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14/03/2023 | FRANCE | N°20/05228

France | France, Cour d'appel de Rennes, 3ème chambre commerciale, 14 mars 2023, 20/05228


3ème Chambre Commerciale





ARRÊT N° 106



N° RG 20/05228 - N° Portalis DBVL-V-B7E-RAZD













S.A.S. REYNAUD CAUVIN YVOSE (RCY)



C/



S.A.R.L. DOUAR APPRO

































Copie exécutoire délivrée



le :



à :

Me RIVALAN

Me DEPASSE



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COU

R D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 14 MARS 2023





COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre,

Assesseur : Madame Fabienne CLEMENT, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseillère,



GREFFIER :



Madame Julie ROUET, lors des débats...

3ème Chambre Commerciale

ARRÊT N° 106

N° RG 20/05228 - N° Portalis DBVL-V-B7E-RAZD

S.A.S. REYNAUD CAUVIN YVOSE (RCY)

C/

S.A.R.L. DOUAR APPRO

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me RIVALAN

Me DEPASSE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 14 MARS 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre,

Assesseur : Madame Fabienne CLEMENT, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Julie ROUET, lors des débats, et Madame Lydie CHEVREL, lors du prononcé,

DÉBATS :

A l'audience publique du 08 Décembre 2022

devant Madame Olivia JEORGER-LE GAC, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 14 Mars 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANTE :

S.A.S. REYNAUD CAUVIN YVOSE (RCY), immatriculée au RCS de NANTES sous le n°392 792 602, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représentée par Me Gwendal RIVALAN de la SELARL AVOXA NANTES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NANTES, substitué par Me Charlotte ROBERT, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉE :

S.A.R.L. DOUAR APPRO, immatriculée au RCS de LORIENT sous le numéro 350 446 357, agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Jean-pierre DEPASSE de la SCP DEPASSE, DAUGAN, QUESNEL, DEMAY, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES

La société DOUAR APPRO est la nouvelle dénomination de la société APPRO 2000, spécialisée dans le commerce de gros de céréales, semences, aliment pour bétail.

Elle a sollicité en 2013 la société REYNAUD CAUVIN YVOSE (RCY), spécialisée dans la confection de tissus textiles techniques, pour la fourniture et la pose de tunnels de stockage 'cathédrale', d'une hauteur de 6,70 mètres et d'une largeur de 12 mètres, composés d'une armature en arceaux métalliques et d'une couverture en toile.

Un devis pour 31.843,86 euros TTC a été accepté.

Cette prestation a dû être interrompue car l'ouvrage concerné nécessitait la délivrance d'un permis de construire. Ce permis de construire fut finalement obtenu le 26 mai 2015.

Une devis complémentaire a été émis, la société DOUAR APPRO souhaitant une forme de pignon différente de celle prévue à l'origine.

.

Cette proposition a été acceptée par la société DOUAR APPRO le 11 octobre 2016.

Les travaux ont débuté en février 2017, plus précisément du 20 au 23 février 2017.

Le 6 mars 2017 se produisait la tempête dénommée ZEUS.

Cette tempête a entrainé des dégâts sur les tunnels puisque les bâches en PVC ont été déchirées et rendues inutilisables, des arceaux pliés ou coupés et la bavette des portes d'entrée déchirée. Ces faits ont été constatés par huissier le 10 octobre 2018.

La société DOUAR APPRO considère que la responsabilité de la société RCY est susceptible d'être engagée dans la mesure où les installations, qui étaient sous sa garde et sous sa surveillance, n'étaient pas protégées et n'étaient pas arrimées ou en tout cas pas suffisamment. En sa qualité de professionnel de ce type d'installations, il lui appartenait de mettre en 'uvre les dispositions appropriées.

La société RCY considère en premier lieu avoir expressément averti son client que le mode d'ancrage au sol qu'il avait choisi ne permettait pas de garantir la pérennité des tunnels, d'autre part que la tempête ZEUS, par son amplitude constituait un cas de force majeure.

A la demande de l'acquéreur, Mr [W] [N] a été désigné par ordonnance du 7 février 2019.

Il a déposé son rapport le 24 juillet 2019.

La société DOUAR APPRO a donc assigné par acte du 23 septembre 2019 la société RCY devant le Tribunal de Commerce de Lorient en sollicitant l'homologation du rapport d'expertise de Mr [N] et la condamnation de la défenderesse à lui payer la somme de 41.462,50 euros HT.

Par jugement du 28 septembre 2020, le tribunal de commerce de Lorient a:

- condamné la société RCY à payer à la société DOUAR APPRO la somme de 34.650 euros HT avec intérêts au taux légal à compter du jugement,

- condamné la société RCY à payer à la société DOUAR APPRO la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et rejeté sa propre demande,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné la société RCY aux dépens comprenant ceux de l'expertise judiciaire.

Appelante de ce jugement, la société RCY, par conclusions du 27 octobre 2022, a demandé que la Cour:

- confirme le jugement rendu le 28 septembre 2020 par le Tribunal de commerce de LORIENT en ce qu'il a considéré que l'absence de note de calcul par la société RCY n'était source d'aucune responsabilité et en ce qu'il a rejeté la demande de la société DOUAR APPRO relative à l'indemnisation d'un prétendu préjudice locatif estimé à 1 300 € HT ;

- infirme le jugement rendu le 28 septembre 2020 par le Tribunal de commerce de LORIENT pour le surplus ;

A titre principal :

- dise que l'offre de prix de la société RCY comportait une clause limitative de responsabilité opposable à la société DOUAR APPRO;

- dise que la tempête ZEUS du 6 mars 2017 doit être considérée comme un cas de force majeure;

- dise que la société DOUAR APPRO est exclusivement responsable des désordres

affectant les ouvrages réalisés par la société RCY;

- déboute la société DOUAR APPRO de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions dirigées contre de la société RCY ;

A titre subsidiaire :

- dise, si le principe de responsabilité de la société RCY devait être retenu, que les demandes de la société DOUAR APPRO ne sauraient excéder une somme 8 775 €

correspondant au montant des travaux de reprise évalués par la société RCY et débouter la société DOUAR APPRO du surplus de ses demandes ;

En tout état de cause :

- condamne la société DOUAR APPRO à verser à la société RCY la somme de 8 000 € au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel, outre les entiers dépens de première instance et d'appel.

Par conclusions du 08 novembre 2022, la société DOUAR APPRO a demandé que la Cour:

- déboute la société RCY de son appel ;

- dise non écrite la clause d'exonération de garantie et de responsabilité stipulée par la société RCY ;

- dise que les conditions de la cause exonératoire liée à la force majeure ne sont pas réunies du fait de la faute de la société RCY cause déterminante du sinistre ;

- accueille la société DOUAR APPRO en son appel incident et réformer le quantum de l'indemnisation accordée à la société DOUAR APPRO ;

- condamne la société RCY à payer à la société DOUAR APPRO la somme de 41.462,50 euros HT qui portera intérêts au taux légal à compter de la date de délivrance de l'assignation;

- condamne la société RCY à payer à la société DOUAR APPRO une somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile qui s'ajoutera à la somme allouée par le Tribunal de Commerce de Lorient ;

- condamne la société RCY aux dépens qui comprendront les frais de la procédure de référé et ceux de l'expertise judiciaire.

MOTIFS DE LA DECISION:

L'examen des pièces versées aux débats démontre que le 17 décembre 2012, la société RCY a émis une offre de prix pour deux tunnels cathédrale, contenant deux mentions:

'- une demande de permis de construire est à formuler près de votre mairie',

'- ossature scellée dans le béton par le client dans un mètre de béton fouille comprise, avec un arrêt à 30cm pour pose de l'ossature- attention, cette mise en place ne garantit plus l'installation du tunnel.'

La société DOUAR APPRO est spécialisée dans le commerce de gros de céréales, tabac non manufacturé, semences et aliments pour le bétail.

Le stockage des marchandises qu'elle vend est donc une composante inhérente de son activité quotidienne et elle ne peut donc pas être considérée comme un consommateur ou un 'non professionnel' des tunnels de stockage.

Les clauses insérées par la société RCY dans son offre de prix du 17 décembre 2012 lui sont donc opposables.

D'autre part, il résulte de l'ensemble du dossier qu'elle a assuré elle-même la maîtrise d'oeuvre du projet, en confiant elle-même à une société CHAUVIRE les travaux de nivellement et d'empierrement du terrain et en confiant à la société CAUDEN la réalisation des fondations en béton armé et la réalisation du mur en béton banché critiqués par la société RCY.

Elle disposait donc de toutes les compétences nécessaires pour comprendre et analyser les deux mentions figurant sur l'offre de prix.

Elle n'en a pas moins accepté cette offre de prix le 17 décembre 2012 en y apposant sa signature et son cachet.

Aucun permis n'ayant été demandé par ses soins, la société DOUAR APPRO est seule responsable du retard pris par les travaux.

L'offre de prix du 10 février 2016 n'est qu'un complément à l'offre de prix initiale (modification de l'ouverture) et n'avait pas à rappeler les avertissements déjà prodigués; il doit toutefois être noté qu'elle demande l'enterrement du bas du pignon dans une tranchée d'ancrage.

Les travaux ont donc été réalisés sans être terminés entre le 20 et le 23 février 2017.

La tempête ZEUS est survenue le 06 mars 2017 et a conduit à la destruction de ce qui avait été installé ainsi que des fondations.

En l'absence de toute réception, les développements sur les dispositions des articles 1792 et suivants du code civil sont sans intérêt pour le litige.

Selon le rapport rédigé par Monsieur [N], les causes du sinistre peuvent s'imputer comme suit:

- retard dans le permis de construire (à défaut les tunnels auraient été terminés - et donc été moins fragiles, en 2013): 15%

- mode constructif non conforme en raison du choix des murets par la société DOUAR APPRO: 5%, l'expert précisant toutefois que cette mise en oeuvre aurait conduit à l'apparition inéluctable de désordres,

- absence de protection des tunnels pendant la semaine d'interruption des travaux: 70%

- absence de note de calculs sur la résistance des tunnels:10%.

Contrairement à ce qu'a indiqué l'expert, il n'y a pas lieu de partager entre les deux parties la responsabilité du retard pour permis de constuire et du mode constructif non conforme: la société DOUAR APPRO, professionnel du stockage des marchandises qu'elle commercialise, avait été avisée avant même d'accepter le devis de la nécessité de demander un permis de constuire et des dangers de son choix de mode constructif.

A cet égard, que par la suite la société RCY ait travaillé à partir de ce choix n'enlève rien à son exonération de responsabilité: elle a avisé son client de la difficulté, et celui-ci ayant maintenu son choix tout en acceptant son devis, n'a eu d'autre choix que de tout mettre en oeuvre pour que, malgré ce choix, les tunnels soient autant que possibls adéquats à leur fonction.

Au regard de l'avertissement explicite figurant sur son offre de prix, la société RCY ne peut être considérée comme ayant 'accepté le support'.

S'agissant de l'absence de protection des tunnels, la société RCY plaide que la tempête ZEUS a pour elle l'effet exonératoire de la force majeure, ayant été d'une violence exceptionnelle et surtout non prévue.

Elle verse à ce titre différents documents permettant d'établir qu'effectivement la tempête ZEUS a émis des vents nettement plus violents et étendus que prévus, certaines rafales dépassant des records non atteints depuis plusieurs années;

Pour autant, le site de stockage était réalisé à GUICRIFF, situé à une quarantaine de kilomètres des côtes bretonnes, durant le mois de février, soit à un emplacement et à une époque de l'année où les tempêtes se succèdent.

A cet égard, tout entrepreneur breton sait que la période est dangereuse et chacun a en mémoire des souvenirs de tempête s'étant révélée plus violent que prévue.

L'arrivée d'une tempête, même très violente, ne peut pas être considérée à cette époque de l'année comme un cas de force majeure à l'effet exonératoire.

En abandonnant sans motif les tunnels partiellement édifiés sans les protéger (la tempête a eu lieu environ dix jours après l'arrêt des travaux), la société RCY a commis une faute.

Enfin, selon M. [N], l'origine du sinistre trouve plutôt son origine dans l'absence de protection de tunnels inachevés que dans le mode constructif.

S'agissant enfin de l'absence de note de calcul, la société RCY a versé aux débats l'annexe à la norme NF EN 13031-1 ayant pour objet de fixer les règles de stabilité des serres, qui précise que s'agissant des ouvrages en film plastique, aucune connaissance suffisante ne permet de diffuser des calculs de conception pour les films plastiques.

Dès lors, quoiqu'elle ait réalisé une note de calcul qualifiée de 'succinte' par l'expert, ce grief ne sera pas retenu, aucune directive de calcul n'étant donnée par la norme.

Compte tenu de ce qui précède, la responsabilité dans la survenance du sinistre est partagée entre les parties, à hauteur de 30% pour la société DOUAR APPRO (retard dans les travaux, mode constructif non conforme) et 70% pour la société RCY (arrêt des travaux sans protection des tunnels en période hivernale, présentant un risque dont elle devait avoir conscience).

L'expert a chiffré le coût de la remise en état à la somme de 45.000 euros HT, à laquelle la société DOUAR APPRO demande que soit rajoutée la somme de 1.300 euros représentant la location d'un hangar de stockage.

S'agissant de ce dernier point, la facture versée aux débats ne permet pas de lier la location au sinistre, et la demande émise à ce titre est rejetée.

L'évaluation de l'expert pose une difficulté dans la mesure où l'expertise révèle que si le sinistre n'avait pas existé, les tunnels étaient malgré tout promis à des désordres inéluctables compte tenu du mode constructif choisi par la société DOUAR APPRO en dépit de l'avertissement qui lui été délivré.

Le rapport d'expertise ne détaille pas le coût poste par poste de l'évaluation à 45.000 euros hors taxe et les parties ne les précisent pas non plus dans leur conclusions.

La pièce numéro 11 de la société DOUAR APPRO est un devis de réparation d'avril 2017 émis par la société RCY à hauteur de 8.775 euros HT et il peut donc s'en déduire que le solde du coût de la remise en état correspond à la reprise du gros oeuvre.

La société RCY conteste que la reprise du gros oeuvre soit à inclure dans le préjudice, n'étant pas conforme dès le départ à ses préconisations.

L'analyse de M. [N] est que les désordres auraient été inéluctables, donnant une valeur moindre aux travaux que leur valeur nominale. Pour autant, il ne fixe pas la date prévisible d'apparition desdits désordres.

Ces motifs justifient que le coût des travaux de remise en état soit diminué d'un pourcentage de 25%, correspondant à la moins value se déduisant de leur non conformité.

Le préjudice est donc fixé à 33.750 euros, dont 70% à la charge de la société RCY soit 23.625 euros.

La société RCY est condamnée au paiement de cette somme, avec intérêts au taux légal à compter du jugement de première instance et le jugement déféré est infirmé de ce chef.

Le surplus des demandes est rejeté.

Les parties garderont leurs propres frais irrépétibles de première instance et d'appel et se partageront les dépens de première instance et d'appel, comprenant les frais d'expertise, à hauteur de 30% pour la société DOUAR APPRO et 70% pour la société RCY.

PAR CES MOTIFS:

La Cour,

Infirme le jugement déféré.

Statuant à nouveau:

Condamne la société REYNAUD CAUVIN YVOSE à payer à la société DOUAR APPRO la somme de 23.625 euros portant intérêts au taux légal à compter du jugement de première instance.

Rejette le surplus des demandes.

Dit que chaque partie gardera à sa charge ses propres frais irrépétibles, de première instance comme d'appel.

Fait masse des dépens de première instance et d'appel, comprenant les frais d'expertise, et condamne la société REYNAUD CAUVIN YVOSE à les supporter à 70%, la société DOUAR APPRO étant condamnée à en supporter 30%.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 3ème chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 20/05228
Date de la décision : 14/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-14;20.05228 ?
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