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14/03/2023 | FRANCE | N°20/04938

France | France, Cour d'appel de Rennes, 1ère chambre, 14 mars 2023, 20/04938


1ère Chambre





ARRÊT N°77/2023



N° RG 20/04938 - N° Portalis DBVL-V-B7E-Q7VZ













M. [G] [VK] [R] [E] [W]



C/



Mme [I] [V] veuve [O]

















Copie exécutoire délivrée



le :



à :







RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 14 MARS 2023





COMPOSITION DE LA COUR LORS D

U DÉLIBÉRÉ :



Président : Madame Aline DELIÈRE, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,



GREFFIER :



Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé



DÉBATS :



A l'audience ...

1ère Chambre

ARRÊT N°77/2023

N° RG 20/04938 - N° Portalis DBVL-V-B7E-Q7VZ

M. [G] [VK] [R] [E] [W]

C/

Mme [I] [V] veuve [O]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 14 MARS 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Aline DELIÈRE, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 05 décembre 2022 devant Madame Véronique VEILLARD, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 14 mars 2023 par mise à disposition au greffe après prorogation du délibéré annoncé au 7 février 2023 à l'issue des débats

****

APPELANT :

Monsieur [G] [VK] [R] [E] [W]

né le 28 Novembre 1968 à [Localité 17] (22)

[Adresse 4]

[Localité 7]

Représenté par Me Christophe LHERMITTE de la SCP GAUVAIN, DEMIDOFF & LHERMITTE, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représenté par Me Diane RENARD de la SELARL KOVALEX, Plaidant, avocat au barreau de SAINT-BRIEUC

INTIMÉE :

Madame [I] [V] veuve [O]

née le 14 Octobre 1946 à [Localité 18] (94)

[Adresse 3]

[Localité 9]

en son nom et en qualité d'ayant droit de Madame [L] [V] et Madame [X] [S] [T] veuve [V]

Représentée par Me Marie VERRANDO de la SELARL LEXAVOUE RENNES ANGERS, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me François POULET de la SCP TREINS POULET VIAN ET ASSOCIÉS, Plaidant, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

FAITS ET PROCÉDURE

Aux termes d'une attestation établie à une date non précisée par maître [A], notaire à [Localité 14], et en vertu d'une donation-partage du 22 décembre 2005, M. [W] est propriétaire à [Localité 15]) d'une parcelle cadastrée section C n° [Cadastre 8] (devenue C n° [Cadastre 1] et n° [Cadastre 2]) édifiée alors d'une maison d'habitation et de dépendances avec garage, situées [Adresse 13].

La superficie cadastrale de cette parcelle C [Cadastre 8] était de 6 a 69 ca.

Par suite de dévolutions successorales successives, dont la dernière du 30 décembre 2011, Mme [O] est devenue propriétaire des parcelles contiguës de celles de M. [W], pour leur part cadastrées section C n° [Cadastre 5] d'une contenance de 1 a 65 ca et C n° [Cadastre 6] d'une contenance de 6 a 79 ca, soit un total de 8 a 44 ca, édifiées d'une maison d'habitation et situées [Adresse 11] et au lieudit [Adresse 16] sur la même commune.

M. [W], souhaitant faire construire une maison en fond de parcelle C [Cadastre 8] avec accès indépendant au Nord, a fait diviser celle-ci (C [Cadastre 1] et C [Cadastre 2]) et fait réaliser un bornage avec les parcelles contiguës C [Cadastre 5] et C [Cadastre 6] par le cabinet Debost Lechaux Le Moigne, géomètres-experts, qui a dressé un procès-verbal de bornage le 8 décembre 2005.

En 2006-2007, M. [W] a fait édifier sur la parcelle C [Cadastre 2] une maison dont le mur pignon du garage est érigé le long de la parcelle C [Cadastre 6], propriété de Mme [O].

En 2010, il a prolongé le mur pignon de son garage en faisant ériger un mur en aggloméré jusqu'au niveau du pignon Ouest de la maison de Mme [O].

Puis, en 2015-2016, il a fait ériger un mur entre ce pignon Ouest et le [Adresse 13], avec un décrochement en aggloméré à l'intérieur de la propriété [O] mordant sur son allée dallée et son escalier en pierre menant au jardin.

Par acte d'huissier du 18 septembre 2015, Mme [O] a fait convoquer M. [W] devant le tribunal d'instance de Saint-Brieuc en nullité du bornage du 8 décembre 2005 et désignation d'un expert aux fins de bornage judiciaire.

Par jugement du 5 décembre 2016, le tribunal d'instance de Saint-Brieuc a retenu que le bornage du 8 décembre 2005 avait été effectué en présence de Mme [X] [V], usufruitière, mais en l'absence des nus propriétaires des parcelles C [Cadastre 5] et C [Cadastre 6], à savoir Mme [O] et M. [V], et l'a qualifié d'irrégulier et d'inopposable à ces derniers.

Il a désigné M. [N], expert judiciaire, pour diligenter un bornage, lequel a déposé son rapport définitif le 16 février 2018.

Par jugement du 17 décembre 2019, le tribunal d'instance de Saint-Brieuc, retenant pour l'essentiel que la parcelle de M. [W] était d'une superficie de 669 m² et non de 760 m² comme retenu par l'expert judiciaire, a :

-constaté le défaut d'intérêt à agir de M. [Y] [V], Mme [O] étant seule propriétaire des parcelles C [Cadastre 5] et C [Cadastre 6],

-fixé la limite séparative entre la propriété de Mme [O] et celle de M. [W] selon la limite E'-F'-M-K', le point E' étant situé à 40 cm à l'ouest du point E du plan de l'expert judiciaire, le pont F' étant situé à 40 cm à l'ouest du point F et le point K' étant situé à 50 cm à l'ouest du point K du plan de l'expert judiciaire,

-ordonné l'implantation des bornes avec partage des frais de bornage entre Mme [O] et M. [W],

-commis à cette fin M. [P] [J], géomètre-expert, chargé d'effectuer sa mission dès sa saisine par la partie la plus diligente,

-dit que l'expert dressera de cette opération un procès-verbal à déposer au greffe du tribunal d'instance de Saint-Brieuc,

-dit que chacune des parties conservera les frais par elle exposés pour les besoins de l'instance et non compris dans les dépens,

-fait masse des dépens qui seront partagés par moitié entre Mme et M. [W],

-dit que les dépens comprendront les frais d'expertise judiciaire.

M. [W] a interjeté appel par déclaration du 14 octobre 2020 des chefs du jugement concernant :

-la fixation de la limite séparative selon les points E'-F'-M-K,

-l'implantation des bornes avec partage des frais de bornage,

-la désignation de M. [J] pour procéder au bornage suivant procès-verbal déposé au greffe du tribunal,

-les frais irrépétibles et les dépens incluant les frais d'expertise judiciaire.

PRÉTENTIONS ET MOYENS

M. [W] expose ses demandes et moyens dans ses dernières conclusions n° 6 remises au greffe et notifiées le 28 novembre 2022 auxquelles il est renvoyé en application de l'article 455 alinéa 1 du code de procédure civile.

Il demande à la cour de :

-constater que Mme [O] a renoncé à sa demande d'irrecevabilité formulée à titre principal dans le cadre de ses conclusions du 4 novembre 2022 et dès lors ne pas y faire droit,

-débouter Mme [O] de ses demandes,

-réformer le jugement en ce qu'il a :

-fixé la limite séparative selon les points E'-F'-M-K',

-ordonné l'implantation des bornes avec partage des frais de bornage et commis M. [J] pour y procéder suivant procès-verbal déposé au greffe du tribunal,

-partagé les frais irrépétibles et les dépens incluant les frais d'expertise judiciaire,

-statuant de nouveau,

-fixer la limite séparative entre sa propriété et celle de M. [W] selon la limite E-A-F-M-N-C-D-I-J-K homologuant ainsi les conclusions du rapport de M. [N] géomètre expert,

-ordonner l'implantation des bornes et commettre tout expert qu'il plaira pour implanter les bornes en limite de propriété,

-ordonner la publication de l'arrêt à intervenir à la conservation des hypothèques de Rennes aux frais exclusifs de Mme [O],

-condamner Mme [O] à lui verser la somme de 9.000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et outre la charge des dépens de première instance et d'appel, comprenant les frais d'expertise.

Il soutient que deux géomètres sont intervenus à 10 ans d'intervalle et ont calculé une surface similaire pour la parcelle [W] approchant les 760 m² et que les surfaces reportées dans les matrices cadastrales sont nécessairement erronées puisque la limite prise en référence est rectiligne, alors que selon lui, la limite entre les parcelles C [Cadastre 5]/[Cadastre 6] et C [Cadastre 1]/[Cadastre 2] présente un décroché, que le déplacement des limites de 40 centimètres à l'ouest pour les repères E et F et de 50 centimètres à l'ouest pour le repère K, tel qu'il a été retenu par le tribunal, a pour conséquence de créer un empiètement de son garage sur le fond [O] emportant un risque de démolition.

Mme [O] expose ses demandes et moyens dans ses dernières conclusions n° 4 remises au greffe et notifiées le 28 novembre 2022 auxquelles il est renvoyé en application de l'article 455 alinéa 1 du code de procédure civile.

Elle demande à la cour de :

-à titre principal, confirmer le jugement,

-à titre subsidiaire, homologuer la proposition de bornage telle que présentée dans le plan de bornage annexé au rapport d'expertise déposé par M. [N] le 16 février 2018,

-en tout état de cause, désigner M. [N] ou tout autre expert pour implanter les bornes en limite de propriété,

-y ajoutant, condamner M. [W] à lui payer la somme de 5.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamner M. [W] aux dépens d'appel, recouvrés par maître Verrando en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Elle soutient que le premier juge a bien jugé en s'appuyant sur les surfaces cadastrales qui n'ont pas été contestées par quiconque et ce depuis au moins 1822, que l'expertise de M. [N], expert judiciaire, est affectée d'erreurs graves sur les surfaces (760 m² pour la parcelle de M. [W] qui est titrée et cadastrée pour 669 m²) et sur les points de délimitation proposés, que l'expert a refusé de mesurer sa propre parcelle alors qu'une comparaison des surfaces eut été éclairante, que le bornage de 2005 ayant été déclaré irrégulier ne peut servir de référence, que la prescription acquisitive s'oppose à ce que la surface soit remise en cause par référence à un bornage amiable inopposable et annulé, ainsi qu'à une haie qui n'est pas une borne, qu'en définitive, il apparaît que M. [W] a empiété :

-au fond de sa propriété à partir du mur de 1991,

-sur le muret côté [Adresse 13] et sur la haie, jusqu'au décroché,

-via des coulées de fondations sur toute la longueur du mur (le long de la haie jusqu'au décroché, mais également après le décroché et jusqu'au fond du jardin),

-sur l'escalier et la terrasse,

-le long du pignon de la maison érigée en limite de propriété, par le biais d'un drain et d'éléments de fondation en dur.

MOTIFS DE L'ARRÊT

À titre liminaire, il convient de rappeler que l'office de la cour d'appel est de trancher le litige et non de donner suite à des demandes de 'constater', 'dire' ou 'dire et juger' qui ne constituent pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions au sens des articles 4, 5 et 954 du code de procédure civile.

Il sera en conséquence ici précisé que la cour ne statuera pas sur la demande de M. [W] tendant à voir constater que Mme [O] a renoncé à sa demande d'irrecevabilité formulée à titre principal dans le cadre de ses conclusions du 4 novembre 2022.

1) Sur la demande d'expertise

Par conclusions n° 2 du 17 novembre 2022, Mme [O] a sollicité la désignation d'un nouvel expert avec la mission de proposer une délimitation des parcelles litigieuses en tenant compte de leur superficie exacte.

M. [W] sollicite le rejet de cette demande.

Toutefois, cette demande n'a pas été reprise aux dernières conclusions n° 4 du 28 novembre 2022 de Mme [O].

Aussi, la cour n'a-t-elle pas à statuer sur une demande dont elle n'est pas saisie.

2) Sur le bornage judiciaire

L'article 646 du code civil dispose que 'Tout propriétaire peut obliger son voisin au bornage de leurs propriétés contiguës. Le bornage se fait à frais communs'.

L'article 651 du même code édicte que 'Le bornage est l'opération qui a pour effet de reconnaître et fixer, de façon contradictoire et définitive, les limites séparatives des propriétés privées appartenant ou destinées à appartenir à des propriétaires différents. Il résulte de la convention des parties ou d'une décision du juge.'

Les juges du fond, souverains dans la détermination de la ligne divisoire, apprécient ainsi la valeur probante des titres et autres éléments de décision soumis à leur examen et susceptibles de concourir à la détermination des limites, notamment :

- les titres de propriété et autres conventions entre les parties,

- les documents descriptifs des propriétés,

- la nature des lieux et les marques de possession,

- les constatations des experts,

- les déclarations des sachants,

- les us et coutumes locaux.

Ainsi, une superficie cadastrale ne peut suffire à elle seule à fixer une limite divisoire.

Enfin, s'agissant des frais, la Cour de cassation a pu préciser que si le bornage se fait à frais communs lorsque les parties sont d'accord, il en est autrement en cas de contestations de l'une d'elles et que celle qui échoue dans ses réclamations doit supporter tout ou partie des dépens occasionnés par le débat ainsi provoqué. En ce sens, un tribunal ne fait qu'user de son pouvoir discrétionnaire en mettant tous les dépens à la charge de la partie qui a succombé dans ses prétentions.

Au cas particulier, il résulte des pièces produites aux débats que :

2.1) S'agissant de la parcelle appartenant à M. [W] :

- les auteurs de M. [W], à savoir ses parents M. et Mme [R] [W], ont acquis la parcelle C [Cadastre 8] (autrefois numérotée C [Cadastre 12] et actuellement numérotée C [Cadastre 1] et C [Cadastre 2]) de Mme [F] aux termes d'un acte du 17 mai 1949 reçu par maître [C], notaire à [Localité 14], qui mentionne qu'ils ont acquis, outre une maison située sur la parcelle C [Cadastre 10], 'un jardin séparé de la maison ci-dessus par la propriété de Mme veuve [K], contenant environ huit ares, planté d'arbres fruitiers, joignant du nord, à [Adresse 13] au bourg d'Etables, du midi à chemin, du couchant à Mme [LT], haie paraissant privative à la propriété présentement vendue, et du levant, à Mme veuve [K], par haie privative à cette dernière, en bordure de ses bâtiments, et privative à la propriété vendue à la suite, c'est-à-dire dans la partie nord',

- antérieurement, un acte de vente entre M. et Mme [H] et M. et [M], reçu le 5 juin 1896 par maître [U], notaire à [Localité 14], indiquait une superficie de 'environ huit ares' pour ce même jardin,

- M. [W] ne produit pas son titre de propriété mais seulement une attestation notariée non datée retenant une contenance de 6 a 69 ca pour la parcelle cadastrée section C n° [Cadastre 8], située '[Adresse 16],

- à la matrice cadastrale sont portées au compte de M. [W] les parcelles C [Cadastre 1] (2 a 53 ca) et C [Cadastre 2] (4 a 16 ca), soit 669 m²,

- le calcul de la surface apparente de la propriété [W] telle que réalisé par l'expert judiciaire donne 757 m², ce qu'il explique comme provenant de la position de la limite côté Est de la parcelle C numéro [Cadastre 1] où il est figuré sur le plan de 2005 un décrochement de 0,31 mètre.

2.2) S'agissant de la parcelle appartenant à Mme [O] :

- par acte de liquidation-partage produit aux débats, reçu le 30 décembre 2011 par maître [D], notaire associé à [Localité 18], Mme [O] a hérité seule des parcelles cadastrées C [Cadastre 5] et C [Cadastre 6] d'une surface totale de 8 a 44 ca, ses parents les ayant eux-mêmes acquises de Mme [B] veuve [K] par acte du 3 novembre 1959 reçu par maître [Z], notaire à [Localité 15], cet acte faisant mention d'une contenance totale de 8 a 61 ca,

- à la matrice cadastrale sont portées au compte de Mme [O] les parcelles C [Cadastre 5] (1 a 65 ca) et C [Cadastre 6] (6 a 79 ca), soit 844 m²,

- aucune mention n'était portée concernant le statut de la haie séparative d'avec les fonds situés à l'Ouest ([W]).

2.3) Sur la délimitation des propriétés en leur milieu

Ainsi le désaccord sur la limite divisoire paraît-il être né de l'incertitude des termes de l'acte de 1949 concernant la haie séparative des fonds.

Cet acte, signé entre Mme [F] et M. et Mme [R] [W], indique que la haie 'paraît' privative à Mme [K] en bordure de ses bâtiments et privative à la parcelle vendue à M. et Mme [W] dans la partie nord. Il ne donne toutefois aucune indication quant au point de bascule précis du caractère respectivement privatif.

La cour relèvera, ainsi que l'a fait l'expert, que les marques du cadastre indiquent que cette haie était mitoyenne tandis qu'à la faveur de l'acquisition de la parcelle C [Cadastre 8] par M. et Mme [R] [W], auteurs de M. [G] [W], un statut différent lui a été octroyé, à savoir un caractère privatif partagé sans délimitation précise, sauf les mentions 'en bordure des bâtiments' de Mme [K] et 'dans sa partie Nord' pour le reste.

La cour relèvera que cette modification du caractère mitoyen de la haie séparative n'a jamais été connue du cadastre qui fait apparaître jusque dans sa version examinée par l'expert d'une part un tracé parfaitement rectiligne séparant les fonds contigus, sans aucun décroché à aucun niveau et, d'autre part, de part et d'autre de cette limite un tireté de trois petits traits indiquant une présomption cadastrale de mitoyenneté pour la haie.

La superficie mentionnée au cadastre pour la parcelle C [Cadastre 8] devenue C [Cadastre 1] et C [Cadastre 2] n'a donc jamais été modifiée, de sorte qu'elle n'est pas en conformité avec cette évolution de 1949.

La cour relèvera encore que Mme veuve [K], âgée de 67 ans en 1949 comme née le 18 avril 1882, et alors propriétaire des parcelles C [Cadastre 5] et C [Cadastre 6] qui sont concernées par un changement de caractère de la haie séparative, ne paraît pas avoir été associée à l'acte de vente [F] / [W] du 17 mai 1949 mentionnant ce changement de statut de la haie séparative, ni avoir acquiescé à une quelconque modification dudit caractère mitoyen de la haie séparative. Du moins n'en est-il pas fait état dans l'acte de 1949, ni dans aucun autre acte. Et il ne l'est pas non plus soutenu par M. [W].

Au moment de la vente par Mme veuve [K] à M. et Mme [V] (auteurs de Mme [O]) le 3 novembre 1959, aucune mention n'est faite s'agissant de la limite Ouest ou couchant de cette propriété (haie séparative), ce qui tend à accréditer l'idée que Mme veuve [K] elle-même ne disposait pas de l'information selon laquelle la haie séparative était devenue privative pour partie à chacun des propriétaires contigus dont pourtant elle-même.

En 1971, M. et Mme [V] ont érigé, au-delà du pignon Ouest de leur maison et le long de la haie séparative, un escalier en pierre constitué de quelques marches pour conduire au jardin et ont fait daller une allée depuis la route jusqu'au jardin et le long de ladite haie séparative, ce qui correspond à l'espace situé en 'bordure des bâtiments'.

En dépit des huit années de procédure et des observations de l'expert judiciaire s'interrogeant sur le sort réel de cette haie séparative, aucune information n'a été communiquée par exemple quant aux modalités d'entretien de cette haie séparative avant 1949 puis après cette date charnière, de sorte que la cour ignore qui de M. et Mme [R] [W] d'une part, depuis 1949 notamment et de M. et Mme [V] d'autre part, depuis 1959 entretenait et taillait cette haie, de quel côté et sur quelle longueur. Invoquer une possession continue, paisible et publique n'est donc d'aucune utilité de ce point de vue.

Aucune action en revendication de propriété n'a non plus été enregistrée s'agissant de l'emprise de l'escalier et de l'allée dallée.

En 2005, à la demande de M. [G] [W] et retenant une interprétation littérale de l'acte de 1949, l'expert-géomètre a établi un plan situant le point de bascule du caractère privatif de la haie exactement au pignon Ouest de la maison de Mme [O].

Seule Mme [X] [T] était présente à ces opérations de bornage du 8 décembre 2005 alors qu'elle était, au su de tous, devenue veuve de son époux M. [V] depuis le 18 juillet 2004 et ne pouvait signer pour le compte de l'indivision successorale et qu'elle était âgée de 87 ans comme née le 27 mai 1918. Ces opérations seront par jugement du 5 décembre 2016 déclarées irrégulières (cf. motivation du jugement) et inopposables aux nus propriétaires non avisés, à savoir Mme [O] et M. [V], héritiers de M. [V].

S'appuyant sur ce plan irrégulièrement établi, M. [W] a cru devoir ériger en 2015/2016, sans se soucier d'une ligne incontestable divisant la haie séparative, un mur en agglomérés mordant, par décrochement situé à hauteur du pignon Ouest de la maison de Mme [O], sur l'escalier et l'allée dallée de la propriété de celle-ci, ce qui a notamment déclenché l'action judiciaire.

L'expert a du reste relevé en page 12 de son rapport, sans que celui-ci comporte un quelconque cliché photographique, ce qui est regrettable, que 'la position de l'escalier sis entre la cour dallée et le jardin 'interpelle' puisque cet élément est ancien. Or, la partie Ouest de cet escalier qui existait en 1971 se situe actuellement sous le mur édifié par M. [W] suivant le bornage de 2005".

En définitive, sous le bénéfice de ces observations, la cour retient que :

- à la faveur du présent litige, qui a révélé la complexification de la situation des lieux par strates successives depuis l'acquisition par M. et Mme [R] [W] en 1949 de la parcelle C [Cadastre 8] et sa transmission à leur fils [G] [W] en 2005, le caractère privatif de la haie n'est toutefois pas remis en question par les parties,

- ce caractère privatif s'établit non à partir de la ligne médiane de la haie séparative mais en un point central situé au milieu de deux portions équivalentes, l'une au Nord le long de la propriété de M. [W] et l'autre au Sud le long de la propriété de Mme [O],

- le caractère privatif de cette haie ne saurait avoir pour effet d'octroyer à M. [W] les ¿ de l'emprise de la haie séparative à des fins de maximisation de ses limites de propriété, ni de l'autoriser par voie de conséquence à construire sur l'escalier et l'allée dallée de Mme [O],

- conscient de cette difficulté, M. [G] [W], qui était accompagné par son père M. [R] [W] lors des opérations d'expertises conduites par M. [N] sur les lieux le 26 avril 2017, ne revendique du reste plus le positionnement du point de bascule du caractère privatif de la haie séparative en points B-F au pignon Ouest de la maison de Mme [O] ainsi qu'il l'avait fait établir sur le plan de 2005, mais seulement en point M, c'est-à-dire à équidistance des limites Nord-Sud pour chacune des deux propriétés.

Le jugement sera infirmé sur ce point central de délimitation des fonds respectifs, sans qu'il y ait lieu à se référer aux superficies cadastrales qui n'ont pas été mises à jour depuis 1949.

2.4) Sur la délimitation au Nord et au Sud

Il convient de tirer les conséquences d'une limite séparative établie à partir du caractère privatif de la haie d'une part à la propriété de Mme [O] dans sa moitié Sud et d'autre part à la propriété de M. [W] dans sa partie Nord.

2.4.1) Sur la délimitation au Sud

Il résulte des constatations réalisées par M. [N] que le mur érigé par M. [W] de manière perpendiculaire à partir du chemin dit des Noës est situé à environ 0,50 mètre à l'Ouest de l'axe de la haie tel que cet axe a été positionné sur le plan établi en 2005, étant indiqué que cette haie est toujours existante dans sa partie Sud.

Mme [O] estime que l'axe de la haie dans sa partie Sud doit être positionnée à 30/40 cm à l'Ouest à partir du poteau du portillon de sa propriété et non pas dans l'axe du poteau.

De fait, ainsi que cela résulte des clichés photographiques produits aux débats, l'axe de cette haie n'est pas dans l'alignement du poteau du portillon contrairement à ce qui a été retenu par le plan de 2005 et retenu par l'expert judiciaire. C'est seulement sa bordure qui est alignée sur ce poteau, d'où il se comprend aisément que s'agissant de l'axe de la haie, celui-ci est nécessairement positionné à 30 cm à l'Ouest du poteau.

Le mur érigé par M. [W] n'a, de l'autre côté, pas respecté la distance de 50 cm à compter des pieds de plantation ainsi que cela s'évince des photographies produites qui montrent qu'il a été implanté à 20 cm, soit 30 cm trop près.

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a retenu les points E' et F' à 40 cm à l'Ouest des points E et F pour fixer la limite séparative lesquels seront positionnés à 30 cm à l'Ouest des points E et F proposés par l'expert judiciaire. Il en ira de même du point A situé en alignement, qui deviendra A' à 30 cm du point A.

Le point M sera fixé conformément à la proposition de l'expert judiciaire et ainsi que ci-dessus retenu, aucune demande n'ayant été faite pour positionner un point M'.

2.4.2) Sur la délimitation au Nord

De la même façon, il résulte des constatations réalisées par M. [N] que la limite située dans la partie Nord a été implantée à 0,50 mètre à l'Est de l'axe de la haie en considérant que cette partie de haie était privative à la propriété [W], étant précisé que cette partie Nord de la haie n'existe plus à ce jour.

Mme [O] estime que M. [W] aurait dû faire aboutir son mur (situé dans le prolongement du pignon de sa maison) à l'extrémité du mur de la propriété [V], et non à 50 cm (mesure relevée par l'expert judiciaire en avril 2017) à l'intérieur de ce mur.

Toutefois, sur ce point, elle ne produit aucun document de nature à étayer sa position.

La limite divisoire telle que proposée par M. [N] sera retenue, à savoir conformément aux points M, N, C, D I, J et K.

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a retenu un point K' et confirmé en ce qu'il retenu les points J, I, D, C, N et M.

Aucune démolition du garage de M. [W] ne sera encourue.

3) Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le procès a été rendu inévitable en raison de l'attitude de M. [G] [W] qui, dans le prolongement de l'acte de 1949, a voulu accaparer une partie prépondérante de l'emprise de la haie séparative des fonds respectifs pour maximiser la superficie de sa parcelle et y faire construire deux maisons d'habitation en limite de propriété, ceci au détriment de la propriété de Mme [O] sur laquelle il n'a notamment pas hésité à ériger des agglomérés sur l'escalier menant au jardin et sur une partie de l'allée dallée, tout en minimisant l'emprise de la haie privative à Mme [O] afin de positionner son mur de séparation au plus loin qu'il lui était possible.

L'instance judiciaire a donc été nécessaire pour rétablir Mme [O] dans ses droits.

Succombant au principal de ses demandes, M. [W] supportera les dépens de première instance et d'appel, dans lesquels seront compris les frais d'expertise.

Le jugement sera infirmé s'agissant des dépens de première instance.

La demande de M. [W] d'ordonner la publication aux frais de Mme [O] du présent arrêt à la conservation des hypothèques de Rennes sera rejetée.

Enfin, eu égard aux circonstances de l'affaire, il n'est pas inéquitable de condamner M. [W] à payer à Mme [O] la somme de 3.000 € au titre des frais irrépétibles exposés par elle dans la présente instance et qui ne sont pas compris dans les dépens.

Le jugement sera infirmé s'agissant des frais irrépétibles de première instance tandis que les demandes de M. [W] de ce chef seront rejetées.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Constate qu'elle n'est pas saisie d'une nouvelle demande d'expertise,

Confirme le jugement du tribunal d'instance de Saint-Brieuc du 17 décembre 2019 en ce qu'il a :

- fixé la limite divisoire entre la propriété de Mme [O] et celle de M. [W] selon la limite passant par les points J, I, D, C, N et M tels qu'ils résultent du rapport d'expertise de M. [N] déposé le 16 février 2018,

- ordonné l'implantation des bornes et confié l'opération à M. [P] [J], géomètre-expert, qui effectuera sa mission dès sa saisine par la partie la plus diligente, et à frais partagés entre les parties, et dressera de ses opérations un procès-verbal qui sera déposé au greffe du tribunal de Saint-Brieuc,

L'infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau,

Fixe la limite séparative entre la propriété de Mme [O] et celle de M. [W] selon la limite passant par les points E', A', F', et K, les point E', A' et F' étant respectivement situés à 30 cm à l'ouest des points A, E et F du plan de l'expert judiciaire,

Condamne M. [G] [W] aux dépens de première instance et d'appel, comportant le coût de l'expertise judiciaire de M. [N], avec recouvrement en application de l'article 699 du code de procédure civile,

Condamne M. [G] [W] à payer à Mme [I] [O] la somme de 3.000 € au titre des frais irrépétibles,

Rejette le surplus des demandes.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20/04938
Date de la décision : 14/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-14;20.04938 ?
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