7ème Ch Prud'homale
ARRÊT N°56/2024
N° RG 21/00893 - N° Portalis DBVL-V-B7F-RKWJ
M. [U] [K]
C/
Société CITYZEN
Copie exécutoire délivrée
le : 07/03/2024
à :
Me COLLEU
Me PASQUET
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 07 MARS 2024
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,
Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,
Assesseur : Monsieur Bruno GUINET, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 18 Décembre 2023
En présence de Monsieur [B] [Z], médiateur judiciaire
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 07 Mars 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANT :
Monsieur [U] [K]
né le 10 Février 1985 à [Localité 7]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Marie-Noëlle COLLEU, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉE :
Société CITYZEN
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentée par Me Luc PASQUET de la SELARL CONSILIUM ATLANTIQUE AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de LORIENT
Représentée par Me ROUXEL, Plaidant, avocat au barreau d'ANGERS
EXPOSÉ DU LITIGE
La SAS Cityzen propose aux structures d'aides et services à la personne des outils et logiciels visant la simplification et l'optimisation de leur organisation quotidienne. Elle applique la convention collective de la fédération Syntec.
Le 11 juin 2018, M. [U] [K] a été embauché en qualité de chef de produit « Ménestrel » / Développeur, en contrat à durée indéterminée par la SAS Cityzen, moyennant le versement d'une rémunération brute de base de 2.500 € avec une période d'essai de deux mois prenant fin le 10 août 2018, le cas échéant renouvelable une fois pour un mois et après accord écrit du salarié. Il a été affecté au pôle « Développement de solutions métiers » sur le site de [Localité 8] (22).
Lors de son entretien de période d essai, le 30 juillet 2018, M. [K] a indiqué à son employeur être victime de harcèlement moral de la part d'un de ses collègues, M. [C] [F].
Du 31 juillet au 5 août 2018, il a été placé en arrêt de travail.
Par lettre recommandée en date du 31 juillet 2018, la SAS Cityzen a notifié à M. [K] la rupture de sa période d'essai et sa dispense d'activité jusqu à la date de fin de cette période d essai, le 10 août.
Par courrier du 3 août 2018, M. [K] a contesté cette rupture et a sollicité sa réintégration.
Par courrier du 6 août 2018, la SAS Cityzen a maintenu sa décision en ces termes « Nous vous confirmons comme la loi nous y autorise, la décision prise de rompre votre période d'essai et nous n'entendons pas remettre en question cette décision. En tout état de cause, les motifs ayant entraîné cette décision n'ont absolument aucun lien avec les faits répréhensibles pénalement que vous alléguez et que nos investigations internes ne nous ont pas permis de corroborer par des éléments matériels probants.»
***
Contestant la rupture de sa période d'essai, M. [K] a saisi le conseil de prud hommes de Dinan le 31 juillet 2019 et a formulé les demandes suivantes:
- Dire et juger que les demandes de Monsieur [U] [K] sont recevables
- Dire et juger que Monsieur [U] [K] a subi une rupture abusive de sa période d'essai pour un motif étranger à ses qualités professionnelles
En conséquence,
- Dommages et intérêts pour rupture abusive de la période d'essai : 7 500 euros
- Dommages et intérêts pour préjudice moral : 5 000 euros
- Dépens
La SAS Cityzen a demandé au conseil de prud'hommes de :
- Débouter Monsieur [U] [K] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions
- Article 700 du code de procédure civile : 2 000 euros
Par jugement en date du 12 octobre 2020, le conseil de prud'hommes de Dinan a :
- Débouté Monsieur [U] [K] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
- Condamné Monsieur [U] [K] à payer à la SAS Cityzen la somme de 50 euros (cinquante euros) au titre de l article 700 du code de procédure civile.
- Condamné Monsieur [U] [K] aux entiers dépens, y compris les frais d exécution.
La motivation du CPH tient en une phrase : Le Conseil dit et juge que la rupture de la période d'essai est à la discrétion de l'employeur ou du salarié et qu'en l'espèce l'employeur a rempli ses obligations en matière de rupture de la période d'essai.
***
M. [K] a interjeté appel de la décision précitée par déclaration au greffe en date du 8 février 2021.
En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 20 novembre 2023, M. [K] demande à la cour de :
- Infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Dinan en ce qu'il a débouté M. [U] [K] de l'ensemble de ses demandes,
Et, statuant à nouveau,
- Dire que, motivée en réalité en réaction à la dénonciation le 30 juillet 2018 de faits de harcèlement, la rupture d'essai prononcée par Cityzen est abusive,
En tout état de cause,
- Juger la rupture de la période d'essai abusive
- Condamner la SASU Cityzen, prise en la personne de son représentant légal, à payer à M. [U] [K] :
- Indemnité pour rupture abusive : 7 500 euros,
- Préjudice moral : 5 000 euros,
- Indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile en 1ère instance: 1 000 euros,
- Indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de Cour: 2 500 euros,
- Condamner la Sasu Cityzen aux entiers dépens.
En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 30 juillet 2021, la SAS Cityzen demande à la cour d'appel de :
- Confirmer la décision dont appel sauf en ce qu elle a condamné Monsieur [U] [K] à verser à la société Cityzen la somme de 50 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner Monsieur [U] [K] pour abus de droit à verser la somme de 500 euros à la société Cityzen;
- Condamner Monsieur [U] [K] à verser à la SASU Cityzen la somme de
2 000 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance et celle de 2 500 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel ;
- Condamner Monsieur [U] [K] aux entiers dépens.
***
La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du conseiller de la mise en état le 28 novembre 2023 avec fixation de la présente affaire à l'audience du 18 décembre 2023.
Conformément aux dispositions de l article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour l exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs dernières conclusions régulièrement signifiées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
M. [K] fait valoir que :
- La période d'essai a pour seul objet d'évaluer les compétences du salarié ; or, les circonstances de la rupture démontrent qu'elle est une réponse, en violation des dispositions de l'article L 1152-2 du code du travail, à la dénonciation par lui le 31 juillet 2018, de faits constitutifs de harcèlement commis par [F] à son encontre;
- Aucun fait antérieur au 31 juillet 2018 et relatif aux compétences professionnelles de M. [K], n'atteste d'une insatisfaction de l'employeur ; ainsi, dans un courriel du 13 juillet, M. [A] envisageait la participation de M. [K] à la formation client, c'est-à-dire une extension de compétence par rapport à sa fiche de poste ; de même, dans un courriel du 25 juillet 2018, M. [R], annonce le rôle d'[U] pour les mois qui viennent, planifiant des travaux jusqu'au mois de septembre 2018 ; ce courriel contredit l'attestation du 9 septembre 2019 de M. [R] produite aux débats et son affirmation selon laquelle la décision de rupture devait être annoncée le 30 juillet, soit seulement 5 jours plus tard ' d'ailleurs, si l'entretien du 30 juillet 2018 avait pour objet de notifier la rupture de la période d'essai, la société Cityzen n'explique pas pour quelles raisons M. [R] n'a pas notifié verbalement à M. [K] cette rupture lors de cette réunion ; il en découle que l'employeur doit justifier de la réalité et du sérieux de faits survenus entre le 25 et le 30 juillet traduisant une insuffisance professionnelle ou une difficulté relationnelle; or les trois exemples de difficultés relationnelles de M. [K], cités par M. [R] dans son attestation ne sont pas datés et ne revêtent aucun caractère de gravité ;
-A partir du moment où il avait dénoncé des faits de harcèlement moral, il devait bénéficier de la protection prévue par l'article L1121-2 du code du travail qui prévoit qu'aucune personne ne peut être écarter d'une mesure de recrutement en raison de la divulgation de faits de harcèlement moral ; ainsi, la société Cityzen, qui indique avoir procédé à une enquête suite aux faits qu'il a dénoncés, aurait dû suspendre sa décision quant à la poursuite du contrat de travail, en attendant la fin de l'enquête ; enquête qui a été bâclée dès lors qu'informée selon le 30 juillet 2018 des faits de harcèlement moral, elle a posté la lettre de rupture le lendemain sans entendre d'autres personnes que M. [F] ;
-Il est donc bien fondé à obtenir la condamnation de la société Cityzen à réparer son préjudice moral découlant du harcèlement dont il a été l'objet et des conditions brutales de cette rupture, et à réclamer la somme de 7.500 € à titre de dommages et intérêts pour perte de chance d'être intégré définitivement dans la société et 5.000 € pour le préjudice moral subi car il n'a retrouvé que des emplois temporaires moins rémunérés et qu'il a vu son état de santé se dégrader en l'espace de quelques semaines, occasionnant un arrêt de travail de 5 jours.
La société Cityzen, intimée, réplique que :
-M. [K] n'a jamais signalé de faits de harcèlement avant le 31 juillet 2018, alors qu'il en aurait eu l'occasion, lors d'entretiens, tant avec M. [R] les 19 et 25 juillet 2018, qu'avec Mme [G] les 16 et 27 juillet 2018 ou qu'avec Mme [H] ou M. [A] les 10 et 13 juillet ;
-M. [K] n'a jamais manifesté d'enthousiasme à travailler en groupe, ne prenait pas d'initiative, était en sous-charge de travail et manquait d'autonomie si bien qu'il devait être « drivé » continûment ; la rupture, exempte de toute légèreté blâmable, s'est fondée sur une appréciation des aptitudes du salarié à tenir son emploi, en l'occurrence leur inadéquation au poste, au terme d'une période suffisamment longue ;
-S'agissant du harcèlement moral, M. [K] se contente de déclarations péremptoires, non étayées par des éléments factuels datés et/ou par des attestations de témoins ; il apparaît seulement que M. [K] n'a pas apprécié d'avoir été repris par M. [F] (14 ans d'ancienneté et à qui aucun fait de harcèlement moral n'a jamais été reproché) lorsque celui-ci a voulu recueillir les explications de son collègue à propos de l'ouverture des droits d'administrateur sur les accès progiciel ; M. [K] fait seulement état de commentaires personnels sur des échanges qui se seraient déroulés avec M. [F] ; c'est parce qu'il pressentait qu'il ne serait pas embauché que M. [K] a monté de toutes pièces un dossier de harcèlement moral ; l'arrêt de travail qu'il produit ne mentionne aucun rapport entre la pathologie du salarié et l'emploi qu'il occupait ; en tout état de cause, en effectuant une enquête administrative, la société Cityzen a mis en 'uvre
l'action de prévention visée aux articles L4121-1 et 2 du code du travail.
Sur l'application des dispositions des articles L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail à la rupture de la période d'essai :
D'une part, selon l'article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés. L'article L1152-3 du même code précise que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.
D'autre part, en application de l'article L.1231-1 du code du travail, les dispositions relatives au licenciement personnel prévues par le titre III du livre II ne sont pas applicables à la rupture du contrat pendant la période d'essai, qui peut donc survenir à l'initiative de l'employeur, sans formalisme particulier. Cependant, les dispositions relatives à l'interdiction des discriminations sont applicables, quant à
elles, pendant la période d'essai, de même que celles relatives à l'interdiction faite à l'employeur de tout agissement de harcèlement moral.
En effet, la liberté de la rupture en période d'essai n'existe que lorsqu'elle est justifiée par la finalité de l'essai à savoir l'insuffisance professionnelle du salarié quand la rupture est décidée par l'employeur. La rupture pour un motif étranger à l'essai, notamment la dénonciation par le salarié d'agissements de harcèlement moral, ne peut donc pas bénéficier du régime particulier de la période d'essai.
Il en résulte que M. [K] est fondé à invoquer l'application des articles L. 1152-1 et L. 1152-2 au soutien de sa demande tendant à voir déclarer abusive la rupture de sa période d'essai.
Sur la rupture de la période d'essai :
Ainsi qu'il a été rappelé précédemment, le salarié, au seul visa des articles L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail indique que l'employeur a rompu de manière abusive la période d'essai en raison de sa dénonciation de faits de harcèlement moral, ce que conteste l'employeur qui impute la rupture de la période d'essai à une inadéquation entre la réalité du poste du salarié (de la salariée) et les attentes de celui-ci (celle-ci).
D'abord, il est constant que le salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, peu important qu'il n'ait pas qualifié lesdits faits de harcèlement moral lors de leur dénonciation, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu'il dénonce (Soc., 19 avril 2023, pourvoi nº 21-21.053).
Ensuite, l'article L.1221-20 du code du travail prévoit que la période d'essai permet à l'employeur d'évaluer les compétences du salarié dans son travail, notamment au regard de son expérience, et au salarié d'apprécier si les fonctions occupées lui conviennent (confirmée '').
La décision de l'employeur s'agissant de la rupture de la période d'essai a un caractère discrétionnaire.
Cependant, la liberté de la rupture de la période d'essai vaut pour autant que celle-ci n'ait pas été détournée de sa finalité. La sanction est alors celle de l'abus de droit. La preuve de l'abus de droit incombe au salarié.
Il y a abus de droit lorsque les véritables motifs de la rupture sont sans relation avec l'aptitude professionnelle ou personnelle du salarié à assumer ses fonctions, ou lorsque la rupture est mise en oeuvre dans des conditions qui révèlent une intention de nuire et/ou une légèreté blâmable, ce qui conduit à examiner non pas seulement le motif de la rupture, mais également les circonstances entourant cette rupture.
Lorsque la lettre de licenciement (ici la lettre de rupture de la période d'essai) mentionne expressément la dénonciation récente d'agissements de harcèlement par le salarié, la rupture est nulle de plein droit (cette nullité exonère ainsi les juges d'examiner les autres griefs reprochés au salarié licencié suivant la théorie du « motif contaminant »), sauf pour l'employeur à démontrer la mauvaise foi du salarié, c'est-à-dire sa connaissance, au moment de sa dénonciation, de la
fausseté des faits qu'il énonce, ou à établir que la dénonciation mentionnée dans la lettre de rupture ne l'a été qu'à titre d'éléments de contexte (en ce sens, Cass. soc., 4 oct. 2023, n° 22-12.387).
Dans le cas où la lettre de licenciement passe sous silence, la dénonciation par le salarié de faits de harcèlement moral (ou sexuel), la nullité perd son automaticité:
' soit les faits invoqués dans la lettre de licenciement caractérisent une cause réelle et sérieuse de licenciement, et, dans ce cas, il appartient au salarié de démontrer que la rupture de son contrat de travail constitue une mesure de rétorsion à une plainte pour harcèlement moral ou sexuel
' soit les faits invoqués dans la lettre de licenciement ne caractérisent pas une cause réelle et sérieuse de licenciement et, dans ce cas, il appartient l'employeur de démontrer l'absence de lien entre la dénonciation par le salarié d'agissements de harcèlement moral ou sexuel et son licenciement (en ce sens, Cass. Soc. 18 octobre 2023, n°22-18678)
En l'espèce,
-la lettre de rupture de la période d'essai du 31 juillet 2018 est ainsi rédigée : « Par la présente, nous vous informons que nous avons le regret de mettre un terme à votre période d'essai. Vous quitterez les effectifs de l'entreprise à compter du 10 août 2018. Nous vous informons que nous vous dispensons d'activité jusqu'à cette date, cette période vous étant normalement rémunérée. Vous percevrez en outre une indemnité compensatrice pour la période comprise entre le 10 août et le 14 août 2018, correspondant à la partie du délai de prévenance non exécuté. Nous vous
informons également que nous renonçons à l'application de la clause de non-concurrence figurant dans votre contrat de travail, conformément aux dispositions de celle-ci (') » ;
-dans une « lettre de mise en demeure remise en main propre le 30 juillet 2018 », également jointe à un courrier de contestation de la rupture daté du 3 août 2018, M. [K] relate plusieurs événements qui caractérisent selon lui un harcèlement moral commis par M. [C] [F] à son encontre dans le courant du mois de juillet 2018. Il termine ainsi son courrier : « Je souhaite poursuivre mon contrat de travail et votre obligation et devoir d'employeur est de vous assurer de ma sécurité. Au vu de la situation, je ne souhaite plus être en contact direct ou indirect avec [C] [F]. S'il faut néanmoins que nous soyons en contact, je souhaite que tout échange se passe encadré par un supérieur hiérarchique, tiers, ou à défaut que l'échange se passe par voie écrite. Je demande à bénéficier d'urgence d'une visite médicale auprès du médecin du travail afin d'évaluer mon état physique (notamment concernant mon torticolis) et psychique. (')
Si vous choisissez de mettre fin à ma période d'essai alors même que je souhaite poursuivre mon contrat de travail au sein de Cityzen, et que vous m'avez attribué des tâches supplémentaires ('), je considérerai cette rupture de période d'essai comme abusive, car elle ne sera pas motivée par mon incapacité à exécuter mon contrat de travail mais parce que je rapporte des faits de harcèlement moral dont je suis victime. (') Si des mesures curatives avaient été prises, les incidents auraient pu être évités. Je demande une indemnisation à hauteur d'un mois de salaire brut au titre des dommages et intérêts subis. Si vous n'êtes pas capable d'assurer votre obligation de sécurité en matière de harcèlement moral, je prendrai acte de la rupture du contrat de travail et ferai valoir mes droits afin d'être indemnisé au titre des dommages et intérêts pour le préjudice que j'ai subi.
Je vous mets en demeure de régler le problème et de me faire une proposition écrite. Je vous laisse un délai raisonnable de 15 jours, soit jusqu'au lundi 13 août 2018, faute de quoi je serai contraint d'agir en conséquence pour faire valoir mes droits.»
-C'est en réponse à cette lettre que l'employeur indique dans une missive du 6 août 2018 « Nous faisons suite à votre mail du 3 août 2018 dans lequel vous portez de graves accusations à l'encontre de notre société, suite à la rupture de période d'essai qui vous a été notifiée le 31 juillet dernier. Nous vous confirmons, comme la loi nous y autorise, la décision prise de rompre votre période d'essai et nous n'entendons pas remettre en question cette décision. En tout état de cause, les motifs ayant entraîné cette décision n'ont absolument aucun lien avec les faits répréhensibles pénalement que vous alléguez et que nos investigations interne ne nous ont pas permis du tout de corroborer avec des éléments matériels probants. »
Ainsi, la mention dans la lettre de l'employeur maintenant la rupture de la période d'essai que « les motifs ayant entraîné cette décision n'ont absolument aucun lien avec les faits répréhensibles pénalement que vous alléguez », ne constitue pas un grief allégué par l'employeur mais une réponse à la contestation du salarié, de sorte que la rupture de la période d'essai n'encourt pas la nullité de plein droit de ce chef.
Il n'en demeure pas moins que la chronologie des faits, et notamment la concomitance entre l'entretien du 30 juillet et le courrier de mise en demeure du salarié (dont le contenu a été rappelé plus haut) remis en main propre à l'employeur d'une part, et et la lettre du 31 juillet 2018 de rupture de la période d'essai d'autre part, laissent supposer que la période d'essai a été rompue en raison de la dénonciation de faits de harcèlement moral, d'autant que le délai écoulé entre les
deux événements (un jour), s'il a permis à l'employeur d'entendre l'auteur du harcèlement allégué, M. [F], était manifestement insuffisant pour mener une enquête interne approfondie.
Il appartient donc à l'employeur de rapporter la preuve que sa décision de rompre la période d'essai est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la dénonciation d'un harcèlement.
Or, force est de constater à cet égard que l'employeur ne produit strictement aucun élément antérieur à la rupture de la période d'essai de nature à démontrer qu'il était mécontent ou à tout le moins insatisfait de l'aptitude personnelle ou professionnelle du salarié à assumer ses fonctions.
Au contraire, M. [K] verse aux débats deux courriels témoignant sinon de la satisfaction de son employeur, du moins de la confiance qu'il plaçait alors en lui :
$gt;l'un de M. [A] du 13 juillet 2018 : « Coucou [U], sachant que je suis en vacances ce soir, voici une petite liste (non exhaustive) de choses à traiter : terminer le setup d'instal Menestrel (refaire les phases de test d'instal jusqu'à ce qu'il n'y ait plus d'erreur), purger l'extranet du live update de tous les livrables inférieurs à la version 21, mettre à dispo la version 22.01 sur notre site FTP, Go pour le développement de la CRF, Go pour analyse et dév sur la demande de [L] [V] sur l'outil de fusion/migration, il faut valider avec [D] [T] le déplacement formation client du 27 juillet à [Localité 4] il me semble, continuer à alimenter le wiki»;
$gt;l'autre de M. [R] du 25 juillet 2018 (5 jours avant l'entretien de période d'essai du 30 juillet), envoyé à 4 collaborateurs, dont M. [K] : « [U] va venir renforcer le projet OneHome. (') Step 1 : durant les congés de [I] [[P]], [U] travaille sur les travaux délégués par [I] ; Step 2 : à la rentrée ont voit comment on s'organise en vrai sprint pour se répartir les tâches windev ».
Par ailleurs, il est constant que la décision de rupture de la fin de la période d'essai n'a pas été annoncée à M. [K] à l'issue de l'entretien du 30 juillet.
Le seul élément produit par l'employeur est postérieur à la rupture et consiste en une attestation de M. [R], son supérieur N+2, du 9 décembre 2019 qui expose, s'agissant des capacités professionnelles de M. [K], que ce dernier a eu du mal à s'intégrer dans les équipes et évoque des problèmes majeurs de relationnel illustrés par trois incidents (« Ces éléments nous avaient alertés entre nous et n'avait pas été évoqués avec lui directement car c'était l'objet de l'entretien
du 30 juillet ») non datés,
$gt;l'un lorsque M. [K] a contesté devant lui, contre l'évidence, que Cityzen n'avait pas d'agence à [Localité 6],
$gt;le second lorsque M. [K] lui a confié qu'il avait été mis mal à l'aise par l'attitude aguicheuse d'une jeune collaboratrice alors que tel n'était pas le cas,
$gt;le troisième quand lors d'une réunion de la communauté windev, M. [K] a présenté la mise en place du wiki en utilisant la métaphore « des singes, de la banane et de l'eau » [une manière de dénoncer la routine dans laquelle s'installe les membres d'une organisation], ce qui a vexé M. [F] et a provoqué en retour une remarque caustique de la part celui-ci : « On se demande pourquoi on t'a attendu » en voulant dire « c'est très bien mais on manque de temps pour le faire et alimenter le wiki ». « Ces exemples peuvent unitairement sembler anecdotiques mais une fois réunis nous ont permis de douter suffisamment de sa capacité à s'intégrer en interne mais aussi à être en relation avec nos clients, en qualité de chef de produit ». Cette attestation n'est corroborée par aucun autre témoignage.
Au résultat de ces différents éléments, pris dans leur ensemble, il est établi que la rupture de la période d'essai a été décidée en réaction à la dénonciation par le salarié de faits de harcèlement moral, donc pour une raison sans lien avec l'aptitude professionnelle ou personnelle de l'intéressé à assumer ses fonctions.
La rupture de la période d'essai ayant été détournée de sa finalité, l'abus de droit est caractérisé, et cette rupture est nulle. En réparation du préjudice subi du fait de la rupture abusive, la société Cityzen est condamnée à payer à M. [K] la somme de 2.000 euros à titre de dommages et intérêts.
La décision du conseil de prud'hommes est donc infirmée.
Sur l'existence d'un harcèlement moral :
Le salarié formule par ailleurs une demande de dommages-intérêts au titre du harcèlement moral qu'il estime avoir subi, consistant en « des brimades, intimidations et persécutions » pratiquées par M. [C] [F] à son endroit, « une attitude toxique et nocive » de ce dernier, qui avaient pour objet et ont eu pour effet de « le ridiculiser, de briser sa confiance en lui, de l'ostraciser socialement au sein de l'entreprise et de le pousser à démissionner. »
Il ajoute que ces agissements ont eu un impact sur ses conditions de travail et sa santé et que l'employeur n'a pas réagi à sa dénonciation des faits de harcèlement moral lors d'un entretien qui s'était tenu le 13 juillet 2018, et que l'employeur n'a pas réagi autrement qu'en notifiant la rupture de la période d'essai, alors qu'il est tenu d'une obligation de prévention des agissements de harcèlement moral.
L'employeur conteste les agissements allégués.
Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. En vertu de l'article L. 1154-1 du code du travail, dans sa rédaction postérieure à la loi nº 2018-1088 du 8 août 2016, applicable en la cause, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant
supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il appartient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel
harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Au cas présent, M. [K] invoque quatre événements qui caractérisent selon lui l'existence d'un harcèlement moral commis par un autre salarié, M. [C] [F], à son encontre,
$gt;le premier, du 10 juillet 2018, quand, au cours d'une présentation du wiki Windev en réunion, celui-ci l'a apostrophé en ces termes « Ok, c'est bien mais on se demande pourquoi on a attendu que tu sois-là pour le mettre en place »,
$gt;le second, le 16 juillet durant la pause déjeuner lorsque M. [F] lui a annoncé en présence de M. [T] et de son épouse, qu'il lui avait retiré « les droits de super user sur le GDS » car il était encore en période d'essai et qu'il « n'aurait les droits que pour les projets sur lesquels il bosse»,
$gt;le troisième du 18 juillet quand « M. [F] arrive dans mon bureau, se poste très proche de moi à ma droite et, alors que je lui tends la main, il la saisit et se penche en avant de manière intimidante avec insistance, en me fixant, pendant plusieurs longues secondes sans répondre à mon salut » ;
$gt;et le quatrième le 25 juillet lorsque M. [F] rentre à nouveau dans son bureau et lui reproche de « faire courir des bruits de couloir », à savoir « que j'ai été méchant avec toi » - s'ensuit une discussion houleuse, à l'issue de laquelle M. [F] lui serre à nouveau la main très fort en présentant des excuses fallacieuses.
Il produit un arrêt de travail du 31 juillet au 5 août 2018 et une documentation sur les « Cervicalgies : la consultation et le traitement » provenant du site Ameli.fr
Aucun élément tel que des attestations, des courriels d'autres salariés, autre que ses propres écrits, ne confirme les allégations de M. [K] concernant les faits des 18 et 25 juillet, que la cour ne peut considérer comme matériellement établis. Il n'est pas davantage établi que M. [K] a alerté son employeur avant le 30 juillet 2018, sur les faits de harcèlement dont il se disait de victime.
Le fait du 16 juillet n'est pas en lui-même contesté par l'intimée mais s'analyse en une manifestation du pouvoir de subordination de l'employeur ainsi que l'explique M. [F] dans son témoignage : « Au sein de ma société, je donne les accès à certains projets informatiques et les droits sont donnés après étude suivant les besoins du salarié. Je me suis aperçu que M. [K] possédait un accès global donné par une personne tierce possédant un certain niveau d'administration mais qui n'était pas habilité à les ouvrir pour un autre collègue. Il était nécessaire dans le cadre de mon emploi que je sache comment ses droits avaient été octroyés, tout en lui mentionnant quelles étaient les règles communes à l'ensemble des personnes travaillant avec ces bases de données. »
Quant au fait du 10 juillet, M. [K] soutient dans son courrier remis en main propre à l'employeur le 30 juin que la phrase lancée par M. [F] « Ok, c'est bien, mais pourquoi est-ce qu'on a attendu que tu sois là pour le mettre en place » relève de l'invective, ce qui n'est pas le cas objectivement, l'apostrophe ne contenant aucun terme injurieux, diffamatoire ni même humiliant ; elle s'inscrit dans un contexte marqué, de part et d'autre par une forme de dérision, décrit plus avant par M. [R].
Aucun fait de harcèlement n'est donc matériellement établi à l'appui du harcèlement dénoncé par M. [K], qui ne justifie de l'existence d'aucun syndrome anxio-dépressif en lien avec ce prétendu harcèlement et sera donc débouté de sa demande en paiement de dommages et intérêts à ce titre.
Il serait inéquitable de laisser à M. [K] la charge des frais qu'il a exposés pour sa défense et la société Cityzen sera condamnée à lui payer une indemnité de 2.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Cityzen qui succombe pour partie, doit supporter les dépens de première instance et d'appel et être déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par jugement contradictoire,
Confirme le jugement du conseil de prud'hommes de Dinan sauf en ce qu'il a débouté M. [K] de sa demande en dommages et intérêts pour rupture abusive de la période d'essai ;
Statuant à nouveau,
Dit que la rupture de la période d'essai est nulle ;
Condamne la SAS Cityzen à payer à M. [U] [K] la somme de 2.000 euros nets de dommages et intérêts au titre de la nullité de la rupture de la période d'essai ;
Condamne la SAS Cityzen à payer à M. [U] [K] la somme de 2.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SAS Cityzen aux dépens de première instance et d'appel.
Le Greffier Le Président