8ème Ch Prud'homale
ARRÊT N°166
N° RG 19/08310 (et 20/50 joints)-
N° Portalis DBVL-V-B7D-QLKQ
Mme [H] [J] épouse [N]
C/
- SELAS CLEOVAL (Me [L] [Y]) : liquidation judiciaire de la SAS CHARCUTERIES GOURMANDES)
- Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA DE [Localité 3]
Infirmation partielle
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Bertrand GAUVAIN
Me Laurence TARDIVEL
Me Marie pierre HAMON PELLEN
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 02 MAI 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Président de chambre,
Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller,
Madame Gaëlle DEJOIE, Conseillère,
GREFFIER :
Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 23 Février 2023
En présence de Madame [O] [R], Médiatrice judiciaire
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 02 Mai 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE et INTIMÉE :
Madame [H] [J] épouse [N]
née le 03 Mars 1958 à [Localité 6] (56)
demeurant [Adresse 5]
[Localité 4]
Représentée par Me Bertrand GAUVAIN de la SCP GAUVAIN, DEMIDOFF & LHERMITTE, Avocat postulant du Barreau de RENNES et par Me Benoît MARTIN, Avocat plaidant du Barreau de VANNES
INTIMÉE et APPELANTE :
La SELAS de Mandataire judiciaire CLEOVAL agissant par Me [L] [Y] intervenant volontairement aux lieu et place de la SELARL Raymond [T] ès-qualités de mandataire liquidateur de la SAS CHARCUTERIES GOURMANDES
[Adresse 1]
[Localité 7]
Représentée par Me Anne-Gaëlle BERTHOME substituant à l'audience Me Laurence TARDIVEL de la SELARL CVS, Avocats au Barreau de NANTES
.../...
Autre INTIMÉE et appelante à titre incident :
L'Association UNEDIC, DELEGATION AGS CGEA DE [Localité 3] prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège :
[Adresse 2]
[Localité 3]
Ayant Me Marie pierre HAMON PELLEN de la SCP HAMON-PELLEN & ASSOCIES, Avocat au Barreau de VANNES, pour avocat constitué
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Suivant contrat de travail à durée indéterminée du 16 mai 1977, la SAS CHARCUTERIES GOURMANDES a engagé Mme [H] [N] en qualité de Conductrice machine, en application de la convention collective des industries charcuteries.
Mme [N] a eu un accident sur son lieu de travail le 6 février 2015. Elle s'est blessée à l'épaule gauche en heurtant une pile de carton. Cet accident a été reconnu comme accident du travail par décision de la CPAM du 13 mai 2015.
Le 22 mai 2015, Mme [N] a subi une pathologie à l'épaule droite. Le 23 juin 2015, la salariée a établi une déclaration de maladie professionnelle qui a été reconnue par la CPAM le 18 décembre 2015.
Le 31 mars 2017, le médecin du travail a rendu un avis d'inaptitude au poste de conditionnement.
Le 14 avril 2017, la salariée était convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour inaptitude.
Le 28 avril 2017, l'employeur a adressé une proposition de reclassement de poste à Mme [N], qui a répondu le 5 mai 2017, indiquant que la proposition était tardive, pensant être déjà licenciée. La SAS CHARCUTERIES GOURMANDES lui a répondu qu'elle n'était pas licenciée et qu'elle avait jusqu'au 15 mai pour répondre à l'offre. Mme [N] a refusé la proposition le même jour.
Le 24 mai 2017, le médecin du travail a fait savoir que certains gestes devaient être exclus de la proposition de reclassement.
Par courrier du 1er juin 2017, la SAS CHARCUTERIES GOURMANDES a notifié à Mme [N] son licenciement pour inaptitude.
Le 5 décembre 2017, Mme [N] a saisi le conseil de prud'hommes de Vannes aux fins de :
' Dire et juger que la SAS CHARCUTERIES GOURMANDES na pas satisfait à son obligation de recherche de reclassement,
' Dire et juger que les manquements et le comportement fautif de la SAS CHARCUTERIES GOURMANDES sont à l'origine de sa maladie professionnelle, elle-même à l'origine de son inaptitude professionnelle,
' Dire et juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse,
' Ordonner la fixation de la créance au passif de la SAS CHARCUTERIES GOURMANDES de la manière suivante :
- 80.000 € à titre d'indemnité spécifique au sens de l'article L. 1226-16 du code du travail pour licenciement abusif,
- 24.111,37 € au titre de l'indemnité spéciale de licenciement,
- 4.011,25 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
- 3.000 € nets au titre de l'indemnité pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail,
' Mettre à la charge de la liquidation judiciaire de la SAS CHARCUTERIES GOURMANDES les entiers dépens et la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
' Dire et juger le jugement à intervenir commun et opposable à l'association AGS CGEA de [Localité 3],
' Condamner l'association AGS CGEA de [Localité 3] à payer l'intégra1ité de sa créance à l'encontre de la SAS CHARCUTERIES GOURMANDES,
' Débouter la SAS CHARCUTERIES GOURMANDES, Me [V] et Me [T] es qualités ainsi que le CGEA gestionnaire de l'AGS de toute autre demande plus ample ou contraire.
Le 16 janvier 2018, la SAS CHARCUTERIES GOURMANDES a été placée en redressement judiciaire. Le 25 avril 2018, le tribunal de commerce de Vannes a prononcé la liquidation judiciaire.
Le 28 décembre 2018, Mme [N] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Vannes afin de voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur à l'origine de sa maladie professionnelle déclarée à l'épaule droite. Par jugement du 29 mars 2021, le pôle social de [Localité 7] a reconnu que la maladie professionnelle était imputable à une faute inexcusable commise par l'employeur et a ordonné une expertise médicale d'évaluation des préjudices. Par jugement du 21 mars 2022, après expertise, le tribunal a condamné l'employeur à la réparation de divers préjudices.
Le 28 décembre 2018, Mme [N] a également saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Vannes afin de voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur à l'origine de son accident du travail du 6 février 2015. Par un jugement du pôle social de Vannes du 29 mars 2021, le tribunal n'a pas reconnu qu'une telle faute était à l'origine de l'accident du travail. Un appel, toujours en cours, a été interjeté de ce jugement.
La cour est saisie de deux appels formés respectivement le 24 décembre 2019 par Mme [N] (RG 19/8310) et le 3 janvier 2020 par le liquidateur de la SAS CHARCUTERIES GOURMANDES (RG 20/50) à l'encontre du jugement prononcé le 26 septembre 2019 par lequel le conseil de prud'hommes de Vannes a :
' Dit que Mme [N] a été licenciée pour inaptitude en raison de sa maladie professionnelle,
' Dit que son refus de poste de reclassement n'est pas abusif,
' Fixé la créance de Mme [N] au passif de la SAS CHARCUTERIES GOURMANDES à :
- 24.111,37 € net à titre d'indemnité spéciale de licenciement,
- 4.011,25 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 3.000 € net à titre d'indemnité pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail,
' Dit que les sommes seront inscrites sur l'état des créances salariales de la liquidation judiciaire de la SAS CHARCUTERIES GOURMANDES,
' Débouté Mme [N] et la SAS CHARCUTERIES GOURMANDES SAS de leurs autres demandes respectives,
' Déclaré le présent jugement opposable à l'association AGS CGEA de [Localité 3] dans les limites légales de sa garantie,
' Dit que les parties supporteront la charge de leurs propres dépens.
Par ordonnance du 29 septembre 2022, le conseiller de la mise en état a procédé sous le numéro de RG 19/8310 à la jonction des deux procédures d'appel.
Vu les écritures notifiées par voie électronique le 31 janvier 2023, suivant lesquelles Mme [N] demande à la cour de :
' Infirmer le jugement en ce qu'il a :
- dit que les parties supporteront la charge de leurs propres dépens,
- débouté Mme [N] de ses demandes relatives au manquement à l'obligation de recherche de reclassement, aux manquements et au comportement fautif de l'employeur à l'origine de sa maladie professionnelle, au licenciement sans cause réelle et sérieuse et ses conséquences indemnitaires,
' Confirmer le jugement en ce qu'il a :
- dit que Mme [N] a été licenciée pour inaptitude en raison de sa maladie professionnelle,
- dit que son refus de poste de reclassement n'est pas abusif,
- fixé au titre de la créance de Mme [N] au passif de la SAS CHARCUTERIES GOURMANDES la somme de :
* 24.111,37 € net à titre d'indemnité spéciale de licenciement,
* 4.011,25 € à titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
* 3.000 € net à titre d'indemnité pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail,
- dit que les sommes seront inscrites sur l'état des créances salariales de la liquidation judiciaire de la SAS CHARCUTERIES GOURMANDES,
- déclaré le jugement opposable à l'association AGS CGEA de [Localité 3] dans les limites légales de sa garantie,
- débouté la SAS CHARCUTERIES GOURMANDES de ses autres demandes,
Statuant à nouveau,
' Constater que :
- l'employeur n'a pas fourni aux délégués du personnel toutes les informations nécessaires sur le reclassement de Mme [N] et notamment les conclusions du médecin du travail sur l'aptitude du salarié à exercer un des postes portés à leur connaissance,
- les propositions de poste de reclassement faites le 28 avril 2017 à Mme [N] ne respectent pas les préconisations du médecin du travail et ne mentionnent pas la formation requise,
' Dire et juger que la SAS CHARCUTERIES GOURMANDES n'a pas satisfait à son obligation de recherche de reclassement,
' Dire et juger que son refus de poste de reclassement n'est pas abusif,
' Dire et juger que les manquements et le comportement fautif de la SAS CHARCUTERIES GOURMANDES sont à l'origine de sa maladie professionnelle à l'épaule droite et de son accident du travail à l'épaule gauche, eux-mêmes à l'origine de son inaptitude professionnelle,
' Dire et juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse,
' Ordonner la fixation de sa créance au passif de la SAS CHARCUTERIES GOURMANDES de la manière suivante :
- 80.000 €, à titre principal, au titre de l'indemnité spécifique au sens de l'article L.1226-15 du code du travail pour licenciement abusif,
- 80.000 €, subsidiairement, sur le fondement de l'article L.1235-3 du code du travail au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 24.111,37 € au titre de l'indemnité spéciale de licenciement,
- 4.011,25 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
- 3.000 € net au titre de l'indemnité pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail,
' Dire et juger la décision à intervenir commune et opposable à l'Association AGS CGEA de [Localité 3],
' Mettre à la charge de la liquidation judiciaire de la SAS CHARCUTERIES les entiers dépens et la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de Mme [N],
' Dire et juger que l'association AGS CGEA de [Localité 3] devra garantir ses créances et procéder à leur avance dans les conditions légales applicables,
' Débouter la SAS CHARCUTERIES GOURMANDES, la SELAS CLEOVAL agissant par Me [Y], ès qualités de liquidateur de ladite société ainsi que l'association AGS CGEA de [Localité 3] de tout autre demande plus ample ou contraire,
Y ajoutant,
' Condamner la SELAS CLEOVAL agissant par Me [Y] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS CHARCUTERIES GOURMANDES à lui payer la somme de 3.000 € au titre des frais irrépétibles d'appel,
' Condamner la SELAS CLEOVAL agissant par Me [Y], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS CHARCUTERIES GOURMANDES aux entiers dépens de l'instance d'appel.
Vu les écritures notifiées par voie électronique le 31 janvier 2023, suivant lesquelles la SELAS CLEOVAL, agissant ès qualités de liquidateur de la SAS CHARCUTERIES GOURMANDES demande à la cour de :
A titre liminaire et principal,
' Infirmer le jugement en ce que le Conseil de prud'hommes s'est déclaré compétent pour statuer sur la demande de dommages et intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail au profit du pôle social du tribunal judiciaire de Vannes,
' Constater l'incompétence matérielle de la juridiction prud'homale pour statuer sur la demande de dommages intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail au profit du pôle social du tribunal judiciaire de Vannes,
' Dire la demande irrecevable,
' Infirmer le jugement en ce qu'il a :
- dit que Mme [N] a été licenciée pour inaptitude en raison de sa maladie professionnelle,
- dit que son refus de poste de reclassement n'est pas abusif,
- fixé la créance de Mme [N] au passif de la SAS CHARCUTERIES GOURMANDES à :
- 24.111,37 € net à titre d'indemnité spéciale de licenciement,
- 4.011,25 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 3.000 € net à titre d'indemnité pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail,
- dit que les sommes seront inscrites sur l'état des créances salariales de la liquidation judiciaire de la SAS CHARCUTERIES GOURMANDES,
- débouté la SAS CHARCUTERIES GOURMANDES de ses demandes,
- dit que les parties supporteront la charge de leurs propres dépens,
Et statuant à nouveau,
' Dire bien fondé le licenciement de Mme [N],
' Constater le caractère abusif du refus de la proposition de reclassement formulée,
' Rejeter l'intégralité des demandes,
' Condamner Mme [N] au paiement d'une somme de 2.000 € au bénéfice de la SELAS CLEOVAL, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais engagés en première instance et 3.000 € au titre des frais d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Vu les écritures notifiées par voie électronique le 14 mai 2020, suivant lesquelles l'association AGS CGEA de [Localité 3] demande à la cour de :
' Recevoir l'association AGS CGEA de [Localité 3] en son intervention,
' Dire et juger l'association AGS CGEA de [Localité 3] recevable et bien fondé en ses demandes, fins et conclusions,
' Déclarer la décision à intervenir opposable à l'association AGS CGEA de [Localité 3] en qualité de gestionnaire de l'AGS dans les limites prévues aux articles L 3253-6 et suivants du code du travail et les plafonds prévus à l'article L 3253-17 et D 3253-5 du code du travail,
' Dire et juger que l'association AGS CGEA de [Localité 3] ne devra procéder à l'avance des créances visées aux articles L 3253-6 et suivants du code du travail que dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L 3253-19 et L 3253-17 du code du travail,
En tout état de cause,
' Dire et juger que l'obligation de l'association AGS CGEA de [Localité 3] de faire l'avance de la somme à laquelle serait évalué le montant total des créances garanties, compte tenu du plafond applicable, ne pourra s'exécuter que sur présentation d'un relevé par le mandataire judiciaire et justification par celui-ci de l'absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement,
' Confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a jugé que la SAS CHARCUTERIES GOURMANDES a satisfait à son obligation de reclassement,
' Dire et juger que la SAS CHARCUTERIES GOURMANDES n'a pas commis de manquement à son obligation de sécurité de résultat qui serait à l'origine de l'inaptitude médicale de Mme [N] et la débouter de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
' Réformer le jugement dont appel et débouter Mme [N] de sa demande :
- au titre de l'indemnité spéciale de licenciement,
- au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
- de dommages et intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail ;
' Dépens comme de droit.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 2 février 2023.
Par application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties à leurs dernières conclusions sus-visées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la compétence du conseil des prud'hommes
Le Conseil des Prud'hommes a fixé la créance au passif de la SAS CHARCUTERIES GOURMANDES à la somme nette de 3.000 € à titre d'indemnité pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail.
Si la juridiction prud'homale est seule compétente pour statuer sur le bien-fondé de la rupture du contrat de travail, relève, en revanche, de la compétence exclusive du Tribunal des affaires de sécurité sociale l'indemnisation des dommages résultant d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, qu'ils soient ou non la conséquence d'un manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité.
Il ressort des écritures et pièces que sous couvert de demandes en responsabilité de l'employeur pour manquements à l'obligation de sécurité en n'adaptant pas le poste de Mme [N] et en dommages et intérêts résultant de l'origine de l'inaptitude, la salariée réclame en réalité la réparation par l'employeur d'un préjudice né de sa maladie, à l'origine de ses arrêts de travail, qui a donné lieu aux avis d'inaptitude successifs de la médecine du travail, de sorte qu'il appartiendra à la juridiction de sécurité sociale compétente, saisie, de se prononcer sur les manquements reprochés à l'employeur et de réparer l'entier préjudice de nature personnelle ou professionnelle né de la maladie professionnelle, dont ne se distinguent pas les préjudices invoqués.
Le Conseil de prud'hommes était donc incompétent, la demande de la salariée à ce titre est irrecevable. Le jugement sera infirmé sur ce point.
Si au stade de l'appel, Mme [N] explique désormais qu'il s'agit 'd'obtenir l'indemnisation pour le danger créé par l'employeur et qui pesait en permanence' sur elle, il importe de rappeler que si la salariée démontre que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité et qu'en raison de ce manquement est né un risque de développer une pathologie grave, elle ne peut, en application des règles susvisées, si le risque s'est matérialisé, que saisir les juridictions de la sécurité sociale, seules compétentes et invoquer la faute inexcusable de son employeur ; et que si le risque ne s'est pas matérialisé et qu'elle n'a pas contracté de maladie professionnelle, elle peut éventuellement saisir la juridiction prud'homale en réparation de son préjudice d'anxiété.
En l'espèce, Mme [N] a développé une pathologie qu'elle impute à un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité. Seule la juridiction de sécurité sociale est compétente.
Mme [N] sera donc déboutée de sa demande.
Sur le licenciement
Sur le manquement de l'employeur à l'obligation de reclassement
Pour infirmation de la décision entreprise, Mme [N] soutient en substance que la SAS CHARCUTERIES GOURMANDES ne lui a pas proposée tous les postes disponibles et ne démontre pas l'impossibilité de la reclasser ; qu'elle n'a pas assez pris en compte l'avis d'inaptitude et les préconisations du médecin du travail.
Pour confirmation, la SAS CHARCUTERIES GOURMANDES qu'elle a consulté les délégués du personnel ; qu'elle a tenu compte de l'avis du médecin du travail mais que la salariée a refusé le reclassement.
Lorsque le médecin du travail déclare le salarié inapte à reprendre son poste de travail à la suite d'une affection d'origine professionnelle ou non, l'employeur doit proposer au salarié inapte un emploi approprié à ses capacités compte tenu des conclusions écrites du médecin du travail. L'emploi de reclassement est aussi comparable que possible de l'emploi précédemment occupé au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutation, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.
La recherche de reclassement doit être loyale et sérieuse.
La proposition de reclassement prend en compte la qualification, l'expérience et le niveau de formation du salarié. Elle doit être précise et mentionner la qualification du poste, la rémunération, les horaires de travail.
Le reclassement doit être recherché parmi les emplois disponibles y compris ceux pourvus par voie de contrat de travail à durée déterminé. Lorsque l'entreprise appartient à un groupe la recherche des possibilités de reclassement doit s'effectuer parmi les entreprises dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation lui permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel.
Le refus du salarié d'accepter un poste n'implique pas à lui seul le respect de son obligation par l'employeur auquel il appartient de faire de nouvelles propositions de reclassement ou en cas d'impossibilité de le licencier.
En l'espèce, l'examen des pièces versées aux débats par l'employeur démontre que celui-ci n'a pas manqué à son obligation de reclassement, ayant régulièrement consulté les représentants du personnel, sérieusement et loyalement recherché au sein des sociétés du groupe des postes de reclassement qu'il a proposés à Mme [N] à deux reprises et ayant prouvé l'impossibilité de reclasser celle-ci en l'absence de tout poste disponible compatible avec les préconisations médicales. Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur le manquement à l'obligation de sécurité
Le licenciement pour inaptitude est dépourvu de cause réelle et sérieuse lorsqu'il est démontré que l'inaptitude médicalement constatée est consécutive à un manquement préalable de l'employeur qui l'a provoquée.
En vertu de l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur est tenu d'une obligation de sécurité en matière de protection de la santé physique et mentale de ses préposés. Il doit mettre en oeuvre des mesures nécessaires pour garantir la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés, à savoir tant des actions de prévention que l'organisation de moyens adaptés et l'amélioration des situations existantes. Il doit assurer l'effectivité des mesures tendant à identifier, prévenir et gérer les situations pouvant avoir un impact négatif sur la santé du salarié.
L'article L.4121-2 prévoit que l'employeur met en oeuvre ces mesures sur le fondement des principes généraux de prévention suivants : éviter les risques, évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités, combattre les risques à la source, adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé, tenir compte de l'état d'évolution de la technique, remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux, planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l'article L. 1142-2-1, rendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle et donner les instructions appropriées aux travailleurs.
L'article L. 4121-4 du Code du travail dispose que lorsqu'il confie des tâches à un travailleur, l'employeur, compte tenu de la nature des activités de l'établissement, prend en considération les capacités de l'intéressé à mettre en 'uvre les précautions nécessaires pour la santé et la sécurité.
Enfin, les articles R. 4541-4 et -5 du code du travail prévoient que, lorsque la nécessité d'une manutention manuelle de charges ne peut être évitée, notamment en raison de la configuration des lieux où cette manutention est réalisée, l'employeur prend les mesures d'organisation appropriées ou met à la disposition des travailleurs les moyens adaptés, si nécessaire en combinant leurs effets, de façon à limiter l'effort physique et à réduire le risque encouru lors de cette opération et qu'il évalue les risques que font encourir les opérations de manutention pour la santé et la sécurité des travailleurs et organise les postes de travail de façon à éviter ou à réduire les risques, notamment dorso-lombaires, en mettant en particulier à la disposition des travailleurs des aides mécaniques ou, à défaut de pouvoir les mettre en oeuvre, les accessoires de préhension propres à rendre leur tâche plus sûre et moins pénible. L'article R.4541-8 dispose également que l'employeur fait bénéficier les travailleurs dont l'activité comporte des manutentions manuelles d'une information sur les risques qu'ils encourent lorsque les activités ne sont pas exécutées d'une manière techniquement correcte, en tenant compte des facteurs individuels de risque et d'une formation adéquate à la sécurité relative à l'exécution de ces opérations. Au cours de cette formation, essentiellement à caractère pratique, les travailleurs sont informés sur les gestes et postures à adopter pour accomplir en sécurité les manutentions manuelles.
En l'espèce, Mme [N] a été victime d'un accident du travail le 6 février 2015 et par la suite d'une maladie professionnelle.
Mme [N] rapporte la preuve suffisante que cet accident et cette maladie résultent en tout ou partie des manquements préalables de l'employeur à son obligation de sécurité, étant relevé, sans inverser la charge de la preuve, que l'employeur ne soutient pas que la salariée n'était pas à son service aux jour et heure de l'accident. De surcroît, la réalité des lésions causées par l'accident a été objectivée puis confirmée par les éléments médicaux ultérieurs issus de la médecine du travail.
Les manquements retenus à l'encontre de l'employeur, en particulier l'absence de formation à la sécurité et plus particulièrement aux gestes adaptés pour le port de charges lourdes ont incontestablement joué un rôle causal dans l'accident du travail.
Il ressort également des pièces versées que Mesdames [K] et [A] rapportent que Mme [N] s'était plainte à sa hiérarchie de ses conditions de travail. Mme [M] relate aussi que Mme [N] se plaignait souvent d'avoir mal aux épaules et qu'elle l'aidait dans ses tâches difficiles. Il sera également observé que Mesdames [P] et [I] attestent avoir eu les mêmes pathologies à l'épaule, Mme [I] qui travaillait en binôme avec Mme [N] attestant : ' En 2014, on m 'a changé de poste car mes douleurs d 'épaule étaient revenues. Elle s 'est retrouvée toute seule à faire toutes ces manipulations. A ce moment-là, elle avait demandé de l'aide car elle avait toujours ses douleurs aux épaules, des douleurs qui s'accentuaient... On lui avait répondu qu 'elle devait se débrouiller avec ses collègues de la ligne, mais elles avaient leur travail à faire en amont et ne venaient que quand elles le pouvaient. Ce poste était très mal agencé, les gestes répétitifs et l'emplacement très limité. L 'accident était inévitable PS : Nous n 'avions jamais eu de formation de gestes et postures'.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'inaptitude de la salariée à son poste a été causée, en tout ou partie, par la faute de l'employeur si bien que son licenciement est déclaré sans cause réelle et sérieuse par infirmation de la décision entreprise, sans qu'il ne soit nécessaire d'examiner les moyens subsidiaires développés par le salarié.
Sur l'indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse
L'indemnité spécifique de l'article L.1226-15 du code du travail sur laquelle Mme [N] fonde sa demande est attribuée dans l'hypothèse d'un licenciement abusif si l'employeur a manqué à son obligation de reclassement en ne consultant pas les représentants du personnels, en ne rapportant pas la preuve de l'impossibilité du reclassement ou encore si le licenciement a été prononcé pour un autre motif que l'inaptitude physique.
Or, tel n'est pas le cas en l'espèce, la rupture de la relation de travail pour inaptitude et impossibilité de reclassement étant illicite pour un motif autre que le manquement de l'employeur à son obligation de reclassement, en l'espèce le manquement à l'obligation légale de sécurité ce dont il résulte que Mme [N] ne peut fonder sa demande d'indemnisation du caractère injustifié de la perte de son emploi que sur les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail lesquelles prévoit une indemnité à la charge de l'employeur qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Tenant compte d'une ancienneté de la salariée de quarante années dans une entreprise comptant plus de 11 salariés, d'un âge de 59 ans, d'un salaire mensuel brut moyen de 1.979,09 €, de ce que Mme [N] n'a jamais pu reprendre le travail suite à son licenciement du 1er juin 2017 et qu'elle a été au chômage jusqu'à sa retraite qu'elle a prise le 1er avril 2020, il convient de fixer la créance de Mme [N] au passif de la SAS CHARCUTERIES GOURMANDES à la somme de 40.000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le jugement sera réformé en ce sens.
Sur la garantie du CGEA-AGS de [Localité 3]
Le présent arrêt sera déclaré opposable au CGEA-AGS de [Localité 3] dont les garanties s'appliqueront pour les sommes précitées dans les limites et plafonds prévus par les articles L. 3253-8, L. 3253-17, D. 3253-2 et D. 3253-5 du code du travail.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Les éléments de la cause et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile dans la mesure énoncée au dispositif ; le mandataire liquidateur qui succombe en appel, doit être condamné à indemniser la salariée des frais irrépétibles qu'elle a pu exposer pour assurer sa défense en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,
INFIRME partiellement le jugement entrepris ;
Statuant à nouveau,
DÉCLARE irrecevable la demande de Mme [N] tendant a fixé la créance au passif de la SAS CHARCUTERIES GOURMANDES à la somme nette de 3.000 € à titre d'indemnité pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail,
JUGE que licenciement de Mme [H] [N] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
FIXE la créance de Mme [H] [N] au passif de la SAS CHARCUTERIES GOURMANDES à la somme nette de 40.000 € au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse prévue à l'article 1235-3 du code du travail,
RAPPELLE qu'en application de l'article 1231-6 du code civil les sommes de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la date de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et que les autres sommes à caractère indemnitaire, en application de l'article 1231-7 du code civil, porteront intérêts au taux légal à compter de la décision qui les prononce,
DÉBOUTE les parties de leurs autres demandes,
CONFIRME le jugement entrepris pour le surplus,
et y ajoutant,
DÉCLARE le CGEA-AGS de [Localité 3] tenu à garantir la créance correspondant aux congés payés qu'il a acquis ainsi fixée, en l'absence de fonds disponibles et dans les limites et plafonds prévus par les articles L 3253-8, L 3253-17, D 3253-2 et D 3253-5 du code du travail,
CONDAMNE la SELAS CLEOVAL ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS CHARCUTERIES GOURMANDES à payer à Mme [H] [N] la somme de 2.000 € au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes,
CONDAMNE la SELAS CLEOVAL ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS CHARCUTERIES GOURMANDES aux dépens d'appel.
LE GREFFIER, P/ LE PRÉSIDENT empêché
Ph. BELLOIR, Conseiller.