7ème Ch Prud'homale
ARRÊT N°235/2023
N° RG 20/02304 - N° Portalis DBVL-V-B7E-QTOK
S.A.S. PLUDIS
C/
Mme [E] [P]
Copie exécutoire délivrée
le :01/06/2023
à :MAITRES
[O]
[X]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 01 JUIN 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,
Assesseur : Madame Liliane LE MERLUS, Conseillère,
Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 06 Mars 2023
En présence de Monsieur [V] [Z], médiateur judiciaire
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 01 Juin 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
S.A.S. PLUDIS
[Adresse 6]
[Localité 1]
Représentée par Me Sylvain LEBIGRE de la SELARL S. LEBIGRE, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Elise GALLET, Plaidant, avocat au barreau de POITIERS
INTIMÉE :
Madame [E] [P]
née le 27 Octobre 1980 à [Localité 4]
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Me Christelle BOULOUX-POCHARD de la SELARL DIFENN AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Christophe LHERMITTE de la SCP GAUVAIN, DEMIDOFF & LHERMITTE, Postulant, avocat au barreau de RENNES
EXPOSÉ DU LITIGE
La SAS Pludis qui exploite un supermarché sous l'enseigne Leclerc situé à [Localité 5] (22) a embauché Mme [E] [P] en qualité d'employée commerciale selon un contrat de travail à durée indéterminée en date du 28 décembre 2015.
Les relations entre les parties étaient régies par la convention collective du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire.
Par courrier en date du 1er août 2017, Mme [P] était convoquée à un entretien préalable au licenciement fixé au 08 août suivant.
Puis, par courrier recommandé avec accusé de réception daté du 11 août 2017, la société a notifié à Mme [P] son licenciement pour faute grave aux motifs suivants :
- Non-respect des plannings de travail
- Violation des consignes de travail
- Modification des prix de vente des marchandises en vente dans le magasin.
Par courrier en date du 27 mars 2018, le conseil de Mme [P] a vainement contesté le licenciement.
***
Mme [P] a saisi le conseil de prud'hommes de Dinan le 17 juillet 2018 afin de voir juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse et de contester sa classification conventionnelle.
Elle sollicitait le paiement de différentes sommes à titre de rappels de salaire, indemnités et dommages-intérêts, ainsi que la remise par l'employeur de documents de fin de contrat rectifiés sous astreinte et le paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle sollicitait enfin le bénéfice de l'exécution provisoire.
Par jugement en date du 14 janvier 2020, le conseil de prud'hommes de Dinan a :
- Jugé le licenciement pour faute grave de Madame [E] [P] dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
- Fixé la moyenne des salaires la somme brute de 1 647,18 euros ;
- Condamné la SAS Pludis à payer à Madame [E] [P] les sommes suivantes :
- 1 647,18 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
- 164,71 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,
- 504,76 euros bruts au titre de la mise à pied conservatoire,
- 50,47 euros bruts au titre des congés payés sur la mise à pied conservatoire,
- 521,59 euros nets au titre de l'indemnité de licenciement,
- 1 098,12 euros bruts au titre de la prime annuelle,
- 109,81 euros bruts au titre des congés sur la prime annuelle,
- 8 235,00 euros nets au titre des dommages et intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,
- 500,00 euros au titre des dommages et intérêts pour préjudice moral,
- 2 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- Ordonné à la SAS Pludis de remettre à Madame [E] [P] les documents de fin de contrat rectifiés, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du trentième jour suivant la notification du présent jugement ;
- S'est réservé la compétence pour liquider l'astreinte ;
- Constaté l'exécution provisoire de droit ;
- Débouté Madame [E] [P] du surplus de ses demandes;
- Débouté la SAS Pludis de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles ;
- Condamné la SAS Pludis aux dépens, y compris les frais d'exécution.
***
La SAS Pludis a interjeté appel de la décision précitée par déclaration au greffe en date du 15 mai 2020.
En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 7 août 2020, la SAS Pludis demande à la cour d'appel d'infirmer le jugement entrepris, de débouter Mme [P] de toutes ses demandes et de la condamner à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
La société Pludis fait valoir en substance que:
- Le règlement intérieur prohibe les achats de marchandises par le personnel pendant le temps et en tenue de travail ; Mme [P] n'a pas respecté cette règle ; la présence d'une pointeuse n'est pas obligatoire et les feuilles de relevés d'heures suffisent à justifier le non-respect des plannings par la salariée; le 25 juillet 2017, elle a indiqué avoir travaillé jusqu'à 10 heures inclus alors que cela est matériellement impossible puisqu'un ticket de caisse pour des courses personnelles lui a été délivré à 10h01 ; elle avait été alertée à plusieurs reprises en amont de cet incident par son supérieur hiérarchique qui en atteste ;
- Mme [P] ne respectait pas les obligations inhérentes au contrat de travail en refusant de faire le 'facing' des rayons, consistant à aligner les produits pour qu'ils soient correctement présentés à la clientèle; son supérieur hiérarchique en atteste ; la fiche de poste annexée au contrat de travail comporte le rappel de cette obligation ; la salariée ne produit pas d'élément remettant en cause le témoignage de son supérieur hiérarchique ;
- Mme [P] a modifié à la baisse le prix de vente de marchandises, notamment afin de pouvoir en bénéficier pour son propre compte ; elle a en effet étiqueté des produits au rayon frais en 'date courte' avec un prix de 0,50 euros sans autorisation de son responsable et sur des produits dont les dates limite de consommation étaient éloignées de plusieurs semaines, voire de plusieurs mois; son responsable hiérarchique et Mme [C] en attestent ; des photographies confirment la réalité des faits ;
- Sur 7 produits achetés le 20 juin 2017 par la salariée pour son propre compte, 5 sont des produits étiquetés en 'date courte' ; elle a donc étiqueté faussement des produits le 19 juin 2017 pour bénéficier le lendemain d'une réduction de prix; d'autres achats étaient réalisés par l'intéressée le 21 juin 2017 après qu'elle ait apposé une étiquette 'date courte' avec des prix préférentiels ; elle a fait bénéficier une de ses collègues de cette pratique le 29 juillet 2017 ;
- La salariée qui avait une ancienneté inférieure à deux ans ne démontre pas l'ampleur du préjudice invoqué;
- Aucune pièce ne justifie du préjudice moral invoqué ;
- La prime annuelle n'est due que si le salarié est titulaire d'un contrat de travail en vigueur au moment de son versement, ce qui n'était pas le cas de Mme [P] qui ne faisait plus partie des effectifs de la société au mois de décembre 2017.
En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 30 novembre 2020, Mme [P] demande à la cour d'appel de :
- Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, si ce n'est que s'agissant des dommages et intérêts pour préjudice moral, la cour les réévaluera à 2 000 euros nets.
En conséquence,
- Dire et juger le licenciement notifié le 11 août 2017 dénué de cause réelle et sérieuse,
Et
- Condamner la société Pludis à lui payer les sommes suivantes :
- Indemnité compensatrice de préavis : 1 647,18 euros bruts
- Congés payés sur préavis : 164,71 euros bruts
- Mise à pied conservatoire : 504,76 euros bruts
- Congés payés sur mise à pied : 50,47 euros bruts
- Indemnité de licenciement : 521,59 euros nets
- Dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse: 8 235 euros nets
- Dommages et intérêts pour préjudice moral : 2 000 euros nets
- Ordonner la remise des documents sociaux rectifiés.
- Dire et juger que prime annuelle doit être versée à Mme [P]
En conséquence,
- Condamner la société Pludis à lui payer:
- Prime annuelle : 1 098,12 euros bruts
- Congés payés sur prime : 109,81 euros bruts
- Condamner la société Pludis à verser à lui payer la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais exposés en appel
- Confirmer la condamnation prononcée par le conseil de prud'hommes au titre de l'article 700 pour la première instance et donc, condamner la société Pludis à verser à l'intimée la somme de
2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais exposés en première instance
- Condamner la société Pludis aux entiers dépens, y compris les frais éventuels liés à l'exécution de la décision à intervenir.
- Débouter la société de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles.
Mme [P] fait valoir en substance que:
- Elle n'a pas effectué d'achats personnels pendant son temps de travail ; rien ne démontre que toutes les caisses du magasin affichaient l'heure absolue ; il n'existait pas de pointeuse dans l'entreprise ; il n'a pas été préalablement porté à la connaissance des salariés que les caisses enregistreuses pouvaient être utilisées comme un moyen de contrôle de leur activité, ce qui est contraire aux dispositions de l'article L1222-4 du code du travail ; le règlement intérieur est entré en vigueur en mai 2017 et n'a donc pas été soumis à la salariée lors de l'embauche en décembre 2015 ;
- L'attestation de M. [J], responsable du secteur frais, est établie en termes généraux et imprécis ; il n'a jamais fait de remarques sur un non-respect des plannings et des plages horaires ;
- Il n'est pas compréhensible que la salariée n'ait pas été antérieurement sanctionnée si son comportement avait été répété ;
- Le grief relatif au refus d'effectuer le facing des rayons frais est tout aussi imprécis et ne repose que sur l'attestation du supérieur hiérarchique direct qui est contestable ; elle conteste toute violation de ses obligations professionnelles à ce titre ;
- Il n'existait aucune procédure écrite ou note de service sur l'étiquetage des 'dates courtes' qui était dévolu à tous les employés libre-service ; elle conteste le réétiquetage de deux produits le 19 juin 2017 ; il est incompréhensible que la société ait réagi un mois et demi plus tard sans sanctionner la salariée ; les photographies produites par l'employeur ont été prises non contradictoirement, le lendemain des faits allégués; il n'est pas démontré que les produits achetés par la salariée correspondent à des produits qu'elle aurait elle-même étiquetés en DLC courte ;
- La DLC du sandwich réétiqueté le 29 juillet 2017 expirait le lendemain ; ni Mme [C], ni M. [J] n'étaient joignables ; Mme [C] avait précédemment réétiqueté un lot de deux sandwichs au prix de 1 euro, ce qui explique le réétiquetage de celui acheté par Mme [I] à 0,50 euros ; la faute grave n'est pas établie;
- Elle n'a retrouvé du travail qu'en intérim ; elle n'a pas compris la mesure de licenciement prise à son encontre ; son préjudice ne saurait se résumer à une perte de revenus ;
- Elle a droit à la prime de fin d'année au prorata de son temps de présence en 2017 puisque son absence au mois de décembre 2017 ne s'explique que par la volonté infondée de la société de la licencier.
***
La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du conseiller de la mise en état le 31 janvier 2023 avec fixation de la présente affaire à l'audience du 06 mars 2023.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs dernières conclusions régulièrement signifiées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1- Sur la contestation du licenciement:
L'article L 1232-1 du Code du travail subordonne la légitimité du licenciement à l'existence d'une cause réelle et sérieuse.
La cause doit ainsi être objective, exacte et les griefs reprochés doivent être suffisamment pertinents pour justifier la rupture du contrat de travail.
La faute grave privative du préavis prévu à l'article L 1234-1 du même Code est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et la mise en oeuvre de la rupture du contrat de travail doit intervenir dans un délai restreint après que l'employeur a eu connaissance des faits allégués dès lors qu'aucune vérification n'est nécessaire.
La charge de la preuve de la faute grave repose exclusivement sur l'employeur.
En l'espèce, la lettre de licenciement du 11 août 2017, qui fixe les limites du litige, est ainsi rédigée:
'(...) Vous êtes engagée au sein de notre société en qualité d'employée commerciale depuis le 28 décembre 2015.
Or, malgré nos rappels, nous constatons de graves dysfonctionnements dans votre travail.
- Non-respect des plannings de travail
Dans le cadre de vos fonctions, des plannings de travail vous sont communiqués, qu'il vous appartient de respecter.
Conformément aux dispositions de notre règlement intérieur, il vous est formellement interdit pendant votre temps de travail d'effectuer des achats personnels.
Or, le 25 juillet 2017, alors que vous terminiez à 10 heures, vous êtes passée en caisse pour le paiement de vos courses à 10h01.
Lors de l'entretien préalable, vous avez tenté de dissimuler votre faute en indiquant que votre passage en caisse était hors temps de travail. Nous ne pouvons évidemment nous satisfaire de telles explications, et ce d'autant plus à la lumière du volume de vos achats:
- 2 x 2000000022468 Date Courte Fromage LS 1,00€
- 2 x 2000000022383 Date Courte Fromage LS 0,50€
- 1 x 2000000023373 Date Courte Crèmerie LS 2,00€
- Violation des consignes de travail
A titre d'exemple, le 26 juin 2017, votre responsable vous a demandé de faire le 'facing' de l'ensemble des rayons frais, ce que vous avez refusé de faire.
Il ne s'agit pas d'un fait isolé.
- Modification des prix de vente des marchandises en vente dans le magasin
Dans le cadre de vos fonctions, vous êtes notamment en charge d'étiqueter les prix des produits 'dates courtes'.
En effet, s'agissant des produits avec une DLC approchant 3 jours, et uniquement pour ces produits là, vous devez y apposer des stickers 'dates courtes' afin de faciliter leur vente.
Or, nous avons découvert qu'à de nombreuses reprises, vous avez modifié, pour votre propre compte notamment, le prix de vente de produits de votre rayon pour y apposer un stickers 'dates courtes' alors que rien ne le justifiait.
A titre d'exemples:
- Le 19 juin 2017, vous avez été surprise à re-étiqueter plusieurs produits en 'date courte' et en attribuant à chacun le prix de 0,50 centimes d'euros, de votre propre chef et sans autorisation de la direction.
Or, les dates limites de consommation de ces produits restaient à courir pour plus d'un mois, voire plus de 3 mois pour certains, et n'entraient donc pas dans le champ des produits 'date courte'.
- 3564707098588 Crème fraîche liquide 'Bio Village' DLC au 25/09/2017 prix de vente de 2,93€
- 3252950033011 Fromage Petit Livarot AOP DLC au 20/07/2017 prix de vente de 2,99€
- Le 29 juillet 2017, une salariée de l'entreprise vous a demandé de modifier à la baisse le prix d'un article qu'elle souhaitait acheté, ce que vous avez accepté, sans autorisation une nouvelle fois de la direction.
Outre le fait que votre comportement viole les dispositions de notre règlement intérieur, il est par ailleurs parfaitement illégal: la vente à perte est strictement prohibée par le Code de commerce et est punie d'une peine d'amende.
En conséquence et compte tenu de l'ensemble de ces éléments, nous vous informons de notre décision de vous licencier pour faute grave (...)'.
S'agissant du non-respect des plannings de travail, la société Pludis se fonde sur l'attestation de M. [J], Responsable frais, qui était le supérieur hiérarchique de Mme [P], ce témoin indiquant 'avoir fait plusieurs remarques sur le respect du temps de travail et de sa plage horaire, cependant Mme [P] ne respecte toujours pas celle-ci.
En effet, en plus de ne pas respecter ses horaires, Mme [P] fait ses courses sur son temps de travail'.
La société Pludis produit également l'édition d'un ticket de caisse daté du 25 juillet 2017 à 10h01, mentionnant l'achat de trois produits pour un montant total de 4,50 euros.
Le contrat de travail signé entre les parties le 15 décembre 2015 stipule en son article 7 l'obligation pour la salariée, au titre des achats personnels, de 'respecter strictement les directives et usages en vigueur dans le magasin concernant les achats personnels (...)'.
Les annexes visées sont: La fiche de poste, une notice d'information relative à l'entretien professionnel et un plan de formation pratique et appropriée à la sécurité avec manutention manuelle de charges.
Si l'article 7 susvisé mentionne les 'directives et usages en vigueur dans le magasin concernant les achats personnel', il n'est pas fait référence à un règlement intérieur et il doit à cet égard être relevé que le règlement intérieur que produit la société appelante à l'état de 'projet' est daté du 15 mars 2017, soit plus de deux ans après l'embauche et qu'il a été enregistré au conseil de prud'hommes de Dinan le 17 mars 2017.
Il n'est pas établi que ce règlement intérieur ait été porté à la connaissance de la salariée dans les conditions prescrites par l'article R1321-1 du code du travail.
Au demeurant, si ce document stipule en son article 8.3 que 'L'achat de marchandises par le personnel est interdit pendant le temps de travail et en tenue de travail' et que 'Le personnel doit par ailleurs respecter les directives et usages en vigueur dans l'entreprise concernant les achats personnels', la société Pludis ne produit pas d'élément objectif concernant les directives définies et opposables aux salariés en matière d'achats personnels.
Aucun élément ne permet de considérer que Mme [P] ait, pendant son temps et en tenue de travail, acheté trois produits pour le prix de 4,50 euros dans le magasin dont elle était employée, le témoignage de M. [J] étant d'ailleurs totalement taisant sur ce point, tandis que le relevé d'une caisse enregistreuse ne constitue pas une modalité de contrôle du temps de travail.
Aucun autre élément dans les pièces que produit l'employeur n'établit de façon objective un non-respect récurrent des plannings de travail et horaires, les considérations générales mentionnées sur ce point par M. [J] sans le moindre exemple précis et daté, étant dénuées de portée pour légitimer une rupture du contrat de travail sans préavis.
Ainsi et sans qu'il soit justifié d'entrer plus avant dans le détail de l'argumentation des parties, le grief n'est pas établi.
S'agissant de la violation des consignes de travail, il est précisément reproché à Mme [P] d'avoir refusé le 26 juin 2017, de déférer à la consigne donnée par son responsable hiérarchique de faire le 'facing' de l'ensemble des rayons frais.
La société Pludis se fonde là-encore sur l'attestation de M. [J] qui indique: '(...) J'atteste qu'après plusieurs remarques quant à l'accomplissement des différentes tâches de travail plusieurs ne sont pas respectées notamment celle de l'après-midi ou Mme [P] est censée recharger les fruits et légumes, faire le facing dans tout le frais, cuir du pain et charger les surgelés. Elle ne s'occupe que de ses rayons en délaissant les facing et rechargement des autres rayons. Ces problèmes sont devenus récurrents'.
Outre le fait que M. [J] n'évoque pas un refus de 'facing' opposé par la salariée à la date du 26 juin 2017, mais des considérations à caractère général et non datées sur le non-respect de 'différentes tâches de travail' qui ne permettent pas un débat contradictoire loyal, il n'est produit aucun rapport ou autre élément permettant d'identifier précisément la matérialité et la temporalité d'un incident lié à un tel refus d'exécuter une consigne de travail, pas plus d'ailleurs qu'il n'est justifié de ce que l'employeur n'ait eu connaissance du dit incident que plus d'un mois après les faits, la procédure disciplinaire ayant été engagée le 1er août 2017.
Enfin et surabondamment, il sera observé que la salariée produit l'attestation d'une collègue de travail, Mme [F], employée commerciale d'octobre 2015 à juillet 2016, qui indique qu'elle travaillait en binôme avec Mme [P] et n'avoir jamais été témoin d'un quelconque refus de la part de celle-ci d'accomplir une tâche demandée par sa hiérarchie.
Le grief n'est pas établi.
S'agissant du grief relatif à la modification des prix de vente des marchandises en vente dans le magasin, la société Pludis cite deux faits distincts respectivement en date des 19 juin 2017 et 29 juillet 2017.
S'agissant des faits du 19 juin 2017, la société Pludis ne s'explique pas sur la question de la tardiveté de sa réaction au plan disciplinaire, l'engagement de la procédure de licenciement étant postérieur de près d'un mois et demi à la date de l'incident relaté, alors même que M. [J], responsable hiérarchique de la salariée, indique avoir vu l'intéressée 'sticker de la crème fraîche 'Bio village' à 50 cts en date courte le 19 juin 2017 alors que le produit a une DLC au 25 septembre 2017" ainsi 'qu'un fromage 'Le petit Livarot' à 50 cts alors que le produit a une DLC au 20 juillet 2017", Mme [C] attestant ces mêmes faits.
Il n'est pas allégué que des vérifications aient été nécessaires et l'employeur était donc informé le jour même de leur commission, de faits imputés à Mme [P] relatifs à un étiquetage de prix qu'il estime incorrect.
La tardiveté de l'engagement de la procédure disciplinaire ne permet pas, dans ces conditions, de retenir la qualification de faute grave s'agissant de ces faits du 19 juin 2017.
S'agissant des faits du 29 juillet 2017, il est reproché à Mme [P] d'avoir accepté de modifier sans autorisation de la direction le prix de vente d'une marchandise qu'une de ses collègues souhaitait acheter.
La société Pludis produit une attestation de Mme [C], employée commerciale, qui indique avoir 'constaté que Mme [P] [E], le 29 juillet 2017, a réétiqueter un sandwich Daunat en date courte à 0,50 cts déjà étiqueté à 1€ par la personne du rayon. Donc je leur ai fait la réflexion qu'elle n'avait pas à faire ça sans autorisation surtout que ce produit était déjà à 1€. Elles étaient gênées et sont restées sans réponse. Mme [I] [H], hôtesse de caisse, a pris le produit et est passé en caisse à 0,50 cts le produit'.
Il est également produit une photographie du produit, dont la date limite de consommation n'apparaît cependant pas, le ticket de caisse sur lequel a été apposé manuellement le prénom '[H]' mentionnant 'Date courte fromage LS 0,50".
Outre l'absence d'indication sur la date limite de consommation du produit en cause et l'absence de production d'éléments objectifs sur la définition des procédures d'étiquetage en 'dates courtes', dont il est admis par l'employeur qu'elles concernent sans distinction 'les employés commerciaux du magasin', il résulte des termes du témoignage susvisé de Mme [C], qu'après qu'elle ait constaté le réétiquetage d'un sandwich, passant ainsi du prix de 1 euros à celui de 0,50 centimes d'euros, ce produit n'a pas été confisqué ou retiré de la vente, mais l'acheteuse, Mme [I] l'a présenté à l'encaissement et en a payé le prix de 0,50 centimes d'euros.
Cette incohérence, ajoutée aux carences probatoires de l'employeur tant en ce qui concerne les procédures précises opposables à Mme [P] quant à l'étiquetage des produits en 'date courte', que la date limite de consommation du produit en cause, ne permet pas de retenir le grief invoqué comme étant de nature à légitimer un licenciement pour faute grave.
L'achat par la salariée, pour son propre compte à différentes reprises, de produits étiquetés en 'date courte' n'est pas plus révélateur d'une pratique récurrente de l'intéressée consistant à réétiqueter des produits à un prix inférieur au prix de vente initialement indiqué, sans instructions conformes de sa hiérarchie.
La préférence pour ce type de produits à bas coût, si tant est que la raison s'accorde avec l'existence d'un véritable choix pour une consommatrice, parent isolé, dont le salaire net mensuel est inférieur à 1.200 euros, ne peut donc en aucun cas s'analyser comme probante du manquement reproché à Mme [P].
Reste donc à examiner si le grief relatif aux faits du 29 juillet 2017, bien que ne pouvant se situer sur le terrain de la faute grave compte tenu de la réaction tardive de l'employeur, est susceptible de constituer une cause réelle et sérieuse de rupture du contrat de travail.
La lettre de licenciement indique que Mme [P] a été 'surprise à re-étiqueter plusieurs produits en 'date courte' et en attribuant à chacun le prix de 0,50 centimes d'euros, de - son - propre chef et sans autorisation de la direction.
Or, les dates limites de consommation de ces produits restaient à courir pour plus d'un mois, voire plus de 3 mois pour certains, et n'entraient donc pas dans le champ des produits 'date courte'.
- 3564707098588 Crème fraîche liquide 'Bio Village' DLC au 25/09/2017 prix de vente de 2,93€
- 3252950033011 Fromage Petit Livarot AOP DLC au 20/07/2017 prix de vente de 2,99€ (...)'.
Ainsi, sur 'plusieurs produits' visés dans la lettre de licenciement, deux sont identifiés par l'employeur comme ayant fait l'objet d'un réétiquetage injustifié eu égard aux dates limite de consommation.
La lettre de licenciement ne précise cependant pas que la salariée aurait passé en caisse le lendemain des faits, soit le 20 juin 2017, les produits en question et force est de constater que le ticket de caisse daté du 20 juin 2017 à 16h18, s'il mentionne l'achat de cinq produits 'date courte' sur sept achetés, dont quatre fromages, ne mentionne pas les numéros d'identification '3564707098588" et '3252950033011" visés dans la lettre de licenciement, de sorte que rien ne permet d'affirmer que Mme [P] ait acquis pour son propre compte les produits litigieux 'Crème 'Bio Village' et fromage 'Petit Livarot'.
Au demeurant, alors que la photographie produite du produit de crèmerie 'Bio Village' fait apparaître un réétiquetage sous forme d'une pastille orange indiquant le prix de 0,50 euros, le ticket de caisse du 20 juin 2017 ne mentionne qu'un seul produit de 'crèmerie' mais au prix de 1 euro, de telle sorte que la concordance alléguée entre le produit réétiqueté la veille et celui acquis le 20 juin 2017 n'est pas établie.
Enfin, l'employeur ne s'explique pas sur la contradiction relevée à juste titre par la salariée, consistant à lui reprocher d'avoir été 'surprise' par son supérieur hiérarchique le 19 juin 2017 à réétiqueter des produits sans autorisation, pour que ces produits soient finalement laissés en rayon avec leur nouveau prix et aient pu être acquis le lendemain à ce prix par les clients.
Au résultat de l'ensemble de ces éléments, les faits fautifs reprochés à Mme [P] ne sont pas établis et c'est à juste titre que le conseil de prud'hommes de Dinan a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse, le jugement entrepris devant dès lors être confirmé de ce chef.
Il sera également confirmé en ce qu'il a alloué à Mme [P] les sommes suivantes:
- 1 647,18 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
- 164,71 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,
- 504,76 euros bruts à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire,
- 50,47 euros bruts au titre des congés payés afférents,
- 521,59 euros nets au titre de l'indemnité de licenciement.
S'agissant de la demande de dommages-intérêts pour licenciement abusif et en application des dispositions combinées des articles L 1235-3 et L1235-5 du code du travail dans leur rédaction applicable au présent litige relatif à un licenciement notifié le 11 août 2017, Mme [P] qui comptait moins de deux ans d'ancienneté dans une entreprise de plus de onze salariés est en droit d'être indemnisée en fonction du préjudice subi.
Compte-tenu des circonstances de la rupture, de l'ancienneté de la salariée
(1 an et sept mois), des difficultés justifiées par celle-ci à retrouver un emploi stable depuis son licenciement, de son âge au moment de la rupture (36 ans) et alors que le préjudice n'est pas, contrairement à ce que soutient l'employeur, fonction uniquement de la perte de revenu subie par l'intéressée qui a vu la relation de travail brusquement stoppée pour des motifs qui ne répondent pas aux exigences légales cumulatives de réalité et de sérieux, la cour dispose des éléments qui lui permettent de fixer l'indemnisation du préjudice subi par Mme [P] à la somme de 5.500 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif.
Le jugement entrepris sera infirmé du chef du quantum de la somme allouée.
2- Sur la demande de dommages-intérêts pour préjudice moral:
Bien que les motifs du licenciement ne soient pas justifiés, aucun élément ne permet de considérer que la rupture soit intervenue dans des conditions brusques et vexatoires de nature à causer à la salariée un préjudice distinct de celui qu'elle subit du fait du caractère abusif de la rupture.
Mme [P] sera en conséquence déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral, par voie d'infirmation du jugement entrepris.
3- Sur la demande de rappel de prime annuelle:
Il est constant que si un salarié n'est pas présent dans l'entreprise à la date prévue par la convention collective pour le versement d'une prime annuelle et que cette absence est due à la faute de l'employeur qui a notifié un licenciement abusif, la prime doit lui être payée.
Le contrat de travail du 15 décembre 2015 mentionne en son article 6 le droit de la salariée à la perception de la prime annuelle selon les dispositions prévues par la convention collective.
Conformément aux dispositions de l'article 3.7.1 de la convention collective du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire, Mme [P] qui remplissait la condition d'ancienneté minimale de 1 an et qui était absente au mois de décembre 2017 par suite de son licenciement abusif, est en droit de percevoir la prime annuelle et c'est à juste titre que, faisant droit à la prétention dans les limites de la demande présentée, le conseil de prud'hommes a condamné la société Pludis à payer à Mme [P] la somme de 1.098,12 euros au titre de la prime annuelle et celle de 109,81 euros bruts au titre des congés sur la prime annuelle.
Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
4- Sur la demande de remise des documents sociaux rectifiés:
C'est à juste titre que, compte-tenu des condamnations salariales et indemnitaires prononcées, le conseil de prud'hommes a fait droit à la demande de remise de documents de fin de contrat rectifiés.
Il n'est toutefois pas justifié d'assortir cette condamnation d'une astreinte provisoire et le jugement entrepris sera infirmé sur ce point.
5- Sur les dépens et frais irrépétibles:
La société Pludis, partie perdante, sera condamnée aux dépens d'appel, par application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.
Elle sera donc déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
L'équité commande en revanche de la condamner à payer à Mme [P] la somme de 2.000 euros sur ce même fondement juridique.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement entrepris mais uniquement du chef du quantum des dommages-intérêts alloués pour licenciement abusif et en ce qu'il a été fait droit à la demande de Mme [P] en paiement de dommages-intérêts pour préjudice moral ainsi qu'en ce qui concerne la fixation d'une astreinte provisoire;
Statuant à nouveau de ces chefs,
Condamne la société Pludis à payer à Mme [P] la somme de 5.500 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif ;
Déboute Mme [P] de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral ;
Dit n'y avoir lieu d'assortir d'une astreinte provisoire la condamnation de la société Pludis à remettre des documents de fin de contrat rectifiés conformément à la décision rendue ;
Confirme pour le surplus le jugement entrepris ;
Y ajoutant,
Condamne la société Pludis à payer à Mme [P] la somme de 2.000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel;
Déboute la société Pludis de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Pludis aux dépens d'appel.
Le Greffier Le Président