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11/04/2023 | FRANCE | N°21/06515

France | France, Cour d'appel de Rennes, 1ère chambre, 11 avril 2023, 21/06515


1ère Chambre





ARRÊT N°106/2023



N° RG 21/06515 - N° Portalis DBVL-V-B7F-SD3W













S.A.S. FONCIARIANE



C/



Me [JR] [KC]

SCP [J] - [G] - [CK] ET ASSOCIES, NOTAIRES

S.C.I. GRAND OUEST

SELARL OFFICE NOTARIAL [M] [K] ET [S] [PW]

S.C.P. [US] & ASSOCIES



















Copie exécutoire délivrée



le :



à :











RÉPUBLIQ

UE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 11 AVRIL 2023





COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Monsieur Fabrice ADAM, Premier Président de chambre entendu en son rapport,

Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de c...

1ère Chambre

ARRÊT N°106/2023

N° RG 21/06515 - N° Portalis DBVL-V-B7F-SD3W

S.A.S. FONCIARIANE

C/

Me [JR] [KC]

SCP [J] - [G] - [CK] ET ASSOCIES, NOTAIRES

S.C.I. GRAND OUEST

SELARL OFFICE NOTARIAL [M] [K] ET [S] [PW]

S.C.P. [US] & ASSOCIES

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 11 AVRIL 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Fabrice ADAM, Premier Président de chambre entendu en son rapport,

Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 24 janvier 2023

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 11 avril 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANTE :

La société FONCIARIANE, société par actions simplifiée immatriculée au RCS de Lille Métropole sous le N°487714487, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 7]

[Adresse 7]

[Localité 6]

Représentée par Me Marie VERRANDO de la SELARL LEXAVOUÉ RENNES ANGERS, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Gilles GRARDEL de l'AARPI KERAS AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉS :

Maître [JR] [KC]

[Adresse 5]

[Localité 18]

Représenté par Me Julie FAGE de la SCP AVOCATS DU PONANT, Postulant, avocat au barreau de BREST

Représenté par Me Véronique VITSE-BOEUF, Plaidant, avocat au barreau de LILLE

La Société Civile Professionnelle Titulaire d'un Office Notarial [J] - [G] - [CK] ET ASSOCIES, NOTAIRES, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Sylvie PÉLOIS de la SELARL AB LITIS / PÉLOIS & AMOYEL-VICQUELIN, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Constance PARIS, Plaidant, avocat au barreau de RENNES

La société GRAND OUEST, société civile immobilière immatriculée au RCS de Brest sous le n°333759686, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 17]

[Localité 15]

Représentée par Me René GLOAGUEN de la SCP GLOAGUEN & PHILY, avocat au barreau de BREST

La SELARL OFFICE NOTARIAL [M] [K] ET [S] [PW], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Sylvie PÉLOIS de la SELARL AB LITIS / PÉLOIS & AMOYEL-VICQUELIN, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Constance PARIS, Plaidant, avocat au barreau de RENNES

La SAS [US] & ASSOCIES, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 5]

[Localité 18]

Représentée par Me Julie FAGE de la SCP AVOCATS DU PONANT, Postulant, avocat au barreau de BREST

Représentée par Me Véronique VITSE-BOEUF de la SELARL Simoneau Vynckier Henneuse Vercaigne Vandenbussche Vitse-Boeuf Meurin Surmont Cabinet ADEKWA, Plaidant, avocat au barreau de LILLE

EXPOSÉ DU LITIGE':

Suivant acte authentique reçu le 20 juillet 2009 par Me [M] [K], notaire à [Localité 3], avec la participation de Me [JR] [KC], notaire à [Localité 18], la société Fonciariane a vendu à la société Grand Ouest un ensemble immobilier libre de toute occupation, anciennement à usage de jardinerie, situé commune de [Localité 15] (Finistère) lieudit [Localité 16], cadastré section AX n° [Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 10] à [Cadastre 14] d'une contenance totale de 1ha 91a 06ca, moyennant le prix de 3'050'000 euros.

Cet acte comporte une clause exonérant le vendeur de la garantie des vices cachés. Le vendeur a déclaré qu'à sa connaissance, il n'existait pas d'autre servitude que celles pouvant résulter de la situation des lieux, de la loi ou de l'urbanisme (p. 12), et qu'il n'y avait, dans le sous-sol des terrains faisant l'objet de la présente vente, aucune canalisation (p. 17). Il a enfin garantit l'absence de remblaiements dans le sous-sol des terrains vendus (p. 16).

La société Grand Ouest, ayant appris la présence en sous-sol d'une canalisation publique et découvert que le sol était constitué de remblais de mauvaise qualité nécessitant des fondations spéciales, a sollicité une expertise judiciaire qui a été ordonnée le 14'juin 2011 par le juge des référés du tribunal de grande instance de Brest. L'expert désigné, M.'[IE], a déposé son rapport le 21 mars 2018.

Par exploit du 14 septembre 2018, la société Grand Ouest a fait assigner la société Fonciariane devant le tribunal de grande instance de Brest aux fins d'être indemnisée de ses préjudices. Par exploits des 27 et 29 novembre suivant, cette dernière a appelé les notaires rédacteurs de l'acte en garantie. Les deux procédures ont été jointes par ordonnance du 8 janvier 2019.

Par jugement du 30 septembre 2021 le tribunal judiciaire de Brest a :

- condamné la SASU Fonciariane à payer à la SCI Grand Ouest la somme de 41 401 euros au titre des travaux nécessités par la présence de la canalisation dans le sol du terrain vendu,

- condamné la SASU Fonciariane à payer à la SCI Grand Ouest la somme de 287'840 euros au titre des travaux de fondations spéciales nécessitées par la présence de remblais dans le sol du terrain vendu,

- débouté la SASU Fonciariane de sa demande en garantie formée à l'encontre de Me [M] [K], notaire, la SCP [C] [J], [U] [T], [W] [X] et [M] [K], la SCI [P] [N] [US] [JR] [KC] [B]-[Z] [E] [A] [V] [L] [EI] [I] [NM] et Me [JR] [KC],

- condamné la SASU Fonciariane à payer à la SCI Grand Ouest la somme de 6'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les autres parties de leurs demandes au titre des frais irrépétibles,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples et contraires,

- condamné la SASU Fonciariane aux entiers dépens de l'instance comprenant le coût de l'expertise judiciaire.

Par déclaration du 18 octobre 2021, la société Fonciariane a interjeté appel de cette décision, intimant la société Grand Ouest, Me [KC], la SCP [J] [G] [CK] & Associés et la SCP [US] & Associés.

Aux termes de ses dernières écritures (5 décembre 2022), la société Fonciariane demande à la cour de :

- la recevoir en son appel, le dire bien fondé et y faisant droit,

- infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Brest le 30 septembre 2021 en toutes ses dispositions critiquées et particulièrement en ce qu'il a :

- condamné la SASU Fonciariane à payer à la SCI Grand Ouest la somme de 41'401 euros au titre des travaux nécessités par la présence de la canalisation dans le sol du terrain vendu,

- condamné la SASU Fonciariane à payer à la SCI Grand Ouest la somme de 287'840 euros au titre des travaux de fondations spéciales nécessités par la présence de remblais dans le sol du terrain vendu,

- débouté la SASU Fonciariane de sa demande en garantie formée à l'encontre Me [M] [K], Notaire, la SCP [C] [J], [U] [T], [B] [O] [X] et [M] [K], la société civile professionnelle [P] [N] [US] [JR] [KC] [B] [Z] [E] [A] [V] [L] [EI] [I] [NM] et M. [JR] [KC],

- condamné la SASU Fonciariane à payer à la SCI Grand Ouest la somme de 6'000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la SASU Fonciariane de ses demandes au titre des frais irrépétibles,

- débouté la SASU Fonciariane de ses demandes plus amples et contraires,

- condamné la SASU Fonciariane aux entiers dépens de l'instance comprenant le coût de l'expertise judiciaire,

- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision.

- débouter la SCI Grand Ouest, la SAS [US] & Associés et Me [KC] de leur appels incidents,

Statuant à nouveau :

- à titre principal, débouter la SCI Grand Ouest de tous moyens, fins et conclusions,

- et rejetant toute demande contraire comme irrecevable et en toute hypothèse mal fondée,

- en tout état de cause, cantonner les condamnations au chiffrage du rapport d'expertise.

- constater, dire et juger que la faute commise par le notaire, rédacteur de l'acte est de nature à engager sa responsabilité quasi délictuelle, en conséquence, condamner in solidum Me'[M] [K], Notaire, la SCP [C] [J], [U] [T], [B] [O] [X] et [M] [K], la société civile professionnelle [P] [N] [US] [JR] [KC] [B] [Z] [E] [A] [V] [L] [EI] [I] [NM] et M.'[JR] [KC] à relever indemne la SASU Fonciariane de toutes condamnations prononcées à son encontre.

- débouter la SCI Grand Ouest et les notaires de leurs appels incidents.

- condamner in solidum la SCI Grand Ouest, Me'[M] [K], notaire, la SCP [C] [J], [U] [T], [B] [O] [X] et [M] [K], la société civile professionnelle [P] [N] [US] [JR] [KC] [B] [Z] [E] [A] [V] [L] [EI] [I] [NM] et M.'[JR] [KC] à payer à la société Fonciariane la somme de 10'000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

- les condamner aux entiers frais et dépens avec distraction au profit de l'avocat soussigné aux offres de droit.

La société Fonciariane soutient que la société Grand Ouest est un acquéreur averti en raison de sa qualité de professionnel découlant de l'expérience de son gérant en matière immobilière et de construction à la date de la vente. Il résulte de cette qualité que cette société aurait dû conditionner l'achat à l'obtention d'un permis de construire ou à la réalisation d'une étude de sols, d'autant qu'elle avait indiqué dans l'acte avoir l'intention de détruire l'édifice et d'en reconstruire un nouveau. Elle estime qu'elle ne peut se prévaloir de sa propre turpitude et rechercher la responsabilité du vendeur sur le fondement d'un manquement à son obligation de délivrance conforme.

Elle rappelle que le tribunal ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire pour entrer en voie de condamnation faute d'avoir été menée contradictoirement, et que celle-ci doit être corroborée par d'autres éléments. Or, si le jugement vise également d'autres pièces, le rapport d'expertise judiciaire et divers courriers, elle relève que ces pièces sont contradictoires et n'ont pas de valeur probante. Elle en tire la conséquence que le tribunal ne pouvait donc, qu'a minima, remettre en cause la valeur de l'expertise judiciaire.

Elle soutient qu'il ne peut lui être reproché de ne pas avoir signalé l'existence d'une servitude de canalisation en sous-sol dès lors que cette faute incombe, comme l'a relevé l'expert, à [Localité 3] Métropole Océane qui a communiqué des documents incomplets et inexacts à l'origine de cette erreur.

S'agissant de la nature des sols, elle fait valoir que la société Grand Ouest est un professionnel qui aurait dû procéder à des reconnaissances de sol, indépendamment des stipulations de l'acte, ce qui lui était possible. Elle affirme également qu'elle ne pouvait en avoir connaissance et que c'est de bonne foi qu'elle a indiqué n'avoir procédé à aucun travaux depuis son acquisition, ce qui est corroboré par les dires de l'expert.

Elle estime enfin que les demandes de l'acquéreur concernant le quantum sont surévaluées et rappelle que l'expert a retenu que les préjudices indemnisables s'élevaient à la somme de 41'401 euros.

Elle sollicite la garantie des notaires rappelant qu'il leur appartient, au titre de leur devoir de conseil, de procéder à toute vérification pour assurer l'utilité et l'efficacité des actes. Ils auraient donc dû vérifier, selon elle, la portée de ses déclarations sur les remblais (notamment au regard de la nature du terrain), et s'interroger sur la présence de la canalisation, puisque celle-ci était mentionnée dans les actes précédents auxquels Me [KC] avait d'ailleurs prêté son concours. Elle prétend qu'en outre, le notaire commet une faute en ne vérifiant pas les fausses déclarations du vendeur, que celui-ci soit ou non professionnel. Elle estime que les notaires ont donc commis une faute en ne procédant pas aux vérifications nécessaires, ce que retient le tribunal sans en tirer les conséquences adéquates, jugeant que le vendeur ne pouvait se décharger de sa responsabilité et écartant celle des notaires. Elle ajoute, de plus, que Me [K] ne peut non plus s'en exonérer en affirmant que la situation urbanistique pouvait avoir changé après avoir constaté la contradiction entre les certificats de 2009 et de 2006 et devait nécessairement les vérifier ce qui aurait permis à la société Grand Ouest de contracter en connaissance de cause.

Aux termes de ses dernières écritures (30 septembre 2022), la société civile immobilière Grand Ouest a formé un appel incident et demande à la cour de :

- confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a condamné la SASU Fonciariane à lui verser la somme de 287'840 euros avec intérêts à compter du jugement et capitalisation des intérêts au titre des travaux nécessités par la présence de remblais non déclarés si mieux n'aime la cour prononcer l'annulation de l'expertise de M. [IE] et/ou commettre un nouvel expert aux mêmes fins que précédemment ou avec une mission qu'elle estimerait nécessaire à éclairer les points non élucidés,

- l'infirmer partiellement, condamner la SASU Fonciariane à lui verser la somme de 608'094'euros au titre des préjudices résultant de la présence d'une canalisation non déclarée dans le bien vendu, sauf à ordonner avant-dire droit une expertise afin de chiffrer toutes formes de préjudice qu'elle a subies du fait de l'existence de cette canalisation,

- condamner la SASU Fonciariane à lui verser une indemnité de 10'000'euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la SASU Fonciariane aux entiers dépens d'instance qui comprendront les frais d'expertise judiciaire et d'appel.

La société Grand Ouest rappelle que l'acte de vente du 20 juillet 2009 garantit expressément l'absence, à la connaissance du vendeur qui revêt la qualité de professionnel contrairement à elle, de servitude grevant l'immeuble. Or, relève-t-elle, le titre de propriété du vendeur du 30'juin 2006 mentionne tant la présence d'une canalisation que l'existence d'une servitude de réseau.

Elle précise que l'existence de cette canalisation, déplacée ou non, engendre une perte de surface constructible. Elle réfute également l'affirmation de l'expert selon laquelle la profondeur de la canalisation figurant sur le plan était inexacte et considère qu'il est possible que le terrain ait reçu une couche de remblai après la pose de la conduite, ce qui a augmenté sa profondeur réelle. Elle ajoute qu'il appartenait à l'expert de réaliser des sondages afin de vérifier cette hypothèse. Elle estime, en tout état de cause, que les informations erronées fournies par [Localité 3] Métropole Océane ne peuvent permettre ni à la société Fonciariane de s'exonérer, ni de réduire le montant des préjudices qui comprennent par ailleurs l'indemnité de retard à la société Black Store, la perte de loyer et la perte de valeur du terrain (montant total de 566'693 euros).

Elle rappelle également que l'étude de faisabilité a révélé la présence de remblais dans le sous-sol alors que le vendeur garantissait leur absence dans l'acte de vente, et que cette présence a rendu nécessaire la mise en 'uvre de fondations spéciales. Elle observe que si l'expert judiciaire, M. [IE], a conclu à la présence de remblais tant naturels qu'anthropiques, de sorte que des fondations spéciales auraient de toute façon été nécessaires et qu'aucun préjudice ne pouvait alors en résulter, ces conclusions sont contredites par plusieurs pièces, au nombre desquelles l'expertise établie par M. [YC], qui révèlent uniquement la présence de remblais d'origine artificielle. Il en découle, selon elle, nécessairement que le vendeur doit supporter le surcoût de ces fondations.

La société Grand Ouest soutient, par ailleurs, que la qualité de professionnel ou non de son gérant est sans incidence puisque la responsabilité du vendeur est une responsabilité objective fondée sur le non-respect de ses obligations contractuelles. En tout état de cause, elle conteste cette qualité exposant que M. [D] achète des biens immobiliers dans le cadre d'investissements patrimoniaux de rendement et que le bien immobilier en cause est le seul qui a été construit par l'une de ses sociétés.

Quant à la valeur probante de l'expertise privée, elle relève qu'elle est corroborée par d'autres éléments, notamment par une consultation technique (M. [GG]), de sorte que le tribunal a valablement pu la prendre en considération.

Aux termes de leurs dernières écritures (29 novembre 2022), la société [J] - [G] - [CK] et associés et la société Office notarial [M] [K] et [S] [PW] demandent à la cour de :

- confirmer la décision dont appel ;

- débouter la SAS Fonciariane de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions formulées à leur encontre,

- débouter la SCI Grand Ouest de sa demande au titre de la perte de rentabilité de l'opération immobilière ainsi que de sa demande d'expertise,

- condamner la SAS Fonciariane à leur verser une somme de 3'000 euros chacune sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la SAS Fonciariane aux entiers dépens et autoriser la Selarl Ab Litis ' de'Moncuit Saint Hilaire ' Pélois ' Vicquelin, Avocats postulants à les recouvrer conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Les notaires contestent toute faute, soutenant qu'en rédigeant l'acte de vente du 20 juillet 2009, Me [K] s'est fondé sur un certificat d'urbanisme en cours de validité, en date du 6 mai 2009, qui ne mentionnait pas de canalisation. Ils soutiennent que seul ce certificat devait être pris en compte et que le notaire ne peut être tenu responsable d'une erreur ou omission l'affectant, ce d'autant que la servitude de réseau n'a pas été publiée au service de la publicité foncière comme cela aurait dû être le cas. Ils ajoutent que le rédacteur n'avait, en toute hypothèse, pas à informer le vendeur de l'existence d'une canalisation dont il avait nécessairement connaissance.

Concernant les remblais, ils soutiennent que la société Fonciariane, spécialisée dans la prospection immobilière, a déclaré sous sa seule responsabilité dans l'acte de vente que le terrain en était exempt. Ils ajoutent que le notaire n'avait pas à contrôler la véracité de cette affirmation en l'absence d'éléments de nature à éveiller ses soupçons.

Ils rappellent que le notaire, tiers au contrat, ne peut être concerné par l'obligation de délivrance du vendeur, ni par la garantie prévue à l'article 1638 du code civil, le seul préjudice dont il pourrait être tenu consiste en la réparation de la perte de chance de renoncer à l'acquisition, ce que l'acquéreur n'a pas revendiqué.

Ils relèvent, en tout état de cause, que l'implantation et la profondeur réelles de la canalisation n'étant pas celles figurant dans les documents fournis par [Localité 3] Métropole Océane, les surcoûts auraient existé même si la canalisation avait été signalée dans l'acte de vente.

Concernant les préjudices, elles considèrent que, conformément aux conclusions de l'expert, seul peut être retenu le coût du déplacement initial de la canalisation, les surcoûts étant imputables à [Localité 3] Métropole Océane. Elles discutent enfin l'existence des préjudices liés à l'indemnité de retard, à la perte de valeur du terrain et à la perte de rentabilité de l'opération immobilière et sollicitent donc le rejet des demandes de la société Fonciariane sur ces points. Enfin, elles ne s'estiment pas concernées par le préjudice découlant des fondations spéciales.

Aux termes de leurs dernières conclusions (25 novembre 2022), Me [JR] [KC] et la société [US] et associés demandent à la cour de :

- confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Brest en date du 30 septembre 2021 en ce qu'il a débouté la SASU Fonciariane de sa demande de garantie formée contre eux,

- l'infirmer en ce qu'il a les déboutés au titre des frais irrépétibles,

en conséquence,

- rejeter les prétentions, fins et conclusions de la SASU Fonciariane en tant qu'elles sont dirigées à leur encontre et l'en débouter,

- condamner toute partie succombante au paiement d'une somme de 5'000'euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure de première instance,

- condamner toute partie succombante au paiement d'une somme de 5'000'euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner toute partie succombante aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Ils soutiennent qu'aucune faute ne peut être reprochée à Me [KC], celui-ci ayant conformément à son devoir de conseil sollicité un certificat d'urbanisme afin de vérifier les caractères du bien vendu. Or, ce certificat du 6 mai 2009 ne mentionnant pas la présence de la canalisation, il n'appartenait pas au notaire de le remettre en cause même s'il différait d'un précédent certificat. Ils estiment que si l'acte de vente de 2006 mentionnait effectivement une canalisation, ce fait est indifférent puisqu'elle aurait pu être détournée depuis. Ils ajoutent que les documents émanant de [Localité 3] Métropole Océane et de la mairie de [Localité 15] étaient erronés et que le notaire ne peut être tenu responsable des erreurs commises par ces services.

S'agissant de la présence de remblais dans les sous-sols, ils font valoir qu'en l'état de l'affirmation de la société Fonciariane, le notaire n'avait aucune vérification à effectuer, s'agissant d'une information d'ordre factuel. Ils estiment également qu'il appartenait aux parties de réaliser une reconnaissance de sols.

Ils ajoutent que le préjudice immatériel dont fait état la société Grand Ouest et consistant en la perte de rentabilité de l'opération immobilière n'est justifié par aucune pièce. Ils sollicitent donc le rejet de cette demande. Ils rappellent également que l'expert avait chiffré le préjudice résultant de la présence de la canalisation à hauteur de 41'401 euros. Ils prétendent que le préjudice résultant de la présence des remblais est dépourvu de lien de causalité avec les manquements qui leur sont imputés.

Ils rappellent enfin que le seul préjudice pouvant naître d'un manquement à un devoir de conseil est une perte de chance de ne pas contracter, préjudice dont la société Fonciariane, vendeur, ne peut se prévaloir à l'égard des notaires.

Les préjudices dont se prévaut la société Grand Ouest au titre de la présence de la canalisation et des remblais ne peuvent pas non plus être supportés par les notaires. Ils contestent enfin le montant des demandes formulées par cette dernière, qui reposent uniquement sur un rapport d'expertise unilatérale contredisant l'expertise judiciaire.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 décembre 2022.

SUR CE, LA COUR':

Sur les demandes de la société Grand Ouest à l'encontre de la société Fonciariane':

L'action de la société Grand Ouest, acquéreur, contre la société Fonciariane, vendeur, est fondée sur la responsabilité contractuelle de droit commun (article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016': «'le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part'»), sur l'obligation de délivrance conforme (article 1603 du code civil': «'(le vendeur) a deux obligations principales, celle de délivrer et celle de garantir la chose qu'il vend'») et sur la garantie d'éviction (article 1638 du même code': «'Si l'héritage vendu se trouve grevé, sans qu'il en ait été fait de déclaration, de servitudes non apparentes, et qu'elles soient de telle importance qu'il y ait lieu de présumer que l'acquéreur n'aurait pas acheté s'il en avait été instruit, il peut demander la résiliation du contrat, si mieux il n'aime se contenter d'une indemnité'»).

Or, il est constant que nonobstant les déclarations du vendeur dans l'acte de vente (rappelées ci-dessus dans l'exposé du litige), l'acquéreur a découvert, d'une part, lors de l'instruction du permis de construire qu'elle a déposé, l'existence d'une canalisation d'eau de 600 mm en tréfonds et une servitude non aedificandi, et, d'une part, lors d'études préliminaires aux travaux de construction que le terrain avait été partiellement remblayé dans sa partie nord.

1 ' sur la canalisation et la servitude non aedificandi':

Pour s'exonérer de toute responsabilité, la société Fonciariane fait valoir, quant à la canalisation et à la servitude non aedificandi, que l'autorité administrative a délivré le 6 mai 2009 un certificat d'urbanisme (de simple information) qui n'en fait nullement état et qu'elle ne peut être tenue pour responsable des erreurs ou omissions de ce document.

À bon droit, le premier juge a écarté cette argumentation dès lors que le titre de propriété de la société Fonciariane (sa pièce n° 2), antérieur seulement de trois ans (30 juin 2006), faisait expressément état, au chapitre «'certificats d'urbanisme'» (reproduits intégralement en pages 22 à 27 de l'acte) tant de cette canalisation que de la servitude non aedificandi, en ces termes': (parcelles AX n° [Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 11], [Cadastre 12], [Cadastre 13] et [Cadastre 14]) «'Direction eaux et assainissement': ...d. pour les eaux pluviales, une canalisation publique de Ø 600 traverse les parcelles'» (p. 24 de l'acte), (parcelle AX n° [Cadastre 10]) «'Eau et Asssainissement': il existe sur la parcelle une servitude de réseau à respecter'; une zone non aedificandi doit être respectée, d'une distance de 3'ml à mentionner sur les actes notariés et plan de masse. Aucune construction ne pourra être envisagée sur cette servitude établie'; (Voir plan joint)'» (p. 27 de l'acte). Il sera observé que le plan joint n'est pas produit aux débats (et n'a d'ailleurs pas été communiqué à l'expert malgré ses demandes).

Ainsi informée de l'existence de cette canalisation comme de cette servitude dont elle ne pouvait ignorer que ni l'une ni l'autre n'avaient été supprimées entre 2006 et 2009, période pendant laquelle elle a été propriétaire du bien, la société Fonciariane a commis une faute de nature à engager sa responsabilité en s'abstenant d'en faire état dans l'acte de vente de l'immeuble dont s'agit à la société Grand Ouest, faute dont elle ne peut s'exonérer au prétexte qu'un document émanant d'un tiers, fût-il une administration, n'en fait pas état. La circonstance tirée du fait que cette société ait obtenu en 2018 un certificat d'urbanisme qui ne mentionne toujours pas cette canalisation et la servitude qui lui est liée, est indifférent, le vendeur devant transmettre de bonne foi à l'acquéreur les informations en sa possession, particulièrement celles concernant la situation juridique du bien cédé et les servitudes le grevant.

L'acquéreur ayant dû déplacer la canalisation pour mener à bien son projet de construction, c'est à juste titre que le tribunal a condamné le vendeur à lui verser à titre d'indemnité une somme correspondant au surcoût ainsi exposé.

La société Fonciariane discute vainement le montant de l'indemnité fixée par le juge en soutenant que les coûts engendrés par le dévoiement de la canalisation relèveraient en partie de la responsabilité de la collectivité publique [Localité 3] Métropole Océane qui aurait transmis (à l'acquéreur) des données erronées quant à son implantation et à sa profondeur. Cette considération est toutefois indifférente dès lors que la société Fonciariane n'a pas révélé l'existence même de cette canalisation (et non la présence d'une canalisation située à tel endroit et à telle profondeur selon un plan communiqué), obligeant l'acquéreur, qui n'en était informé, à supporter le coût de son déplacement pour la rendre compatible avec son projet.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a condamné la société Fonciariane à verser à la société Grand Ouest une somme de 41'401 euros HT correspondant au coût total du dévoiement.

S'agissant des préjudices immatériels, la société Grand Ouest sollicite une indemnisation correspondant, d'une part, à l'indemnité de retard versée à la société Black Store (23'400 euros) et, d'autre part, à une perte de loyer de trois mois (23'732 euros) due au retard de la livraison du bâtiment destiné à la société Sport Leader. Cependant dans ses dernières écritures, elle ne développe strictement aucune argumentation quant à ces prétentions qui ne peuvent dès lors qu'être rejetées, la preuve d'un lien de causalité entre le dévoiement de la canalisation et les retards allégués n'étant pas établie. Le jugement sera donc également confirmé sur ce point.

La société Grand Ouest réclame enfin une somme de 233'550 euros correspondant à l'indemnisation de la perte de surface constructible sur une base de 1'350 m² à 173 euros / m². Elle fait valoir que l'administration fiscale a admis, le 17 juillet 2019, à l'occasion d'une proposition de rectification, une provision de 457'000 euros pour dépréciation sur immobilisation corporelle de 2'850 m² de terrain devenu inconstructibles dont 1'350 m² du fait de la canalisation (pièce n° 90 de l'intimée) et, le surplus, en raison d'une zone humide protégée par le plan local d'urbanisme de la collectivité BMO (modifié en 2014). Il sera précisé que la somme de 457'500 euros a été calculée au prorata par rapport au prix d'acquisition (15% de 3'050'000 euros), soit pour la seule canalisation, une somme de 213'500 euros (7 % de 3'050'000 euros). L'intimée s'appuie également sur un note technique non contradictoire d'un expert, M. [H], qui estime le montant du préjudice entre 232'168 euros et 614'765 euros suivant la méthode de calcul employée (préjudice lié à la servitude ou surcoût de charge foncière), considérant, que sans la canalisation et servitude non aedificandi correspondante, l'acquéreur aurait pu construire au minimum 7'500 m² de bâtiments commerciaux au lieu de 6'244 m².

Il convient de rappeler que le terrain litigieux se situait, en 2009, au moment de la vente en zone UE du plan local d'urbanisme dont seules deux pages sont versées aux débats (pièce n° 56 de la société Grand Ouest). Les premiers articles de la zone concernée qui, en général, donnent les caractéristiques essentielles de celle-ci ne sont pas produits (ce que la cour déplore) mais il ressort de l'article UE11 que cette zone accueille des activités industrielles, artisanales et tertiaires. Il ressort de l'article UE 6 que «'les documents graphiques de zonage indiquent les marges de recul par rapport aux voies et et emprises publiques. En l'absence de ces marges, le recul à respecter par rapport à l'alignement actuel ou futur est au minimum de dix mètres pour les activités à caractère industriel, les commerces et de cinq mètres pour les autres occupations du sol'».

Il résulte de l'examen des documents versés aux débats que le terrain litigieux se situe commune de [Localité 15], à la limite de la commune de [Localité 3], entre une voie rapide (D112 dite pénétrante de [Localité 3]) au nord et à l'ouest, un hypermarché à l'enseigne [R] à l'est dont il est séparé par une voie publique, la [Adresse 20], un magasin [R] Meubles à l'ouest, et la [Adresse 19] au sud, que longent du côté opposé, en direction du sud, plusieurs surfaces commerciales.

Ce terrain a, en toute logique, été acquis par la société Grand Ouest pour y construire des locaux commerciaux, ce que confirme son projet initial (cf. sa pièce n° 75) qui fait apparaître quatre bâtiments accolés': «'Quick'» de 473,83 m², une cellule commerciale de 748 m², une surface de stockage et une surface de vente «'Fly'» respectivement de 1'517,29 et 2'793,82 m², soit en tout 5'532,94 m². M. [H] précise que les bâtiments construits (quatre surfaces commerciales louées à quatre enseignes «'Orchestra'», «'Maxi Zoo'», «'Blackstore'» et «'Top Office'» et non «'Top Service'» comme il le mentionne à tort dans son rapport p. 4/8) ' dont la configuration générale n'a pas réellement changée par rapport au projet initial (cf. le plan cadastral inséré dans le rapport de M.'[H]) ' ont une surface hors d''uvre nette de 6'243,94'm².

Si M. [H] retient que sans la canalisation, la société Grand Ouest aurait pu construire davantage (7'500 m²), il ne le démontre nullement (il est d'ailleurs parfaitement possible que, malgré la canalisation, l'acquéreur ait pu construire davantage sur le terrain acquis dont la surface hors zone humide protégée est de 17'600 m²...), s'étant contenté d'un calcul purement théorique qui ne tient compte ni de ce que la canalisation dévoyée est implantée, au niveau du bâtiment Top Office, en limite de propriété le long de la [Adresse 20] à un endroit où une marge de recul existe, puis, en sous sol, de l'aire de circulation et de stationnement principale des commerces (cf. plans sous pièces n° 55 et 14). Sachant qu'une telle aire est indispensable au fonctionnement normal d'un centre commercial comme celui de l'intimée, il n'est nullement démontré que la présence de la canalisation litigieuse (et la servitude non aedificandi subséquente) ait eu pour conséquence de limiter la possibilité non pas théorique mais effective de construire compte tenu des contraintes pratiques à défaut d'être réglementaires (le plan local d'urbanisme n'étant pas produit en son entier, la cour ignore ce qu'il en est) en matière de stationnement pour accueillir la clientèle.

C'est, dès lors, à bon droit que le tribunal a considéré que la société Grand Ouest ne rapportait pas la preuve de la réalité du préjudice allégué et qu'il a donc également rejeté la demande de ce chef.

2 ' sur la nature du sous sol (remblais)':

La société Fonciariane a certifié, dans l'acte de vente du 20 juillet 2009, «'l'absence de remblaiements dans le sous-sol du terrain vendu'» (et non, contrairement à ce qu'elle prétend dans ses écritures, en page 12, avoir «'déclaré de bonne foi au jour de la vente qu'elle n'avait pas procédé à des remblais sur ce bien puisque n'ayant entrepris aucun travaux sur l'immeuble existant'»).

Cependant, lors de sondages réalisés en 2011, la société ECR Environnement Ouest a constaté la présence de remblais dans les sols de la partie nord du terrain nécessitant la mise en 'uvre de fondations spéciales.

Ayant garanti l'absence de remblais, la société Fonciariane, qui est tenu de délivrer une chose conforme, a engagé sa responsabilité dès lors que le sol du terrain vendu est pour partie remblayé.

L'argumentation qu'elle développe aux termes de laquelle l'acquéreur aurait, en sa qualité de professionnel de l'immobilier (ce que la société Fonciariane est assurément...), commis une faute en n'exigeant pas la réalisation de sondages, est inopérante en l'état de la garantie qu'elle a apportée et de son obligation de délivrer un bien conforme à ses engagements. De même, il importe peu de savoir si, comme s'interroge l'expert judiciaire, la société Fonciariane connaissait ou non la consistance du sous-sol dès lors que, garantissant la nature de celui-ci, elle était supposée de manière certaine la connaître.

La demande est donc parfaitement fondée en son principe.

La société Grand Ouest sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné la société Fonciariane à lui rembourser le coût des fondations spéciales et travaux annexes (soit la somme de 287'840 euros) qu'elle a du exposer pour construire des bâtiments dans la partie nord du terrain.

S'appuyant sur le rapport de l'expert judiciaire, M. [IE], qui estime que «'dans tous les cas de figure, des fondations spéciales auraient été nécessaires'», la société Fonciariane s'oppose à cette demande indemnitaire.

L'expert judiciaire a en effet relevé, au vu des sondages réalisés par l'entreprise mandatée par l'acquéreur, une couche de remblais d'environ un à deux mètres (en contradiction avec l'acte de vente qui garantit l'absence de remblais) sous laquelle se trouvent une couche constituée de remblais terreux à argileux à passages vasards et peu résistants sur une épaisseur de 5 à 6 mètres moyens enfin une arène granitique moyennement résistante entre 5 et 6 mètres (p. 33). Après des précisions apportées par l'auteur de la société Fonciariane, M. [YN], il a finalement établi un schéma présentant la structure du sol telle qu'il l'a déduite, faisant apparaître, de part et d'autre, sur les versants du petit vallon qui a été comblé, des remblais terreux à passages vasards naturels (p. 45). Il relève (p. 33) que les caractéristiques mécaniques de ces remblais argilo terreux sont mauvaises et contraignent à mettre en 'uvre des fondations spéciales profondes. Il admet in fine (p. 49) que «'la présence de remblais validée dans la note de synthèse (17 janvier 2017) s'avère plus importante que décrite puisqu'il comble la petite vallée afin de rendre le terrain constructible'».

Après avoir estimé dans un premier temps que l'origine de la couche constituée de sols terreux et argileux était difficile à déterminer (p. 19), il a, suivant l'avis du 23 avril 2014 de M.'[GG], directeur régional du BRGM (p. 25 et 26) qu'il avait interrogé, considéré (page 43) que cette couche avait une origine naturelle correspondant à des dépôts de zone humide (limons de débordement et alluvions récents) et estimé qu'en tout état de cause des fondations spéciales étaient, remblais anthropiques ou non, nécessaires.

L'expert constate le coût des fondations spéciales (297'190 euros, p. 56 de son rapport) qu'il valide (p. 50) tout «'en précisant que faute de renseignements dans l'acte de vente (Fonciariane et Notaire) et de sondages préalables à cette vente (la SCI Grand Ouest achète sans conditions suspensives de vente) il était impossible de connaître par anticipation la nature du sous sol que seul M. [YN] semblait a priori connaître'», et donc sans valider la connaissance ou non de la nature des sols par la société Fonciariane, pourtant certifiée dans l'acte de vente (p. 57).

La société Grand Ouest, contestant le rapport de l'expert judiciaire [IE] en ce que les remblais seraient d'origine alluvionnaire donc naturelle, a produit aux débats un rapport non contradictoire d'un ingénieur structure & génie civil, M. [YC].

La société Fonciariane estime qu'à tort, le premier juge s'est fondé sur ce rapport qui, selon elle, n'est corroboré par aucune pièce et n'aurait donc pas dû être pris en compte.

Si, comme le soutient la société Fonciariane, le juge ne peut refuser d'examiner une pièce régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire, il ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande d'une partie (Ch. Mixte, 28'septembre 2012, Bull 2012, Ch. Mixte n° 2).

En l'espèce, le tribunal a considéré, à juste titre, que le rapport de M. [YC] était corroboré par plusieurs pièces qu'il a analysées et que M. [IE] n'a pas pris en compte ou dont il a insuffisamment tenu compte (malgré la durée de son expertise ' près de sept ans).

En premier lieu, M. [YN], dans un courrier adressé le 17 février 2017 (pièce n° 82 de l'intimée) à M. [D] (société Grand Ouest), décrit précisément les phases successives de remblaiement': «'Les premiers gros travaux datent de 1968 / 1969 lorsqu'a eu lieu la construction du centre [R] sur des anciennes pépinières nous appartenant. Le côté ouest (parking) du centre a été bâti sur du remblai qui a largement recouvert une partie nord est de notre terrain, sur une épaisseur moyenne de 3 à 4 m minimum. Le second terrassement important date de 1991, l'ensemble de notre terrain a été nivelé pour supporter la construction de la nouvelle jardinerie et donc la partie nord remblayée jusqu'aux abords de la source sur une épaisseur à cet endroit de 4 à 5 m. Un troisième remblaiement a été effectué en 2005, lors de nos derniers travaux d'agrandissement où nous avons terrassé jusqu'aux limites possibles pour l'urbanisme la surface utile vers le nord en conservant le même niveau qu'en 1991 soit environ 5 m au-dessus du ruisseau. La qualité de remblai utilisée était ce que les entreprises de terrassement utilisent de manière classique dans ce cas de figure'».

En second lieu, la société Grand Ouest s'appuie sur un courrier (sa pièce n° 96) adressé par M. [GG] le 19 juin 2017 à l'expert [IE] dont ce dernier ne fait curieusement pas état dans son rapport, relatant une demande de l'avocat de la société Grand Ouest qui lui «'a demandé, à l'appui de nouveaux éléments techniques joints à leur lettre, si nos conclusions (du 23 avril 2014) pourraient être modifiées. Ces documents sont les suivants':

- note technique datée du 19 juin 2014 suite à la supervision géotechnique d'exécution réalisée par la société ECR Environnement, incluant un compte rendu daté du 23/11/2013 suite à une visite terrain effectuée le 18/11/2013 par ECR Environnement dans ce cadre,

- une attestation de la société Kerleroux TP du 25/06/2014,

- un courrier de M. [YN] (société Pépinière [YN]) du 17 février 2017.

La note technique de la société ECR Environnement du 23/04/2014 mentionne des investigations géotechniques qui n'avaient pas été portées à notre connaissance lors de votre première sollicitation à savoir':

- reconnaissances géotechniques G11 et G12 réalisées en avril 2011 par ECR Environnement,

- une fouille à la pelle mécanique réalisée en 2012 dans les terrains situés au nord ouest du site,

- le compte rendu ECR environnement du 21/11/2013 de la visite du 18/11/2013.

Le compte rendu d' ECR environnement du 21/11/2013 mentionne la réalisation de 4 forages, nommées F1 à F4, sur la parcelle concernée par ce dossier. Le forage F4, réalisé dans le secteur des sondages T2 et T3... recoupe les terrains dont la nature faisait débat. La description de ces terrains dans ces documents dont nous n'avions pas connaissance lors de votre première consultation indique de toute évidence une nature de remblai de type tout-venant': «'couche de forme, remblais terreux, argilo-sableux, argileux avec ponctuellement des blocs éparses (présence d'une jante avec pneu à 6 m / TN
1: Terrain naturel

jusqu'à 7,20 m / TN)'».

Dans sa note technique du 19/06/2014, ECR Environnement indique la réalisation dans le nord-ouest du site d'une fouille à la pelle mécanique qui a montré la présence de «'remblais à gros blocs de roche et de tout-venant avec des déchets métalliques, plastiques... sur une épaisseur de 3,80 m puis des limons bruns jusqu'à 4,5 m / TN et surmontant les arènes granitiques'».

La société Kerletoux TP dans son attestation datée du 25 juin 2014 confirme la présence de terrains de remblais dans le sous-sol de la parcelle, qu'elle a pu révéler lors de travaux de canalisation et de terrassement du mur de soutènement.

Par ailleurs dans un courrier du 17 février 2017, M. [YN] de la société Pépinières [YN] qui a occupé le site jusqu'en 2006 dresse un historique de son aménagement...

À la lumière de ces nouveaux éléments techniques de la société ECR Environnement et du courrier de M. [YN], qui nous ont été fournis le 27 février 2017, il nous apparaît que les terrains recoupés par le sondage T2 entre les profondeurs de 1,1 et 6 m / TN et dans le sondage T3 entre les profondeurs de 1,7 et 5,3 m / TN sont bien de nature de remblai et non de terrains naturels. Ces données lèvent l'ambiguïté mentionnée dans notre réponse par courriel du 23/04/2014 ([F].'[GG] à [Y]. [IE])'».

Contrairement à ce que prétend la société Fonciariane, ce courrier ne contredit nullement le précédent courrier de M. [GG], mais le précise et le complète au vu d'éléments nouveaux soit parce qu'ils le sont effectivement, soit parce qu'ils ne lui avaient pas été communiqués par l'expert judiciaire.

En troisième lieu, la société Grand Ouest fait valoir que le travail de M. [YC] s'appuie également sur une autorisation de remblaiement délivrée le 25 octobre 2004 à M. [YN] («'à ce jour des travaux de terrassement ont déjà été réalisés sur le site (parcelles AX n° [Cadastre 9] et AX n° [Cadastre 11]). Le remblai dont le front se prolongeait initialement jusqu'au ruisseau, a été remodelé. Une part importante des matériaux déposés en bordure du cours d'eau a été retirée et réutilisée sur le haut du remblai pour retravailler le fond de forme du futur parking'») et l'analyse de photographies aériennes extraites du site Geoportail montrant l'évolution du site entre 1966 et 2018.

En l'état de ces éléments, il n'y a lieu d'écarter des débats le travail de M. [YC] (pièce n°'[Cadastre 11] de la société Grand Ouest) qui, s'appuyant sur ces différents éléments précis et concordants, établit de manière indiscutable que «'le sol du terrain vendu n'est constitué que d'une arène granitique surmontée de remblais d'origine anthropique sur toute leur hauteur'» et qu'il n'y a aucune présence de dépôt alluvionnaire.

La nature anthropique des remblais étant avérée, les conclusions de M. [IE] suivant lesquelles des fondations spéciales étaient, en toute hypothèse, nécessaires en raison de la présence dans le sous sol d'une couche de cinq mètres environ d'un mélange naturel argilo terreux à passages vasards, doivent être rejetées et c'est à bon droit que le tribunal a condamné la société Fonciariane, qui a garanti l'absence de remblais, à indemniser la société Grand Ouest du coût de ces fondations pour le montant qu'a validé l'expert judiciaire.

Le jugement sera donc confirmé de ce chef.

Sur l'action en garantie de la société Fonciariane contre les notaires':

Le notaire, en sa qualité de professionnel, est tenu à un devoir de conseil envers chacune des parties et doit s'assurer de la validité et de l'efficacité des actes auxquels il prête son concours. Sa responsabilité extracontractuelle peut être engagée à ce titre, en l'espèce, sur le fondement de l'article 1382 ancien du code civil (l'acte litigieux ayant été reçu en 2009). Il doit, dans ce cadre, procéder à toute vérification utile avant l'établissement de l'acte.

Elle suppose la démonstration d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre la faute et le préjudice.

1 ' sur la canalisation et la servitude':

Pour rédiger l'acte de vente litigieux, les notaires ont nécessairement (ou auraient dû nécessairement) prendre connaissance du titre du vendeur, ce d'autant que cet acte était récent (2006) et avait été, de plus, reçu par l'un d'entre eux.

S'ils l'avaient fait avec le soin et l'attention que leur profession requérait, ils auraient immanquablement relevé que ce titre faisait état tant d'une canalisation d'eau publique que d'une servitude non aedificandi. Ils auraient évidemment dû s'interroger sur l'origine de cette canalisation et de cette servitude, rechercher le titre constitutif et s'inquiéter auprès du vendeur de leur maintien ou de leur suppression et ce, sans s'arrêter, comme ils l'ont fait, à la seule lecture d'un simple certificat d'urbanisme informatif qui, à la différence du précédent (2006) n'en faisait nullement état.

En s'abstenant de toute démarche et en se contentant de ce seul certificat, ils ont commis une négligence fautive et n'ont pas assuré la sécurité juridique de leur acte quant aux charges pesant sur le bien vendu.

S'ils avaient rempli leur office correctement, ils auraient évidemment mentionné dans leur acte tant la servitude non aedificandi que la canalisation publique et ne se seraient pas contentés de l'affirmation du vendeur suivant laquelle ce dernier déclare, en page 17 de cet acte : «'ne pas avoir connaissance de canalisations dans le sous sol des terrains faisant l'objet de la présente vente'». Si cette déclaration est évidemment inexacte (puisque son titre fait état d'une canalisation), elle n'aurait jamais été faite si le notaire avait satisfait à son obligation de diligence et de conseil.

La conséquence de cette négligence à laquelle le vendeur n'est pas étranger mais sans que celle-ci ne constitue un dol, justifie que partie des conséquences dommageables, à savoir le coût global du dévoiement de la canalisation, soit supporté par le notaire. Cette quote part sera arrêtée à la moitié.

Les notaires seront donc condamnés in solidum à garantir la société Fonciariane à hauteur de la somme de 20'700,50'euros, le jugement qui a débouté le vendeur de ce chef étant, à cet égard, infirmé.

2 ' sur les remblais':

Le tribunal a, à bon droit, débouté la société Fonciariane de sa demande de garantie de ce chef, étant précisé que les notaires n'ont commis à cet égard aucune faute, n'ayant pas vérifier les dires factuels du vendeur quant à la consistance du sol et n'ayant ni les moyens techniques ni l'obligation de s'assurer de la nature du sous-sol du bien vendu.

Sur les dépens et les frais irrépétibles':

Les dépens d'appel seront supportés par la société Fonciariane qui sera garantie pour la totalité des dépens (première instance et appel) à hauteur de 20 % de ceux-ci par les notaires.

La société Fonciariane devra, en outre, verser à la société Grand Ouest une somme de 8'000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel, la décision étant confirmée de ce chef sur les frais exposés en première instance.

Les notaires devront verser à la société Fonciariane une somme de 2'500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS':

Statuant par arrêt rendu publiquement et contradictoirement':

Confirme le jugement rendu le 30 septembre 2021 par le tribunal judiciaire de Brest dans le litige opposant la société Grand Ouest à la société Fonciariane et autres en ce qu'il a condamné à la société Fonciariane à verser à la société Grand Ouest les sommes de 41401 euros (au titre de la canalisation et de la servitude non aedificandi), de 287'840 euros (au titre des travaux rendus nécessaires par la présence de remblais dans le sol) et de 6 000 euros (au titre de l'article 700 du code de procédure civile), débouté la société Grand Ouest du surplus de ses demandes, débouté la société Fonciariane de sa demande de garantie contre les notaires s'agissant de la présence dans le sol de remblais, condamné la société Fonciariane aux dépens dont les frais d'expertise.

L'infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau':

Condamne in solidum Me [M] [K], la société [J] - [G] - [CK] et associés et la société Office notarial [M] [K] et [S] [PW] (toutes deux venant aux droits de la SCP [C] [J], [U] [T], [W] [X] et [M] [K]), Me [JR] [KC] et la société [US] et associés à garantir la société Fonciariane à hauteur de 50 % de la condamnation prononcée au titre de présence d'une canalisation et de l'existence d'une servitude non aedificandi (soit la somme de 20'700,50 euros).

Condamne la société Fonciariane aux dépens d'appel.

Autorise les avocats qui en ont fait la demande à recouvrer contre elle ceux des dépens dont ils auraient pu faire l'avance sans avoir reçu provision.

Condamne in solidum Me [M] [K], la société [J] - [G] - [CK] et associés et la société Office notarial [M] [K] et [S] [PW] (toutes deux venant aux droits de la SCP [C] [J], [U] Gall, [W] [X] et [M] [K]), Me [JR] [KC] et la société [US] et associés à garantir la société Fonciariane au titre des dépens de première instance (dont les frais d'expertise) et d'appel à hauteur de 20 % de ceux-ci.

Condamne la société Fonciariane à verser à la société Grand Ouest une somme de 8'000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne in solidum Me [M] [K], la société [J] - [G] - [CK] et associés et la société Office notarial [M] [K] et [S] [PW] (toutes deux venant aux droits de la SCP [C] [J], [U] [T], [W] [X] et [M] [K]), Me [JR] [KC] et la société [US] et associés à verser à la société Fonciariane une somme de 2'500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21/06515
Date de la décision : 11/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-11;21.06515 ?
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