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03/05/2023 | FRANCE | N°20/00111

France | France, Cour d'appel de Rennes, 5ème chambre, 03 mai 2023, 20/00111


5ème Chambre





ARRÊT N°-152



N° RG 20/00111 - N° Portalis DBVL-V-B7E-QMCV













Mme [V] [S]

M. [C] [S]



C/



Etablissement Public ONIAM (ONIAM)



















Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours















Copie exécutoire délivrée



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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 03 MAI 2023





COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Madame Pascale LE CHAMPION, Présidente,

Assesseur : Madame Virginie PARENT, Présidente,

Assesseur : Madame Virginie HAUET, ...

5ème Chambre

ARRÊT N°-152

N° RG 20/00111 - N° Portalis DBVL-V-B7E-QMCV

Mme [V] [S]

M. [C] [S]

C/

Etablissement Public ONIAM (ONIAM)

Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 03 MAI 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Pascale LE CHAMPION, Présidente,

Assesseur : Madame Virginie PARENT, Présidente,

Assesseur : Madame Virginie HAUET, Conseiller,

GREFFIER :

Madame Catherine VILLENEUVE, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 22 Février 2023

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 03 Mai 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANTS :

Madame [V] [N] épouse [S]

née le [Date naissance 3] 1978 à [Localité 7]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Coralie LEBASTARD de la SARL RUFFAULT-LEBASTARD, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NANTES

Monsieur [C] [S]

né le [Date naissance 1] 1976 à [Localité 7]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représenté par Me Coralie LEBASTARD de la SARL RUFFAULT-LEBASTARD, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NANTES

INTIMÉ:

OFFICE NATIONAL D'INDEMNISATION DES ACCIDENTS MEDICAUX, DES AFFECTIONS IATROGENES ET DES INFECTIONS OSOCOMIALES (ONIAM) ; Etablissement public à caractère administratif, placé sous la tutelle du Ministère de la Santé - Représenté par son Directeur en exercice

[Adresse 6]

[Adresse 6]

Représentée par Me Stéphanie PRENEUX de la SELARL BAZILLE, TESSIER, PRENEUX, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Jane BIROT de la SELARL BIROT - RAVAUT ET ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de BAYONNE

Mme [V] [S] a été admise le 14 novembre 2007 au sein de la Clinique Bretèche pour l'accouchement de son premier enfant.

Elle a bénéficié d'une analgésie péridurale puis d'une rachianesthésie. L'accouchement a été réalisé par le docteur [B], qui a effectué notamment une épisiotomie.

Souffrant de douleurs persistantes, Mme [S] consultait le docteur [X], qui le 14 mai 2008 procédait à une section de la bride vaginale suite à une cicatrisation après épisiotomie, puis le 3 septembre 2008 à une reprise de la cicatrice d'épisiotomie associée à une plastie de celle-ci.

Mme [V] [S] présentant de manière quasi constante des douleurs a ensuite consulté divers spécialistes sans pouvoir être soulagée ni sans qu'un diagnostic ne puisse être immédiatement posé.

Elle a cessé toute activité professionnelle depuis 2010 en raison de ses douleurs invalidantes empêchant une station debout et assise prolongée et nécessitant des temps de repos quotidiens.

Orientée vers le centre antidouleur Catherine de Sienne en 2011, le médecin a posé un diagnostic de syndrome douloureux pelvien complexe pouvant être l'expression d'une névralgie pudendale bilatérale.

Une intervention sur le nerf pudendal a été réalisée le 30 mai 2012 mais n'a pas apporté d'amélioration au niveau des douleurs.

Par la suite, Mme [V] [S] a bénéficié de différents traitements et prises en charge qui n'ont pas apporté d'amélioration.

Mme [V] [S] a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Nantes d'une demande d'expertise au contradictoire de la clinique Bretèche, des docteurs [X] et [B] et de l'ONIAM.

Le docteur [M] a été désigné en qualité d'expert par ordonnance du 13 septembre 2012.

Il a déposé un rapport d'expertise le 29 mai 2013 concluant à l'absence de consolidation de Mme [V] [S].

Une nouvelle réunion d'expertise a été organisée par le docteur [M] après consolidation aux fins d'évaluer les préjudices définitifs subis par Mme [V] [S].

L'expert a déposé son rapport d'expertise le 6 février 2016.

Par acte d'huissier en date du 18 janvier 2017, Mme [V] [S] et M. [C] [S] ont assigné devant le tribunal de grande instance de Nantes l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) et la Caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 4].

Par jugement en date du 28 novembre 2019, le tribunal de Nantes a:

- débouté les époux [S] de l'ensemble de leurs demandes,

- condamné les époux [S] aux dépens,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Le 8 janvier 2020, les époux [S] ont interjeté appel de cette décision et aux termes de leurs dernières écritures notifiées le 23 juin 2020, ils demandent à la cour de :

À titre principal,

- réformer le jugement rendu le 28 novembre 2019 en ce qu'il les a déboutés de leurs demandes d'indemnisation,

Statuant à nouveau :

- juger que les critères conditionnant l'applicabilité de l'indemnisation des accidents médicaux par la solidarité nationale sont réunis et par conséquent, condamner l'ONIAM à indemniser Mme [V] [S],

En conséquence,

- recevoir Mme [V] [S] en ses demandes, fins et conclusions et condamner l'ONIAM à lui verser la somme de 3 315 741,44 euros au titre de l'indemnisation définitive de son préjudice, selon le détail suivant :

* dépenses de santés actuelles : 1 321,67 euros

* frais divers : 2 476,20 euros

* tierce personne temporaire : 73 680 euros

* pertes de gains professionnels actuels : 15 308,08 euros

* déficit fonctionnel temporaire : 27 000 euros

* souffrances endurées : 35 000 euros

* dépenses de santé futures : réservées

* tierce personne permanente : 1 123 396,08 euros

* pertes de grains professionnels futurs : 1 656 559,41 euros

* incidence professionnelle : 60 000 euros

* déficit fonctionnel permanent : 255 000 euros

* préjudice d'agrément : 30 000 euros

* préjudice sexuel : 30 000 euros

* préjudice d'établissement : 6 000 euros,

- recevoir M. [C] [S] en ses demandes, fins et conclusions et condamner l'ONIAM à lui verser la somme de 10 000 euros au titre de l'indemnisation définitive de son préjudice,

- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir,

- condamner l'ONIAM à verser aux requérants la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de la présente instance, comprenant ceux exposés dans le cadre de la procédure de référé expertise et les frais d'expertise judiciaire,

- déclarer la décision à intervenir commune et opposable à la CPAM de [Localité 4],

À titre subsidiaire,

- avant dire droit, confier à l'Expert judiciaire le docteur [M] une expertise médicale visant à préciser le lien entre l'épisiotomie et les séquelles objectivées d'une part et la question de l'anormalité d'autre part - l'expert aura pour mission :

* de prendre connaissance de l'entier dossier médical de Mme [V] [S] et de se faire communiquer tous documents relatifs à son état de santé,

* de convoquer et entendre les parties et tout sachant,

* de préciser si le diagnostic de névralgie pudendale est établi avec certitude

* de préciser si l'épisiotomie et le point gâchette de la cicatrice sont à l'origine des séquelles Mme [V] [S] objectivées,

* d'exposer le risque inhérent à l'épisiotomie réalisée en précisant sa fréquence et en indiquant si ce risque était accru compte tenu des circonstances,

* de fournir, d'une manière générale, tous éléments de nature à permettre à la cour de se prononcer en toute connaissance de cause.

Par dernières conclusions notifiées le 8 juin 2020, l'ONIAM demande à la cour de :

- confirmer le jugement du 28 novembre 2019 en ce qu'il a rejeté les demandes formulées par les époux [S] à son encontre au regard de l'absence de lien de causalité direct entre l'état actuel de la patiente et un acte de prévention, de diagnostic ou de soins,

- débouter en conséquence les consorts [S] de leurs demandes à son encontre,

À titre subsidiaire :

Dans l'hypothèse où la cour estimerait que le dommage présenté par Mme [V] [S] est directement en lien avec un acte de prévention, de diagnostic ou de soin :

- dire et juger que le dommage n'est pas anormal au regard de l'état de santé de Mme [V] [S] comme de son évolution prévisible,

- débouter en conséquence les consorts [S] de leurs demandes à son encontre,

À titre infiniment subsidiaire :

- débouter purement et simplement M. [C] [S] de ses demandes à son encontre,

- réduire à de plus justes proportions les indemnisations allouées à Mme [V] [S] :

* dépenses de Santé Actuelles et Frais Divers : débouté

* assistance par Tierce Personne temporaire : 6 273,41 euros

* perte de Gains Professionnels Actuels : 3 421,37 euros

* déficit Fonctionnel Temporaire : 6 087,50 euros

* souffrances Endurées : 15 000 euros

* dépenses de Santé Futures : débouté

* assistance par Tierce Personne future : 83 318,28 euros

* incidence Professionnelle : 15 000 euros,

* perte de Gains Professionnels Futurs : à titre principal débouté,

* déficit Fonctionnel Permanent : 13 556 euros

* préjudice d'agrément : 1 500 euros

* préjudice sexuel : 5 000 euros

* préjudice d'établissement : débouté.

En toute hypothèse :

- débouter les consorts [S] de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- les condamner aux entiers dépens qui seront recouvrés par la SELARL Bazille - Tessier - Preneux, Avocats associés, selon les dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 2 février 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

- sur le droit à indemnisation

Les consorts [S] estiment parfaitement fondée leur action engagée contre l'ONIAM en application de l'article L 1142-1 du code de la santé publique.

Ils notent l'existence de plusieurs actes médicaux durant l'accouchement :

- une rupture artificielle des membranes en vue d'accélérer l'accouchement, - une expression utérine, geste qui consiste à exercer une pression sur l'utérus pour accélérer l'expulsion du bébé,

- une épisiotomie latérale droite effectuée par le docteur [B],

- une réfection par le médecin d'une déchirure latérale gauche.

Selon eux, l'épisiotomie est l'acte médical à l'origine des préjudices subis, puisque la cicatrisation des tissus coupés a eu pour effet de déclencher des douleurs invalidantes évoquant une névralgie pudendale. Ils en veulent pour preuve que la douleur a été atténuée en agissant sur cette cicatrice.

Ils relèvent que l'expert ne conclut pas que Mme [S] a une névralgie pudendale survenue par le simple passage du bébé lors de l'accouchement.

Considérant que la cicatrice de l'épisiotomie est l'acte de soin qui a déclenché la névralgie pudendale, ils font valoir que le droit à réparation ne peut être réduit en raison d'une prédisposition pathologique lorsque l'affection qui en est issue n'a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable.

Les époux [S] estiment que le lien de causalité entre l'acte médical pratiqué et l'accident médical survenu est démontré et qu'ainsi les mécanismes d'indemnisation au nom de la solidarité nationale trouvent à s'appliquer. Ils relèvent que plusieurs présomptions suffisamment graves, précises et concordantes permettent de retenir l'imputabilité du dommage à l'accident médical dont a été victime Mme [S] :

- la proximité temporelle entre les actes médicaux lors de l'accouchement et l'apparition des douleurs périnéales,

- l'absence d'état antérieur,

- la localisation des lésions,

- l'efficacité de la neuro-stimulation sur la cicatrice d'épisiotomie.

Ils soutiennent que le névrome ne peut avoir été causé par la déchirure dès lors qu'il se situe à droite au niveau de l'épisiotomie, et que la déchirure est survenue à gauche. Selon eux, l'épisiotomie a donc joué un rôle d'effet déclenchant, l'acte en cause a eu pour le patient des conséquences anormales, tel que retenu par l'expert, et le seuil de déficit fonctionnel permanent en résultant est largement atteint puisqu'il est estimé à 60% par l'expert.

L'ONIAM, en réponse, plaide pour la confirmation du jugement qui ne retient pas l'existence d'un lien de causalité direct entre l'état actuel de Mme [S] et un acte de prévention, de diagnostic ou de soin. Il soutient que l'imputabilité à l'acte de soins doit, de plus, en application des principes de droit être certaine.

Il considère que l'existence d'une concordance chronologique ne peut à elle seule apporter la démonstration d'une imputabilité.

Il relève que le docteur [M], expert judiciaire, n'a émis que des hypothèses quant à l'origine de l'état actuel de Mme [S], rappelant de surcroît qu'il le fait avec la plus grande prudence. Il indique que parmi ces hypothèses, existe celle d'un lien de causalité avec l'accouchement lui-même, qui est un acte physiologique traumatique naturel, ne pouvant être qualifié d'acte de soin.

Le seul acte de soin dont a bénéficié Mme [S] étant l'épisiotomie, il soutient qu'aucun élément ne permet d'affirmer que son état de santé actuel résulte directement de cet acte.

Il souligne que l'expert judiciaire a clairement conclu que Mme [S] présentait une symptomatologie se rattachant à une névralgie pudendale bilatérale au sens des critères de [Localité 5], de sorte que c'est le diagnostic le plus probable de la pathologie ainsi présentée, qui est à l'origine de son état de santé actuel.

Il relève que le névrome n'a pas été identifié à ce jour mais seulement évoqué en raison d'une zone 'gâchette' qui n'a été exprimée par la patiente pour la première fois que le 14 décembre 2012 (soit 5 ans après l'accouchement) et que l'expert, lors de l'examen clinique de Mme [S], n'a pas décrit une telle zone 'gâchette' ou un névrome au niveau de l'épisiotomie.

Il souligne également le fait que les douleurs ont disparu pendant trois mois après son deuxième accouchement et que l'expert a précisé que cette disparition des douleurs illustrait la difficulté dans la compréhension de la sa pathologie.

L'intimé objecte qu'il n'est pas démontré que l'épisiotomie a déclenché, ou révélé la névralgie. Il note que l'expert ne retient pas avec certitude que les réactions de fibrose du niveau du nerf pudendal sont en lien avec l'épisiotomie, ni ont été révélées par elle, puisqu'il indique qu'elles ont pu être favorisées par l'accouchement lui-même.

Il ajoute que concernant l'origine du névrome, l'expert a indiqué qu'il pouvait être en lien avec la déchirure qui s'est produite lors de l'accouchement, de sorte qu'à supposer ce névrome existant et à l'origine de la névralgie pudendale, il n'est pas en lien exclusif avec l'épisiotomie.

Subsidiairement, l'ONIAM entend faire valoir que si un lien de causalité, était retenu, il devra être constaté l'absence démontrée d'anormalité du dommage.

Il rappelle que l'anormalité du dommage suppose établie une aggravation notable de l'état de santé du patient au regard de ce qu'aurait été de manière suffisamment probable son évolution en l'absence de traitement, et que dans le cas contraire, les conséquences de l'acte médical ne peuvent être considérées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible.

En l'espèce, il note que l'expert ne se prononce pas sur l'état dans lequel aurait été Mme [S] en l'absence d'épisiotomie. Il fait valoir qu'une épisiotomie a pour but de prévenir des déchirures qui peuvent être à l'origine d'incontinence fécale ou urinaire, et qu'ainsi les douleurs présentées par Mme [S] ne peuvent être qualifiées de notablement plus graves que de tels risques. Selon lui, le premier critère d'anormalité du dommage n'est pas rempli.

S'agissant de la probabilité de la réalisation du risque (soit la survenue d'une névralgie pudendale en lien avec une épisiotomie), il souligne le fait que l'expert ne s'est pas prononcé sur celui-ci et qu'il n'est pas démontré par Mme [S] que la survenance du dommage avait une probabilité quelconque.

En application de l'article 1142-1 II du code de la santé publique, la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire.

Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret.

L'expertise réalisée par le docteur [M] permet d'établir la chronologie de l'accouchement le 14 novembre 2007 comme suit :

- le travail dirigé (rupture artificielle des membranes et perfusion de Syntocinon), sera sans particularité obstétricale,

- Mme [S] a bénéficié d'une analgésie péridurale puis d'une rachianesthésie,

- l'expulsion n'a pas nécessité d'extraction instrumentale, mais la description de l'accouchement par la patiente laisse supposer qu'elle a vraisemblablement bénéficié d'un certain degré d'expression utérine,

- l'accouchement a été réalisé par le docteur [B], qui a effectué la réfection d'une épisiotomie latérale droite ainsi que d'une déchirure latérale gauche incomplète du 1er degré.

Mme [S] se plaignant de douleurs périnéales dès les suites de l'accouchement, fera l'objet des examens et interventions suivantes :

- le docteur [X] procède le 14 mai 2008 à la section d'une bride vaginale, puis le 3 septembre 2008 à une reprise de l'épisiotomie associée à une plastie de cette cicatrice,

- après une deuxième grossesse et un accouchement le 9 mai 2010,à l'issue d'un travail sans particularité (analgésie péridurale, expulsion spontanée et déchirure périnéale de 1er degré suturée par la sage-femme) et la disparition de douleurs pendant les trois mois suivants, le docteur [P] a évoqué pour la première fois une névralgie pudendale bilatérale,

- une infiltration scannoguidée des deux ligaments sacro-épineux était réalisée le 26 janvier 2012 et permettait d'obtenir un bloc analgésique immédiat,

- après résultat de cette infiltration, le professeur [E] vers laquelle Mme [S] était dirigée, confirmait le diagnostic et retenait l'indication d'une libération transposition bilatérale du nerf pudendal, qui était réalisée par ce dernier le 30 mai 2012,

- les douleurs persistant, Mme [S] était revue en consultation le 14 décembre 2012 par le professeur [E], le docteur [P], et le docteur [T], tous trois impliqués dans le domaine des algies pelvi-périnéales. Il était décidé une série d'infiltrations dans la cicatrice d'épisiotomie. Celles-ci étaient estimées par la patiente très efficaces ponctuellement (disparition de la douleur pendant une demi-heure à une heure),

- il était alors décidé, lors d'une hospitalisation du 10 au 15 juillet 2013, la réalisation d'un cathétérisme de canal d'Alcook avec perfusion en continue d'antalgique durant quatre jours, laquelle s'est révélée extrêmement efficace avec disparition des douleurs et de toute impotence fonctionnelle ; cette efficacité durait trois semaines,

- trois tentatives de radiofréquence pulsée étaient effectuées le 29 août 2013 mais étaient abandonnées car trop douloureuses,

- Mme [S] était revue en consultation le 7 octobre 2014 par les docteurs [P] et [J] et le docteur [E] ; une nouvelle chirurgie était proposée à la patiente qui y renonçait.

L'acte mis en cause par Mme [S] est l'épisiotomie réalisée par le docteur [B] lors de son accouchement le 14 novembre 2007. Il n'est pas discuté que l'épisiotomie est un acte de soin.

Il appartient donc à Mme [S] de rapporter la preuve que le dommage a pour origine directe et certaine cet acte de soin.

Si l'article L. 1142-1, II, du code de la santé publique soumet l'indemnisation d'un accident médical non fautif au titre de la solidarité nationale à plusieurs conditions, dont celle qu'il soit directement imputable à un acte de prévention, de diagnostic ou de soins, il n'exclut pas que la preuve d'une telle imputabilité puisse être rapportée par tout moyen et notamment par des présomptions, pourvu qu'elles soient précises, graves et concordantes.

L'expert reproduit dans le corps de son rapport l'essentiel des avis écrits des docteurs [T] et [J].

Le docteur [T] indique que la symptomatologie clinique alléguée peut effectivement être une névralgie pudendale bilatérale. Il précise que les constatations opératoires de mai 2012 retrouvaient des éléments de conflit importants sur le trajet du nerf pudendal des deux côtés, notamment au niveau de la pince ligamentaire entre le ligament sacro-tubéral et le ligament sacro-épineux avec des zones adhérentielles multiples, plus des éléments de conflit vasculaire, que ces éléments sont en rapport avec des réactions de fibrose, toujours difficiles à interpréter.

S'interrogeant alors sur le point de savoir si ces éléments avaient été favorisés par des réactions post-traumatiques secondaires à l'accouchement, le docteur [T] affirme qu'ils ne peuvent être en relation directe avec l'épisiotomie qui est beaucoup plus superficielle, ou la déchirure périnéale elle-même.

Il poursuit :

L'hypothèse de lésions liées à l'accouchement lui-même ou au passage du mobile foetal peut toujours être discutée. Cela ne peut être qu'une discussion purement théorique. On peut évoquer des dispositions congénitales, le rôle du deuxième accouchement en 2010, etc..

Il y a cependant un diagnostic alternatif, dans la mesure où la patiente n'a pas été améliorée par l'intervention chirurgicale (ce qui arrive quand même à 30% des patients) mais surtout dans la mesure où lors de la consultation du 12 décembre 2012, nous avons constaté l'existence d'un point gâchette assez ponctuel au niveau de la lèvre sur l'épisiotomie. L'infiltration Loco Dolenti a été positive ce qui est en faveur d'une lésion distale. On pourrait donc discuter l'existence d'une lésion conjointe d'un névrome par exemple, une réaction de fibrose sur la cicatrice favorisée à la fois par la déchirure périnéale et l'épisiotomie.

Le docteur [J] écrit :

La symptomatologie pouvait être en faveur d'une névralgie périnéale par conflit du nerf pudendal puisque les critères de [Localité 5] étaient réunis.

Le mécanisme lésionnel de la douleur est difficile à appréhender. Il est possible que la névralgie périnéale par compression du nerf pudendal ait été révélée au cours de l'épisode de l'accouchement et de l'épisiotomie.

On sait que la fragilité sur le nerf pudendal est un facteur de sensibilisation distale qui peut majorer la symptomatologie douloureuse liée au petit névrome de la fourchette vulvaire évoquée par l'existence de points gâchettes.

Le bloc anesthésique loco dolenti a été positif à plusieurs reprises ce qui conforte cette hypothèse.

L'expert retient, au terme de son rapport, deux diagnostics s'agissant de la symptomatologie présentée par Mme [S] :

- une névralgie pudendale bilatérale, relevant que les critères de cette pathologie sont réunis, que l'obtention en janvier 2012 d'un bloc analgésique complet lors d'une infiltration scannoguidée des deux ligaments sacro-épineux plaide en faveur de cette hypothèse, que les constatations opératoires de mai 2012 retrouvent des éléments de conflit important sur le trajet du nerf pudendal des deux côtés renforcent encore cette orientation diagnostique et enfin que l'efficacité spectaculaire de la perfusion d'anesthésie lors du cathérisme du canal d'Alcool lors d'une hospitalisation en 2013 entraînant une disparition des douleurs a de nouveau conforté ce diagnostic,

- un diagnostic associé très vraisemblable constitué par une lésion distale, supposant l'existence conjointe d'un névrome, relevant que l'existence d'un point gâchette au niveau de la cicatrice d'épisiotomie et l'efficacité de l'infiltration du site précis sur les douleurs sont en faveur d'une lésion distale et de l'existence conjointe d'un névrome lié à une réaction de fibrose entraînée par l'épisiotomie et/ou la déchirure.

L'expert relève, en effet, le lien temporel entre l'accouchement et l'apparition des troubles qui auparavant n'avaient jamais existé, l'absence de toute pathologie antérieure.

S'il écrit que l'accouchement pourrait n'avoir été que l'élément révélateur d'une souffrance préexistante asymptomatique, rejoignant en cela les observations du docteur [J] selon lesquelles il est possible que la névralgie périnéale par compression du nerf pudendal ait été révélée au cours de l'épisode de l'accouchement et de l'épisiotomie, la cour ne peut toutefois en déduire avec certitude que l'épisiotomie précisément est à l'origine des troubles. En effet, il convient de souligner que l'accouchement recouvre plusieurs autres événements, comme le traumatisme obstétrical lié au passage du mobile foetal, ou la déchirure périnéale ; en outre, la cour observe que le docteur [J] évoque une possibilité, et que l'expert emploie le conditionnel, démontrant l'absence de toute affirmation claire de ces médecins sur ce point, ce que l'expert confirme d'ailleurs encore, page 43 du rapport, en signalant que l'hypothèse de la responsabilité de l'accouchement et de l'épisiotomie n'est pas formelle.

S'agissant de la localisation de la lésion et de l'efficacité de la neurostimulation sur la cicatrice de l'épisiotomie, il est souligné que l'existence d'un névrome vulvaire n'a été formellement constatée qu'en 2012 soit 5 ans après l'épisiotomie. Selon les conclusions de l'expert, la réaction de fibrose à l'origine du névrome vulvaire constaté peut provenir également de la déchirure et non de l'épisiotomie. Enfin, tant l'expert que les docteurs [T] ou [J] apparaissent dans l'incapacité de décrire le mécanisme lésionnel à l'origine des troubles, ce qui fragilise l'hypothèse retenue d'une lésion distale et de l'existence conjointe d'un névrome lié à une réaction de fibrose à l'origine des douleurs périnéales subies par Mme [S].

La cour, comme les premiers juges, note que l'expert a, en tout état de cause, entendu attirer l'attention sur le fait que les hypothèses de l'origine des troubles sont évoquées avec la plus grande prudence.

Le rapport d'expertise produit aux débats est donc insuffisant pour démontrer l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre l'acte de soin visé, l'épisiotomie et les douleurs subies par Mme [S].

À défaut de tout autre élément, force est donc d'admettre, en l'absence de présomptions précises, graves et concordantes en ce sens que la condition d'imputabilité directe d'un accident médical à l'épisiotomie, n'est pas remplie en l'espèce.

La cour confirme le rejet des demandes d'indemnisation formées contre l'ONIAM.

- sur la demande subsidiaire aux fins d'expertise

La demande subsidiaire formée par les époux [S] tendant à la désignation du docteur [M] pour préciser le lien entre l'épisiotomie et les séquelles objectivées d'une part et la question de l'anormalité du dommage, doit être rejetée.

La cour rappelle que parmi les chefs de la mission confiée au docteur [M] figurait celui de décrire l'ensemble des lésions et séquelles constatées au jour de l'examen, imputables aux conséquences des interventions et de leurs suites, de dire si cet état est la conséquence de l'évolution prévisible de la pathologie initiale, en prenant en considération les données relatives à l'état de santé antérieur présenté avant les actes de prévention, diagnostic ou soins pratiqués ou si cet état présente un caractère anormal au regard de l'évolution prévisible de la pathologie initiale.

La mesure d'instruction est donc inutile, au regard du travail complet déjà réalisé par l'expert au terme d'un examen exhaustif des pièces médicales à disposition et des réponses déjà données par l'expert à ces questions.

Les époux [S] ne versent aux débats aucun élément nouveau, permettant de justifier le bien fondé d'une nouvelle mesure d'expertise.

M. et Mme [S] seront déboutés de cette demande.

- sur les frais irrépétibles et les dépens

La cour confirme les dispositions du jugement sur ces points, dit n'avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile et condamne les appelants aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et par mise à disposition au greffe :

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Déboute Mme [V] [S] et M. [C] [S] de leur demande subsidiaire aux fins de nouvelle expertise ;

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de quiconque ;

Condamne Mme [V] [S] et M. [C] [S] aux dépens d'appel qui seront recouvrés par la SELARL Bazille-Tessier-Preneux, avocats associés selon les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Le Greffier La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 20/00111
Date de la décision : 03/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-03;20.00111 ?
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