7ème Ch Prud'homale
ARRÊT N°241/2023
N° RG 20/01973 - N° Portalis DBVL-V-B7E-QSKX
Mme [W] [S]
C/
Société LA POSTE - DRR OUEST BRETAGNE
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 08 JUIN 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Liliane LE MERLUS, Conseillère, Faisant fonction de Président
Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,
Assesseur : Monsieur Hervé KORSEC, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,
GREFFIER :
Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 13 Mars 2023 devant Madame Liliane LE MERLUS et Madame Isabelle CHARPENTIER, magistrats tenant seuls l'audience en la formation double rapporteur, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
En présence de Madame [F] [T], médiatrice judiciaire
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 08 Juin 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
Madame [W] [S]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Roger POTIN, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de BREST
INTIMÉE :
Société LA POSTE - DRR OUEST BRETAGNE
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Pierre-Yves ARDISSON de la SELARL ARES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES substitué par Me LE VASSEUR, avocat au barreau de RENNES
EXPOSÉ DU LITIGE
Mme [W] [S] a été engagée par la SA La Poste selon un contrat emploi solidarité à durée déterminée à temps partiel en date du 09 octobre 1995 pour une durée de six mois.
Le contrat a été prolongé du 09 avril 1995 au 08 octobre 1996.
À l'issue de ce contrat, Mme [S] n'a plus travaillé pour le compte de La Poste pendant près de 11 mois.
Durant cette période, elle travaillait en qualité de secrétaire commerciale et administrative au sein d'une société Quimpéroise de laquelle elle a démissionné le 29 juillet 1997.
Le 1er septembre 1997, Mme [S] a été de nouveau embauchée par La Poste selon un contrat à durée déterminée. Le contrat a été renouvelé du 06 octobre au 31 décembre 1997.
Le 1er janvier 1998, Mme [S] a été embauchée par La Poste suivant contrat de travail intermittent à durée indéterminée, puis selon un contrat à durée indéterminée temps complet à compter du 1er novembre 2002.
En dernier état de la relation de travail avant la saisine de la juridiction prudhomale, Mme [S] exerçait les fonctions de chargée de clientèle et percevait une rémunération moyenne mensuelle brute de 2 435,13 euros.
***
Mme [S] a saisi le conseil de prud'hommes de Quimper par requête en date du 11 octobre 2013 afin de voir :
- Constater que l'ancienneté de la salariée prise en compte par l'employeur ne correspond pas à son entrée à La Poste
- Fixer la date de l'ancienneté de la salariée à la date de la première embauche, en application de l'article 24 de la convention collective applicable selon la jurisprudence de la Cour de cassation.
- Constater que l'ancienneté de la salariée doit être modifiée sur les bulletins de paie et dire que cette ancienneté produit effet sur les salaires qu'aurait du percevoir la salariée
- Constater que la saisine prud'homale date du 11 octobre 2013.
- Considérer de ce chef, que la durée de prescription salariale applicable est de 5 ans moins 136 jours
- Condamner La Poste à payer 1 790,21 euros de rappels de salaire et 179,02 euros d'indemnité compensatrice de congés payés sur rappel de salaire pour Mme [S].
- Condamner La Poste à payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis.
- Condamner La Poste à payer au titre de l'article 700 du code de procédure civile la somme de 1 000 euros.
- Dire que La Poste devra fournir un bulletin de paie rectifié, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du 8ème jour après notification du jugement.
- Dire que le conseil se réserve le pouvoir de liquider l'astreinte ordonnée sur simple demande de la salariée, conformément à l'article 5 de la loi du 09 juillet 1991.
- Condamner La Poste aux dépens.
La SA La Poste a demandé au conseil de prud'hommes de :
A titre principal,
- Déclarer irrecevables car prescrites l'intégralité des demandes formulées par Mme [S].
À titre subsidiaire,
- Débouter Mme [S] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
Et, en tout hypothèse,
- Condamner Mme [S] à verser à La Poste la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement en date du 02 mars 2020, le conseil de prud'hommes de Quimper a :
- Constaté que les demandes qui ont été formulées par Mme [W] [S] le 11 octobre 2013 concernant une période antérieure au 17 juin 2008 sont donc prescrites et donc irrecevables.
- Débouté Mme [W] [S] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
- Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
- Laissé les éventuels dépens à la charge de Mme [S].
***
Mme [S] a régulièrement interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe en date du 16 mars 2020.
En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 11 mars 2020, Mme [S] demande à la cour de :
- Infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Quimper le 02 mars 2016 en ce qu'il a constaté que ses demandes étaient prescrites et irrecevables, l'a déboutée de l'ensemble des ses demandes et a laissé les éventuels dépens à sa charge.
'Statuant à nouveau,
- Déclarer Mme [S] recevable et bien fondée en ses demandes,
- Dire et juger que les demandes de Mme [S] ne sont pas prescrites,
- Dire et juger que l'employeur doit, chaque mois, tenir compte d'une reprise d'ancienneté de 4 mois pour déterminer le coefficient applicable à la salariée,
- En conséquence, condamner La Poste à verser à Mme [S] la somme de :
- 586,44 euros bruts outre 58,64 euros bruts au titre des congés payés afférents.
- Dire et juger que La Poste devra appliquer à Mme [S] un coefficient 506,19 ou tout nouveau coefficient qui pourrait être décidé au terme d'un prochain accord salarial, jusqu'à ses 24 ans d'ancienneté, soit jusqu'au mois de septembre 2021,
- Dire et juger que La Poste devra tenir compte pour lal détermination de l'ancienneté de Mme [S] d'une reprise d'ancienneté de 4 mois.
- Dire et juger que l'employeur a manqué à son obligation d'exécution loyale du contrat de travail,
- Condamner La Poste à verser à Mme [S] la somme de 1000 euros de dommages et intérêts de ce chef,
- Infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Quimper en ce qu'il a débouté Mme [S] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau,
- Condamner La Poste à verser à Mme [S] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la première instance,
Y ajoutant,
- Condamner La Poste à verser à Mme [S] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, en cause d'appel,
- Condamner la même aux entiers dépens en cause d'appel, en sus des dépens de première instance.'
En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 20 août 2020, la SA La Poste demande à la cour d'appel de :
- Dire et juger mal fondé l'appel interjeté par Madame [S] contre le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Quimper le 2 mars 2016 (RG 15/00177 - section commerce),
En conséquence,
- Infirmer(erreur matérielle : en réalité confirmer) ledit jugement en toutes ses dispositions,
A défaut,
- Débouter Madame [S] de toutes ses demandes,
Y additant et en toute hypothèse,
- Débouter Madame [S] de sa demande d'application du coefficient 506,19,
- Condamner Madame [S] à payer à La Poste la somme de
3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- La condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel.
***
La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du conseiller de la mise en état le 28 février 2023 avec fixation de la présente affaire à l'audience du 13 mars 2023.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour l'exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions susvisées qu'elles ont déposées et soutenues à l'audience.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Mme [S] critique le conseil de prud'hommes en ce qu'il a, selon elle, commis une erreur manifeste d'appréciation en prenant, pour juger que son action était prescrite, pour point de départ de la prescription la date de signature du contrat à durée indéterminée intermittent qui ne fait état d'aucune reprise d'ancienneté, alors que la reprise d'ancienneté est un droit issu de la convention collective et donc par principe continu, de sorte qu'à paiement de chacune de ses paies elle pouvait observer que l'employeur ne tenait pas compte de son ancienneté acquise au titre des contrats antérieurs au contrat à durée indéterminée ; qu'il en résulte que lorsqu'elle a saisi le conseil des prud'hommes le 11 octobre 2013, elle pouvait parfaitement former des demandes de rappel de salaires pour une période courant depuis le mois d'octobre 2008, comme elle l'a fait.
La SA La Poste, qui fait observer qu'en première instance Mme [S] solicitait une reprise d'ancienneté à la date de la signature de son premier contrat à durée déterminée, c'est à dire au 9 octobre 1995, a modifié sa demande en cause d'appel pour fixer désormais la reprise d'ancienneté au 1 er septembre 1997, date de prise d'effet du second CDI, mais que ce changement est sans incidence sur le fait que la prescription extinctive de cette demande est acquise, puisqu'elle a saisi le conseil des prud'hommes de [Localité 3] le 11 octobre 2013, soit plus de 15 ans après la fin du second CDD et la signature de son CDI, alors que par l'effet des réformes successives sur la prescription son action était prescrite le 19 juin 2013 ; que c'est exactement le raisonnement des premiers juges, qui ont dit irrecevables ses demandes en indiquant qu'elles concernent une période antérieure au 17 juin 2008 ; que la position soutenue par Mme [S] est en revanche erronée dès lors qu'elle soutient qu'en matière de rappel de salaire le point de départ doit être fixé à la date d'exigibilité de la créance salariale et qu'elle est parfaitement recevable à solliciter un rappel de salaire à compter du 30 octobre 2005 et arrêté au mois de janvier 2020, et à demander que la reprise d'ancienneté soit appliquée pour l'avenir, puisque sa demande de rappel de salaire ne peut être considérée isolément de la demande de reprise d'ancienneté dès lors qu'elle n'en est que la conséquence.
A titre subsidiaire elle fait valoir que la date d'ancienneté au 1 er septembre 1997 est de toute façon l'ancienneté contractuelle qui a été effectivement retenue, mais que par contre son ancienneté de rémunération a été fixée au 1 er janvier 1998 puisqu'il s'agit du premier contrat précédant le CDI qui prévoyait le même niveau de classification que le CDI, conformément aux dispositions conventionnelles, de sorte que sa demande n'est pas justifiée au fond ; que sa demande pour l'avenir est sans objet puisqu'elle a désormais une ancienneté de rémunération identique à son ancienneté contractuelle en raison de bonifications dont elle bénéficie pour avoir travaillé en zone quartier prioritaire ; que sa demande sur l'application du coefficient 506.19, nouvelle en cause d'appel, n'est ni explicitée en son fondement ni justifiéee.
***
L'article 2219 du code civil dispose que la prescription acquisitive est un mode d'extinction d'un droit résultant de l'inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps.
En application de l'article 2222 du même code, la loi qui allonge la durée d'une prescription ou d'un délai de forclusion est sans effet sur une prescription ou une forclusioin acquise. Elle s'applique lorsque le délai de prescription ou le délai de forclusion n'était pas expiré à la date de son entrée en vigueur. Il est alors tenu compte du délai déjà écoulé.
En l'espèce, Mme [S] a connu son droit au plus tard lors de la réception du premier bulletin de paie en janvier 1998.
Elle bénéficiait alors d'une prescription extinctive de 30 ans, réduite à 5 ans suite à l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 sur la prescription, soit un délai d'action expirant au 17 juin 2013.
Suite à l'entrée en vigueur de la loi du 14 juin 2013 sur la prescription, son délai d'action, s'agissant d'une action portant sur l'exécution du contrat de travail, a été réduit à 2 ans, portant la date de prescription extinctive au 19 juin 2013.
L'action de Mme [S], qui a saisi le conseil de prud'hommes de Quimper seulement le 11 octobre 2013 est donc irrecevable, comme l'a jugé à bon droit cette juridiction, puisque la demanderesse était forclose.
Toutes les demandes à caractère salarial et indemnitaire de Mme [S], y compris la demande d'application du 'cofficient 506.9 ou le nouveau coefficient qui pourrait être décidé au terme d'un prochain accord salarial, jusqu'à ses 24 ans d'ancienneté', nées de la contestation portant sur l'exécution du contrat de travail, action elle-même prescrite, et subséquentes à celle-ci, sont donc irrecevables.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu'après avoir constaté la prescription et l'irrecevabilité des demandes de Mme [S], il l'en a déboutée.
Il n'est pas inéquitable de laisser à chacune des parties ses frais irrépétibles de première instance et d'appel. Mme [S], qui succombe, doit être condamnée aux dépens d'appel, comme à ceux de première instance.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a débouté Mme [W] [S] de 'l'ensemble de ses demandes',
Statuant à nouveau sur ce chef, et y ajoutant,
Déboute les parties de leurs demandes respectives au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel,
Condamne Mme [W] [S] aux dépens de première instance et d'appel.
Le Greffier Le Président