3ème Chambre Commerciale
ARRÊT N°.
N° RG 21/02245 - N° Portalis DBVL-V-B7F-RQUS
Mme [J] [Y]
M. [O] [Y]
C/
S.A.R.L. JPDG HOLDING
infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 13 JUIN 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre,
Assesseur : Madame Fabienne CLEMENT, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseillère, rapporteur
GREFFIER :
Madame Morgane LIZEE, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 04 Avril 2023
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 13 Juin 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTS :
Madame [J] [Y]
[Adresse 5]
[Localité 2]
représentée par Me Camille VIAUD LE POLLES de la SELARL TGS FRANCE AVOCATS, avocat au barreau de NANTES substituée par Me Alexandre SIMONNEAU, avocat au barreau de NANTES
Monsieur [O] [Y]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représenté par Me Camille VIAUD LE POLLES de la SELARL TGS FRANCE AVOCATS, avocat au barreau de NANTES substituée par Me Alexandre SIMONNEAU, avocat au barreau de NANTES
INTIMEE :
S.A.R.L. JPDG HOLDING, immatriculée au RCS de NANTES sous le n°814 977 252, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 7]
[Localité 3]
représentée par Me Alexandre CORNET de la SELARL CVS, avocat au barreau de NANTES
La société AG PRODUCTION a pour activité l'étude, la conception et la réalisation de constructions en bois.
Selon protocole du 28 octobre 2015, M. [O] [Y] et sa soeur, Mme [J] [Y], se sont engagés à vendre à M. [D] [M] ou à toute société substituée les parts sociales qu'ils détenaient de la société AG PRODUCTION, soit 84% de son capital social.
L'acte de cession définitif a été signé le 14 décembre 2015, l'acquéreur étant la société JPDG HOLDING, et une convention de garantie d'actif et de passif a été conclue.
Le jour de la cession, les cédants ont avisé M. [M] de ce que la société MAAF, assureur décennal de la société AG PRODUCTION, avait résilié le contrat au 31 décembre suivant.
Le 16 mars 2016, un contrat d'assurance décennale rétroagissant au 1er janvier 2016 a été signé par la société AG PRODUCTION avec la société AXA, pour un surcoût que les cédants se sont engagés à prendre en charge.
D'autre part, postérieurement à la cession, seraient apparus des litiges non provisionnés.
Les parties n'ont pu parvenir à un accord sur l'application de la [Localité 4], malgré le recours conventionnellement prévu à un médiateur. Le prix définitif n'est toujours pas fixé.
Par acte du 15 juin 2018, la société JPDG HOLDING a assigné les consorts [Y] aux fins de voir prononcer la nullité de l'acte de cession de parts pour dol, les cédants lui ayant caché l'information déterminante selon laquelle la garantie décennale était résiliée au 31 décembre.
Par jugement du 11 mars 2021, le tribunal judiciaire de Nantes a:
- prononcé la nullité de l'acte de cession de parts sociales,
- dit que les consorts [Y] devront restituer la somme de 352.800 euros à la société JPDG HOLDING,
- dit que la société JPDG HOLDING devra restituer aux consorts [Y] les 220 parts qu'elle détient dans le capital social de la société AG PRODUCTION,
- condamné solidairement les consorts [Y] à payer à la société JPDG HOLDING la somme de 2.000 euros au titre de son préjudice moral,
- débouté la société JPDG HOLDING du surplus de ses demandes,
- condamné les consorts [Y] aux dépens,
- condamné les consorts [Y] au paiement de la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Appelants de ce jugement, les consorts [Y], par conclusions du 30 janvier 2023, ont demandé que la Cour:
- réforme le jugement rendu le 11 mars 2021 par le Tribunal de Judiciaire
de [Localité 6] sous le numéro de rôle 18/03029, seulement en ce qu'il a :
PRONONCE la nullité de l'acte de cession de parts sociales de la
société AG PRODUCTION signé le 14 décembre 2015 entre [O]
[Y] et [J] [Y] d'une part, et la SARL JPDG
HOLDING d'autre part,
- DIT que [O] [Y] et [J] [Y] devront restituer
la somme de 352.800 € à la SARL JPDG HOLDING,
- DIT que la SARL JPDG HOLDING devra restituer à [O]
[Y] les 200 parts sociales qu'elle détient dans la SARL A.G
PRODUCTION et à [J] [Y] les 220 parts sociales
qu'elle détient dans la SARL AG PRODUCTION,
- CONDAMNE solidairement [O] [Y] et [J]
[Y] à payer à la SARL JPDG HOLDING la somme de 2.000 €
au titre de son préjudice moral,
- CONDAMNE [O] [Y] et [J] [Y] aux dépens,
- DEBOUTER [O] [Y] et [J] [Y] de leur
demande de dommages et intérêts au titre de l'engagement d'une
procédure abusive,
- CONDAMNE solidairement [O] [Y] et [J]
[Y] à payer à la SARL JPDG HOLDING la somme de 3.000 €
au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- juger que l'intention dolosive et le caractère déterminant du consentement de l'information ne sont pas rapportés,
- juge que [O] [Y] et [J] [Y] n'ont pas commis de man'uvres dolosives à l'égard de la société JPDG HOLDING,
- déboute la SARL JPDG HOLDING de sa demande de nullité de la cession de parts sociales du 14 décembre 2015 ainsi que de l'ensemble de ses demandes indemnitaires,
- condamne la SARL JPDG HOLDING à payer à [O] [Y] et à [J] [Y] la somme de 40.000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
subsidiairement:
- ordonne une expertise ayant pour objet de:
- Arrêter le prix définitif de cession des parts sociales intervenu le 14 décembre 2015,
- Arrêter les comptes de la société AG PRODUCTION à la date de l'arrêt à intervenir et dresser un inventaire de son actif,
- Etablir la valeur des parts sociales restituées aux consorts [Y] au jour de la restitution
- Relever l'ensemble des dividendes versés par la société AG PRODUCTION à la société JPDG HOLDING entre le 14 décembre 2015 et le jour de la restitution des parts sociales,
- condamne la société JPDG HOLDING à prendre en charge la provision à valoir sur les frais d'expertise,
- condamne la société JPDG HOLDING à restituer l'intégralité des fruits perçus par cette dernière au titre des parts sociales de la société A.G. PRODUCTION depuis le 14 décembre 2015 jusqu'au jour de la restitution desdites parts sociales
- fasse injonction à la société JPDG de ne pas réaliser tout acte d'administration ou de disposition sur les actifs matériels et/ou immatériels de la société AG PRODUCTION, à l'exception des seuls actes strictement nécessaires à la conservation desdits actifs, à compter de l'Arrêt à intervenir et ce, sous astreinte de 10.000 € par infraction constaté,
- condamne la société JPDG HOLDING à garantir [O] [Y] et [J] [Y] de toute perte de valeur des parts sociales objet de la cession du 14 décembre 2015,
En tout état de cause,
- déboute la société JPDG HOLDING de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamne la société JPDG HOLDING à payer à [O] [Y] et [J] [Y] la somme de 8.000 € chacun au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, - condamne la société JPDG HOLDING aux entiers dépens de l'instance.
Par conclusions du 20 mai 2022, la société JPDG HOLDING a demandé que la Cour:
- confirme le Jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de NANTES
en ce qu'il a :
- Prononcé la nullité de l'acte de cession de parts sociales de la société AG PRODUCTION signé le 14 décembre 2015 entre [O] [Y] et [J] [Y] d'une part, et la SARL JPDG HOLDING d'autre part,
- Dit que [O] [Y] et [J] [Y] devront restituer la somme de 352.800 € à la SARL JPDG HOLDING,
- Dit que la SARL JPDG HOLDING devra restituer à [O] [Y] les 200 parts sociales qu'elle détient dans la SARL AG PRODUCTION et à [J] [Y] les 220 parts qu'elle détient dans la SARL AG PRODUCTION,
- Condamné solidairement les consorts [Y] à payer à la SARL JPDG HOLDING la somme de 2.000 € au titre de son préjudice moral,
- Condamné les consorts [Y] aux dépens,
- Condamné solidairement les consorts [Y] à payer à la SARL JPDG HOLDING la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- infirme le Jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de NANTES en ce qu'il a débouté la SARL JPDG HOLDING de ses demandes plus amples.
- juge la société JPDG HOLDING recevable et bien fondée en son action,
- juge que Monsieur et Madame [Y] ont commis de concert des man'uvres dolosives en dissimulant volontairement à la société JPDG HOLDING, avant la cession des parts de la société AG PRODUCTION, la résiliation en cours du contrat d'assurance
décennale ainsi qu'une sinistralité importante,
- annule, purement et simplement, l'acte de cession des parts sociales de la société AG PRODUCTION régularisé en date du 14 décembre 2015 entre Monsieur et Madame [Y] et la société JPDG HOLDING,
- ordonne par conséquent la restitution par Monsieur et Madame [Y] à la société JPDG HOLDING du prix de cession des parts, à savoir la somme de 352.800 €,
- ordonne corrélativement la restitution à Monsieur [O] [Y] des 200 parts cédées suivant acte du 14 décembre 2015 et la restitution à Madame [J] [Y] des 220 parts cédées suivant ce même acte,
- condamne solidairement Monsieur et Madame [Y] à payer à la société JPDG HOLDING une somme de 95.242,38 € au titre du préjudice subi du fait des man'uvres dolosives,
- déboute Monsieur et Madame [Y] de leurs prétentions nouvelles en cause d'appel,
- déboute Monsieur et Madame [Y] de l'ensemble de leurs prétentions, fins et conclusions, y compris leurs demandes subsidiaires,
- condamne solidairement Monsieur et Madame [Y] à payer à la société JPDG HOLDING la somme de 10.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- les condamne aux entiers dépens.
MOTIFS DE LA DECISION:
Compte tenu de la date de la cession, s'appliquent les anciennes dispositions du code civil relatives au dol.
Selon les dispositions de l'article 1116 ancien du code civil, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté.
Le fait pour les cédants d'une entreprise tenue aux garanties fixées par les dispositions des articles 1792 et suivants du code civil de ne pas avertir le cessionnaire, avant la cession, de ce que l'assureur a résilié le contrat d'assurance de responsabilité décennale de la société cédée, constitue incontestablement une manoeuvre dolosive, d'autant que la résiliation allait prendre effet de manière effective quinze jours après la cession.
Les cédants étaient pour leur part avisés de la résiliation plusieurs semaines avant la signature de l'acte de cession définitif.
Il doit dès lors être recherché si, sans cette manoeuvre, la société JPDG aurait contracté.
La résiliation par une compagnie d'assurance d'un contrat d'assurance ne constitue pas un soi, un empêchement de souscrire un contrat similaire auprès d'une autre compagnie, même s'il est probable que le nouveau contrat sera plus coûteux.
Si même la recherche d'un nouveau contrat n'aboutissait pas, le Bureau Central de Tarification peut être saisi afin de résoudre la difficulté puisqu'il s'agit d'une assurance obligatoire.
D'autre part, dans l'attente de la souscription d'un nouveau contrat, la société JPDG HOLDING n'a pas été totalement empêchée d'exercer son activité: les assureurs décennaux garantissent les chantiers dont la déclaration d'ouverture (DROC) a lieu durant le cours du contrat souscrit auprès d'eux.
Ainsi, durant les semaines durant lesquelles il a été recherché un nouveau contrat, la société JPDG a pu continuer tous les chantiers déjà ouverts et a simplement été empêché de démarrer les chantiers dont les marchés avaient été signés. Elle a pu aussi continuer à rechercher des clients et à établir des devis.
La recherche du nouvel assureur a duré environ dix semaines et le nouveau contrat a été souscrit le 16 mars 2016, avec un surcoût très important que les cédants ont accepté de prendre en charge, sachant qu'au demeurant, ils y étaient tenus par la convention de garantie de passif qu'ils avaient signé.
Il ne résulte pas de la lecture de ce contrat d'assurance que sa résiliation soit encourue en cas d'apparition d'un seul sinistre tandis qu'il n'est pas plus justifié, six années après sa souscription, du maintien d'un montant de prime très élevé dans un contexte où la société JPDG a pu faire la preuve de ses qualités de bonne gestionnaire de la société AG PRODUCTION.
D'autre part, la société JPDG HOLDING, après que la nouvelle de la résiliation de l'assurance ait été portée à sa connaissance, le jour de l'acte (après les signatures), n'a pas cherché à remettre en question la cession mais uniquement à être garantie financièrement des conséquences de la résiliation et de la souscription d'un contrat plus onéreux.
Le courrier constituant la pièce numéro 6 de la société JPDG évoque en effet de possibles 'réclamations' sans toutefois évoquer l'éventuelle nullité de la cession.
Ainsi, des échanges de courriers et de pièces entre les conseils sur l'étendue du jeu de la garantie d'actif et de passif ont eu lieu tout au long de l'année 2016, 2017 et une partie de l'année 2018.
Dans ce cadre, les cédants, le 20 novembre 2017, ont versé une somme de 50.000 euros pour consignation sur un compte CARPA en l'attente d'un accord.
Les discussions se sont aussi poursuivies durant la même période pour fixer le prix définitif, seul un prix provisoire ayant été payé lors de la cession, l'acte fixant les modalités de détermination du prix définitif.
Les parties se sont enfin engagées dans un processus de médiation d'octobre 2017 à janvier 2018, qui s'est soldé par un échec.
La demande d'annulation de la vente, introduite par acte du 15 juin 2018, apparaît alors consécutive à l'échec des négociations sur la fixation du prix définitif et sur l'étendue de la garantie de passif plutôt que fondée sur le comportement dolosif des cédants au moment de la vente.
Dès lors, il n'est pas démontré que la réticence dolosive des cédants à informer le cessionnaire de la résiliation du contrat d'assurance ait à l'évidence déterminé la société JPDG HOLDING à contracter et que mieux informée, elle n'eut pas, à l'évidence, contracté.
Il n'y a pas lieu de prononcer la nullité de la vente et le jugement déféré est infirmé de ce chef.
En revanche, l'absence de caractère déterminant de l'information recélée n'interdit pas à la société JPDG HOLDING de pouvoir solliciter des dommages et intérêts réparant le préjudice causé par la réticence des cédants.
Les demandes formulées au titre des préjudices matériels sont relatives aux frais liés à la vente et ne peuvent être accueillies en l'absence d'annulation de la cession.
Le préjudice moral de la société JPDG apparaît toutefois constitué en raison des tracas et soucis engendrés par la recherche d'une nouveau contrat d'assurance durant dix semaines et il lui est alloué à ce titre une somme de 20.000 euros que les cédants sont solidairement condamnés à lui payer.
Compte tenu des motifs qui précèdent, la procédure introduite par la société JPDG HOLDING ne peut être qualifiée d'abusive et la demande indemnitaire des consorts [Y] est rejetée.
Les consorts [Y] sont condamnés solidairement aux dépens et paieront à la société JPDG HOLDING la somme de 10.000 euros de frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS:
La Cour,
Infirme le jugement déféré.
Statuant à nouveau:
Déboute la société JPDG HOLDING de sa demande d'annulation de la cession des parts sociales de la société AG PRODUCTION et de toute prétention subséquente.
Condamne solidairement M. [O] [Y] et Mme [J] [Y] à payer à la société JPDG HOLDING la somme de 20.000 euros de dommages et intérêts.
Déboute les parties du solde de leurs demandes.
Condamne solidairement les consorts [Y] aux dépens de première instance et d'appel.
Condamne solidairement les consorts [Y] à payer à la société JPDG HOLDING la somme de 10.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT