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13/06/2023 | FRANCE | N°21/03701

France | France, Cour d'appel de Rennes, 3ème chambre commerciale, 13 juin 2023, 21/03701


3ème Chambre Commerciale





ARRÊT N°.



N° RG 21/03701 - N° Portalis DBVL-V-B7F-RX43













M. [T] [V]

Mme [Y] [E] ÉPOUSE [V]



C/



Société CRCAM D ILLE-ET-VILAINE ET VILAINE



















Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée













Copie exécutoire délivrée



le :



à :
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Me Myriam DAGORN

Me Stéphanie PRENEUX

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 13 JUIN 2023





COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre,

Assesseur : Madame Fabienne CLEMENT, Préside...

3ème Chambre Commerciale

ARRÊT N°.

N° RG 21/03701 - N° Portalis DBVL-V-B7F-RX43

M. [T] [V]

Mme [Y] [E] ÉPOUSE [V]

C/

Société CRCAM D ILLE-ET-VILAINE ET VILAINE

Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Myriam DAGORN

Me Stéphanie PRENEUX

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 13 JUIN 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre,

Assesseur : Madame Fabienne CLEMENT, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Lydie CHEVREL, lors des débats, et Madame Morgane LIZEE, lors du prononcé,

DÉBATS :

A l'audience publique du 20 Mars 2023

devant Madame Fabienne CLEMENT, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 13 Juin 2023 par mise à disposition au greffe après prorogation du délibéré initialement prévu le 30 mai 2023

****

APPELANTS :

Monsieur [T] [V]

né le [Date naissance 4] 1964 à [Localité 10] (SYRIE)

[Adresse 8]

[Localité 9]

Représenté par Me Myriam DAGORN de la SCP BOQUET- DAGORN, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES

Madame [Y] [E] ÉPOUSE [V]

née le [Date naissance 5] 1966 à [Localité 10] (SYRIE)

[Adresse 8]

[Localité 9]

Représentée par Me Myriam DAGORN de la SCP BOQUET- DAGORN, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉE :

CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D'ILLE ET VILAINE, immatriculée au RCS de RENNES sous le n°775 590 847, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 7]

[Localité 6]

Représentée par Me Stéphanie PRENEUX de la SELARL BAZILLE, TESSIER, PRENEUX, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES

****

FAITS ET PROCÉDURE :

Le 4 mars 2008, la société Dual Investissements a souscrit auprès de la société Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel d'Ile-et-Vilaine (Crédit Agricole) un premier contrat de prêt, n°00023853680, à savoir un crédit de trésorerie en compte courant n°[XXXXXXXXXX03] d'une durée de 24 mois, d'un montant principal de 217.000 euros remboursable à terme, au taux d'intérêt annuel variable basé sur l'index T4M (Base EONIA) majoré de 2,5 %, soit 6,5097 % au jour de l'émission du contrat de prêt (crédit n°680).

Le même jour, M. [V], gérant de la société Dual Investissements, et son épouse Mme [E] épouse [V] se sont portés cautions solidaires au titre de ce prêt dans la limite de la somme de 282.100 euros, couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour une durée de 48 mois.

Le 19 octobre 2009, la société Dual Investissements a souscrit auprès du Crédit Agricole un deuxième contrat de prêt professionnel, n°00034467216, à savoir un crédit de trésorerie en compte courant n°[XXXXXXXXXX02] d'une durée de 9 mois, d'un montant principal de 126.000 euros remboursable à terme, au taux d'intérêt annuel variable basé sur l'index T4M (Base EONIA) majoré de 2,5 %, soit 2,8584 % au jour de l'émission du contrat de prêt (crédit n°216).

Le même jour, M. [V] et Mme [E] se sont portés cautions solidaires au titre de ce prêt dans la limite de la somme de 163.800 euros, couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour une durée de 33 mois.

Le 19 octobre 2009, la société Dual Investissements a souscrit auprès du Crédit Agricole un troisième contrat de prêt professionnel, n°00034414849, à savoir un crédit de trésorerie en compte courant n°[XXXXXXXXXX01] d'une durée de 9 mois, d'un montant principal de 265.000 euros remboursable à terme, au taux d'intérêt annuel variable basé sur l'index T4M (Base EONIA) majoré de 2,5 %, soit 2,8584 % au jour de l'émission du contrat de prêt (crédit n°849).

Le même jour, M. [V] et Mme [E] se sont portés cautions solidaires au titre de ce prêt dans la limite de la somme de 344.500 euros, couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour une durée de 33 mois.

Le 30 mars 2011, la société Dual Investissements a été placée en redressement judiciaire.

Le 26 avril 2011, le Crédit Agricole a déclaré sa créance entre les mains du mandataire judiciaire.

Le 26 octobre 2011, la société Dual Investissements a été placée en liquidation judiciaire.

Le 10 avril 2020, le Crédit Agricole a assigné M. [V] et Mme [E] en paiement.

Par jugement du 27 avril 2021, le tribunal de commerce de Rennes :

- S'est déclaré compétent pour trancher le litige,

- A condamné solidairement M. [V] et Mme [E] en leurs qualités de cautions solidaires de l'ouverture de crédit 849 sur le compte DAV 115 à payer au Crédit Agricole la somme de 75.122,67 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir et ce jusqu'à parfait paiement,

- A condamné solidairement M. [V] et Mme [E] en leurs qualités de cautions solidaires de l'ouverture de crédit 680 sur le compte DAV 748 à payer au Crédit Agricole la somme de 174.606,33 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir et ce jusqu'à parfait paiement,

- A condamné solidairement M. [V] et Mme [E] en leurs qualités de cautions solidaires de l'ouverture de crédit 216 sur le compte DAV 436 à payer au Crédit Agricole la somme de 32.607,45 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir et ce jusqu'à parfait paiement,

- A rejeté toutes les demandes, fins et conclusions de M. [V] et Mme [E],

- A ordonné la capitalisation des intérêts échus depuis une année à la date du paiement,

- A ordonné l'exécution provisoire de la décision à intervenir,

- A condamné solidairement M. [V] et Mme [E] à payer au Crédit Agricole la somme de 2.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- A condamné solidairement M. [V] et Mme [E] aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile par la SELARL Bazille-Tessier-Preneux, avocat,

- A débouté les parties du surplus de leurs demandes.

Les époux [V] ont interjeté appel le 17 juin 2021.

Les dernières conclusions des époux [V] sont en date du 16 février 2023. Les dernières conclusions du Crédit Agricole sont en date du 2 décembre 2021.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 mars 2023.

PRÉTENTIONS ET MOYENS :

Les époux [V] demandent à la cour de :

- Recevoir M. [V] et Mme [E] en leur appel à l'encontre du jugement, et les en déclarer bien fondés,

- Infirmer le jugement,

- Juger que les trois cautionnements souscrits par Mme [E] les 4 mars 2008 et 19 octobre 2009 au profit du Crédit Agricole revêtent une nature civile,

- Juger en conséquence que le tribunal de commerce de Rennes était incompétent pour connaître des demandes formées par le Crédit Agricole à l'encontre de Mme [E] et fondées sur ces trois actes de cautionnement,

Statuant par application des dispositions de l'article 90 alinéa 2 du code de procédure civile :

- Infirmer le jugement en ce qu'il a condamné solidairement M. [V] et Mme [E] en leurs qualités de cautions solidaires de l'ouverture de crédit 849 sur le compte DAV 115 à payer au Crédit Agricole la somme de 75.122,67 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir et ce jusqu'à parfait paiement.

- Infirmer le jugement en ce qu'il a condamné solidairement M. [V] et Mme [E] en leurs qualités de cautions solidaires de l'ouverture de crédit 680 sur le compte DAV 748 à payer au Crédit Agricole la somme de 174.606,33 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir et ce jusqu'à parfait paiement,

- Infirmer le jugement en ce qu'il a condamné solidairement M. [V] et Mme [E] en leurs qualités de cautions solidaires de l'ouverture de crédit 216 sur le compte DAV 436 à payer au Crédit Agricole la somme de 32.607,45 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir et ce jusqu'à parfait paiement,

- Juger que les cautionnements souscrits par M. [V] et Mme [E] le 4 mars 2008, et le 19 octobre 2009 étaient lors de leur conclusion manifestement disproportionnés aux biens et revenus des cautions,

- Réformer le jugement en ce qu'il a jugé que M. [V] et Mme [E] pouvaient faire face à leurs engagements au jour où ils étaient appelés,

- Juger qu'il n'est pas établi que le patrimoine actuel des cautions leur permettrait de faire face à leurs engagements,

- Juger en conséquence que le Crédit Agricole ne peut se prévaloir d'aucun de ces 3 cautionnements à l'encontre des époux [V],

- Débouter en conséquence le Crédit Agricole de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées contre les époux [V],

Subsidiairement :

- Confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la déchéance des intérêts pour défaut d'information annuelle des cautions,

- Infirmant ledit jugement en ce qui concerne le montant des condamnations, surseoir à statuer dans l'attente de la production par le Crédit Agricole, pour chacune des ouvertures de crédit, d'un décompte expurgé de l'ensemble des intérêts conventionnels et pénalités de retard, et affectant prioritairement les paiements effectués par la société Dual Investissements, débitrice principale, au règlement du principal de la dette,

- Enjoindre par ailleurs au Crédit Agricole de produire les relevés de compte de la société Dual Investissements sur lesquels ont été réalisées les trois ouvertures de crédit afin de mettre en évidence les intérêts, frais et commissions de toute nature prélevés depuis la mise à disposition des fonds,

Subsidiairement :

- Infirmer le jugement en ce qu'il a jugé que les biens communs des époux devaient faire partie du gage du Crédit Agricole,

- Juger qu'en application des dispositions de l'article 1415 du code civil, les biens communs éventuels détenus par les époux [V] ne font pas partie du gage du Crédit Agricole et ne pourront en conséquence faire l'objet de mesures d'exécution de quelque nature que ce soit,

- Infirmer le jugement en ce qu'il a condamné M. [V] et Mme [E] à verser au Crédit Agricole la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens,

- Condamner le Crédit Agricole à verser aux époux [V] ensemble une somme de 4.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure devant le tribunal de commerce, outre 4.000 euros au titre des frais exposés devant la cour,

- Condamner le Crédit Agricole aux entiers dépens.

Le Crédit Agricole demande à la cour de :

- Confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- Rejeter toutes les demandes, fins et conclusions de M. [V] et Mme [E],

- Condamner solidairement M. [V] et Mme [E], en leurs qualités de cautions solidaires de l'ouverture de crédit 849 sur le compte DAV 115 à payer au Crédit Agricole la somme de 75.122,67 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir, et ce jusqu'à parfait paiement,

- Condamner solidairement M. [V] et Mme [E], en leurs qualités de cautions solidaires de l'ouverture de crédit 680 sur le compte DAV 748 à payer au Crédit Agricole la somme de 174.606,33 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir, et ce jusqu'à parfait paiement,

- Condamner solidairement M. [V] et Mme [E], en leurs qualités de cautions solidaires de l'ouverture de crédit 216 sur le compte DAV 436 à payer au Crédit Agricole la somme de 32.607,45 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir, et ce jusqu'à parfait paiement,

- Ordonner la capitalisation des intérêts échus depuis une année à la date du paiement,

- Condamner solidairement M. [V] et Mme [E] à payer au Crédit Agricole la somme de 2.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure

civile au titre des frais irrépétibles de première instance,

- Condamner solidairement M. [V] et Mme [E] à payer au Crédit Agricole la somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure

civile au titre des frais irrépétibles d'appel,

- Condamner solidairement M. [V] et Mme [E] aux entiers dépens d'instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile par la SELARL Bazille-Tessier-Preneux, avocat.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières conclusions visées supra.

DISCUSSION :

Sur la compétence :

L'article 721-3 du code de commerce dans sa rédaction antéreure au 1er janvier 2022 et applicable aux faits de l'espèce dispose :

Les tribunaux de commerce connaissent :

1° Des contestations relatives aux engagements entre commerçants, entre établissements de crédit, entre sociétés de financement ou entre eux ;

2° De celles relatives aux sociétés commerciales ;

3° De celles relatives aux actes de commerce entre toutes personnes.

Le cautionnement est par nature un acte à caractère civil.

En l'état du droit antérieur à la réforme du droit des sûretés du 15 septembre 2021, le cautionnement donné par un non-commerçant peut par exception être de nature commerciale si la caution a un intérêt patrimonial personnel au paiement de la dette garantie.. Le dirigeant d'une société est réputé avoir un intérêt personnel à garantir les engagements de ladite société. Cependant, ce n'est pas le cas de son conjoint qui se porte caution, le régime matrimonial de la communauté légale ne suffisant pas à caractériser l'intérêt personnel dudit conjoint.

L'article L 221-3 du code de l'organisation judiciaire dispose :

Le tribunal judiciaire connaît de toutes les affaires civiles et commerciales pour lesquelles compétence n'est pas attribuée, en raison de la nature de la demande, à une autre juridiction.

L'article 42 alinéa 1er du code de procédure civile dispose :

La juridiction territorialement compétente est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur.

L'article 90 alinéa 2 du code de procédure civile dispose :

Lorsque la cour infirme du chef de la compétence, elle statue néanmoins sur le fond du litige si la cour est juridiction d'appel relativement à la juridiction qu'elle estime compétente.

En l'espèce, M. [V] était gérant de la société Dual Investissements et son unique associé. Les époux [V] font valoir que Mme [E] n'a jamais participé à la gestion de la société et n'avait pas d'intérêt personnel et direct au paiement des lignes de crédit litigieuses.

Par conséquent, les cautionnements de M. [V] avaient un caractère commercial

Les cautionnements de Mme [E] avaient un caractère civil, son intérêt personnel auxdits cautionnements n'étant pas établi. Mme [E] ayant sa résidence à [Localité 9], le tribunal judiciaire de Rennes était donc la juridiction compétente pour connaître le litige relatif aux engagements de caution de Mme [E] et non le tribunal de commerce de Rennes ayant statué.

La cour infirme donc le jugement rendu par le tribunal de commerce de Rennes à l'encontre de Mme [E].

La cour étant la juridiction d'appel des jugements rendus par le tribunal judiciaire de Rennes et Mme [E] ayant conclu au fond, la cour examinera l'entier litige, dont celui concernant les cautionnements de Mme [E].

Sur la disproportion manifeste :

L'article L 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction en vigueur du 5 août 2003 au 1er juillet 2016 et applicable en l'espèce, prévoit que le créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un cautionnement manifestement disproportionné :

Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.

C'est sur la caution que pèse la charge d'établir cette éventuelle disproportion manifeste.

Cet article n'impose pas au créancier professionnel de s'enquérir de la situation financière de la caution préalablement à la souscription de son engagement. La fiche de renseignements que les banques ont l'usage de transmettre aux futures cautions n'est, en droit, ni obligatoire ni indispensable. En revanche, en l'absence de fiche de renseignements, les éléments de preuve produits par la caution doivent être pris en compte.

Ce n'est que lorsque le cautionnement est considéré comme manifestement disproportionné au moment de sa conclusion qu'il revient au créancier professionnel d'établir qu'au moment où il appelle la caution, le patrimoine de celle-ci lui permet à nouveau de faire face à son obligation.

La disproportion manifeste de l'engagement de la caution commune en biens s'apprécie par rapport aux biens et revenus de celle-ci, sans distinction et sans qu'il y ait lieu de tenir compte du consentement exprès du conjoint donné conformément à l'article 1415 du code civil, qui détermine seulement le gage du créancier, de sorte que doivent être pris en considération tant les biens propres et les revenus de la caution que les biens communs, incluant les revenus de son conjoint.

En tout état de cause, l'article 1415 du code civil n'a pas vocation à s'appliquer à des engagements simultanés de caution souscrits par deux époux, en des termes identiques, sur le même acte de prêt, pour la garantie de la même dette.

Pour apprécier le caractère disproportionné d'un cautionnement au moment de sa conclusion, l'endettement global de la caution doit être pris en considéraion, ce qui inclut les cautionnements qu'elle a précédemment souscrits par ailleurs, bien qu'ils ne correspondent qu'à des dettes éventuelles, à condition qu'ils aient été souscrits avant celui contesté.

Les biens, quoique grevés de sûretés, lui appartenant doivent être pris en compte, leur valeur étant appréciée en en déduisant le montant de la dette dont le paiement est garanti par ladite sûreté, évalué au jour de l'engagement de la caution.

Le Crédit Agricole verse au débat une fiche de renseignements. Cette fiche de renseignements renvoie à une annexe éditée le 10 janvier 2008 et visée comme étant un 'état patrimonial réalisé par le client'. Ces documents ne sont ni datés, ni signés par les époux [V]. Les deux parties se réfèrent à ces documents pour évaluer la situation patrimoniale des époux [V] au jour de leurs engagements de caution. Par conséquent, la cour statuera en prenant en compte ces documents tout en en relativisant les informations au regard des autres éléments de preuve produits par les époux [V].

Sur la situation de M. [V] au jour du cautionnement du 4 mars 2008 en garantie du crédit n°680 :

Les époux [V] ne versent aucun élément permettant d'apprécier leur situation patrimoniale. Ils se réfèrent à l'avis d'imposition joint à la fiche patrimoniale versé par le Crédit Agricole, lequel fait apparaître que M. [V] a perçu 26.750 euros de revenus salariaux au cours de l'année 2006. Cette même année, les époux [V] ont également perçu ensemble 19.289 euros de revenus fonciers nets. Leurs revenus annuels s'élèvent à 46.039 euros, soit environ 3.856 euros par mois.

Les époux [V] font valoir qu'ils détenaient ensemble et à titre personnel plusieurs biens immobiliers d'une valeur brute de 548.000 euros grevés par des dettes d'un montant de 352.905 euros. La valeur cumulée nette d'emprunts de leurs biens immobilers s'élèvait donc à 195.095 euros.

En outre, les époux [V] détenaient des parts dans différentes sociétés civiles immobilières.

En ce qui concerne l'actif constitué par les parts dans la société Les Jardins de la Tuilerie, les époux [V] ont précisé que la valeur nette cumulée des immeubles de la société s'élevaient à 280.000 euros. Ils font valoir en cause d'appel qu'ils ne détienennent qu'un tiers des parts de cette société. Cependant, ils ne produisent comme élément au soutien de cette prétention qu'une version des statuts de ladite société non datée et non signée par les différents associés. Cette version des statuts n'est en outre pas certifiée conforme. Les époux [V] font également valoir que le Crédit Agricole avait connaissance de la composition du capital de la société dans la mesure où il avait financé ses acquisitions. Cependant, les époux [V] ne versent aucun document bancaire attestant que le Crédit Agricole d'Ille-et-Vilaine finançait ladite société et avait connaissance de la composition de son capital, preuve qui leur incombe comme le fait valoir le Crédit Agricole. Il n'est donc pas établi que les époux [V] ne détenaient qu'un tiers et non la totalité des parts sociales. Il convient d'inclure la totalité des parts sociales dans leur patrimoine pour un montant de 280.000 euros.

En ce qui concerne l'actif constitué par les parts dans la société [V] 2, les époux [V] affirment que la valeur nette cumulée des deux immeubles de la société s'élevait à 171.942 euros. Le Crédit Agricole fait valoir qu'un troisième immeuble acheté le 18 décembre 2005 d'une valeur de 171.947 euros est à inclure à l'actif de la société. Cependant et comme le fait valoir les époux [V], il est apparent que la ligne du tableau où figure ce troisième bien allégué correspond au total des loyers, des mensualités, des dettes et de la valeur actuelle des deux biens de la société et non une information relative à un troisième bien. Les parts sociales des époux [V] dans la société [V] 2 sont donc évaluées à 171.947 euros.

En ce qui concerne l'actif constitué par les parts dans la société [V], les époux [V] et le Crédit Agricole s'accordent pour l'estimer au montant de 74.703,03 euros.

En ce qui concerne l'actif constitué par les parts dans la société A.D. Coat, les époux [V] ont précisé que la valeur nette cumulée des immeubles de la société s'élevaient à 106.708,54 euros. Ils font valoir en cause d'appel qu'ils ne détienennent que la moitié des parts de cette société. Ils produisent les statuts datés et signés par les différents associés qui attestent qu'ils ne détenaient que 500 des 1.000 parts sociales. Les époux [V] produisent également l'extrait d'un contrat de prêt conclu le 6 octobre 2005 entre le Crédit Agricole et ladite société A.D. Coat, représentée par M. [V] et M. [P], co-gérants et co-associés. Les époux [V] rapportent donc la preuve de la détention de la seule moitié des parts sociales de la société A.D. Coat. Les parts sociales des époux [V] dans la société AD Coat sont donc évaluées à 53.354,27 euros.

Le patrimoine mobilier de M. [V] s'élevait donc à 580.004,30 euros.

Le Crédit Agricole demande la prise en compte des revenus immobiliers générés par les biens détenus par les époux [V] et leurs sociétés civiles immobilières. Cependant, les sociétés civiles immobilières étant transparentes fiscalement, il convient de se limiter aux revenus fonciers figurant dans l'avis d'imposition des époux [V] pour un montant de 19.289 euros au titre de l'année 2006 pris en compte supra.

M. [V] était donc titulaire de revenus de 46.039 euros et de biens d'une valeur de 775.099,30 euros.

Il résulte de ces éléments qu'il n'est pas établi que le cautionnement pour la somme de 282.100 euros souscrit par M. [V] auprès du Crédit Agricole le 4 mars 2008 était, au jour de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus. Partant, il n'y a pas lieu d'examiner la proportionnalité de ce cautionnement au jour où M. [V] a été appelé.

Sur la situation de Mme [E] au jour du cautionnement du 4 mars 2008 en garantie du crédit n°680 :

Comme développé supra, et les époux [V] étant mariés sous le rgime de la communauté légale, Mme [E] était titulaire de revenus de 46.039 euros et de biens d'une valeur de 775.099,30 euros.

Il résulte de ces éléments qu'il n'est pas établi que le cautionnement pour la somme de 282.100 euros souscrit par Mme [E] auprès du Crédit Agricole le 4 mars 2008 était, au jour de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus. Partant, il n'y a pas lieu d'examiner la proportionnalité de ce cautionnement au jour où Mme [E] a été appelé.

Sur la situation de M. [V] au jour des cautionnements du 19 octobre 2009 en garantie des crédits n°216 et n°849 :

Les parties ne versent pas d'éléments permettant d'actualiser la situation patrimoniale de M. [V] au 19 octobre 2009. Il convient donc de prendre en considération sa situation patrimoniale au jour du précédent cautionnement tout en en relativisant les informations.

Entre le le 4 mars 2008 et le 19 octobre 2009, M. [V] s'est engagé comme caution à hauteur de 282.100 euros au titre de la garantie du prêt n°680.

M. [V] était donc titulaire de revenus de 46.039 euros et de biens d'une valeur nette de 492.999,30 euros.

Il résulte de ces éléments qu'il n'est pas établi que les cautionnements d'un montant cumulé de 508.300 euros souscrits par M. [V] auprès du Crédit Agricole le 19 octobre 2009 étaient, au jour de leur conclusion, manifestement disproportionnés à ses biens et revenus. Partant, il n'y a pas lieu d'examiner la proportionnalité de ce cautionnement au jour où M. [V] a été appelé.

Sur la situation de Mme [E] au jour des cautionnements du 19 octobre 2009 en garantie des crédits n°216 et n°849 :

Comme développé supra, et les époux [V] étant mariés sous le rgime de la communauté légale, et Mme [E] s'étant enagagée comme caution à hauteur de 282.100 euros, elle était titulaire de revenus de 46.039 euros et de biens d'une valeur nette de 492.999,30 euros.

Il résulte de ces éléments qu'il n'est pas établi que les cautionnements d'un montant cumulé de

508.300 euros souscrits par Mme [E] auprès du Crédit Agricole le 19 octobre 2009 étaient, au jour de leur conclusion, manifestement disproportionnés à ses biens et revenus. Partant, il n'y a pas lieu d'examiner la proportionnalité de ce cautionnement au jour où Mme [E] a été appelé.

Sur l'information annuelle de la caution :

L'établissement prêteur est tenu d'une obligation d'information annuelle de la caution :

Article L 313-22 du code monétaire et financier, dans sa rédaction en vigueur du 7 mai 2005 au 1er janvier 2014 et applicable en l'espèce :

Les établissements de crédit ayant accordé un concours financier à une entreprise, sous la condition du cautionnement par une personne physique ou une personne morale, sont tenus au plus tard avant le 31 mars de chaque année de faire connaître à la caution le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation bénéficiant de la caution, ainsi que le terme de cet engagement. Si l'engagement est à durée indéterminée, ils rappellent la faculté de révocation à tout moment et les conditions dans lesquelles celle-ci est exercée.

Le défaut d'accomplissement de la formalité prévue à l'alinéa précédent emporte, dans les rapports entre la caution et l'établissement tenu à cette formalité, déchéance des intérêts échus depuis la précédente information jusqu'à la date de communication de la nouvelle information. Les paiements effectués par le débiteur principal sont réputés, dans les rapports entre la caution et l'établissement, affectés prioritairement au règlement du principal de la dette.

L'établissement n'est pas tenu de prouver que les lettres d'information ont été reçues. Il doit établir qu'il a envoyé des lettres contenant les informations fixées par ce texte.

Le Crédit Agricole renonce à produire la preuve de l'envoi des lettres d'information annuelle. Le Crédit Agricole est donc déchu du droit aux intérêts.

Sur les sommes dues au titre du crédit n°680 sur le compte n°[XXXXXXXXXX03]:

Au titre du crédit n°680, d'un montant de 217.000 euros, le capital restant dû s'élève à 192.787,34 euros. Le débiteur a payé la somme de 18.181,01 euros au titre des intérêts, au vu de l'historique des mouvements en compte du 1er mars 2008 au 9 avril 2010 et du décompte du 26 octobre 2011 au 31 janvier 2020. Aucun mouvement en compte n'a été réalisé entre le 9 avril 2010 et le 26 octobre 2011, le solde n'ayant pas varié entre ces deux dates. Les documents versés par le Crédit Agricole permettent donc d'apprécier le quantum des intérêts débités sur toute la période. Il convient, pour ce qui concerne la caution, de déduire cette somme de celles restant dues par le débiteur principal.

Il reste dû par la caution, au titre du crédit n°680, la somme de 174.606,33 euros. Elle sera condamnée à payer cette somme avec intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir, conformément à la demande du Crédit Agricole.

Sur les sommes dues au titre du crédit n°216 sur le compte n°[XXXXXXXXXX02]:

Au titre du crédit n°216, d'un montant de 126.000 euros, le capital restant dû s'élève à 128.117,77 euros. Le débiteur a payé la somme de 5.510,32 euros au titre des intérêts et effectué des règlements pour un montant cummulé de 90.000 euros au vu de l'historique des mouvements en compte du 30 octobre 2009 au 25 juin 2010 et du décompte pour la période du 26 octobre 2011 au 31 janvier 2020. Aucun mouvement en compte n'a été réalisé entre le 25 juin 2010 et le 26 octobre 2011, le solde n'ayant pas varié entre ces deux dates. Les documents versés par le Crédit Agricole permettent donc d'apprécier le quantum des intérêts débités sur toute la période. Il convient, pour ce qui concerne la caution, de déduire ces sommes de celles restant dues par le débiteur principal.

Il reste dû par la caution, au titre du crédit n°680, la somme de 32.607,45 euros. Elle sera condamnée à payer cette somme avec intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir, conformément à la demande du Crédit Agricole.

Sur les sommes dues au titre du crédit n°849 sur le compte n°[XXXXXXXXXX01]:

Au titre du crédit n°849, d'un montant de 265.000 euros, le capital restant dû s'élève à 280.354,88 euros.

Le débiteur a payé la somme de 6.750,98 euros au titre des intérêts au vu de l'historique des mouvements en compte du 31 décembre 2019 au 9 avril 2010 et effectué des règlements pour un montant cummulé de 198.481,23 euros au vu du décompte pour la période du 26 octobre 2011 au 31 janvier 2020. Aucun mouvement en compte n'a été réalisé entre le 9 avril 2010 et le 26 octobre 2011, le solde n'ayant pas varié entre ces deux dates. Les documents versés par le Crédit Agricole permettent donc d'apprécier le quantum des intérêts débités sur toute la période. Il convient, pour ce qui concerne la caution, de déduire ces sommes de celles restant dues par le débiteur principal.

Il reste dû par la caution, au titre du crédit n°849, la somme de 75.122,67 euros. Elle sera condamnée à payer cette somme avec intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir, conformément à la demande du Crédit Agricole.

Conformément à la demande du Crédit Agricole, les intérêts dus pour une année seront capitalisés.

Sur l'engagement des biens communs :

L'article 1415 du code civil dispose :

Chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n'aient été contractés avec le consentement exprès de l'autre conjoint qui, dans ce cas, n'engage pas ses biens propres.

L'article 1415 du code civil n'a pas vocation à s'appliquer à des engagements simultanés de caution souscrits par deux époux, en des termes identiques, sur le même acte de prêt, pour la garantie de la même dette.

En l'espèce, les époux [V] sont marié sous le régime de la communauté légale. Ils se sont engagés simultanément sur les mêmes actes de prêts en garantie des mêmes dettes, ce pour chacun des trois crédits consentis par le Crédit Agricole.

Par conséquent les éventuels biens communs font partie du gage du Crédit Agricole.

Sur les frais et dépens :

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné M. [V] au paiement au Crédit Agricole de la somme de 2.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Il y a lieu de condamner solidairement les époux [V], parties succombantes, aux dépens d'appel et de rejeter les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour :

- Confirme le jugement en ce qu'il a :

- Ordonné la capitalisation des intérêts échus depuis une année à la date du paiement,

- Condamné M. [V] à payer à la société Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel d'Ille-et-Vilaine la somme de 2.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamné solidairement M. [V] aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile par la SELARL Bazille-Tessier-Preneux, avocat,

- Infirme le jugement pour le surplus,

Statuant à nouveau et y ajoutant :

- Se déclare compétent pour trancher l'entier litige relatif aux cautionnements souscrits et M. [V] et Mme [E],

- Condamne solidairement M. [V] et Mme [E] en leurs qualités de cautions solidaires de l'ouverture de crédit n°680 sur le compte n°[XXXXXXXXXX03] à payer à la société Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel d'Ille-et-Vilaine la somme de 174.606,33 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 10 avril 2020, date de l'assignation et jusqu'à parfait paiement,

- Condamne solidairement M. [V] et Mme [E] en leurs qualités de cautions solidaires de l'ouverture de crédit n°216 sur le compte n°[XXXXXXXXXX02] à payer à la société Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel d'Ille-et-Vilaine la somme de 32.607,45 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 10 avril 2020, date de l'assignation et jusqu'à parfait paiement,

- Condamne solidairement M. [V] et Mme [E] en leurs qualités de cautions solidaires de l'ouverture de crédit n°849 sur le compte n°[XXXXXXXXXX01] à payer à la société Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel d'Ille-et-Vilaine la somme de 75.122,67 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du 10 avril 2020, date de l'assignation et jusqu'à parfait paiement,

- Ordonne la capitalisation des intérêts dus pour une année,

- Rejette les autres demandes des parties,

- Condamne soldiairement M. [V] et Mme [E] aux entiers dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Le greffier Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 3ème chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 21/03701
Date de la décision : 13/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-13;21.03701 ?
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