1ère Chambre
ARRÊT N°174/2023
N° RG 21/00552 - N° Portalis DBVL-V-B7F-RJKE
Mme [E] [F] [Y] [R] épouse [V]
M. [C] [O] [W] [V]
C/
Mme [I] [T]
M. [K] [T]
Mme [D] [A]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 13 JUIN 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Aline DELIÈRE, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 27 mars 2023 devant Madame Aline DELIÈRE, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 13 juin 2023 par mise à disposition au greffe après prorogation du délibéré annoncé au 6 juin 2023 à l'issue des débats
****
APPELANTS :
Madame [E] [F] [Y] [R] épouse [V]
née le [Date naissance 1] 1970 à [Localité 10] (14)
[Adresse 6]
[Localité 9]
Représentée par Me Pierre BEAUVOIS de la SELARL BEAUVOIS PIERRE - PICART SÉBASTIEN - BERNARD HÉLÈNE, avocat au barreau de LORIENT
Monsieur [C] [O] [W] [V]
né le [Date naissance 5] 1971 à [Localité 12] (29)
[Adresse 6]
[Localité 9]
Représenté par Me Pierre BEAUVOIS de la SELARL BEAUVOIS PIERRE - PICART SÉBASTIEN - BERNARD HÉLÈNE, avocat au barreau de LORIENT
INTIMÉS :
Madame [I] [T]
née le [Date naissance 2] 1980 à [Localité 11] (ILE MAURICE)
[Adresse 7]
[Localité 9]
Représentée par Me Anne LE GOFF de la SARL ANNE LE GOFF AVOCAT, avocat au barreau de LORIENT
Monsieur [K] [T]
né le [Date naissance 4] 1980 à [Localité 14] (56)
[Adresse 7]
[Localité 9]
Représenté par Me Anne LE GOFF de la SARL ANNE LE GOFF AVOCAT, avocat au barreau de LORIENT
INTERVENANTE ASSIGNÉE EN INTERVENTION FORCÉE :
Madame [D] [A]
née le [Date naissance 3] 1979 à [Localité 13]
[Adresse 7]
[Localité 9]
Représentée par Me Anne LE GOFF de la SARL ANNE LE GOFF AVOCAT, avocat au barreau de LORIENT
FAITS ET PROCÉDURE
Les époux [C] [V] et [E] [R] sont propriétaires d'une maison située [Adresse 6], à [Localité 9] (56).
Les époux [K] [T] et [I]'[Z] étaient propriétaires de la maison voisine, au [Adresse 7], qu'ils ont acquise le 26 novembre 2016.
Les époux [T] ont fait réaliser, courant 2016 et 2017, une terrasse sur pilotis, en façade Sud de leur maison, au niveau du premier étage de celle-ci.
Courant mars 2019, les époux [V] ont adressé aux époux [T] un courrier les mettant en demeure d'installer une paroi opaque de 2 mètres de hauteur le long de leur terrasse, du côté de la maison des époux [V]. Le 28 juin 2019 ils ont renouvelé leur mise en demeure par courrier recommandé.
Les époux [T] ont installé une paroi translucide le long de la terrasse, du côté donnant sur le fonds des époux [V].
Le 17 février 2020, les époux [V] ont assigné les époux [T] devant le tribunal judiciaire de Lorient sur le fondement du trouble anormal du voisinage causé par l'existence depuis la terrasse voisine d'une vue plongeante et directe sur leur propriété.
Le 22 décembre 2020 les époux [T] ont vendu leur propriété à Mme [D] [A], avec prise de possession réelle fixée au 15 février 2021.
Par jugement du 7 janvier 2021 le tribunal judiciaire de Lorient a':
-débouté les époux [V] de leur demande de mesure d'instruction,
-débouté les époux [V] de leur demande d'installation d'un brise vue fixe, opaque ou translucide, et non amovible, d'une hauteur de 2 mètres sur la terrasse des époux [T],
-donné acte aux époux [T] de leur proposition de réaliser un mur brise vue d'une hauteur de 2 mètres en surélévation du mur séparatif existant,
-débouté les époux [V] de leur demande de dommages et intérêts pour préjudice de jouissance,
-débouté les époux [T] de leur demande de dommages et intérêts,
-condamné in solidum les époux [V] à payer aux époux [T] la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens.
Le 26 janvier 2021 les époux [V] ont fait appel de l'ensemble des chefs du jugement.
Le 23 avril 2021 ils ont assigné Mme [A] en intervention forcée devant la cour d'appel.
Ils exposent leurs moyens et leurs demandes dans leurs conclusions déposées et notifiées le 29 septembre 2021, auxquelles il est renvoyé.
Ils demandent à la cour de':
-joindre la présente instance avec l'instance pendante devant la 1ère chambre de la cour d'appel sous le RG n°21/00552,
-réformer le jugement du tribunal judiciaire de Lorient rendu le 7 janvier 2021 en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté les époux [T] de leur demande de dommages et intérêts,
-statuant à nouveau, débouter les époux [T] et Mme [A] de leurs demandes,
-avant dire droit, désigner un huissier de justice pour procéder à un constat des lieux, avec notamment la mission suivante : se rendre à [Localité 9], [Adresse 7], aux fins de dresser un état des lieux précis de la terrasse surélevée et notamment des vues existantes sur le jardin du [Adresse 6], en prenant des photographies,
-dire que le coût d'intervention de l'huissier pourra être avancé par les époux [V] et intégrera les dépens d'instance,
-débouter les époux [T] de leurs demandes,
-les débouter de leur demande de dommages et intérêts,
-dire que les époux [V] subissent un trouble anormal de voisinage en raison de la vue directe et plongeante créée par la terrasse surélevée des époux [T],
-condamner in solidum les époux [T] et Mme [A] à installer un brise vue fixe, opaque ou translucide, et non amovible d'une hauteur de 2 mètres sur toute la partie de terrasse donnant sur la propriété des requérants et ce pour garantir 1'intimité des époux [V], sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du prononcé de la décision à intervenir,
-condamner in solidum les époux [T] et Mme [A] à leur payer la somme de 5500 euros de dommages et intérêts en réparation du trouble de jouissance subi et de l'absence d'intimité depuis la création de la terrasse,
-les condamner in solidum à leur payer la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-les condamner in solidum aux entiers dépens d'instance, qui comprendront le coût des deux constats d'huissier.
Les époux [T] et Mme [A] exposent leurs moyens et leurs demandes dans leurs conclusions déposées et notifiées le 2 juillet 2021, auxquelles il est renvoyé.
Ils demandent à la cour de':
-dire que l'existence d'un trouble anormal de voisinage ayant pour origine la présence de la terrasse surélevée sur la propriété de Mme [A] n'est pas établie,
-confirmer le jugement sauf en ce qu'il a rejeté leur demande de dommages et intérêts,
-condamner in solidum les époux [V] à verser aux époux [T] la somme de 3000 euros de dommages et intérêts en réparation de leurs préjudices de jouissance et moral,
-les condamner in solidum à leur payer la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-les condamner in solidum à verser à Mme [A] la somme de 2000 euros de dommages et intérêts en réparation de ses préjudices de jouissance et moral et celle de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamner les époux [V] aux entiers dépens d'appel.
MOTIFS DE L'ARRÊT
1) Sur la demande de jonction
Les époux [V] demandent à la cour de joindre la procédure RG n°21-00552, qui est la présente procédure, avec la procédure RG n°21-00552 pendante devant la cour d'appel.
Cette demande, qui ne repose sur aucun motif dans les conclusions des appelants, n'a aucun sens, n'est pas fondée et sera rejetée.
2) Sur la demande de désignation d'un huissier de justice pour réaliser un constat des lieux
Les pièces versées à la procédure par chaque partie, notamment les nombreuses photographies, depuis le fonds des époux [V] et depuis le fonds des époux [T], comme le constat d'huissier et les plans des lieux, sont suffisantes pour permettre à la cour, qui peut parfaitement appréhender la situation des lieux et de leurs occupants, de statuer.
Le jugement, qui a rejeté la demande de désignation d'un huissier de justice pour réaliser un constat de l'état des lieux, sera confirmé.
3) Sur les demandes au titre du trouble anormal du voisinage
Il ressort des articles 544 et 651 du code civil que le droit du propriétaire de jouir de son bien de la manière la plus absolue, dans le cadre des lois et règlements, est limité par l'obligation de ne causer à son voisin aucun trouble anormal du voisinage.
La propriété des époux [V] et celle des époux [T], désormais celle de Mme [A], sont contiguës. Un mur de clôture d'une hauteur de 1,85 mètres les sépare.
Le bord de la terrasse construite par les époux [T] se trouve à 4 mètres environ de ce mur. La terrasse a une surface de 27 m². Elle est édifiée au niveau du plancher du 1er étage de la maison, à 2,27 cms au-dessus du sol du jardin. Donnent sur cette terrasse, la porte d'entrée de la maison, qui préexistait, et une porte-fenêtre créée pour accéder à la terrasse.
Avant que la terrasse ne soit construite, un escalier menait du jardin à un petit perron et à la porte d'entrée existante. La terrasse actuelle est au même niveau que l'ancien petit perron désormais intégré à la terrasse.
La terrasse est bordée d'une rembarde en métal d'un mètre de hauteur. Les époux [T] ont installé, le long de cette rembarde, une paroi translucide, du côté du fonds des époux [V]. Une personne, debout sur la terrasse, a une vue sur le jardin des époux [V] plus ou moins importante selon la position sur la terrasse
Il n'est pas contestable que, depuis la terrasse, il existe une vue sur le jardin des époux [V] et que l'occupation de la terrasse, notamment pendant la belle saison, aura pour effet d'augmenter les occasions de porter le regard sur le jardin voisin.
Mais la cour relève que':
-la terrasse n'est pas implantée en limite de propriété, une distance de 4 mètres environ séparant son bord du jardin voisin, de telle sorte que la terrasse ne surplombe pas directement le jardin voisin, et qu'à l'autre extrémité de la terrasse, même en position debout, la vue est limitée,
-la vue est d'autant limitée, notamment pour les personnes en position assise, qu'elle est empêchée par la paroi translucide,
-depuis l'ancien perron, une vue, même plus limitée, existait déjà, notamment le temps de descendre les marches de l'escalier,
-de l'autre côté du jardin des époux [V], une terrasse ou un perron dépendant de la maison située au n°1 de la même rue, est positionnée en limite de propriété et il existe également une vue,
-les fenêtres d'un immeuble de plusieurs étages donnent sur le jardin des époux [V], qui n'est pas totalement masqué, même en été, par les plantations et la vue peut s'exercer depuis les étages supérieurs.
-il en est de même depuis les fenêtres des étages de la propriété actuelle de Mme [A],
-de façon générale, le quartier où sont implantées les maisons est un quartier qui mêle maisons individuelles avec jardin et immeubles collectifs, les constructions étant mitoyennes ou très proches les unes des autres, permettant ainsi des vues réciproques, de telle sorte que le jardin des époux [V] n'est pas protégé de toute vue depuis les fonds voisins,
-l'autre côté de la terrasse donne, en limite des deux fonds, sur le jardin de la maison située au n°[Adresse 8], et il ressort d'une attestation du propriétaire du jardin, que les époux [V] et lui-même se sont mis d'accord, sans difficultés, pour poser un simple claustra, agrémenté d'un jasmin.
Si effectivement, les conditions de vue sur la propriété des époux [V] ont été modifiées depuis la construction de la terrasse, le trouble qui en résulte ne constitue pas, dans un milieu densément construit, un trouble anormal du voisinage.
C'est donc à juste titre que le tribunal a rejeté toutes les demandes des époux [V] à l'encontre des époux [T]. Du reste, devant la cour et compte-tenu du changement de propriétaire, la demande d'exécution en nature est irrecevable à l'encontre des époux [T].
Devant la cour, les demandes formées contre Mme [A], actuelle propriétaire du fonds, seront rejetées.
4) Sur les demandes de dommages et intérêts des époux [T] et de Mme [A]
Depuis les premières réclamations de leurs voisins, les époux [T], attentifs à leurs doléances, ont doublé la rambarde d'une paroi translucide, ont installé des pots plantés de bambous et ont également posé provisoirement des canisses. Les époux [V] leur ont cependant adressé des mises en demeure et ont engagé une action en justice à leur encontre.
Les troubles et tracas causés aux époux [T] par le comportement des époux [V] sont certains et en réparation de leur préjudice moral et de jouissance, après infirmation du jugement, il leur sera alloué la somme de 2000 euros de dommages et intérêts.
Mme [A], qui a acquis la maison le 22 décembre 2020 en toute connaissance de cause, alors que la procédure était en cours, l'affaire ayant été plaidée le 3 décembre 2020, ne justifie d'aucun préjudice moral ou de jouissance. Sa demande de dommages et intérêts sera rejetée.
5) Sur les dépens et les frais non compris dans les dépens
Le jugement sera confirmé de ces deux chefs.
Partie perdante, les époux [V] seront condamnés aux dépens et leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée.
Il n'est pas équitable de laisser à la charge des intimés les frais qu'ils ont exposés qui ne sont pas compris dans les dépens et il leur sera alloué, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, aux époux [T], la somme de 2500 euros et à Mme [A] la somme de 1500 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Déboute les époux [C] et [E] [V] de leur demande de jonction,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts formée par les époux [K] et [I] [T],
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne in solidum les époux [C] et [E] [V] à payer aux époux [K] et [I] [T] la somme de 1500 euros de dommages et intérêts,
Déboute Mme [D] [A] de sa demande de dommages et intérêts,
Déboute les époux [C] et [E] [V] de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Les condamne in solidum à payer aux époux [K] et [I] [T] la somme de 2500 euros et à Mme [D] [A], celle de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Les condamne in solidum aux dépens.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE