser à la SA Groupe Launay la somme de 5.000 € et à M. [R] la somme de 3.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire,

- rejeté toute autre demande.

22. Le tribunal a en effet :

- interprété la clause litigieuse figurant en page 23 du compromis, qui mentionne que les parties retardent la formation du contrat de vente à la signature de l'acte authentique de vente, en ce sens que la signature de l'acte authentique ne constitue pas une condition de la vente mais une simple modalité d'exécution retardant le transfert de propriété, la vente étant parfaite sous réserve de la réalisation des conditions suspensives,

- constaté que la vente était parfaite au 12 avril 2018, l'acquéreur ayant manifesté auprès du notaire sa volonté de renoncer à la condition suspensive relative à l'obtention d'un permis purgé de tout recours, renonciation portée à l'acte définitif qui aurait dû être signé à cette date,

- considéré que le cumul des clauses pénales relatives au maintien dans les lieux et à l'absence de signature de l'acte authentique conduirait à allouer à la SA Groupe Launay une indemnité manifestement excessive, représentant 20 % du prix de vente, alors que ces deux clauses indemnisent en définitive le même préjudice qui réside dans l'impossibilité pour l'acquéreur de jouir de la propriété du bien et d'engager les travaux à la date prévue, ce qui l'a conduit à réduire le montant cumulé des deux clauses à 65.000 €, soit 10 % du prix.

23. Par déclaration au greffe de la cour d'appel de Rennes du 7 septembre 2021, Mme [U] a interjeté appel de cette décision.

24. L'affaire a fait l'objet d'une radiation par ordonnance du conseiller de la mise en état du 21 mars 2022 avant d'être réinscrite le 5 juillet 2023 à la demande de Mme [U].

* * * * *

25. Dans ses dernières conclusions régulièrement notifiées déposées au greffe via RPVA le 20 novembre 2023, Mme [U] demande à la cour de :

- infirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- statuant à nouveau,

- dire que la signature de l'acte authentique est une condition suspensive de la vente stipulée par les parties et qu'à défaut de sa signature, la vente est imparfaite,

- dire que le transfert de propriété a été stipulé par les parties comme intervenant lors de la signature de l'acte authentique,

- débouter la SA Groupe Launay de sa demande tendant à sa condamnation à signer l'acte établi par Me [G], notaire à [Localité 6] et ce, dans le délai de huit jours à compter de la signification du jugement et, passé ce délai, sous astreinte de 1.000 € par jour de retard,

- débouter la SA Groupe Launay de sa demande consistant à ce qu'à défaut pour elle, à l'issue d'un délai d'un mois à compter du prononcé du jugement, de signer l'acte authentique, le jugement vaudra vente et sera publié à ses frais à la conservation des hypothèques,

- à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où il serait fait droit aux demandes de la SA Groupe Launay,

- lui accorder un délai de 12 mois à compter de la notification du jugement à intervenir pour quitter les lieux, sans astreinte,

- en tout état de cause,

- dire que les clauses pénales prévues en page 5 et 23 ne peuvent se cumuler,

- débouter la SA Groupe Launay de sa demande de condamnation à lui verser la somme de 130.000 € au titre des clauses pénales,

- à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où il serait fait droit à la demande de la SA Groupe Launay au titre de la clause pénale et de l'engagement de quitter les lieux, - dire que cette condamnation sera ramenée à de plus justes proportions et diligentée à son encontre et à l'encontre de M. [R],

- dire que M. [R] devra la garantir des sommes auxquelles elle serait condamnée,

- débouter la SA Groupe Launay de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouter la SA Groupe Launay de toutes ses demandes, fins, conclusions contraires,

- condamner la SA Groupe Launay à lui payer la somme de 6.000 € au titre des frais irrépétibles, ainsi qu'aux entiers dépens, en première instance et en cause d'appel.

26. À l'appui de ses prétentions, Mme [U] fait en effet valoir :

- que son âge et ses soucis de santé ne lui permettent pas de quitter une maison qui constituait le domicile familial,

- qu'elle n'a pas signé le compromis en toute connaissance de cause mais sous la pression de son époux et du promoteur, n'ayant bénéficié d'aucun délai de réflexion et ayant compris qu'elle disposait d'un recours tant que l'acte authentique n'était pas signé,

- qu'elle n'a jamais signé l'offre d'acquisition en date des 15 et 16 décembre 2015 produite par la SA Groupe Launay,

- qu'elle pouvait légitimement penser que le permis de construire serait invalidé et qu'en conséquence la vente de son bien serait annulée, d'où son absence au rendez-vous fixé par le notaire alors que le tribunal administratif ne s'était pas encore prononcé,

- que la modification du PLU implique une possibilité de construction bien plus importante, élément non connu d'elle au moment du compromis,

- que la signature de l'acte authentique avait été érigée par les parties, et au moins par elle, comme une condition de formation du contrat de vente, le compromis contenant à tout le moins une ambiguïté qui conduit d'ailleurs la SA Groupe Launay elle-même à former une demande subsidiaire,

- que le droit de préemption de [Localité 10] Métropole devra être à nouveau purgé,

- que le prix convenu apparaît maintenant dérisoire, voire lésionnaire,

- que son extrême fragilité la conduit à demander un délai pour quitter les lieux,

- que les clauses pénales, qui ont le même objet, ne sauraient se cumuler et sont excessives au regard d'un préjudice dont la SA Groupe Launay peine à justifier.

* * * * *

27. Dans ses dernières conclusions régulièrement notifiées déposées au greffe via RPVA le 17 novembre 2023, la SA Groupe Launay demande à la cour de :

- à titre principal,

- confirmer le jugement,

- y additant,

- condamner Mme [U] au paiement de la somme de 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens devant la cour,

- subsidiairement,

- condamner Mme [U] au paiement de la somme de 130.000 €,

- condamner Mme [U] aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'au versement d'une indemnité de 11.000 € au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et devant la cour,

- dans tous les cas,

- débouter Mme [U] de toutes ses demandes, fins et conclusions.

28. À l'appui de ses prétentions, la SA Groupe Launay fait en effet valoir :

- que le compromis a été rédigé par le notaire des époux [R], hors de toute pression, une jouissance à titre gratuit ayant été accordée à Mme [U] jusqu'en juin 2019 pour tenir compte du contexte de séparation,

- que l'intention des parties était indiscutablement de conclure une promesse synallagmatique, même si le transfert de propriété était reporté au jour de la signature de l'acte authentique, ce moyen ayant d'ailleurs été uniquement soulevé par le tribunal,

- que Mme [U], qui avait 81 ans lors du compromis et avait déjà précédemment accepté une offre d'achat des 15 et 16 décembre 2015 qu'elle persiste vainement à qualifier de faux, était en possession de ses facultés intellectuelles,

- que Mme [U] était accompagnée de son avocat lors de la signature du compromis,

- qu'elle a renoncé à la clause suspensive relative à l'obtention du permis de construire, de sorte qu'il est inutile d'évoquer le contentieux administratif,

- que le droit de préemption de [Localité 10] Métropole a déjà été purgé, l'éventuelle nullité ne pouvant en toute hypothèse être opposée que par le titulaire de ce droit,

- que les conditions de la rescision pour lésion ne sont pas réunies,

- que Mme [U] ne saurait obtenir un nouveau délai pour quitter les lieux,

- que l'application d'une clause pénale se fait sans démonstration d'un préjudice, son projet d'aménagement étant en toute hypothèse gelé depuis avril 2018.

* * * * *

29. M. [R], à qui la déclaration d'appel et les conclusions de l'appelante ont été signifiées à personne le 10 décembre 2021, n'a pas constitué avocat.

30. L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 novembre 2023.

31. Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées figurant au dossier de la procédure.

MOTIFS DE LA DÉCISION

32. À titre liminaire, l'avocate de Mme [U] a fait savoir, le 26 janvier 2024, que sa cliente était décédée le 23 décembre 2023 et remis à cette fin un acte de décès.

33. L'article 370 du code de procédure civile dispose en son 1er alinéa que, 'à compter de la notification qui en est faite à l'autre partie, l'instance est interrompue par le décès d'une partie dans les cas où l'action est transmissible'.

34. L'article 371 prévoit que, 'en aucun cas l'instance n'est interrompue si l'événement survient ou est notifié après l'ouverture des débats'.

35. En l'espèce, le décès de Mme [U] est intervenu postérieurement aux débats qui se sont tenus le 19 décembre 2023, de sorte que son action, en ce qu'elle tend à contester la perfection de la vente de son bien situé [Adresse 1], cadastré AO [Cadastre 3], et [Adresse 9], cadastré AO [Cadastre 4] à [Localité 11], conclue le 26 janvier 2016 avec la SA Groupe Launay et à voir débouter cette dernière de ses demandes, laquelle est transmissible, ne se trouve pas interrompue par l'effet du décès.

Sur la vente

36. L'article 1156 du code civil, dans sa version applicable au litige (la convention litigieuse du 26 janvier 2016 ayant été passée avant l'entrée en vigueur au 1er octobre 2016 de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016), dispose en son 1er alinéa qu''on doit dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes'.

37. L'article 1157 prévoit que, 'lorsqu'une clause est susceptible de deux sens, on doit plutôt l'entendre dans celui avec lequel elle peut avoir quelque effet, que dans le sens avec lequel elle n'en pourrait produire aucun'.

38. Aux termes de l'article 1158, 'les termes susceptibles de deux sens doivent être pris dans le sens qui convient le plus à la matière du contrat'.

39. L'article 1159 précise enfin que 'ce qui est ambigu s'interprète par ce qui est d'usage dans le pays où le contrat est passé'.

40. En l'espèce, le compromis de vente du 26 janvier 2016 contient page 23 une clause nommée 'régularisation' aux termes de laquelle 'le présent avant-contrat lie définitivement les parties sous réserve de la réalisation des conditions suspensives énoncées aux présentes.

Toutefois, les parties retardent la formation du contrat de vente à la signature de l'acte authentique de vente qui sera reçu par Me [P] [G] (...) au plus tard le 26 octobre 2017 (...).

Dans le cas où les conditions suspensives indiquées ci-dessus ne seraient pas réalisées à la date du 26 septembre 2017, à l'exception de celle relative au permis de construire en cas de recours, pour laquelle les présentes seront prorogées automatiquement, les présentes resteraient en vigueur, mais le vendeur aurait toutefois la possibilité de mettre l'acquéreur en demeure de prendre une décision, soit l'achat sans réserve aux conditions ci-dessus, soit le désistement pur et simple'.

41. Ainsi que l'a justement apprécié le tribunal, si cette clause est de nature à établir que la volonté des parties était uniquement de retarder la formation de la vente au-delà du transfert de la propriété, à la signature de l'acte authentique, cette signature ne constitue pas, en soi, une condition de la vente.

42. Des conditions suspensives ont été spécialement émises, à l'exclusion de la signature de l'acte authentique :

- en page 2, sous le titre 'promesse synallagmatique de vente sous condition suspensive' : 'le vendeur vend, en s'obligeant, sous toutes les garanties ordinaires de fait et de droit, mais sous les conditions suspensives ci-après stipulées, à l'acquéreur qui accepte, le bien ci-après désigné'

- en page 3, sous le titre 'propriété - jouissance - transfert de propriété' : 'sous réserve de la réalisation des conditions suspensives énoncées aux présentes, le transfert de propriété n 'aura lieu qu'à compter du jour de la réalisation de l'acte authentique, soit au plus tard le 26 octobre 2017'

- en page 16 : 'la présente convention est conclue sous la condition suspensive de l'obtention par l'acquéreur au plus tard le 26 septembre 2017 d'un ou plusieurs permis de construire et d'un permis de démolir, ces permis devant être exprès et définitifs et autorisant la réalisation sur le bien vendu du programme ci-après décrit'.

43. La signature de l'acte authentique ne constitue donc qu'une modalité de la vente permettant de constater la réalisation de ces conditions suspensives.

44. La SA Groupe Launay ayant manifesté auprès du notaire sa volonté de renoncer à la condition suspensive relative à l'obtention d'un permis purgé de tout recours, stipulation faite en sa seule faveur, de sorte que les considérations développées sur ce sujet par Mme [U] sont inopérantes, renonciation portée à l'acte définitif qui aurait dû être signé le 12 avril 2018, il convient de constater que la vente était parfaite à cette date.

45. Pour le surplus, c'est vainement et sans aucune preuve que Mme [U] fait état des pressions qu'elle aurait subies tant de la part de son époux que de la SA Groupe Launay pour la contraindre à signer, sans d'ailleurs en tirer les conséquences juridiques appropriées puisqu'elle n'entend pas solliciter la nullité de la vente, étant observé que l'appelante était accompagnée de son avocate lors de la signature du compromis de vente du 26 janvier 2016 (attestation de Me [G] du 8 novembre 2018). Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de la lésion, qui ne débouche sur aucune prétention juridiquement appropriée, est tout aussi inopérant.

46. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a :

- constaté à la date du 12 avril 2018 la perfection de la vente intervenue entre M. [R] et Mme [U], vendeurs, et la SA Groupe Launay, acquéreur, portant sur le bien en cause au prix de 650.000 €,

- enjoint à Mme [U] de signer l'acte authentique de vente correspondant au projet communiqué par la SA Groupe Launay en pièce n° 4 sous astreinte provisoire de 300 € par jour de retard durant deux mois, à l'expiration d'un délai de deux mois courant à compter de la signification du jugement,

- dit qu'à défaut de signature de l'acte authentique passé le délai d'astreinte de deux mois, le jugement vaudra vente et sera publié à cette fin au service de la publicité foncière par la partie la plus diligente.

Sur la clause pénale

47. L'article 1152 du code civil, dans sa version applicable au litige, dispose que, 'lorsque la convention porte que celui qui manquera de l'exécuter payera une certaine somme à titre de dommages-intérêts, il ne peut être alloué à l'autre partie une somme plus forte, ni moindre.

Néanmoins, le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la peine qui avait été convenue, si elle est manifestement excessive ou dérisoire. Toute stipulation contraire sera réputée non écrite'.

48. En l'espèce, le compromis de vente conclu le 26 janvier 2016 est ainsi rédigé :

- en page 5 : 'passé la date du 26 juin 2019, si la prise de possession n'intervenait pas, le vendeur serait redevable envers l'acquéreur d'une astreinte forfaitaire de 65.000 € pour inexécution de l'obligation contractuelle de mettre à la date promise le bien vendu à la disposition de l'acquéreur, sans que cette clause vaille novation de droit ou prorogation de délai et sans préjudice du droit de l'acquéreur de poursuivre la libération des lieux. Cette indemnité est stipulée non réductible, même en cas de libération partielle du bien, sous réserve des dispositions de l'article 1152 du code civil'

- en page 22, sous le titre 'clause pénale' : 'si l'une des parties ne veut ou ne peut réitérer la vente par acte authentique, bien que les conditions suspensives soient réalisées, elle sera redevable envers l'autre, à titre de clause pénale, d'une indemnité d'ores et déjà fixée à 65.000 € sans préjudice pour la partie non défaillante de poursuivre la réalisation de la vente'.

49. La SA Groupe Launay ne chiffre pas le préjudice résultant du retard pris par les travaux de démolition et de construction qu'elle aurait dû réaliser sur la parcelle acquise, se contentant d'affirmer qu'il est plus élevé que le cumul des deux clauses pénales.

50. Elle aurait toutefois disposé, à compter du rejet par le tribunal administratif du recours intenté contre son permis de construire, de la possibilité de débuter ses travaux et le retard pris par un chantier de cette ampleur est nécessairement source d'un important préjudice. Une partie des fonds est d'ailleurs séquestrée chez le notaire depuis la signature de la promesse.

51. Mais le cumul des clauses pénales relatives au maintien dans les lieux et à l'absence de signature de l'acte authentique conduirait à allouer à la SA Groupe Launay une indemnité manifestement excessive, représentant 20 % du prix de vente, alors que ces deux clauses indemnisent en définitive le même préjudice qui réside dans l'impossibilité pour l'acquéreur de jouir de la propriété du bien et d'engager les travaux à la date prévue.

52. D'ailleurs, la SA Groupe Launay solicite la confirmation du jugement à titre principal, en ce compris le chef relatif à la clause pénale, sa demande n'étant portée à 130.000 € qu'à titre subsidiaire.

53. Dans ces conditions, il y aura lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a réduit le montant cumulé des deux clauses à 65.000 € et condamné Mme [U] à verser cette somme à la SA Groupe Launay.

Sur les demandes formées à l'encontre de M. [R]

54. L'article 1482 du code civil dispose que 'chacun des époux peut être poursuivi pour la totalité des dettes existantes, au jour de la dissolution, qui étaient entrées en communauté de son chef'.

55. L'article 1483 édicte en son 1er alinéa que 'chacun des époux ne peut être poursuivi que pour la moitié des dettes qui étaient entrées en communauté du chef de son conjoint'.

56. En l'espèce, les époux [R]-[U] sont divorcés suivant jugement du 28 février 2019, c'est-à-dire postérieurement au compromis de vente conclu le 26 janvier 2016, de sorte que la clause pénale y stipulée est entrée dans la communauté. Toutefois, le refus injustifié de Mme [U] de donner suite à ses engagements, constaté par Me [G] le 12 avril 2018, également antérieur au divorce, a créé une dette de son chef.

57. Le tribunal a rejeté la demande de Mme [U] tendant à ce que cette condamnation soit également supportée par M. [R], dès lors 'qu'elle ne pouvait se substituer à la SA Groupe Launay pour former une telle demande'.

58. Cette demande est reprise en cause d'appel et le jugement ne peut qu'être approuvé sur ce point, par adoption de motif.

59. Par ailleurs, la demande de garantie a été rejetée au motif que 'la condamnation ci-dessus, qui ne concerne que Mme [U], ne pourra s'exécuter qu'à hauteur des droits qu'elle détient sur l'immeuble indivis ou son prix de vente. La demande de garantie de M. [R] est donc sans objet'. Ce faisant, la tribunal n'a pas clairement répondu à la demande de Mme [U].

60. M. [R] était présent le 12 avril 2018 devant le notaire qui a constaté l'absence de Mme [U] et il a, en cette occasion, réitéré sa volonté de vendre le bien en cause à la SA Groupe Launay.

61. Par jugement du 25 octobre 2018, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Rennes a débouté M. [R] de sa demande d'autorisation de poursuivre seul la vente du bien immobilier en application des dispositions de l'article 217 du code civil.

62. En première instance, M. [R] sollicitait du tribunal qu'il déboute Mme [U] de sa demande de garantie, considérant que c'est uniquement du fait de cette dernière que la vente n'a pas été conclue.

63. Si les dispositions précitées autorisaient la SA Groupe Launay à poursuivre indifféremment M. [R] ou Mme [U] relativement à l'inexécution du compromis de vente qu'ils ont signé, elles ne permettent pas à Mme [U] d'obtenir de son époux, en l'absence de toute responsabilité de sa part dans l'échec de la vente, une quelconque garantie.

64. Ce chef du jugement sera donc confirmé par substitution de motif.

Sur les délais pour quitter les lieux

65. L'article 384 du code de procédure civile dispose en son 1er alinéa que, 'en dehors des cas où cet effet résulte du jugement, l'instance s'éteint accessoirement à l'action par l'effet de la transaction, de l'acquiescement, du désistement d'action ou, dans les actions non transmissibles, par le décès d'une partie'.

66. En l'espèce, l'action de Mme [U] qui est décédée après les débats, en ce qu'elle tendait à lui voir accorder un délai de 12 mois pour quitter les lieux, non transmissible, est nécessairement éteinte du fait du décès de l'intéressée.

Sur les dépens

67. Mme [U], partie perdante, sera condamnée aux dépens d'appel.

Sur l'article 700 du code de procédure civile

68. L'équité commande de faire bénéficier la SA Groupe Launay des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de 3.000 €.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, en matière civile et en dernier ressort, par arrêt réputé contradictoire mis à disposition au greffe conformément à l'article 451 alinéa 2 du code de procédure civile,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Constate que l'action de Mme [U] tendant à lui voir accorder un délai de 12 mois pour quitter les lieux est éteinte,

Condamne Mme [E] [U] aux dépens d'appel,

Condamne Mme [E] [U] à payer à la SA Groupe Launay la somme de 3.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23/04047
Date de la décision : 12/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-12;23.04047 ?
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