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26/06/2023 | FRANCE | N°20/03128

France | France, Cour d'appel de Rennes, 8ème ch prud'homale, 26 juin 2023, 20/03128


8ème Ch Prud'homale





ARRÊT N°264



N° RG 20/03128 -

N° Portalis DBVL-V-B7E-QX65













M. [X] [V]



C/



S.N.C. INEO ATLANTIQUE

















Confirmation











Copie exécutoire délivrée

le :



à :

- Me Louis-Georges BARRET

- Me Tiphaine LE BERRE BOIVIN





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 26 JUIN 2023





COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :



Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Président de chambre,

Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller,

Madame Gaëlle DEJOIE, Conseillère,



GREFFIER :



Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé

...

8ème Ch Prud'homale

ARRÊT N°264

N° RG 20/03128 -

N° Portalis DBVL-V-B7E-QX65

M. [X] [V]

C/

S.N.C. INEO ATLANTIQUE

Confirmation

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

- Me Louis-Georges BARRET

- Me Tiphaine LE BERRE BOIVIN

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 26 JUIN 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Président de chambre,

Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller,

Madame Gaëlle DEJOIE, Conseillère,

GREFFIER :

Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 14 Avril 2023

devant Monsieur Philippe BELLOIR, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial

En présence de Madame [E] [H], Médiatrice judiciaire

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 26 Juin 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANT :

Monsieur [X] [V]

né le 20 Novembre 1961 à [Localité 5] (59)

demeurant [Adresse 1]

[Localité 2]

Comparant et représenté par Me Marie VEYRAC substituant à l'audience Me Louis-Georges BARRET de la SELARL LIGERA 1,Avocats au Barreau de NANTES

INTIMÉE :

La S.N.C. INEO ATLANTIQUE prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège social :

[Adresse 6]

[Localité 2]

Représentée par Me Tiphaine LE BERRE BOIVIN, Avocat postulant du Barreau de RENNES et par Me Lionel SEBILLE substituant à l'audience Me Jérôme DANIEL, Avocats plaidants du Barreau de PARIS

Suivant contrat de travail à durée indéterminée du 7 novembre 2005, la SNC INEO ATLANTIQUE a engagé, à compter du 2 janvier 2006, M. [X] [V] en qualité de Directeur d'Agence (position cadre), en application de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres des entreprises de travaux publics.

Le 4 juin 2018, la SNC INEO ATLANTIQUE a été alertée par deux collaborateurs de l'agence (M. [J] et M. [L]) placés sous la responsabilité de M. [V] à propos d'agissements concernant le directeur d'agence susceptibles de caractériser de graves manquements éthiques.

Dans ce contexte, la SNC INEO ATLANTIQUE a décidé de diligenter une enquête interne.

Le 18 juin 2018, M. [V] a été convoqué à un entretien préalable prévu le 3 juillet 2018 à 9 heures avec mise à pied conservatoire.

Le 6 juillet 2018, M. [V] a été licencié pour faute grave.

Le 29 octobre 2018, M. [V] a saisi le Conseil de prud'hommes de Nantes aux fins de voir essentiellement :

' Dire et juger que son licenciement est dénué de faute grave et qu'il ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse,

' Condamner la société INEO ATLANTIQUE à :

- 29.240,55 € brut à titre d'indemnité de préavis,

- 2.924,06 € brut au titre des congés payés afférents,

- 32.489,51 € net à titre d'indemnité légale de licenciement,

- 107.215,35 € net à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

' Dire et juger que le forfait jours visé dans le contrat de travail est nul,

' Dire et juger que M. [V] devait exercer son activité selon un temps de travail fixé à 37 heures par semaine, en ce compris les RTT dont il a bénéficié,

' Condamner la société INEO ATLANTIQUE au paiement de :

- 20.000 € net à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale de la convention en forfait jours,

- 321.944,58 € brut au titre des heures supplémentaires et repos compensateur,

- 32.194,46 € au titre des congés payés afférents,

- 58.481,10 € à titre d'indemnité pour travail dissimulé,

- 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

' Ordonner la remise des documents sociaux conformes au jugement à intervenir,

' Fixer la rémunération brute mensuelle à 9.746,85 €.

La cour est saisie de l'appel régulièrement formé le 10 juillet 2020 par M. [V] contre le jugement du 12 juin 2020, par lequel le Conseil de prud'hommes de Nantes a :

' Dit et jugé que le licenciement pour faute grave est justifié,

' Débouté M. [V] de l'ensemble de ses demandes,

' Condamné M. [V] à payer à la société INEO ATLANTIQUE la somme de 900 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

' Condamné M. [V] aux dépens.

Vu les écritures notifiées par voie électronique le 17 mars 2023, suivant lesquelles M. [V] demande à la cour de :

' Infirmer le jugement en ce qu'il a estimé le licenciement justifié,

' Juger que le licenciement de M. [V] est dénué de faute grave et qu'il ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse,

' Condamner la société INEO ATLANTIQUE à lui régler les sommes suivantes :

- 29.240,55 € brut au titre du préavis,

- 2.924,06 € brut au titre des congés payés afférents,

- 32.489,51 € net au titre de l'indemnité légale de licenciement,

- 107.215,35 € net à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

' Confirmer le jugement en ce qu'il a estimé que le forfait jours visé dans le contrat de travail de M. [V] est nul,

' Infirmer le jugement sur le surplus,

' Juger que M. [V] devait exercer son activité selon un temps de travail fixé à 37 heures par semaine, en ce compris les RTT dont il a bénéficié,

' Condamner la société INEO ATLANTIQUE à lui verser les sommes suivantes :

- 20.000 € net à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale de la convention en forfait jours,

- 321.944,58 € brut au titre des heures supplémentaires et du repos compensateur dus,

- 32.194,46 € brut au titre des congés payés y afférents,

- 10.000 € de dommages et intérêts pour non respect de la durée maximale du travail,

- 58.481,10 € au titre du travail dissimulé,

- 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

' Ordonner la remise de tous les documents sociaux conformes au jugement rendu,

' Fixer le salaire brut moyen de référence à la somme de 9.746,85 €,

' Juger que les sommes mises à la charge de la société INEO ATLANTIQUE porteront intérêts à compter de la saisine du Conseil de prud'hommes, les intérêts portant eux-mêmes intérêts,

' Condamner la société INEO ATLANTIQUE aux entiers dépens s'ils existent.

Vu les écritures notifiées par voie électronique le 28 mars 2023, suivant lesquelles la société INEO ATLANTIQUE demande à la cour de :

' Recevoir la société INEO ATLANTIQUE dans ses conclusions,

' La déclarer bien fondée,

' Dire et juger que le licenciement pour faute grave de M. [V] est parfaitement justifié,

' Confirmer le jugement du Conseil de prud'hommes de Nantes du 12 juin 2020,

' Débouter M. [V] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

A titre reconventionnel,

' Ordonner le remboursement par M. [V] de la somme de 8.314,77 € brut correspondant à l'ensemble des jours de repos supplémentaires dont il a bénéficié au cours des trois dernières années de travail nonobstant sa qualité de 'cadre dirigeant',

' Condamner M. [V] à verser à la société INEO ATLANTIQUE la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

' Condamner M. [V] aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 30 mars 2023 et l'affaire a été fixée à l'audience du 14 avril 2023 au cours de laquelle la cour a informé les parties qu'elle relevait d'office le fait que le jugement n'avait pas dans son dispositif déclaré nul la convention de forfait jours et interrogé les parties sur l'existence d'un jugement en rectification d'erreur matérielle.

Le conseil du salarié a indiqué que le Conseil de prud'hommes avait, dans ses motifs, déclarer nulle la convention de forfait jours et qu'il laissait la Cour apprécier. Il ajoutait qu'il n'y avait pas eu de jugement rectificatif.

Le conseil de l'intimé ne faisait pas d'observations spécifiques.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.

***

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'exécution du contrat de travail

Sur l'invalidité de la convention de forfait en jours et les heures supplémentaires

M. [V] demande à la cour de confirmer le jugement du Conseil de prud'hommes en ce qu'il a jugé que le forfait jours était nul au motif qu'il n'est pas prévu expressément dans le contrat de travail.

L'article 16 du code de procédure civile dispose que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

Selon cet article 954, pris en son alinéa 2, les prétentions des parties sont récapitulées sous forme de dispositif, la cour d'appel ne statuant que sur les prétentions énoncées au dispositif. Il résulte de ce texte, dénué d'ambiguïté, que le dispositif des conclusions de l'appelant remises dans le délai de l'article 908, doit comporter, en vue de l'infirmation ou de l'annulation du jugement frappé d'appel, des prétentions sur le litige, sans lesquelles la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement frappé d'appel. Cette règle poursuit un but légitime, tenant au respect des droits de la défense et à la bonne administration de la justice.

Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.

Toutefois, au visa de l'article 954 alinéa 2 du code précité, il est jugé de manière constante que ne méconnaît ni le principe du contradictoire, ni le droit à un procès équitable, la cour qui relève d'office le moyen pris de ce qu'elle n'est saisie que des prétentions récapitulées au dispositif des conclusions.

En l'espèce, M. [V] demande dans ses dernières conclusions de 'Confirmer le jugement en ce qu'il a estimé que le forfait jours visé dans le contrat de travail de M. [V] est nul'.

Or, le dispositif du jugement du 12 juin 2020 du Conseil de prud'hommes de Nantes, dont M. [V] a interjeté appel, n'a pas statué en ce sens puisqu'il a :

'' Dit et jugé que le licenciement pour faute grave est justifié,

' Débouté M. [V] de l'ensemble de ses demandes,

' Condamné M. [V] à payer à la société INEO ATLANTIQUE la somme de 900 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

' Condamné M. [V] aux dépens'.

M. [V] ne peut sérieusement affirmer qu'il sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a déclaré nulle la convention de forfait jours dès lors, d'une part, que sa déclaration d'appel du 10 juillet 2020 est rédigée précisément en ces termes : 'Appel limité aux chefs de jugement expressément critiqués : Monsieur [V] interjette Objet/Portée de l'appel : appel du jugement prud'homal en ce que celui-ci : - a dit et jugé son licenciement justifié par une faute grave, - l'a débouté de l'intégralité de ses demandes, - l'a débouté de ses demandes portant sur la nullité du forfait en jours, - l'a condamné à verser à la société INEO ATLANTIQUE la somme de 900,00 €, - l'a condamné aux entiers et dépens'.

D'autre part, M. [V] a confirmé à l'audience, malgré la contradiction entre les motifs et le dispositif du jugement du 12 juin 2020 du Conseil de prud'hommes de Nantes, qu'il n'y avait pas eu de jugement en rectification d'erreur matérielle ou d'omission de statuer.

Il s'ensuit qu'à ce stade la Cour ne peut pas statuer sur une demande de confirmation de nullité d'une convention de forfait jours qui n'a pas été prononcée par les premiers juges.

En conséquence, le jugement ne peut qu'être confirmé en ce qu'il a débouté M. [V] de ses demandes relatives à la convention de forfait en jours, aux heures supplémentaires, sur le remboursement des jours de repos, sur la durée maximale hebdomadaire de travail et sur les dommages et intérêts pour travail dissimulé. De même, la S.N.C. INEO ATLANTIQUE ne peut qu'être déboutée de sa demande reconventionnelle au titre du remboursement par M. [V] des jours de repos supplémentaires.

Sur la rupture du contrat de travail

Sur le licenciement pour faute grave

Pour infirmation à ce titre, M. [V] soutient que le concept d'éthique dans la société n'est resté que théorique et qu'il n'a été informé de cette nouvelle politique que le 28 mai 2018. Il précise aussi que le contrôle fiscal de 2016 n'a révélé aucune malversation.

S'agissant du détournement des biens, M. [V] soutient que la société est de mauvaise foi aux motifs qu'elle était informée de ces achats et qu'elle les avait validés.

Concernant les achats de bouteilles d'alcool, M. [V] rappelle que les assistantes administratives avaient pour mission de vérifier que l'ensemble des procédures comptables étaient respectées et que de fait, c'était l'assistante de gestion qui passait la totalité des commandes cadeaux clients de M. [V]. Il affirme qu'il ne dissimulait pas les achats, d'autant que le vin était livré au magasin de l'agence. Il précise qu'aucune règle n'était imposée en matière de déclaration de la destination de ces cadeaux. Il indique que l'alcool ne pouvant pas être stocké au bureau, l'ancien directeur général avait décidé que les bouteilles d'alcool devaient être conservées au domicile. Il explique qu'il a rapporté une partie du vin stockée chez lui en comprenant que la politique de sa direction allait changer. Pour ce qui est des bouteilles entamées, M. [V] dit qu'il invitait du personnel ou des clients à son domicile et qu'il est atteint de dysgueusie qui l'empêche de consommer de l'alcool.

Concernant la location de bateau, M. [V] dit avoir négocié avec la société PRESQU'ILE LOCATION afin que l'employeur bénéficie de dix sorties. Il précise que la direction a été informée de ces sorties et les a validées.

Concernant les commandes sans rapport avec l'activité de l'entreprise, le salarié explique que le drone était destiné à effectuer les relevés de descentes paratonnerre, que les jumelles de théâtre étaient utilisées dans le cadre des invitations des clients et que pour le lecteur blu-ray, il ne voit pas de quoi il s'agit.

Concernant le matériel de jardinage, M. [V] affirme qu'il l'avait occulté de son esprit et qu'il ne l'a jamais utilisé.

Concernant l'achat de la cafetière, M. [V] affirme qu'elle était à l'entreprise et qu'il en avait besoin car seul le café broyé parvenait à atténuer ses migraines.

Pour confirmation à ce titre, la SNC. INEO ATLANTIQUE soutient que les griefs sont établis en ce que M. [V] a :

- engagé des dépenses non justifiées (commande de bouteilles d'alcool en grande quantité) qui ne rentraient pas dans la qualification de 'cadeaux clients',

- réalisé des dépenses excessives dissimulées sous couvert de justificatifs fallacieux,

- fait l'acquisition, aux frais de l'entreprise, de nombreux biens de consommation sans lien avec les activités de la société,

- abusivement fait prendre en charge par l'entreprise des dépenses personnelles.

Elle rappelle que M. [V] avait d'importantes responsabilités et attributions.

En matière de licenciement disciplinaire, si la lettre de licenciement fixe les limites du litige en ce qui concerne les griefs articulés à l'encontre du salarié et les conséquences que l'employeur entend en tirer quant aux modalités de rupture, il appartient au juge de qualifier les faits invoqués.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié constituant une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien de l'appelant dans l'entreprise même pendant la durée du préavis.

L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, doit être suffisamment motivée et viser des faits et griefs matériellement vérifiables, sous peine de rendre le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse.

Par ailleurs, les juges qui constatent que l'employeur s'est placé sur le terrain disciplinaire, doivent examiner l'ensemble des motifs mentionnés dans la lettre de licenciement et doivent dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse s'ils retiennent qu'aucun d'entre eux ne présente de caractère fautif.

En l'espèce, les faits reprochés au salarié selon la lettre de licenciement datée du 6 juillet 2019 (pièce n°9 du salarié) sont les suivants :

Pour mémoire, vous avez été embauché, sous contrat à durée indéterminée en date du 2 janvier 2006, sachant que vous occupez en dernier lieu les fonctions de Directeur d'Agence en charge de notre Agence Services implantée en Pays de Loire, Bretagne, Deux-Sèvres et Charente-Maritime.

Titulaire au titre de vos fonctions d'importantes responsabilités et d'une large délégation de pouvoirs, il vous appartient de veiller à adopter en toutes circonstances un comportement exemplaire, en garantissant la protection de l'intérêt de l'entreprise et le respect des règles et valeurs éthiques en vigueur au sein du Groupe.

Or, le 4 juin 2018, nous avons été alertés par deux collaborateurs de votre Agence à propos de pratiques ou agissements vous concernant susceptibles de caractériser de graves manquements éthiques. Ces deux lanceurs d'alerte ont plus particulièrement porté à notre connaissance des mouvements anormaux (fréquence et importance) de cartons d'abord livrés dans nos ateliers, à votre attention, contenant du matériel sans rapport avec les besoins observés sur les chantiers (outillage de jardinage, râtelier, matériel électronique, bouteilles de vins et spiritueux dans des proportions importantes etc...), puis chargés dans votre voiture de fonction.

Au-delà de ces mouvements anormaux, l'attention de vos subordonnés a été attirée par des commandes d'achat approuvées ou établies par vos soins à partir d'opérations remontées par des assistances ne pouvant pas apprécier le lien entre les achats commandés par vos soins et les besoins de fonctionnement de l'Agence placée sous votre responsabilité directe.

A la suite de cette alerte éthique, nous avons immédiatement engagé des investigations en interne, afin d'avoir des éclaircissements sur les agissements suspicieux qui venaient d'être portés pour la première fois à notre connaissance, et de tenter de recouper dépenses engagées par vos soins et justificatifs fournis par vos soins.

Parallèlement, nous avons échangé avec vous le 5, puis à votre demande le 7 juin 2018 et vous (sic) avons informé d'investigations menées à la suite d'un signalement à propos de possibles dérives éthiques vous concernant. Dans le cadre du traitement du signalement éthique, vous avez été reçu le 15 juin suivant par le Comité Ethique à [Localité 4].

Dans le cadre des investigations engagées aussitôt par nos soins nous avons découvert un nombre considérable de mouvements suspects de votre part nous laissant à penser que vous aviez effectivement abusé de vos fonctions de Directeur d'Agence pour utiliser les biens de l'entreprise et engager, sans aucune considération pour l'intérêt de l'entreprise et nos règles éthiques, des dépenses indues ou injustifiées à des fins personnelles.

Le résultat de nos investigations et les constats opérés nous conduisent à vous notifier en la forme de votre licenciement pour faute grave au regard de l'ampleur des détournements et abus commis par vous au préjudice de l'entreprise.

Ainsi :

- Vous avez engagé des dépenses non justifiées : notamment, vous avez commandé un volume considérable de bouteilles d'alcool, dont la nature, la qualité, la valeur ou la destination ne permettent pas d'entrer dans la qualification de 'cadeaux clients'. Nous avons relevé que vous n'étiez d'ailleurs pas en mesure de justifier de ces dépenses, pour un grand nombre de bouteilles stockées par vos soins en dehors de l'entreprise et rapatriées précipitamment dans votre bureau alors que vous aviez connaissance des signalements éthiques vous concernant.

- Vous avez réalisé des dépenses excessives abusivement dissimulées sous couvert de justificatifs fallacieux, au travers de notes de frais et de commandes d'achats intégralement supportées par l'entreprise : à titre d'exemple, vous avez pu déclarer une location de bateau représentant un coût de 5.500 € en faisant état d'une 'sortie' soi-disant destinée aux membres de votre comité de direction en juin 2017. Or, nos investigations nous ont permis de découvrir que cette 'sortie' n'avait jamais eu lieu alors même que la dépense a bien été engagée (avec une facturation anticipée en totalité). Votre explication tardive apparaît d'autant plus inacceptable qu'elle n'est pas corroborée par vos déclaratifs de l'époque.

- Vous avez fait l'acquisition (aux frais de l'entreprise) de nombreux biens de consommation sans aucun lien (direct ou indirect) avec les besoins associés au déploiement de nos activités, parmi lesquels : un drone, des appareils photographiques, des jumelles de théâtre, des lecteurs blu-ray, du matériel de jardinage etc... Ces biens, achetés avec le crédit de l'entreprise sans utilisation professionnelle, sont soudainement réapparus dans votre bureau ou au magasin de l'agence alors que vous aviez connaissance des signalements éthiques vous concernant. Ces biens en état d'usage lorsqu'ils ont été découverts dans les locaux de l'entreprise les 18 et 20 juin 2018 n'étaient plus dans leurs emballages d'origine et avaient été manifestement été (sic) utilisés à des fins non professionnelles.

- Vous avez abusivement fait prendre en charge par l'entreprise des dépenses personnelles : par exemple, vous avez imputé à la charge de l'entreprise l'achat d'une cafetière pour un montant de 1.500 € que vous avez reconnu avoir conservé à votre domicile (en restituant tardivement à l'Agence une fois seulement que vous aviez connaissance des signalements éthiques vous concernant). Selon le même procédé, vous avez soudainement rapporté à l'Agence des bouteilles de spiritueux entamées, conservées par vos soins dans la plus grande opacité en dehors de l'entreprise, et dont le coût a néanmoins été intégralement imputé à la charge de celle-ci, sans justificatif probant.

- Vous avez usé avec une grande déloyauté de stratagèmes pour dissimuler l'importance et la récurrence de ces dépenses indues : en particulier, vous avez utilisé le compte des frais généraux de l'Agence pour réaliser vos achats dans la plus grande opacité, là où les responsables d'affaires utilisent par principe pour les dépenses justifiées par l'activité de l'Agence les comptes 'affaires'.

Suite à votre information concernant le déclenchement d'une enquête éthique au sein de votre Agence, vous vous êtes précipité à ramener, pour l'essentiel à des horaires inhabituels, notamment de nuit ou le week-end, dans nos locaux les biens que vous aviez détournés à votre usage personnel tout en en imputant la charge à l'entreprise.

Les explications recueillies auprès de vous au cours de notre entretien préalable du 3 juillet 2018 ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation de la gravité de vos agissements.

Constat étant dressé de manquements éthiques très graves vous concernant, et compte-tenu de l'importance de vos responsabilités, nous sommes contraints de vous notifier votre licenciement pour faute grave [...]'

En l'espèce, il résulte du contrat de travail de M. [V] qu'il était le Directeur d'agence de INEO Atlantique et qu'à ce titre , outre une mission commerciale, il avait suivant sa fiche de poste pour mission de :

'Manager les équipes :

Propose l'ouverture des postes à créer et participe au recrutement des collaborateurs.

Affecte les objectifs et missions spécifiques aux différentes catégories de personnel.

Optimise l'efficacité de l'équipe en évaluant et développant les compétences.

Propose les rémunérations, augmentations et primes de son personnel.

Assure la communication au sein du personnel par l'animation de réunions périodiques.

Respecte et fait respecter la législation du travail et les règles de l'entreprise.

' Gestion :

Contribue à la définition des objectifs fixés et au budget prévisionnel de l'agence.

Pilote et valide l'analyse en continu de la performance de l'exploitation.

Assure les reportings auprès de la Direction Déléguée.

Contrôle la mise en place et le respect des procédures de gestion.

Est responsable du suivi des encaissements clients et anime au sein de l'agence le

comité de crédit.

' Traitement des affaires :

Assure la validation des offres en fonction des montants de délégation.

Valide, accepte et signe les documents des marchés dans le cadre de sa délégation de pouvoirs.

Attribue les moyens (matériels et humains) en fonction du plan de charge des affaires.

Valide et vise les commandes de fournitures dans le cadre de sa délégation'.

Il disposait à cet égard d'une délégation de pouvoirs et d'autorisations de signatures très importantes puisqu'il devait :

'- Assurer la direction opérationnelle de son Centre de Profit, et plus spécialement dans le cadre de cette direction et dans le respect des procédures du Groupe :

* représenter la société INEO ATLANTIQUE vis-à-vis des tiers et de tous organismes ou administrations publics et privés,

(...)

* contrôler et signer tous engagements de dépenses, commandes fournisseurs, sous-traitants, factures.

Dans l'exercice des pouvoirs ainsi conférés, M. [X] [V] devra assurer notamment les obligations suivantes :

- Faire respecter et veiller à l'application :

$gt; de la législation économique et commerciale dans les domaines relatifs notamment, aux ventes et aux prestations de service, aux règles en matière de prix et conditions de vente, de facturation, de concurrence',

$gt; des dispositions de la législation et réglementation du travail notamment en matière de relations individuelles et collectives,

$gt; des dispositions législatives et réglementaires en matière d'hygiène et de sécurité des biens et des personnes,

$gt; des dispositions relatives à la protection des travailleurs et à la prévention des accidents du travail,

$gt; des règles en matière de transports et du Code de la Route,

$gt; des dispositions relatives à l'intervention d'entreprises ou de personnels extérieurs,

$gt; des règles liées à la protection de l'environnement'.

La SNC INEO ATLANTIQUE justifie de la production des deux alertes éthiques du 4 juin 2018 adressées par des collaborateurs de l'agence, M. [J] et M. [L], sur les pratiques de leur directeur d'agence M. [V].

Les comptes rendus d'entretien dans le cadre de l'enquête interne établissent que M. [V] avait fait l'acquisition, aux frais de son employeur, de nombreux biens de consommation sans aucun lien direct ou indirect avec les besoins de l'entreprise. De même, ces témoignages, notamment ceux de Mme [Z] et de M. [W], révèlent que cette attitude de leur directeur était choquante puisque ce dernier insistait régulièrement sur le respect des règles éthiques.

A ce sujet, les pièces versées de part et d'autre démontrent que la politique d'éthique de la société INEO ATLANTIQUE n'était pas nouvelle et encore moins concomitante à la procédure diligentée contre M. [V]. En effet, le mail du 7 juillet 2017 envoyé par M. [C], délégué général d'INEO ATLANTIQUE, aux responsables d'agence est relatif à un 'Retour du CODIR' : - ci-joint les différentes présentations du CODIR : Prendre connaissance du document processus et contrôle invitations et cadeaux et voir mise en oeuvre dans vos agences (...)'. Si effectivement, sur ce document l'adresse mail de M. [V] est erronée, l'argument est inopérant dès lors que ce mail étant un retour de CODIR, M. [V] a eu nécessairement connaissance de la teneur et de la politique d'éthique lorsqu'il a assisté à ce CODIR où le sujet a été rappelé aux directeurs d'agence.

Par ailleurs, le fait que M. [V] soit exigeant à l'égard de ses collaborateurs à ce sujet établit qu'il avait pleinement connaissance des directives éthiques et politique d'achat de cadeaux de son employeur.

Le simple fait d'avoir fait acheter par son employeur du matériel qui n'avait aucune justification sur le plan professionnel, comme le matériel de jardinage ou le lecteur blue ray et de le rapatrier de son domicile à son lieu de travail établit aussi le caractère frauduleux de ces achats.

De même, le fait que ces biens, acquis avec le crédit de l'entreprise sans utilisation professionnelle, réapparaissent soudainement dans le bureau de M. [V] ou au magasin de l'agence alors que l'intéressé venait d'avoir connaissance des signalements éthiques le concernant, démontre le caractère frauduleux de l'opération et la surprise pour les collaborateurs de ce dernier. C'est ainsi que M. [T] a pu attester que '['] oui, le 8 juin 2018, [X] [V] a ramené du matériel de jardinage au magasin très tôt, vers 6h00. Il y avait un souffleur de feuilles, un taille haie, 2 tronçonneuses, un débroussailleur de la marque Stihl et un carton. Il m'a dit que cela venait du site de l'arsenal de [Localité 3], et qu'il n'était plus utile là-bas parce que l'agence avait perdu le contrat de maintenance de ce site. Je n'avais jamais vu ce matériel avant'.

Par ailleurs, les pièces de la procédure (témoignages de M. [N], M. [R], M. [W], M. [U] et M. [L]) révèlent que M. [V] a fait prendre en charge par l'entreprise des dépenses personnelles, notamment du vin. A cet égard, M. [V] a utilisé des stratagèmes pour dissimuler les dépenses, en particulier en utilisant le compte des frais généraux là où les responsables d'affaires utilisaient par principe les comptes 'affaires', raison pour laquelle l'expert comptable et l'expert aux comptes ne pouvaient pas voir les opérations.

La Cour relève que lors de son audition du 15 juin 2018 par le Comité Ethique, M. [V] n'a pas nié la réalité des achats mais a cherché à minimiser la portée avec des explications peu convaincantes en ce qu'il explique concernant les achats d'alcool : 'qu'il achète entre 8 à 10 000 € de vin par an qu'il distribue. Il précise que le vin est livré à l'Agence ; qu'il le ramène chez lui, qu'il n'est pas « décolisé » au bureau, mais chez lui, puis il le ramène au bureau en fonction des besoins' et ajoutant sur la demande de son employeur qu'il procède ainsi 'car tout ne tient pas au bureau'.

Enfin, M. [V] ne peut sérieusement soutenir que ce sont ses assistantes qui procédaient aux achats dès lors que celles-ci agissaient à sa demande compte tenu de leur lien de subordination à son égard.

Ainsi au vu des éléments produits, des responsabilités d'encadrement de M. [V] et de son expérience dans ses fonctions, ces manquements de M. [V] sont d'une gravité telle qu'ils rendaient en fait impossible la poursuite du contrat de travail, même pour la durée du préavis et justifiaient en conséquence son licenciement pour faute grave. Le jugement sera confirmé à ce titre y compris en ce que M. [V] a été débouté de l'intégralité de ses demandes relatives à la rupture de son contrat de travail.

Sur les frais irrépétibles

Les éléments de la cause et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait en appel application de l'article 700 du code de procédure civile, outre la somme déjà allouée en première instance sur ce fondement.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort par arrêt mis à la disposition des parties au greffe,

CONFIRME le jugement entrepris ;

Y ajoutant

DÉBOUTE la S.N.C. INEO ATLANTIQUE de sa demande reconventionnelle de remboursement ;

CONDAMNE M. [X] [V] à payer la S.N.C. INEO ATLANTIQUE la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE M. [X] [V] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE M. [X] [V] aux dépens d'appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 8ème ch prud'homale
Numéro d'arrêt : 20/03128
Date de la décision : 26/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-26;20.03128 ?
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