3ème Chambre Commerciale
ARRÊT N°.
N° RG 21/01351 - N° Portalis DBVL-V-B7F-RMX4
M. [B] [S]
Mme [T] [S]
S.A.R.L. SARL MULTICENIS
C/
S.A.S. BLUE SARK
Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Copie exécutoire délivrée
le :
à : Me Dominique LE COULS-BOUVET
Me Mikaël BONTE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 16 MAI 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre,
Assesseur : Madame Fabienne CLEMENT, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseillère, rapporteur
GREFFIER :
Madame Lydie CHEVREL, lors des débats, et Madame Morgane LIZEE, lors du prononcé,
DÉBATS :
A l'audience publique du 07 Mars 2023
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 16 Mai 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTS :
Monsieur [B] [S] venant aux droits de M. [F] [S] né le 7 décembre 1948 à [Localité 9] (44) de nationalité française
né le 20 Juin 1974 à [Localité 8]
[Adresse 6]
[Localité 4]
Représenté par Me Dominique LE COULS-BOUVET de la SCP PHILIPPE COLLEU, DOMINIQUE LE COULS-BOUVET, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représenté par Me Anne-cécile BENOIT de la SCP BOURGEON MERESSE GUILLIN BELLET & ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
Madame [T] [S] venant aux droits de M. [F] [S] né le 7 décembre 1948 à [Localité 9] (44) de nationalité française
née le 03 Juillet 1977 à [Localité 8]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Dominique LE COULS-BOUVET de la SCP PHILIPPE COLLEU, DOMINIQUE LE COULS-BOUVET, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Anne-cécile BENOIT de la SCP BOURGEON MERESSE GUILLIN BELLET & ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
SARL MULTICENIS, immatriculée au RCS de NANTES sous le n°509 915 062, agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 6]
[Localité 4]
Représentée par Me Dominique LE COULS-BOUVET de la SCP PHILIPPE COLLEU, DOMINIQUE LE COULS-BOUVET, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Anne-cécile BENOIT de la SCP BOURGEON MERESSE GUILLIN BELLET & ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE :
S.A.S. BLUE SARK, immatriculée au RCS de SAINT-MALO sous le n°490 356 102, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Nathalia KOUCHNIR CARGILL de la SELARL GRALL & ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
Représentée par Me Mikaël BONTE, Postulant, avocat au barreau de RENNES
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En 2001 Monsieur [F] [S] a débuté son activité en tant qu'affilié du groupe
BEAUMANOIR.
Le groupe BEAUMANOIR est spécialisé dans la création et distribution de produits de prêt à porter textile et possède un portefeuille de cinq marques.
Entre 2001 et 2009. Monsieur [F] [S] a exploité dans la région nantaise, quatre points de vente sous contrat de commission affiliation à l'enseigne de différentes marques du
groupe BEAUMANOIR.
En janvier 2009, Monsieur [F] [S] créé la société MULTICENIS pour exploiter à [Localité 7] un nouveau point de vente regroupant trois enseignes du groupe BEAUMANOIR, avec lequel a signé un contrat de commission-affiliation.
En 20l 2 le groupe BEAUMANOIR a confié la gestion des magasins multistores, dont celui de la société MULTICENIS à sa filiale BLUE SARK.
Un nouveau contrat a donc été signé avec cette société, qui après renouvellement arrivait à son terme le 28 février 2017.
Au cours de l'année 2016 les sociétés MULTICENIS et BLUE SARK et ont convenu qu'il était nécessaire d'agrandir la surface commerciale exploitée par la société MULTICENIS;
La société MULTlCENlS s'est rapprochée à cet effet du propriétaire d'un commerce voisin pour tenter de s'agrandir.
Le projet n'étant pas finalisé, la société BLUE SARK lui a adressé au mois de janvier 2017 un document d'information précontractuel en vue du renouvellement du contrat de commission affiliation.La société MULTtCENlS l'a retourné signe le l9 janvier 2017.
Par la suite, aucun nouveau contrat n'a été signé.
Le 26 ianvier 2017, une réunion a été organisée . La société BLUE SARK a informé la société MULTICENIS qu'un local plus grand était disponible et qu'elle n'entendait pas mener ce projet avec la société MULTlCENlS. Elle a indiqué qu'eIle serait d'accord pour racheter son fonds de commerce.
Le fonds de commerce a été évalué à 650.000 euros par l'expert-comptable de la société MULTICENIS mais la société BLUE SARK a fait une proposition de reprise hors droit au bail pour 250.000 euros le 06 février 2017.
Le 7 mars 2017, la société BLUE SARK a indiqué à la ssociété MULTICENlS qu'elle mettait fin au contrat de commission affiliation à compter du 31 décembre 2017.
La société BLUE SARK a présenté à la société MULTICENIS la société POULAIN VENTE TEXTILE comme potentiel repreneur du fonds de commerce et le 04 août 2017, la société MULTICENIS lui a vendu son fonds de commerce pour la somme de 300.000 euros avec un clause de non-concurrence d'une durée de deux années dans un rayon de trois kilomètres.
M. [S] est décédé et ses héritiers entendent obtenir le dédommagement du préjudice qu'ils estiment avoir subi en raison des conditions de la vente du fonds.
Par acte du 14 février 2020, la société MULTICENIS, M. [B] [S] et Mme [T] [S], venant aux droits de M. [F] [S] ont assigné la société BLUE SARK aux fins de voir dire qu'un nouveau contrat de commission affiliation avait été créé lors de l'envoi du document d'information précontractuel et que celui-ci a été rompu abusivement par la société BLUE SARK. Ils ont demandé la condamnation de cette dernière à leur payer 381.664 euros de dommages et intérêts au titre des pertes subies et 214.500 euros au titre du manque à gagner, outre un préjudice moral.
Par jugement du 21 janvier 2021, le tribunal de commerce de Rennes a:
- débouté la société MULTICENIS et les consorts [S] de leurs prétentions,
- condamné in solidum la société MULTICENIS et les consorts [S] au paiement de la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté la société BLUE SARK du surplus de sa demande,
- condamné les demandeurs in solidum aux dépens.
Appelants de ce jugement, la société MULTICENIS, M. [S] et Mme [S], par conclusions du 25 mai 2021, ont demandé que la Cour:
- infirme le jugement du 21 janvier 2021 en ce qu'il a débouté Ia société MULTICENIS,
Monsieur [B] [S] et Mademoiselle [T] [S] de l'intégralité de
leurs demandes, fins et conclusions,
- infirme le jugement du 21 janvier 2021 en ce qu'il les a condamnés in solidum à payer à la société BLUE SARK la somme de 5.000 € au titre de 1'artic1e 700 du Code de procédure
civile, ainsi qu'aux dépens,
A titre principal :
- déclare qu'un nouveau contrat de commission affiliation a été conclu entre les sociétés
BLUE SARK et MULTICENIS le 19 janvier 2017 pour une durée de deux années allant
du 1er mars 2017 au 28 février 2019,
- déclare que ledit contrat a été rompu de maniére anticipée le 14 août 2017 aux torts
exclusifs de la société BLUE SARK,
- condamne la société BLUE SARK à indemniser la société MULTICENIS du préjudice qu'elle a subi en lui versant les sommes de :
- 281.664 € au titre des pertes subies
- 214.500 € au titre de son manque à gagner
- subsidiairement, déclare que la société BLUE SARK a été déloyale et qu'elle a commis un abus en imposant unilatéralement un nouveau contrat pour une durée allant jusqu'au 31
décembre 2017 seulement,
- condamne la société BLUE SARK a indemniser la société MULTICENIS du préjudice qu'elle a subi en lui versant les sommes de :
- 281.664 € au titre des pertes subies
- 53.625 € au titre de son manque a gagner
En tout état de cause :
- condamne la société BLUE SARK à verser à Monsieur [B] [S] et
Mademoiselle [T] [S], venant ensemble aux droits de Monsieur [F]
[S], la somme de 50.000 € en reparation du prejudice moral subi par ce dernier,
- assortisse les condamnations des intéréts légaux avec capitalisation annuelle
des intérêts échus en application de l'article 1343-2 du Code civil et ce, depuis le 14
février 2020, date de l'assignation,
- condamne la société BLUE SARK à verser au titre de l'article 700 du Code de procédure
civile, la somme de 15.000 € a la société MULTICENIS, ainsi qu'à Monsieur [B]
[S] et Mademoiselle [T] [S], venant ensemble aux droits de
Monsieur [F] [S],
- condamne la société BLUE SARK aux dépens de première instance et d'appel.
Par conclusions du 24 août 2021, la société BLUE SARK a demandé que la Cour:
- confirme le jugement déféré,
- condamne les appelants in solidum à lui payer la somme de 8.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- les condamne in solidum aux dépens avec droit de recouvrement pour ceux dont il a été fait l'avance.
MOTIFS DE LA DECISION:
L'examen des pièces versées aux dossiers démontre que le contrat de commission-affiliation conclu entre les sociétés MULTICENIS et BLUE SARK et se terminant le 28 février 2017 était stipulé comme ne pouvant pas se renouveler par tacite reconduction.
Il comportait un article 3.2 selon lequel:
'les parties pourront avant l'arrivée du terme du contrat envisager la possibilité de conclure un nouveau contrat avec d'éventuelles modifications des conditions du contrat. Dans cette hypothèse, les parties conviennent déjà d'échanger au plus tard six mois avant l'arrivée du terme, afin de faire connaître leur intention de poursuivre leur relation contractuelle et d'en discuter les éventuelles conditions et modalités'.
Cet article fixe le cadre dans lequel sont survenues les discussions entre les parties courant 2016, soit des pourparlers.
Ces pourparlers ont conduit les deux parties à juger qu'il était nécessaire d'augmenter très sensiblement la surface de vente du point de vente de la société MULTICENIS, M. [S], dirigeant de la société MULTICENIS, allant jusqu'à évoquer un doublement de cette surface (pièce numéro 3 de l'intimée).
Le souhait des parties était aussi le maintien du point de vente dans la même zone commerciale.
M. [S] reconnaissait aussi dans ce courrier que l'ouverture récente de nouveaux commerces dans la même zone avait porté préjudice au point de vente, et effectivement, l'acte de vente du fonds (pièce 34 des appelants), témoigne d'un chiffre d'affaires et d'un résultat en baisse pour l'année 2016).
Dès le mois de décembre 2016 a été envisagé le rachat par la société BLUE SARK du fonds de commerce de la société MULTICENIS, comme en témoignent les courriels versés aux débats.
A la date à laquelle lui a été adressé le document pré-contractuel d'information prévu par les dispositions de l'article L330-1 du code de commerce, dont l'envoi constitue une nécessité légale en matière de convention de commission affiliation, la société MULTICENIS n'avait pu convaincre son voisin de lui céder son local pour agrandir sa surface de vente.
Le document précontractuel d'information a été signé le 19 janvier 2017, date à laquelle le projet d'agrandissement n'était pas finalisé.
Il prévoyait aux conditions particulières une durée de convention de deux années, prenant effet au 1er mars 2017.
La société MULTICENIS, dont le dirigeant, âgé de 69 ans, concluait depuis de très nombreuses années des contrats de commission-affiliation, n'a jamais pu se méprendre sur la portée juridique de l'envoi de ce document, peu important à cet égard qu'une préposée de la société BLUE SARK lui ait demandé par courriel 'nous vous remercions de bien vouloir accepter, par voie électronique, votre pré-contrat (DIP), afin que nous puissions vous envoyer votre contrat', cette remarque étant la simple transcription de la nécessité légale de signature du document d'information pré-contractuel.
En l'absence de local conforme aux modifications souhaitées par les parties, ce document pré-contractuel ne peut, contrairement la thèse soutenue par les appelants, avoir représenté une offre de contrat au sens des dispositions de l'article 1114 du code civil, le local d'un point de vente constituant un élément essentiel du contrat de commission affiliation.
Au demeurant, ce que ne conteste pas la société BLUE SARK, les parties ont été en pourparlers avancés pour renouveler le contrat de commission-affiliation.
Le 26 janvier 2017, la société MULTICENIS va être avisée par la société BLUE SARK qu'un local plus grand a été trouvé dans la zone mais que le projet de nouveau point de vente va être mené avec une autre société.
S'agissant de pourparlers, la société MULTICENIS pouvait les rompre, du moment qu'elle n'y procédait pas brutalement.
Dès lors, alors que le contrat de commission-affiliation avait pour terme le 28 février suivant, elle a laissé les relations conventionnelles continuer de s'exécuter et a adressé un courrier de résiliation pour la date du 31 décembre 2017, laissant à la société MULTICENIS un délai de dix mois pour pouvoir tirer les conséquences de sa volonté de ne pas conclure un nouveau contrat et surtout pour continuer la négociation sur une autre base, soit celle de la vente de son fonds de commerce.
La poursuite de l'exécution des relations contractuelles était donc un moyen de poursuivre efficacement les négociations et non l'expression de la volonté de renouveler le contrat. La cessation des relations contractuelles pouvait alors être décidée moyennant un préavis raisonnable.ce qui était le cas d'un préavis de dix mois.
La décision de rupture des pourparlers et de cessation des relations conventionnelles ne peut être qualifiée de brutale.
Ensuite, la société BLUE SARK a tenu son engagement de rachat du fonds de commerce, par elle ou par un tiers, sans être fermée à la discussion.
A cet égard, l'évaluation à 650.000 euros de la valeur du fonds (avec droit au bail) réalisée par l'expert comptable de la société MULTICENIS ne peut, à défaut de tout autre élément, être considérée comme représentant indubitablement cette valeur et une autre évaluation, longuement argumentée, aurait été nécessaire pour démontrer que le tiers acquéreur soutenu par la société BLUE SARK, avait procédé à une offre à 'vil prix'.
Notamment, la Cour relève que le contrat de commission affiliation contenait en sa page 18 une formule mathématique d'évaluation de la valeur du fonds (en cas de rachat par la société BLUE SARK, qui détenait un privilège de préférence), qui n'est évoquée par aucune des parties alors qu'elle aurait pu servir de référence.
Au demeurant, alors que la première évaluation de la société BLUE SARK avait été faite à 250.000 euros, le prix offert est remonté à 300.000 euros.
La société MULTICENIS a aussi perçu la valeur de son droit au bail, par le biais d'un autre acquéreur (100.000 euros).
Elle ne peut soutenir avoir été obligée d'accepter une clause de non-concurrence en cédant son droit au bail alors même que le contrat de commission affiliation en contenait lui-même une.
Ainsi, dans l'hypothèse où la société BLUE SARK aurait indiqué dès l'année 2016 qu'elle n'entendait pas faire signer un nouveau contrat à la société MULTICENIS après le terme du 28 février 2016, cette dernière se serait de toute façon trouvée, pour une durée d'une année, dans l'impossibilité d'adhérer à une enseigne concurrente pour ce point de vente.
Dès lors, la clause insérée dans l'acte de vente du fonds, d'une durée de 24 mois, d'une portée territoriale de 3 kilomètres autour du fonds et relative à certaines enseignes, était prévisible au regard de celle figurant dans le contrat de franchise et n'apparaît pas avoir été dictée par un abus de position ou une volonté de nuire de la société BLUE SARK.
Au regard de ces motifs, les appelants doivent être déboutés de leur prétentions visant à voir:
- dire qu'un nouveau contrat de commission affiliation avait été conclu le 19 janvier 2017 pour une durée déterminée,
- déclarer que ce contrat a été rompu de manière anticipée aux torts exclusifs de la société BLUE SARK,
- condamner en conséquence la société BLUE SARK au paiement de dommages et intérêts,
- déclarer que la société BLUE SARK a été déloyale en imposant unilatéralement un nouveau contrat pour une durée allant jusqu'au 31 décembre 2017 seulement et la voir condamner en conséquence au paiement de dommages et intérêts,
- condamner la société BLUE SARK au paiement de dommages et intérêts pour préjudice moral.
Consécutivement, le jugement déféré est confirmé en ce qu'il a débouté les appelants de l'ensemble de leurs prétentions.
Les appelants, qui succombent, supporteront la charge des dépens d'appel.
Les demandes formées sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile sont rejetées.
PAR CES MOTIFS:
La Cour,
Confirme le jugement déféré.
Condamne in solidum la société MULTICENIS et les consorts [S] aux dépens d'appel.
Rejette les demandes formées sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT