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16/05/2023 | FRANCE | N°20/06300

France | France, Cour d'appel de Rennes, 1ère chambre, 16 mai 2023, 20/06300


1ère Chambre





ARRÊT N°139/2023



N° RG 20/06300 - N° Portalis DBVL-V-B7E-RGE2













Société SCCV KER SAO



C/



Mme [S] [N]

M. [B] [IP]

Mme [FB] [E] [BW]

M. [BT] [ME]

M. [A] [I]

Mme [L] [IJ] épouse [I]

Mme [H] [G] [K] épouse [P]

M. [X] [M] [P]

Mme [U] [E] [V] [UH] épouse [W]

M. [D] [Z] [PM] [W]



















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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 16 MAI 2023





COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Madame Aline DELIÈRE, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente d...

1ère Chambre

ARRÊT N°139/2023

N° RG 20/06300 - N° Portalis DBVL-V-B7E-RGE2

Société SCCV KER SAO

C/

Mme [S] [N]

M. [B] [IP]

Mme [FB] [E] [BW]

M. [BT] [ME]

M. [A] [I]

Mme [L] [IJ] épouse [I]

Mme [H] [G] [K] épouse [P]

M. [X] [M] [P]

Mme [U] [E] [V] [UH] épouse [W]

M. [D] [Z] [PM] [W]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 16 MAI 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Aline DELIÈRE, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 07 mars 2023 tenue en double rapporteur sans opposition des parties, par Mme Aline DELIÈRE, présidente de chambre et Mme Véronique VEILLARD, présidente de chambre entendue en son rapport

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 16 mai 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANTE :

La SCCV KER SAO, Société Civile Immobilière de Construction Vente immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Rennes sous le n°499.056.760, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 5]

[Localité 25]

Représentée par Me Aurélie GRENARD de la SELARL ARES, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉS :

Madame [S] [N]

née le 11 Février 1963 à [Localité 25] (35)

[Adresse 11]

[Localité 12]

Représentée par Me Charlotte GARNIER de la SELARL GUILLOTIN, LE BASTARD ET ASSOCIES, avocat au barreau de RENNES

Monsieur [B] [IP]

né le 20 Août 1959 à [Localité 17] (93)

[Adresse 10]

[Localité 13]

Représenté par Me Charlotte GARNIER de la SELARL GUILLOTIN, LE BASTARD ET ASSOCIES, avocat au barreau de RENNES

Madame [FB] [E] [BW]

née le 29 Mai 1958 à [Localité 18] (EGYPTE)

[Adresse 9]

[Localité 15]

Représentée par Me Charlotte GARNIER de la SELARL GUILLOTIN, LE BASTARD ET ASSOCIES, avocat au barreau de RENNES

Monsieur [BT] [ME]

né le 28 Mai 1954 à [Localité 23]

[Adresse 9]

[Localité 15]

Représenté par Me Charlotte GARNIER de la SELARL GUILLOTIN, LE BASTARD ET ASSOCIES, avocat au barreau de RENNES

Monsieur [A] [I]

né le 27 Avril 1951 à [Localité 20] (22)

[Adresse 2]

[Localité 14]

Représenté par Me Charlotte GARNIER de la SELARL GUILLOTIN, LE BASTARD ET ASSOCIES, avocat au barreau de RENNES

Madame [L] [IJ] épouse [I]

née le 18 Février 1950 à [Localité 22]

[Adresse 2]

[Localité 14]

Représentée par Me Charlotte GARNIER de la SELARL GUILLOTIN, LE BASTARD ET ASSOCIES, avocat au barreau de RENNES

Madame [H] [G] [K] épouse [P]

née le 21 Octobre 1950 à [Localité 24]

[Adresse 3]

[Localité 7]

Représentée par Me Charlotte GARNIER de la SELARL GUILLOTIN, LE BASTARD ET ASSOCIES, avocat au barreau de RENNES

Monsieur [X] [M] [P]

né le 02 Avril 1949 à [Localité 24]

[Adresse 3]

[Localité 7]

Représenté par Me Charlotte GARNIER de la SELARL GUILLOTIN, LE BASTARD ET ASSOCIES, avocat au barreau de RENNES

Madame [U] [E] [V] [UH] épouse [W]

née le 08 Juin 1956 à [Localité 26]

[Adresse 4]

[Localité 8]

Représentée par Me Charlotte GARNIER de la SELARL GUILLOTIN, LE BASTARD ET ASSOCIES, avocat au barreau de RENNES

Monsieur [D] [Z] [PM] [W]

né le 18 Juillet 1952 à [Localité 21]

[Adresse 4]

[Localité 8]

Représenté par Me Charlotte GARNIER de la SELARL GUILLOTIN, LE BASTARD ET ASSOCIES, avocat au barreau de RENNES

FAITS ET PROCÉDURE

En 2012, la sccv Ker Sao a entrepris la promotion en VEFA d'un programme immobilier composé de deux bâtiments dénommés '[Adresse 28]' et '[Adresse 29]', comportant respectivement 16 et 15 logements à usage d'habitation, édifiés sur un sous-sol commun composé de 22 garages, 8 parkings, 2 parkings handicapés, 25 caves, 1 local poubelles et 2 locaux vélos, le tout construit dans un parc de 6650 m² sis [Adresse 1], cadastré section n° [Cadastre 6] à [Localité 16].

L'état descriptif de division et le règlement de copropriété ont été reçus par acte authentique de maître [Y], notaire à [Localité 16], le 15 janvier 2013.

L'achèvement était fixé au 2ème trimestre 2013.

Se sont notamment portés acquéreurs dans le bâtiment les Cèdres, entièrement commercialisé :

- M. [IP] et Mme [N] au titre des lots 68, 27 et 42,

- M. [ME] et Mme [BW] au titre des lots 4, 45 et 65,

- M. et Mme [P] au titre des lots 6, 38 et 72,

- M. et Mme [W] au titre des lots 25,43 et 63,

- M. et Mme [I] au titre des lots 9, 37 et 67.

Les appartements des Cèdres ont été livrés au copropriétaires en mai 2014 tandis que les parties communes (caves, local vélo, local poubelle, halls, cage d'escalier, paliers d'étages, escalier extérieur), le sous-sol et le portail extérieur ont été livrés au syndic de copropriété le 24 novembre 2014 avec réserves.

Les Pins n'étaient pas encore commercialisés et les aménagements extérieurs, dont les espaces verts, n'étaient pas terminés.

Deux procès-verbaux de constat étaient établis les 6 janvier et 13 août 2015 faisant état de :

- la non réalisation des aménagements extérieurs,

- malfaçons, non-conformités et réserves concernant les Cèdres,

- l'inachèvement du bâtiment les Pins,

- non-conformités et réserves relatives au sous-sol commun.

Les espaces verts et les espaces communs des Cèdres étaient réceptionnés avec réserves le 8 septembre 2015 par DLJ Gestion, syndic de gestion de la copropriété.

Puis, sur assignation du syndicat des copropriétaires du 11 septembre 2015, une mesure d'expertise judiciaire était confiée par ordonnance du 3 décembre 2015 à M. [R], remplacé par M. [O], qui déposait son rapport le 24 juillet 2017.

Parallèlement, afin de pouvoir commercialiser les Pins dans une 'conjoncture économique défavorable' (pièce n° 17 de la sccv Ker Sao : dire n° 2 du 22 février 2021), la sccv Ker Sao a, lors de l'assemblée générale des copropriétaires du 29 juin 2015, sollicité l'autorisation de modifier :

- les lots du bâtiment les Pins,

- son état descriptif de division et son règlement de copropriété afin de le vendre à la société Perl avec rétrocession de l'usufruit temporaire au bailleur social Emeraude Habitation et la nue-propriété à des investisseurs privés dans le cadre d'une opération d'usufruit locatif social.

Les résolutions n'ayant pas été adoptées, la sccv les a soumises au vote de l'unique copropriétaire des Pins, à savoir elle-même, lors d'une nouvelle assemblée générale du 16 octobre 2015 puis a vendu le bâtiment et ses accessoires le 16 novembre 2015 à la société Sofiperl, moyennant un prix principal de 1.850.039,20 €, laquelle a cédé l'usufruit à Emeraude Habitation en vue d'une habitation à vocation sociale pendant une durée de 15 années.

Une procédure en annulation de ces résolutions a été engagée et a fait l'objet d'un désistement.

Sur assignation du 10 décembre 2015 délivrée par les copropriétaires ci-dessus dans le bâtiment les Cèdres en réparation des préjudices liés à l'inachèvement des Pins et des espaces verts et à la perte de valeur de leurs lots respectifs en raison d'une modification du programme, le tribunal judiciaire de Saint-Malo a, par jugement du 2 novembre 2020 :

- constaté le désistement de Mme [MK] et de ses fils et l'acceptation par la sccv Ker Sao de ce désistement,

- déclaré M. [IP], Mme [N], M. [ME], Mme [BW], M. et Mme [I], M. et Mme [P] et M. et Mme [W] recevables et partiellement bien fondés en leur prétentions,

- dit que la responsabilité contractuelle de la société sccv Ker Sao était engagée sur le fondement de l'article 1147 du code civil (devenu 1217 du code civil) pour la prestation relative aux espaces verts entachée de malfaçons, en conséquence,

- condamné la sccv Ker Sao à leur verser en réparation de leur préjudice les sommes de :

- M. [IP] et à Mme [N] : 1.000 €,

- M. [ME] et à Mme [BW] : 1.000 €,

- M. et Mme [I] : 1.000 €,

- M. et Mme [P] : 1.000 €,

- M. et Mme [W] : 1.000 €,

- dit que la sccv Ker Sao a manqué à son obligation de délivrance à leur égard en raison de la modification de la destination de l'ensemble immobilier,

- sursis à statuer sur le préjudice de dépréciation des biens,

- confiée à M. [J] une expertise aux frais avancés des demandeurs aux fins notamment :

- d'évaluer la valeur vénale actuelle des biens des demandeurs,

- dire si l'acquisition du bâtiment des Pins par la société Sofiperl et la mise en oeuvre d'une opération d'usufruit locatif social sur ledit bâtiment, est de nature à impacter la valeur vénale desdits biens,

- dit que la décision était assortie de l'exécution provisoire,

- sursis à statuer sur les autres demandes des parties,

- réservé les dépens.

La sccv Ker Sao a interjeté appel par déclaration du 21 décembre 2020.

M. [J] a déposé son rapport définitif le 30 juin 2021.

Les copropriétaires des Cèdres ont conclu en ouverture du rapport de M. [J] le 19 janvier 2022 sollicitant la condamnation de la sccv Ker Sao à les indemniser des différents préjudices. Par conclusions d'incident notifiées le 26 janvier 2022, la sccv Ker Sao a conclu au sursis à statuer dans l'attente de l'arrêt de la cour d'appel.

Par ordonnance du 14 septembre 2022, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Saint-Malo a ordonné le sursis à statuer dans l'attente de l'arrêt de la cour d'appel, outre le désistement d'instance et d'action de Mme [N] à la suite de la licitation intervenue au profit de M. [IP], M. et Mme [P] ayant pour leur part vendu les lots dont ils étaient propriétaires à Mme [T] le 30 septembre 2020.

PRÉTENTIONS ET MOYENS

La sccv Ker Sao expose ses demandes et moyens de procédure et au fond dans deux jeux distincts de conclusions remis au greffe et notifiés les 3 et 14 mars 2023 auxquels il est renvoyé.

Elle demande à la cour de :

- juger tardives les conclusions notifiées par M. et Mme [P], M. et Mme [I], M. et Mme [W], M. [ME] et Mme [BW] et M. [IP] le 2 mars 2023 à 16 h 18,

- en conséquence, les écarter des débats,

- à titre principal,

- infirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- débouter les intimés de leurs demandes,

- les débouter de leur appel incident,

- les condamner in solidum à lui verser chacun la somme de 3.000 € au titre des frais irrépétibles, outre la charge des dépens,

- à titre subsidiaire,

- constater que M. et Mme [P] n'ont plus la qualité de propriétaires et ont subrogé leur acquéreur dans leurs droits et actions,

- constater le désistement d'instance et d'action de Mme [N],

- infirmer en toute hypothèse le jugement en ce qu'il l'a condamnée à indemniser M. et Mme [P] d'une part et Mme [N] d'autre part à hauteur de 1.000 € chacun,

- débouter M. et Mme [P] de leurs demandes.

Sur la forme, elle soutient que les conclusions remises et notifiées le 2 mars 2023, postérieurement à la date fixée au calendrier de procédure, méconnaissent le principe du contradictoire dans la mesure où elle n'a pu répliquer en temps utile.

Sur le fond, elle soutient que la destination de l'immeuble est définie dans le règlement de copropriété comme étant à usage d'habitation, que la plaquette publicitaire, qui n'est pas dans le champ contractuel, ne précise pas qu'il s'agit d'une résidence de standing mais seulement d'une construction dans le quartier résidentiel de [Adresse 19], que les lots vendus sont strictement conformes aux spécifications contractuelles attendues de qualité architecturale et d'intégration dans un site boisé, qu'elle pouvait contractuellement modifier l'état de division et le règlement de copropriété en cas d'invendus, qu'aucun des documents contractuels n'exclut la mixité sociale, que le prix moins élevé des logements en accession aidée est sans impact sur le prix des logements en accession libre, qu'aucun manquement à l'obligation de délivrance ni aucun dol ne sont caractérisés, qu'en tout état de cause, l'expert judiciaire ne démontre pas la perte de valeur alléguée tandis que l'inachèvement du parc et du bâtiment les Pins est un préjudice collectif et non personnel aux intimés. Elle conclut au rejet des demandes d'indemnisation.

M. [IP] et Mme [N], M. [ME] et Mme [BW], M. et Mme [I], M. et Mme [P] et M. et Mme [W] (ci-après les copropriétaires des Cèdres) exposent leurs demandes et moyens de procédure et au fond dans deux jeux distincts de conclusions respectivement remis au greffe et notifiés les 6 et 2 mars 2023 auxquels il est renvoyé.

Ils demandent à la cour de :

- débouter la sccv Ker Sao de sa demande de voir rejeter leurs conclusions notifiées le 2 mars 2023,

- statuer ce que de droit sur les dépens,

- sur le fond, réformer le jugement en ce qu'il a écarté la responsabilité du promoteur s'agissant du retard dans l'achèvement du bâtiment les Pins et limité à 1.000 € leur indemnisation du préjudice lié à l'inachèvement du parc paysager,

- statuant à nouveau,

- condamner la sccv Ker Sao à payer en réparation du préjudice de jouissance lié à l'inachèvement de l'opération une somme de 10.000 € chacun à : - M. et Mme [P],

- M. et Mme [I],

- M. et Mme [W],

- M. [ME] et Mme [BW],

- à M. [IP],

- confirmer le jugement pour le surplus,

- statuant après évocation du litige,

- condamner la sccv Ker Sao à payer les sommes suivantes en réparation de la perte de valeur des appartements :

- à M. et Mme [I] : 22.540 €,

- à M. et Mme [W] : 15.778 €,

- à M. [ME] et Mme [BW] : 37.600 €,

- à M. [IP] : 16.422 €,

- en tout état de cause,

- ordonner la capitalisation des intérêts,

- condamner la sccv Ker Sao au paiement des sommes de :

- 4.000 € à M. [IP]

- 4.000 € à M. [ME] et Mme [BW],

- 4.000 € à M. et Mme [P],

- 4.000 € à M. et Mme [I],

- 4.000 € à M. et Mme [W],

au titre des frais irrépétibles, outre la charge des dépens, comprenant les frais d'expertise judiciaire,

- débouter la sccv Ker Sao de ses demandes.

Sur la forme, ils soutiennent que leurs conclusions du 2 mars 2023, comportant 2 pages sans aucun moyen nouveau ni prétention nouvelle se bornent à répliquer aux conclusions n° 3 notifiées par la sccv Ker Sao le 14 février 2023 comportant 6 pages d'ajouts, que le contradictoire est respecté puisque les éléments évoqués par eux reprennent les échanges intervenus en phase d'expertise, qu'enfin, le droit à la déconnexion doit s'appliquer aux professions libérales.

Sur le fond, ils soutiennent que la scission de copropriété opérée ayant eu pour effet de permettre l'édification de logements locatifs du secteur aidé à la place des logements du secteur libre initialement prévus doit s'interpréter comme un changement de destination entraînant un manquement du vendeur à son obligation de délivrer une chose conforme à celle qui a été vendue, ou à défaut un dol, que le programme n'a jamais eu une vocation mixte mais seulement une vocation en accession libre pour la totalité des logements des deux bâtiments, vocation que la sccv Ker Sao a décidé unilatéralement de modifier, faisant perdre son caractère résidentiel à l'opération. Ils sollicitent leur indemnisation au titre du préjudice de perte de valeur dans les termes de l'expertise de M. [J] ainsi que, sur le terrain de la délivrance conforme, celle au titre des retards dans l'achèvement du bâtiment les Pins et du parc paysagé.

L'incident de procédure a été joint au fond.

MOTIFS DE L'ARRÊT

1) Sur la recevabilité des conclusions au fond du 2 mars 2023 des intimés

Le calendrier de procédure arrêté le 7 octobre 2022 prévoyait une clôture le mardi 7 février 2023, mais en raison des conclusions n° 2 des intimés notifiées le vendredi 3 février 2023 à 15 h 45, la clôture a été reportée au mardi 7 mars 2023 à 9 h 00 avec le calendrier de procédure suivant :

- conclusions éventuelles de la sccv Ker Sao avant le vendredi 17 février 2023,

- conclusions éventuelles des copropriétaires des Cèdres avant le mardi 28 février 2023.

Le mardi 14 février 2023, la sccv Ker Sao a conclu en réponse.

Les intimés n'ont conclu en réplique que le jeudi 2 mars 2023 à 16 h 18, soit postérieurement à la date arrêtée au calendrier de procédure et 17 jours après les conclusions de l'appelante, sans toutefois justifier d'un empêchement de force majeure entre le 14 et le 28 février 2023 et alors que le calendrier était expiré pour l'appelante qui ne disposait par ailleurs plus de temps suffisant, compte tenu de la complexité du litige, pour répliquer d'ici à la clôture le mardi suivant.

Ces circonstances, qui traduisent une méconnaissance du principe du contradictoire, conduisent à devoir écarter les conclusions n° 3 des intimés, la cour statuant au visa des conclusions des intimés n° 2 remises et notifiées au greffe le 3 février 2023, étant précisé que les dispositifs de chacun de ces deux jeux de conclusions sont formulés en termes identiques.

2) Sur le désistement d'instance et d'action de Mme [N]

La sccv Ker Sao sollicite la réformation du jugement en ce qu'il a alloué à Mme [N] et M. [IP] une indemnité de 1.000 € en réparation du préjudice né de l'inachèvement du parc boisé, arguant de la cession par Mme [N] de ses droits à M. [IP].

En effet, en 2019, à une date non précisée, une vente ' non contestée ' à titre de licitation est intervenue entre Mme [N] et M. [IP], faisant cesser l'indivision (pièce n° 14 des intimés, projet notarié de vente). Mme [N] s'est désistée de l'instance et de son action devant le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Saint-Malo qui, par ordonnance du 14 septembre 2022, a constaté ce désistement d'instance et d'action et l'acceptation par la sccv Ker Sao.

En cause d'appel, Mme [N] ne formule de fait aucune demande.

Le jugement, qui lui a octroyé des indemnités à une date où son désistement d'instance et d'action n'était pas acté, sera en conséquence réformé sur ce point.

3) Sur la perte de valeur vénale par manquement à l'obligation de délivrance ou dol

En application des articles 1603 et suivants du code civil, le vendeur en l'état futur d'achèvement est tenu de livrer une chose conforme aux stipulations contractuelles.

La non-conformité de la chose vendue aux spécifications contractuelles constitue un manquement du vendeur à son obligation de délivrance conforme (Cass, 1ère civ., 5 mai 1993, n°90-18.331, 24 janvier 2006, n°04-11.903).

L'obligation de délivrance implique non seulement la délivrance de la chose, mais celle d'une chose conforme à sa destination, qui corresponde en tous points au but recherché par l'acquéreur (Cass, 20 mars 1989, n°87-

18.517).

En l'espèce, l'acte notarié portant état descriptif de division et règlement de copropriété du 15 janvier 2013 comporte une clause 'Destination' ainsi rédigée :

'L'ensemble immobilier objet du présent règlement de copropriété est à destination d'habitation.

L'exercice d'une profession libérale y est toutefois toléré sous réserve de l'obtention des éventuelles autorisations administratives nécessaires.

Toute autre destination devra recueillir, outre les autorisations administratives nécessaires, l'agrément de l'assemblée générale des copropriétaires statuant aux majorités requises.'

L'hypothèse d'invendus a été envisagée dans cet acte dans les termes qui suivent :

'La SCCV Ker Sao, Promoteur, se réserve le droit de modifier la composition, le nombre des lots figurant au présent état descriptif ainsi que l'affectation de ces lots, tant que ceux-ci ne sont pas vendus, soit par réunion ou division d'un ou plusieurs lots, soit par l'augmentation ou la diminution du nombre de pièces composant les lots et la quotité des parties communes attachées à ces lots, ainsi que les dispositions apparaissant à l'article 6.1 du présent règlement.

Tous pouvoirs sont en conséquence consentis à ladite société, aux fins ci-devant, notamment de modifier l'état descriptif de division, règlement de copropriété, à cet effet, signer tous actes, pièces, documents, notamment règlement de copropriété modificatif, faire toutes déclarations, les copropriétaires promettant d'agréer le tout dès à présent.'

La modification de l'état descriptif de division et du règlement de copropriété, telle qu'elle est intervenue le 16 octobre 2015, a eu pour objectif de permettre la vente du bâtiment les Pins, dont la commercialisation en accession libre avait échoué, en un seul lot à la société Sofiperl qui prévoyait une opération d'usufruit social, avec financements aidés sur fonds publics.

Le bâtiment a été achevé en octobre 2016 et occupé à compter de cette date par des locataires, la durée maximale de l'opération d'usufruit social étant fixée à 15 années.

Ainsi, la destination à l'habitation n'a pas été juridiquement et matériellement modifiée.

Par ailleurs, aucun des documents contractuels n'a exclu la mixité sociale.

Quant à la plaquette commerciale, elle a certes vanté une opération 'au c'ur du quartier résidentiel de [Adresse 19], à quelques encablures de la plage du Prieuré, proche des criques qui font face à [Localité 27], [...] composée de deux résidences :

- les Cèdres à l'architecture élégante dans le plus pur style dinardais,

- les Pins dotée de coursives et de grandes baies lumineuses.

[F] au c'ur d'un superbe parc de 6.600 m² entièrement clos et planté de nombreuses essences, Villa Ker Sao invite ses résidents au calme et à la détente'.

Cette plaquette n'a toutefois pas garanti des modalités d'habitation exclusivement réservées à l'accession libre. Elle n'a pas non plus utilisé le terme 'standing'. Les intimés ne justifient du reste pas, par l'insertion par exemple d'une clause expresse en ce sens dans leurs acquisitions respectives, en avoir fait un critère déterminant de leur consentement.

Le dol ne saurait non plus être retenu dans la mesure où, en présence d'une opération de promotion immobilière n'ayant pu être commercialisée en 2013 comme prévu pour le bâtiment les Pins, la sccv Ker Sao s'est trouvée à compter de 2014 dans l'obligation de rechercher un acquéreur susceptible d'en financer la 2ème tranche dans les meilleurs délais.

S'il peut être supposé que la cohabitation des Cèdres, commercialisé intégralement en accession libre, avec les Pins, quant à lui commercialisé en logements à vocation sociale, n'était probablement pas l'hypothèse envisagée à l'origine du projet, ni par le promoteur, ni par les acquéreurs, les documents contractuels prévoyaient toutefois dès le départ la possibilité d'une évolution de la division des lots et du règlement de copropriété pour répondre à l'hypothèse d'invendus afin de pouvoir terminer l'opération immobilière et conserver à l'ensemble sa viabilité économique et fonctionnelle, ce qui a été le cas avec la vente réalisée au profit de la Sofiperl, ayant permis de lever les fonds suffisants pour 'sortir' définitivement de terre le bâtiment les Pins et permettre son exploitation effective à usage d'habitation sous forme locative.

A titre d'exemple, il sera relevé que parmi les intimés, M. et Mme [P] avaient acquis leur appartement le 18 février 2013 au prix de 250.000 € et qu'ils l'ont revendu le 30 septembre 2020 en cours de procédure à Mme [T] au prix de 336.000 €, la plus-value réalisée venant contredire une dépréciation de valeur vénale. M. et Mme [P] se sont du reste désolidarisés des intimés quant à la demande d'indemnisation d'une dépréciation de valeur vénale en ne formulant aucune demande de ce chef en cause d'appel.

Sous le bénéfice de ces observations, ni le manquement à l'obligation de délivrance ni le dol ne sont établis.

Le jugement sera infirmé sur ce point.

4) Sur les préjudices nés du retard dans l'achèvement des espaces verts et du bâtiment les Pins

Un litige oppose le syndicat de la copropriété à la sccv Ker Sao concernant non seulement les espaces verts, mais aussi les désordres, malfaçons et non-conformités et inachèvements susceptibles d'affecter le programme immobilier.

Par procès-verbal du 13 août 2015, établi par maître [C], huissier de justice à [Localité 27], il a en effet été procédé aux constats :

- de la non-réalisation des aménagements extérieurs,

- de l'existence de malfaçons, non-conformités et réserves relatives au bâtiment les Cèdres,

- de l'inachèvement du bâtiment les Pins,

- de l'existence de non-conformités et réserves relatives aux parties communes et sous-sol commun.

Ainsi que l'a constaté l'huissier de justice, 'le parc d'une surface totale de 6.600 m² a été pendant près de deux ans à compter de la livraison des parties communes du bâtiment les cèdres rendu inaccessible en grande partie par une clôture qui partageait le terrain afin de condamner l'accès au bâtiment les PINS. Les travaux d'aménagement du parc ont été réalisés mais aucune livraison n'est intervenue au motif d'un différend qui subsiste sur la non-conformité et la dangerosité du parc paysager, qui ne permettent pas aux copropriétaires d'en jouir.'

Par ordonnance du 3 décembre 2015, le juge des référés du tribunal judiciaire de Saint-Malo a confié l'expertise judiciaire à M. [R], qui a été remplacé par M. [O], lequel a déposé son rapport le 24 juillet 2017.

La sccv Ker Sao soulève l'irrecevabilité des acquéreurs à agir du chef de l'inachèvement des espaces verts dès lors que le parc constitue une partie commune. Elle soutient encore que les actes de VEFA ne mentionneraient aucun délai quant aux travaux non indispensables à l'utilisation des locaux vendus.

Toutefois, ces actes mentionnent bien que 'le vendeur disposera des délais normaux compatibles avec la nature des ouvrages pour achever les parties communes et, d'une façon générale, parachever les ouvrages prévus à la notice descriptive, en outre, en ce qui concerne les travaux qui ne sont pas indispensables à l'utilisation des locaux vendus, conformément à leur destination, tels que les travaux extérieurs (plantation, engazonnement, clôtures, parkings, etc) et qui ne sont pas réalisés dans le délai ci-dessus précisé, il est convenu que le vendeur sera seulement tenu de les exécuter dans le meilleur délai compatible d'une part avec la réalisation globale de l'ensemble immobilier et d'autre part avec les conditions climatiques liées aux travaux VRD et espaces verts.'

Or, le bâtiment les Pins a été achevé en octobre 2016 pour une date initiale annoncée fin 2013, de sorte que les copropriétaires des Cèdres ont dû supporter un retard de près de 2 années ¿ pour la réalisation de ces travaux à toute proximité de leur résidence (mai 2014 à octobre 2016), tandis que l'aménagement du parc paysagé n'était pas non plus achevé pendant cette même durée, faisant ainsi obstacle à sa jouissance personnelle par les copropriétaires de la résidence.

Ce retard dans les travaux, qui engage la responsabilité contractuelle de la sccv Ker Sao sur le fondement de l'article 1 147 du code civil (devenu article 1217 du code civil) et qui constitue un préjudice personnel des copropriétaires, distinct des préjudices dont peut se prévaloir le syndicat des copropriétaires ' pour lesquels l'instance est pendante devant le tribunal judiciaire de Saint-Malo en ouverture des opérations d'expertise de M. [O] ' appelle une indemnisation que la cour d'appel est en mesure de chiffrer à la somme de 3.000 € par copropriétaire ou couple de copropriétaires, avec capitalisation des intérêts, dans les termes du dispositif ci-dessous retenu.

M. et Mme [P], qui ont revendu leur appartement en 2020, sont recevables à présenter une demande de ce chef pour la période 2014-2016 antérieure à cette revente.

Le jugement sera infirmé quant au montant des indemnisations retenues.

5) Sur les dépens et les frais irrépétibles

Chaque partie échouant en ses prétentions supportera la charge des frais, compris ou non dans les dépens, par elle exposés en première instance et en appel, les frais d'expertise demeurant à la charge des intimés.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Ecarte des débats les conclusions n° 3 des intimés remises et notifiées au greffe de la cour d'appel le jeudi 2 mars 2023 et dit que la cour d'appel statue au visa des conclusions des intimés n° 2 remises et notifiées au greffe le 3 février 2023,

Infirme le jugement du tribunal judiciaire de Saint-Malo du 2 novembre 2020 en ce qu'il a :

- déclaré Mme [S] [N] recevable et partiellement bien fondée en ses prétentions,

- dit que la sccv Ker Sao a manqué à son obligation de délivrance à son égard,

- condamné la sccv Ker Sao à lui verser la somme de 1.000 € en réparation de son préjudice au titre des malfaçons concernant les espaces verts,

- dit que la sccv Ker Sao a manqué à son obligation de délivrance à l'égard des intimés fondée sur la modification de la destination de l'ensemble immobilier,

- condamné la sccv Ker Sao à payer les sommes de 1.000 € aux intimés en réparation du préjudice né du retard dans l'achèvement des aménagements du parc paysagé et du bâtiment les Pins,

Le confirme pour le surplus,

Statuant à nouveau,

Constate que par ordonnance du 14 septembre 2022, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Saint-Malo a constaté le désistement d'instance et d'action de Mme [N],

Condamne la sccv Ker Sao à verser :

- à M. et Mme [I] la somme de 3.000 €,

- à M. [ME] et à Mme [BW] la somme de 3.000 €,

- à M. [IP] la somme de 3.000 €,

- à M. et Mme [P] la somme de 3.000 €,

- et à M. et Mme [W] la somme de 3.000 €

en réparation du préjudice né du retard dans l'achèvement des aménagements du parc paysagé et du bâtiment les Pins,

Ordonne la capitalisation des intérêts,

Dit que chaque partie conserve à sa charge les frais, compris ou non dans les dépens, exposés en première instance et en appel,

Rejette en conséquence les demandes au titre des frais irrépétibles,

Rejette le surplus des demandes.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20/06300
Date de la décision : 16/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-16;20.06300 ?
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