8ème Ch Prud'homale
ARRÊT N°150
N° RG 19/02230 -
N° Portalis DBVL-V-B7D-PVJO
Liquidation judiciaire de la SASU ISF EVENT
C/
M. [F] [S]
Infirmation
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 11 AVRIL 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Président de chambre,
Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller,
Madame Gaëlle DEJOIE, Conseillère,
GREFFIER :
Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 27 Janvier 2023
devant Madame Gaëlle DEJOIE, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Réputé contradictoire, prononcé publiquement le 11 Avril 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE et intimée à titre incident :
La SASU ISF EVENT ayant eu son siège social : [Adresse 7] aujourd'hui en liquidation judiciaire (jugement du T.C. du 6/01/2021)
Prise en la personne de son mandataire liquidateur appelé en intervention en cours d'instance :
La S.C.P. de Mandataire Judiciaire [N] [E] prise en la personne de Me [N] [E] ès-qualités de mandataire liquidateur de la SASU ISF EVENT
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Bernard MORAND substituant à l'audience Me Antoine GONTIER de la SELARL PARTHEMA AVOCATS, Avocats au Barreau de NANTES
INTIMÉ et appelant à titre incident :
Monsieur [F] [S]
né le 07 Avril 1979 à [Localité 8] (44)
demeurant [Adresse 1]
[Localité 6]
Représenté par Me Anne-Laure BELLANGER, Avocat au Barreau de NANTES
.../...
AUTRES INTERVENANTES FORCÉES, de la cause :
L'Association UNEDIC DELEGATION, AGS-CGEA DE [Localité 4] prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège :
[Adresse 3]
[Localité 4]
NON CONSTITUÉE
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M. [F] [S] a été embauché à compter du 1er septembre 2008 dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, avec reprise d'ancienneté au 16 juin 2008 en raison d'un contrat à durée déterminée préexistant, par la ISF EXPOSITION en qualité d'ouvrier d'atelier, imprimeur, classification Employé, catégorie 1, Niveau 3 de la convention collective nationale de la Publicité. A partir d'avril 2011, M. [S] a été positionné en qualité d'agent de maîtrise, position 2.2, coefficient 310 de la convention collective.
A compter du 1er janvier 2013, le contrat de travail de M. [S] a été transféré à la SA GL EVENTS SERVICES à l'issue d'une opération de fusion-intégration ; la relation a été régie 15 mois après la reprise, soit à compter du 1er avri 2014, par la convention collective SYNTEC.
À compter du 1er janvier 2016, le contrat a été transféré à la SASU ISF EVENT suite à la cession, par la SA GL EVENTS SERVICES, du fonds de commerce de l'établissement du Bignon.
Le 4 avril 2016, M. [S], en désaccord avec l'employeur quant à sa classification conventionnelle, a revendiqué une reclassification, avec rappel de salaires, sur la base d'une position 3.2. de la convention SYNTEC à effet du 1er janvier 2013. Le 12 mai 2016, l'employeur a refusé de faire droit aux demandes du salarié.
Le 26 juillet 2016, M. [S] a adressé sa démission à son employeur. Il est sorti des effectifs de l'entreprise le 30 septembre 2016.
Le 22 juin 2017, M. [S] a saisi le Conseil de prud'hommes de Nantes aux fins de :
' dire que la période de contestation des salaires remontant au 1er janvier 2013 n'est pas prescrite,
' dire que M. [S] aurait dû se voir appliquer la position 3.1, coefficient 400, de la convention collective SYNTEC, depuis le 1er janvier 2013,
' dire que c'est en connaissance de cause que la SASU ISF EVENT a méconnu les dispositions de la Convention Collective en matière de salaires et dire en conséquence que le non-paiement des salaires en question constitue un délit au retard de l'article L.8223-1 du Code du Travail et condamner la société à payer les indemnités prévues audit article,
' condamner la SASU ISF EVENT à régler les sommes suivantes :
- 4.551,04 € brut de rappel de salaires pour 2013,
- 455,10 € brut de congés payés afférents,
- 4.756,59 € brut de rappel de salaires pour 2014,
- 475,65 € brut de congés payés afférents,
- 4.575,88 € brut de rappel de salaires pour 2015,
- 457,58 € brut de congés payés afférents,
- 2.904,63 € brut de rappel de salaires pour 2016,
- 290,46 € brut de congés payés afférents,
- 11.844 € brut d'indemnité pour travail dissimulé,
- 750,00 € net au titre de la contravention de quatrième classe prévue à l'article R.2263 -3 du Code du travail,
- 1.500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
' dire que ces sommes sont assorties des intérêts de droit à compter de l'introduction de l'instance pour les sommes ayant le caractère de salaire et à compter de la décision à intervenir pour les autres sommes, avec capitalisation des intérêts,
' fixer la moyenne mensuelle brute des salaires à la somme de 2.099,64 €,
' ordonner la remise des bulletins de salaire et documents de fin de contrat sous astreinte de 100 € par jour à compter du 30ème jour jusqu'au 60ème jour après le jugement,
' ordonner l'exécution provisoire de la décision.
La cour est saisie d'un appel régulièrement formé par la SASU ISF EVENT le 3 mars 2019 du jugement du 8 mars 2019 par lequel le Conseil de prud'hommes de Nantes a :
' retenu la date du 4 avril 2016 comme étant la date de la première réclamation de M. [S] ;
' dit, en conséquence, que les salaires antérieurs au 4 avril 2013 sont prescrits,
' dit que la SASU ISF EVENT venant aux droits de la SA GL EVENTS SERVICES est tenue aux obligations de l'ancien employeur de M. [S] et l'a déboutée en conséquence de sa demande de mise hors de cause,
' jugé que la SASU ISF EVENT aurait dû appliquer à M. [S] la position 3.1, coefficient 400 de la Convention Collective SYNTEC,
' condamné la SASU ISF EVENT à verser à M. [S] les sommes suivantes :
- 3.435,04 € bruts de rappel de salaire pour l'année 2013,
- 343,50 € de congés payés afférents,
- 4.756,89 € bruts de rappel de salaire pour l'année 2014,
- 457,68 € de congés payés afférents,
- 4.575,88 € bruts de rappel de salaire pour l'année 2015,
- 457,58 € de congés payés afférents,
- 2.904,63 € bruts de rappel de salaire pour l'année 2016,
- 290,46 € de congés payés afférents ;
' dit que les intérêts de droits s'appliquent à compter de la date de saisine, soit le 22 juin 2017, avec capitalisation des intérêts,
' débouté M. [S] du surplus de ses demandes,
' ordonné à la SASU ISF EVENT de remettre un bulletin de salaire récapitulatif et tous documents de fin de contrat conformes au présent jugement, sous astreinte de 50 € par jour de retard à compter du 30ème jour jusqu'au 60ème jour après la notification du jugement,
' rappelé qu'en application de l'article R. 1454-28 du Code du travail, l'exécution provisoire du présent jugement est de droit, le salaire mensuel moyen de référence étant fixé à 2.099,64 € bruts,
' condamné la SASU ISF EVENT à verser à M. [S] la somme de 1.200 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
' condamné la SASU ISF EVENT aux entiers dépens.
Par ordonnance du 26 mai 2020, le magistrat de la mise en état a constaté l'extinction partielle de l'instance entre l'appelante et la SA GL EVENTS LIVE, venant aux droits de la société GL EVENTS SERVICE, l'instance se poursuivant entre la SASU ISF EVENT et M. [S].
Le 29 mai 2020, le Tribunal de commerce de Nantes a ouvert à l'égard de la SASU ISF EVENT une procédure de redressement judiciaire, convertie en liquidation judiciaire par jugement du Tribunal de commerce de Nantes du 6 janvier 2021.
À l'audience de plaidoiries du 1er juillet 2022, l'affaire a fait l'objet d'un renvoi à la mise en état pour régularisation des conclusions de l'intervention du liquidateur de la société appelante et assignation en intervention forcée de l'AGS.
L'AGS, assignée par acte du 14 septembre 2022, a indiqué par courrier du 16 septembre 2022 qu'elle ne serait ni présente ni représentée.
Vu les écritures notifiées par voie électronique le 6 janvier 2023, suivant lesquelles la SELARL [N] [E], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SASU ISF EVENT, demande à la cour de :
' infirmer le jugement du Conseil de prud'hommes de Nantes du 8 mars 2019 en ce qu'il a condamné la SASU ISF EVENT à verser à M. [S] un rappel de salaires,
' débouter M. [S] des toutes les demandes qu'il formule à ce titre,
' confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de M. [S] relative à l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,
' débouter M. [S] de la demande qu'il formule à ce titre,
Subsidiairement et en cas de confirmation du jugement attaqué,
' réviser le montant des rappels de salaires réclamés par M. [S] pour en déduire la prime mensuelle brute dite d'ancienneté et la prime de vacances,
' débouter M. [S] de toutes ses demandes,
' condamner M. [S] à verser à la SELARL [N] [E] la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,
' dire que le CGEA de [Localité 4] fera l'avance des sommes qui pourraient être allouées à M. [S].
Vu les écritures notifiées par voie électronique le 20 septembre 2022 suivant lesquelles M. [S] demande à la cour de :
' infirmer partiellement la décision du Conseil de Prud'hommes de Nantes en date du 8 mars 2019,
Statuant à nouveau,
' inscrire au passif de la liquidation de la SASU ISF EVENT à payer à M. [S] la somme de 11.844 € nets au titre de l'indemnité pour travail dissimulé,
' confirmer le jugement pour le surplus ;
' rappeler que les intérêts de droits s'appliquent à compter de la date de saisine, soit le 22 juin 2017, avec capitalisation des intérêts ;
Y ajoutant,
' inscrire au passif de la liquidation de la SASU ISF EVENT à payer à M. [S] la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
' juger la présente décision opposable à Me [E] ès qualités de liquidateur de la SASU ISF EVENT, ainsi qu'au CGEA de [Localité 4].
La clôture a été prononcée par ordonnance du 12 janvier 2023.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions notifiées via le RPVA.
MOTIVATION DE LA DECISION
Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription
La SELARL [N] [E] es qualités fait valoir que la demande salariale présentée par M. [S] devant le Conseil de prud'hommes repose exclusivement sur l'application de l'article 39 de la Convention collective SYNTEC, laquelle était applicable dès le mois d'avril 2014 à la relation contractuelle'; que M. [S], en qualité de représentant du personnel, a participé activement aux réunions entre les élus du personnel et la direction de la société GL EVENTS pour évoquer les transferts des niveaux et qualifications et leur transposition en raison du changement de Convention Collective de la Publicité vers la convention collective Syntec ; que le délai de négociation de 15 mois pour harmoniser les statuts s'est achevé sans qu'un accord soit trouvé entre les partenaires sociaux ; que M. [S] avait donc une parfaite connaissance, dès le 30 avril 2014, des faits lui permettant d'exercer son action judiciaire'; qu'en application de l'article L3245-1 du code du travail, M. [S] aurait dû saisir le Conseil de prud'hommes avant le 30 avril 2017'; que l'action introduite par M. [S] le 22 juin 2017 est donc prescrite dès lors qu'elle intervient plus de trois ans après la date à laquelle l'intimé a eu connaissance des éléments lui permettant d'agir.
A titre subsidiaire la SELARL [N] [E] ès qualités soutient que les demandes de rappel de salaires et de congés payés formées par M. [S] antérieures au 31 mai 2014 sont prescrites'; qu'en effet, le délai de prescription court à compter de la date à laquelle la somme est exigible, soit en matière de salaire à compter de chaque échéance de paye'; que par conséquent, dans le cadre de son action en paiement de salaires, M. [S] ne pourra pas réclamer les salaires portant sur une période de travail antérieure de plus de trois ans avant sa requête devant le conseil de prud'hommes du 22 juin 2017 de sorte que les salaires d'une période d'exigibilité antérieure à cette date sont prescrits.
M. [S] rétorque pour confirmation que la formulation de son courrier électronique du 15 janvier 2016 dans lequel il a indiqué à la société ISF EVENT que son salaire ne respectait pas le minimum conventionnel de la CCN Syntec, conformément au coefficient inscrit sur son bulletin de salaire, montre de façon flagrante que M. [S] n'avait pas à cette date pleinement connaissance de ses droits et notamment pas de celui d'être en réalité classé au sein du groupe 3, en sa qualité d'Agent de maîtrise, en application de l'article 39 de la CCN'; que ce n'est qu'au travers de son courrier du 4 avril 2016 que l'on peut valablement soutenir que le salarié avait pleine connaissance de ses droits, dans la mesure où l'ensemble des demandes pour lesquelles le Conseil de prud'hommes a été saisi y ont été mentionnées'; que ce n'est en effet qu'après consultation de son organisation syndicale que M. [S] a eu la réelle connaissance de ses droits, ce qui semble légitime étant donné la complexité des règles considérées'; que c'est donc à bon droit que le Conseil de Prud'hommes a pu retenir que le point de départ du délai de prescription devait être fixé à la date du 4 avril 2016.
A titre subsidiaire, M. [S] soutient que par application des dispositions légales en vigueur, le contrat ayant été rompu, la demande en paiement peut porter sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture'; que M. [S] a adressé sa lettre de démission le 26 juillet 2016 et a quitté les effectifs de l'entreprise le 30 septembre 2016 après exécution de son préavis, de sorte qu'il est bien fondé à réclamer les sommes dues au titre des trois années précédant cette date, soit jusqu'au 30 septembre 2013.
Aux termes de l'article L. 3245-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, entrée en vigueur le 16 juin 2013, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat est rompu, sur les trois années précédant la rupture du contrat.
Il est établi que le seul envoi d'une demande de la part du salarié à l'employeur, y compris par courrier recommandé, n'est pas interruptif de prescription, pas davantage qu'un courrier de l'employeur s'opposant à la revendication du salarié.
Il ressort des autres éléments produits (notamment pièces n°17 et 18 de l'appelante, pièce n°8 de l'intimé) que M. [S] a participé en qualité de délégué du personnel au dialogue social après la «'fusion avec GL EVENTS SERVICES en janvier 2013'» et l'ouverture d'une «'période de 15 mois pendant laquelle devait se dérouler une négociation sur le transfert des conventions collectives Publicité/Syntec'», de sorte qu'en l'absence d'autres éléments de nature à établir qu'il aurait pu ignorer plus longtemps les éléments lui permettant d'exercer son action, M. [S] ne peut prétendre que le délai de prescription n'aurait pas commencé à courir au plus tard le 1er avril 2014, date à laquelle les dispositions de la convention collective SYNTEC sont devenues applicables le concernant.
Rien ne permet en particulier, au regard de ce qui précède, de retenir le 4 avril 2016, date du courrier précité de M. [S] à son employeur, ni comme point de départ de la prescription au seul motif qu'il y mentionnerait pour la première fois sa revendication de la revalorisation contestée, ni comme acte interruptif de la prescription au regard de la règle rappelée ci-dessus.
Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a retenu que seules les demandes portant sur la période antérieure au 4 avril 2013 étaient prescrites, alors que les demandes de M. [S] sont intégralement prescrites et donc irrecevables en application des dispositions précitées.
Sur les frais irrépétibles
L'équité et la situation économique des parties commandent de laisser à chacune des parties la charge des frais irrépétibles exposés au cours de chaque instance, d'infirmer en conséquence le jugement entrepris en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et de débouter les parties de toutes leurs demandes présentées en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
Statuant publiquement par arrêt réputé contradictoire rendu en dernier ressort :
INFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de NANTES le 8 mars 2019,
Statuant de nouveau,
DÉCLARE irrecevables comme prescrites toutes les demandes de reclassification au coefficient 400, position groupe 3.1 de la Convention collective SYNTEC et de rappels de salaire formées par M. [F] [S],
DEBOUTE les parties de leurs demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE M. [F] [S] aux dépens de l'instance d'appel,
DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT.