CHAMBRE : 9ème Ch Sécurité Sociale
N° RG 20/04351 - N° Portalis DBVL-V-B7E-Q5EM
Date de la décision attaquée : 21 AOUT 2020
Décision attaquée : AU FOND
Juridiction : POLE SOCIAL DU TJ DE [Localité 3]
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APPELANT
[R] [T]
Représenté par Me Etienne BOITTIN, avocat au barreau de SAINT-NAZAIRE,
substitué par M° Agathe Boyer, avocat au barreau de SAINT-NAZAIRE,
INTIMÉES
S.A. [5]
Représentée par Me Brigitte BEAUMONT, avocat au barreau de PARIS,
substituée par M° Fabienne Michelet, avocate au barreau de Rennes ;
S.A.R.L. [4]
Représentée par Me Fabienne PALVADEAU-ARQUE, avocat au barreau de Nantes ;
[2]
représentée par Mme [G] [F] en vertu d'un pouvoir spécial
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Nous, Elisabeth Serrin, Présidente de chambre, magistrat chargé d'instruire l'affaire, juge chargé du contrôle de la mesure d'expertise, assistée d'Adeline TIREL, greffier ;
Vu l'arrêt de cette cour en date du 21 septembre 2022 désignant le docteur [I] [U] pour procéder à l'expertise de M. [T] ;
Vu les articles R.142-11 du code de la sécurité sociale, articles 939 et 446-2, 155 et suivants, spécialement l'article 167 et l'article 236 du code de procédure civile ;
Vu notre ordonnance du 7 mars 2023 sur saisine d'office invitant les parties à conclure sur l'extension de la mission d'expertise, invitant l'expert à faire connaître son avis sur cette extension et fixant au 10 mai 2023 à 9 h 15 l'audience à laquelle les parties ont été convoquées ;
Vu les écritures adressées au greffe par le RPVA pour M. [T] auxquelles s'est référé et qu'a développées son conseil à l'audience et aux termes desquelles il est demandé au juge chargé du contrôle de la mesure d'expertise de :
- de le déclarer recevable et bien fondé en ses conclusions ;
- d'étendre la mission d'expertise confiée au docteur [I] [U] dans les termes suivants :
Indiquer si, après la consolidation, la victime subit un déficit fonctionnel permanent et, dans l'affirmative, évaluer les trois composantes :
- altération permanente d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales ou psychiques en chiffrant le taux d'incapacité par référence au dernier barème d'évaluation médico-légal de la société de médecine légale et de criminologie et de l'association des médecins experts en dommage corporel ;
- douleurs subies après la consolidation en précisant leur fréquence et leur intensité ;
- atteinte à la qualité de vie de la victime en précisant le degré de gravité ;
- de condamner la société [4] à lui verser une somme de 1 200 euros, au visa de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les écritures n°2 parvenues au greffe par le RPVA le 5 mai 2023, auxquelles s'est référé et qu'a développées son conseil à l'audience et aux termes desquelles la société [4] demande à la cour :
A titre principal :
Au visa de l'article L. 452-3 du code de sécurité sociale,
- de rejeter la demande d'extension d'expertise à l'ensemble du déficit fonctionnel permanent tel que demandé par M. [T] ;
- de la recevoir en sa demande ;
- de limiter l'extension de la mission d'expertise confiée au docteur [I] [U] aux souffrances endurées :
« Donner une description des souffrances physiques et morales en distinguant le préjudice temporaire avant consolidation et le préjudice définitif après consolidation et les évaluer distinctement dans une échelle de 1 à 7 » ;
A titre subsidiaire, et si la cour (sic) faisait droit à l'extension d'expertise sur l'ensemble du déficit fonctionnel permanent :
- d'écarter la demande d'extension d'expertise au profit d'une évaluation fractionnée des composantes du déficit fonctionnel permanent de M. [T] ;
- de la recevoir en sa demande ;
- d'étendre la mission d'expertise confiée au docteur [I] [U] en ces termes :
- dire si, après consolidation, M. [T] subit un déficit fonctionnel permanent ;
- fixer par référence au barème indicatif d'évaluation des taux d'incapacité en droit commun établi par le Concours Médical, le taux résultant d'une ou plusieurs atteinte permanente à l'intégrité physique et psychique (AIPP) persistant au moment de la consolidation, constitutif d'un déficit fonctionnel permanent ;
- donner une description des trois composantes de cette [1] en référence au diagnostic séquellaire ;
Vu les écritures parvenues au greffe le 9 mai 2023 auxquelles s'est référée et qu'a développées
son conseil à l'audience et aux termes desquelles la société [5] demande de :
- rejeter la demande d'extension de mission telle que sollicitée par M. [T],
- déclarer que la société [5] s'en rapporte à justice quant à l'extension de la
mission de l'expert judiciaire sur le poste de souffrances endurées post-consolidation telle
que formulée par la Cour,
- déclarer que la concluante se réserve de développer, le moment venu, tous moyens de forme et de fond,
- rejeter toutes demandes plus amples et contraires.
Vu les écritures parvenues au greffe le 9 mai 2023 auxquelles s'est référée et qu'a développées sa représentante à l'audience et aux termes desquelles la caisse demande à la cour :
- d'étendre la mission d'expertise du docteur [I] [U] en ces termes :
- dire si, après consolidation, M. [T] subit un déficit fonctionnel permanent ;
- fixer par référence au barème indicatif d'évaluation des taux d'incapacité en droit commun établi par le Concours Médical, le taux résultant d'une ou plusieurs atteinte permanente à l'intégrité physique et psychique (AIPP) persistant au moment de la consolidation, constitutif d'un déficit fonctionnel permanent ;
- donner une description des trois composantes de cette [1] en référence au diagnostic séquellaire ».
SUR CE :
Au sens des dispositions de l'article 167 précité du code de procédure civile, le juge chargé du contrôle de la mesure d'expertise peut se saisir d'office lorsqu'il constate une difficulté dans l'exécution de la mesure d'instruction.
Tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale permet à la victime d'un accident du travail de demander à l'employeur dont la faute inexcusable a été reconnue la réparation d'autres chefs de préjudice que ceux énumérés, à la condition que ses préjudices ne soient pas déjà couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.
Comme l'a jugé la Cour de cassation (Ass. plén., 20 janvier 2023, pourvoi n° 20-23.673 et pourvoi n° n° 21-23.947) eu égard à son mode de calcul appliquant au salaire de référence de la victime le taux d'incapacité permanente défini à l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale, la rente versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle ne répare pas le déficit fonctionnel permanent.
Ce poste de préjudice permet, pour la période postérieure à la consolidation, d'indemniser non seulement l'atteinte objective à l'intégrité physique et psychique, mais également les douleurs physiques et psychologiques, ainsi que la perte de qualité de vie et les troubles ressentis dans les conditions d'existence personnelles, familiales et sociales.
Il s'en déduit que la victime d'une faute inexcusable de l'employeur peut obtenir une réparation complémentaire au titre de ces préjudices.
S'agissant de l'atteinte objective à l'intégrité physique et psychique, comme l'a jugé la cour de cassation, dès lors que l'instance ne porte que sur la liquidation des préjudices subis par la victime en conséquence de la faute inexcusable de l'employeur, les demandes des parties ne peuvent, dans le cadre de l''expertise et même après, tendre à remettre en cause, en fait ou en droit, les décisions prises par la caisse, en ce qu'elles portent sur la date de consolidation et le taux d'incapacité, en l'absence de tout recours exercé par ces dernières en temps utile, par les voies de droit dont elles disposaient (2e Civ., 15 février 2018, pourvoi n° 16-20.467). Il y aura donc lieu à ce titre de se reporter au taux d'incapacité notifié, soit en l'espèce un taux d'incapacité permanente partielle (IPP) de 100 % au 2 mars 2015.
Compte tenu du taux d'IPP de 100 % retenu par le médecin conseil, un débat s'est élevé à l'audience sur la possibilité d'étendre la mission dans les termes des missions de type « grand handicap » afin de la compléter et de solliciter de l'expert une description détaillée du tableau séquellaire.
S'agissant des souffrances endurées, l'expert sera invité à décrire les souffrances physiques et psychiques découlant des blessures subies en distinguant le préjudice temporaire avant consolidation et le préjudice définitif après consolidation et à les évaluer distinctement dans une échelle de 1 à 7. Il sera également invité à préciser si les souffrances post-consolidation sont déjà comprises dans le taux d'IPP.
S'agissant des troubles ressentis dans les conditions d'existence personnelles, familiales et sociales qu'il convient de distinguer du préjudice d'agrément, il appartiendra à la cour de les apprécier au regard de l'atteinte objective à l'intégrité physique et psychique et de ses répercussions sur la vie quotidienne.
Sous le bénéfice de ces explications, est justifié de compléter la mission de l'expert comme précisé au dispositif.
PAR CES MOTIFS :
Ordonnons une extension de la mission d'expertise sur les points suivants :
- décrire, dans le cadre de l'examen clinique détaillé de M. [T], les déficits neuro-moteurs, sensoriels, orthopédiques et leur répercussion sur les actes et gestes de la vie quotidienne ;
- décrire les souffrances physiques et psychiques découlant des blessures subies en distinguant le préjudice temporaire avant consolidation et le préjudice définitif après consolidation et les évaluer distinctement dans une échelle de 1 à 7 ;
- préciser si le taux d'incapacité fixé inclut les souffrances post-consolidation ;
Rappelons que la cour a sursis à statuer jusqu'au dépôt du rapport d'expertise et dit que les débats seront repris à la demande de la partie la plus diligente, sous réserve du dépôt de ses conclusions et de la justification de leur notification préalable aux parties adverses ;
Prolongeons en tant que de besoin au 31 octobre 2023 la date de dépôt du rapport d'expertise ;
Joignons les dépens de la présente instance au fond ;
Ordonnons la radiation de l'affaire.
Rennes le 6 juin 2023,
Le greffier, Le magistrat chargé du contrôle de la mesure d'expertise,