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09/03/2023 | FRANCE | N°20/00775

France | France, Cour d'appel de Rennes, 7ème ch prud'homale, 09 mars 2023, 20/00775


7ème Ch Prud'homale





ARRÊT N°90/2023



N° RG 20/00775 - N° Portalis DBVL-V-B7E-QOGV













SARL LV LIBERTE



C/



M. [V] [Z]























Copie exécutoire délivrée

le :



à :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 09 MARS 2023





COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÃ

‰LIBÉRÉ :



Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,

Assesseur : Madame Liliane LE MERLUS, Conseillère,

Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,



GREFFIER :



Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé



DÉBATS :



A l'audience publique du 03 Janv...

7ème Ch Prud'homale

ARRÊT N°90/2023

N° RG 20/00775 - N° Portalis DBVL-V-B7E-QOGV

SARL LV LIBERTE

C/

M. [V] [Z]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 09 MARS 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,

Assesseur : Madame Liliane LE MERLUS, Conseillère,

Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 03 Janvier 2023 devant Madame Liliane LE MERLUS, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial

En présence de Monsieur [H] [Y], médiateur judiciaire

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 09 Mars 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANTE :

SARL LV LIBERTE

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Anne-Gaëlle LECLAIR de la SELARL CABINET MEUNIER & ASSOCIÉS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉ :

Monsieur [V] [Z]

né le 11 Mars 1963 à [Localité 5]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Comparant en personne,assité de Me Laurent LE BRUN de la SCP CALVAR & ASSOCIES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NANTES

EXPOSÉ DU LITIGE

La SARL LV Liberté exploite un salon de coiffure sous l'enseigne Dessange à [Localité 3], géré par Mme [B] [F].

M. [V] [Z] a initialement été engagé par la société LV Liberté selon un contrat à durée indéterminée en date du 1er septembre 2005. La société a rompu la période d'essai en septembre 2005. M. [Z] a été réengagé en qualité de coiffeur à compter du 3 octobre 2006, par contrat à durée indéterminée du 28 septembre 2006.

Les relations entre les parties étaient régies par la convention collective de la coiffure.

Au cours de la relation de travail, la société LV Liberté a notifié à M. [Z] plusieurs avertissements liés à son attitude.

Le 16 mai 2017, M. [Z] a été placé en arrêt de travail par son médecin généraliste (pour maladie non professionnelle).

À l'issue d'une visite médicale de reprise, le 18 juillet 2017, le médecin du travail a déclaré M. [Z] 'inapte à son poste de travail : tout maintien dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé'.Il était mentionné en observations 'relève de la médecine de ville'.

L'employeur a proposé le 31 juillet 2017 à M. [Z] deux postes de reclassement, qu'il a soumis au médecin du travail. M. [Z] a refusé ces propositions le 1 er août 2017. Par courrier recommandé du 5 août 2017, l'employeur a fait connaître au salarié son impossibilité de le reclasser.

Par courrier recommandé en date du 22 août 2017, M. [Z] s'est vu notifier un licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

***

M. [Z] a saisi le conseil de prud'hommes de Rennes par requête en date du 14 mai 2018 afin de voir:

- Dire et juger nul et de nul effet le licenciement qui lui a été notifié, comme reposant sur une inaptitude définitive à l'emploi causée par des faits de harcèlement ou, à défaut, dire et juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Consécutivement,

- Condamner la Société LV Liberté à lui payer les sommes suivantes :

- Dommages et intérêts pour licenciement nul ou, à défaut, pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 40 000,00 Euros

- Dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de sécurité / résultat : 10 000,00 Euros

- Dommages et 'intérêts pour harcèlement moral : 10 000,00 Euros

- Indemnité' de préavis d'une durée de deux mois (2 654,55 euros X 2) : 5 309,10 Euros

- Congés pavés sur préavis : 530,91 Euros

- Indemnité légale de licenciement majorée (11 571,44 euros - 4 814,42 euros - 113,70 euros) : 6 643,32 Euros

- Article 700 du code de procédure civile : 3 000,00 Euros

- Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir.

- Fixer la moyenne des derniers mois de salaire à la somme de 2 654,55 euros.

- Intérêts de droit à compter de l'introduction de l'instance pour les sommes ayant le caractère de salaire et à compter de la décision à intervenir pour les autres sommes.

- Ordonner la capitalisation des intérêts en application de l'article 1154 du code civil (moyenne des derniers mois de salaire : 2 654,55 euros).

- Dépens.

La SARL LV Liberté a demandé au conseil de prud'hommes de :

- Constater l'absence de tout agissement constitutif de harcèlement moral.

En conséquence,

- Dire et juger qu'aucun manquement à l'obligation de sécurité ne peut être reproché à la société.

- Dire et juger que le licenciement notifié n'est ni entaché de nullité ni dépourvu de cause réelle et sérieuse.

- Constater l'absence de tout caractère professionnel à l'inaptitude constatée.

- Dire et juger qu'en l'absence d'inaptitude professionnelle, M. [Z] ne peut pas prétendre au versement d'une indemnité légale de licenciement doublée.

En conséquence,

- Débouter M. [Z] de l'intégralité de ses demandes.

- Condamner M. [Z] au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile : 3 000,00 Euros

- Condamner M. [Z] aux entiers dépens de l'instance.

Par jugement en date du 20 décembre 2019, le conseil de prud'hommes de Rennes a statué ainsi qu'il suit:

- Dit que M. [Z] est victime de harcèlement moral de la part de la SARL LV Liberté.

- Prononce la nullité du licenciement de M. [Z] intervenu le 22 août 2017.

- Condamne la SARL LV Liberté à payer à M. [Z] les sommes de :

- 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral.

- 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul.

- 5 309,10 euros à titre d'indemnité de préavis.

- 530,91 euros à titre de congés payés sur préavis.

- Dit que les sommes précitées porteront intérêts au taux légal à compter du 02 juin 2018, date de la citation, pour les sommes à caractère salarial et à compter de la mise à disposition du présent jugement pour les dommages et intérêts.

- Dit que les dispositions relatives au remboursement des allocations chômage ne sont pas applicables.

- Fixe la moyenne des trois derniers mois de salaire de M. [Z] à la somme de 2 654,55 euros.

- Condamne la SARL LV Liberté à payer à M. [Z] la Somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Ordonne l'exécution provisoire de la présente décision.

- Déboute les parties du surplus de leurs demandes.

- Condamne la société LV Liberté aux entiers dépens, y compris aux éventuels frais d'exécution.

***

La SARL LV Liberté a régulièrement interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe en date du 21 janvier 2020.

Dans ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 04 novembre 2022, la SARL LV Liberté demande à la cour de :

'- Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes [et]

- Débouter Monsieur [Z] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral à hauteur de 10 000 euros, après avoir constaté l'absence de tout harcèlement moral ;

- Débouter Monsieur [Z] de sa demande d'indemnité de préavis à hauteur de 5 309,10 euros bruts, au titre du licenciement nul ;

- Débouter Monsieur [Z] de sa demande d'indemnité de congés payés y afférent à hauteur de 530,91euros bruts, au titre du licenciement nul ;

- Débouter Monsieur [Z] de sa demande de dommages et intérêts pour nullité du licenciement à hauteur de 40 000 euros au titre du licenciement nul ;

- Débouter Monsieur [Z] de sa demande en paiement de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner Monsieur [Z] au paiement de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamner Monsieur [Z] aux entiers dépens de l'instance.

- Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes [et] :

- Débouter Monsieur [Z] de sa demande de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité à hauteur de 10 000 euros, après avoir constaté l'absence de tout manquement de l'employeur à son obligation de sécurité ;

- Débouter Monsieur [Z] de sa demande d'indemnité de préavis à hauteur de 5 309,10 euros bruts, au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse;

- Débouter Monsieur [Z] de sa demande d'indemnité de congés payés y afférent à hauteur de 530,91euros bruts, au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse;

- Débouter Monsieur [Z] de sa demande de solde d'indemnité de licenciement à hauteur de 6 643,32 euros nets, en l'absence de toute inaptitude d'origine professionnelle ;

- Débouter Monsieur [Z] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à hauteur de 40 000 euros.'

Dans ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 12 décembre 2022, M. [Z] demande à la cour d'appel de :

Sur l'appel principal de la Société LV Liberté

- Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Rennes en ce qu'il a considéré le licenciement nul à raison des faits de harcèlement dont il avait été victime.

A défaut

- Dire et juger que le licenciement ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse à raison des agissements fautifs et de la défaillance de l'employeur à son obligation de sécurité résultat.

- Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Rennes en ce qu'il a reconnu l'existence d'un harcèlement moral et lui a alloué l' indemnité compensatrice de préavis.

Consécutivement

- Débouter la société LV Liberté de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions.

Sur son appel incident

- Réformer le jugement du conseil de prud'hommes de Rennes en ce qu'il a limité :

- à la somme de 5 000 euros les dommages et intérêts pour harcèlement moral

- à la somme de 15 000 euros les dommages et intérêts pour licenciement nul

- Réformer également le jugement du conseil de prud'hommes de Rennes en ce qu'il l'a débouté de ses demandes au titre de l'indemnisation du respect par l'employeur de son obligation de sécurité résultat et encore au titre de sa demande formulée au titre de l'indemnité spéciale sur le fondement de l'article L1226-14 du code du travail.

Statuant à nouveau

- Condamner la société LV Liberté à lui payer les sommes suivantes :

- dommages et intérêts pour licenciement nul ou à défaut à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 40 000,00 euros

- dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de sécurité/résultat : 10 000,00 euros

- dommages et intérêts pour harcèlement moral : 10 000,00 euros

- préavis d'une durée de 2 mois (2 654,55 euros x 2) : 5 309,10 euros

- congés payés sur préavis : 530,91 euros

- indemnité spéciale conformément l'article L1226-14 du code du travail (11 571,44 euros - 4 814,42 euros - 113,70 euros) : 6 643,32 euros

En tout état de cause

- Condamner la société LV Liberté à lui payer la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamner la société LV Liberté à lui payer les intérêts de droit à compter de l'introduction de l'instance pour les sommes ayant le caractère de salaire et à compter de la décision à intervenir pour les autres sommes.

- Ordonner la capitalisation des intérêts en application de l'article 1154 du code civil (moyenne des derniers mois de salaire : 2 654,55 euros).

- Condamner la société LV Liberté en tous les dépens.

***

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du conseiller de la mise en état le 13 décembre 2022 avec fixation de la présente affaire à l'audience du 03 janvier 2023.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour l'exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions susvisées qu'elles ont déposées et soutenues à l'audience.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le harcèlement moral

La société LV Liberté critique le jugement entrepris en ce qu'il :

-a considéré à tort que M. [Z] avait été victime de harcèlement moral aux seuls motifs que le terme 'diva' aurait été employé à son encontre devant les autres collaborateurs, que les attestations d'anciens collaborateurs font état d'une ambiance délétère en se plaignant du comportement de la gérante, mais à leur encontre uniquement, et qu'un signalement aurait été effectué par l'inspecteur du travail pour harcèlement moral,

-pour en déduire que le licenciement qui avait été notifié au salarié suite au constat d'inaptitude était de ce fait entâché de nullité, alors que les griefs reprochés à la société par M. [Z], au motif qu'il aurait été destinataire de propos déplacés et plus particulièrement du terme 'diva', qu'un climat délétère régnait au salon et qu'il aurait été destinataire d'avertissements répétés, ne sont nullement rapportés, aucun élément probant n'étant communiqué, les éléments invoqués n'étant pas détaillés ni précis, tandis qu'au contraire elle-même démontre l'absence de tout grief.

M. [Z] réplique que si la société estime avoir pratiqué une politique manageriale satisfaisante et ne pas être responsable de son inaptitude définitive à son poste, cette analyse n'a pas été partagée par les premiers juges, qui ont relevé, à juste titre selon lui :

-un comportement anormal de l'employeur à l'encontre de ses salariés,

-une ambiance délétère caractéristique de harcèlement au sein de l'entrpeise,

-des sanctions non justifiées et la volonté de l'humilier, analyse qu'il demande à la cour de confirmer.

Il précise que le 30 mars 2017, à l'issue d'une enquête portant sur les conditions de travail au sein du salon de coiffure, l'inspection du travail a adressé un signalement au procureur de la République de Rennes pour des faits de harcèlement moral et mise en danger de la vie d'autrui.

***

En application de l'article L1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale et de compromettre son avenir professionnel.

En application de l'article L 1154-1 du code du travail il appartient au salarié de présenter les éléments de fait laissant présumer des agissements de harcèlement moral, au juge d'appréhender les faits dans leur ensemble et de rechercher s'ils permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, à charge ensuite pour l'employeur de rapporter la preuve que les agissements reprochés ne sont pas constitutifs du harcèlement et s'expliquent par des éléments objectifs.

Au titre du harcèlement moral, M. [Z] expose que :

-l'employeur lui a notifié plusieurs avertissements, qui, même s'il a préféré ne pas les contester, pour ne pas perdre son emploi, et qu'il ne peut les combattre, à cause de la prescription, exposaient des faits vagues sinon inconsistants ;

cependant, contrairement à ce qu'il soutient, les avertissements exposaient des faits précis et circonstanciés et, ne les ayant pas contestés, pas même, par courrier, le dernier avertissement, en date du 6 décembre 2016, alors qu'il n'était plus présent sur le lieu de travail dès mai 2017, il ne peut soutenir qu'ils étaient injustifiés et qu'ils sont en eux mêmes indicateurs d'une situation de harcèlement moral ; cet élément doit donc être écarté ;

-il était régulièrement victime de brimades de la part de la gérante et, le 16 mai 2017, à la suite de nouvelles brimades, il s'est effondré et a été arrêté en urgence par son médecin du travail ;

cependant, il n'expose pas en quoi auraient consisté ces brimades, qu'il ne décrit ni ne circonstancie ; il ne s'agit en conséquence pas d'un élément de fait établi, mais d'une simple allégation devant être écartée ;

Il expose encore que :

-l'employeur, en la personne de la gérante Mme [F], l'affublait du surnom 'la diva', en réunion devant ses collègues qui comprenaient bien l'allusion à son homosexualité ; il produit des attestations d'ex salariées (Mmes [R], [U], [K], [N]) confirmant l'usage de ce surnom, ou d'un autre 'le coiffeur star',

-le management de Mme [F] créait une tension au travail dont il était victime comme ses collègues et la gravité des faits reprochés a justifié la saisine de l'inspection du travail qui a adressé au Procureur de la République un signalement en application de l'article 40 du code de procédure pénale pour des faits de harcèlement moral et mise en danger d'autrui, ainsi que le retrait de son habilitation à recevoir des apprentis ; il produit des attestations d'ex salariées et un courrier de l'inspection du travail confirmant l'information relative à la transmision du signalement sus mentionné,

-ces faits ont dégradé son état de santé et il produit, notamment, l'avis d'inaptitude du médecin émis par le médecin du travail, deux certificats de son médecin traitant mentionnant un état anxio dépressif et de stress, un extrait de son dossier de médecine du travail, une attestation de cliente indiquant l'avoir trouvé perturbé en mai 2017;

Ces faits pris dans leur ensemble laissent présumer l'existence d'un harcèlement moral.

L'employeur réplique que :

-le terme 'diva' n'a été employé par Mme [F] qu'une seule fois, à l'occasion d'une réunion qui a eu lieu le 5 décembre 2014 et est sans rapport avec l' homosexualité du salarié mais se réfère à son comportement capricieux et à son refus d'effectuer des tâches dites 'subalternes', considérant qu'elles revenaient aux autres coiffeurs. Il produit l'attestation de M. [M], coiffeur au salon depuis 18 ans qui précise que les seules fois où il a constaté du mécontentement de la part de Mme [F] envers M. [Z] c'était en rapport avec son travail, car il n'appliquait pas les protocoles Dessange et Mme [F] devait les lui rappeler ; il confirme avoir entendu une seule fois utilisé le terme 'diva', le 5 décembre 2014, au cours d'une réunion qui avait vocation, suite à une baisse du chiffre d'affaires, à rappeler les valeurs de la marque, mise au point que M. [Z] n'avait pas appréciée.

Il ressort cependant des attestations concordantes d'ex salariées produites par M. [Z], engagées postérieurement au 5 septembre 2014, qui ont entendu aussi ce qualificatif, que le terme n'a manifestement pas été utilisé qu'une seule fois et rien ne permet d'affirmer que les réunions évoquées par Mme [R], en dehors du temps de travail car ils étaient 'punis de ne pas avoir assez bien représenté la marque', aient concerné tous les salariés, et que M. [M] y ait donc été présent. Même si, aux termes des explications de l'employeur, le terme 'la diva' n'avait pas dans l'esprit de Mme [F] de connotation en rapport avec l'homosexualité de M. [Z], cette désignation était suffisamment ambigue pour que certains salariés aient pu penser l'inverse, ce qui ressort des attestations produites par l'intéressé et en tout état de cause, quand bien même elle visait à stigmatiser un comportement, elle présentait un caractère moqueur qui n'avait pas lieu d'être utilisé dans un contexte professionnel et de manière réitérée devant les collègues.

L'employeur n'établit pas que l'emploi de ce terme était justifié de manière objective par une considération étrangère à du harcèlement moral ;

-la décision de la Direccte suspendant un contrat d'apprentissage a été annulée par le tribunal administratif de Rennes, dont la décision est versée aux débats, et la mère de l'apprentie produit une attestation au soutien de Mme [F] ;

-la société LV Liberté a été avisée que le Procureur de Rennes classait sans suite le signalement de l'inspection du travail pour harcèlement moral ;

Cependant la société appelante ne justifie pas du classement sans suite de la procédure transmise au Procureur de la République, ne produisant aucun avis du parquet, ni de demande d'information sur la procédure avec réponse écrite du parquet de Rennes à ce sujet et, si un certain nombre de salariés dont les attestations sont produites par l'appelante apprécient le management de Mme [F], qu'ils décrivent comme exigeante et rigoureuse, mais correcte et franche, les attestations d'ex salariées produites par M. [Z] relatent que celle-ci pouvait avoir des moments de colère et il en ressort qu'elle était très rigide sur ce qui était permis ou non à un salarié de salon de coiffure 'de marque'. Comme le souligne le conseil de prud'hommes, deux attestations de salariés produites par l'employeur confirment l'existence d'un management exigeant ayant pour but de pousser les salariés à donner le meilleur d'eux mêmes, traduisant manifestement ainsi, à tout le moins, un management agressif. Cela est confirmé par le document relatif au séminaire organisé en mars 2016 par Mme [F] (pièce 34 de l'appelante). Un ex salarié exprimant sa reconnaissance à Mme [F] en 2022 (pièce 47 de l'appelante) soit postérieurement à la rupture du contrat de M. [Z], relate tout de même des 'opinions et sentiments divergents sur la façon de manager ou certaines méthodes de travail.' Il ressort de l'analyse de l'ensemble de ces éléments que le management de l'employeur était de nature à générer une souffrance pour les salariés ne correspondant pas à ses attentes. M. [Z] a été tour à tour sanctionné ou félicité, management empreint de contradictions pouvant être ressenti comme humiliant pour un salarié de son expérience, de sorte que la cordialité d'échanges de textos hors contexte professionnel entre M. [Z] et Mme [F] dont se prévaut l'employeur est sans incidence sur l'appréciation des éléments de harcèlement moral, les échanges invoqués n'abolissant pas la hiérarchie existant dans les rapports de travail ; l'employeur n'établit pas que les méthodes de management dont la réalité est établie par le salarié soient justifiés par des faits objectifs étrangers à du harcèlement moral.

Les éléments médicaux produits par M. [Z], notamment le certificat de son médecin, qui constate un état anxio dépressif avec rumination anxieuse et sentiment de dévalorisation que M. [Z] lui-même, selon le certificat, attribue 'entre autres causes' aux difficultés ressenties dans le cadre du travail (procédure aux prud'hommes en cours pour harcèlement) peuvent être mis en relation avec les faits de harcèlement invoqués et établis qui ont eu pour effet de dégrader ses conditions de travail et son état de santé, ce même s'il avait été déclaré apte à son poste jusqu'en 2016, dans le cadre des visites périodiques effectuées par le médecin du travail.

M. [Z] justifie avoir subi, du fait de ce harcèlement dont le principe est reconnu, un préjudice moral, qui doit êre réparé par la condamnation de la société appelante à lui payer de ce chef, au vu des circonstances de l'espèce et du préjudice démontré, la somme de 1500 euros à titre de dommages et intérêts, en infirmation du jugement sur le montant retenu.

Sur le licenciement

Dans la mesure où il a été jugé que M. [Z] a été victime de faits de harcèlement moral émanant de la gérante de la société pendant la relation de travail, il y a lieu de dire le licenciement nul conformément aux dispositions des articles L.1152-3 et L.1153-4 du code du travail selon lesquelles toute rupture du contrat de travail ou tout acte contraire à l'interdiction de harcèlement sexuel ou moral est nul de plein droit.

Il convient également de le confirmer en ce qu'il a condamné la société LV Liberté à payer au salarié l'indemnité compensatrice de préavis de 2 mois, outre congés payés afférents, dont le montant n'est pas spécifiquement contesté, dû même s'il était en arrêt maladie au moment de la rupture.

Le salarié dont le licenciement est nul, et qui ne demande pas sa réintégration, a droit, au visa des articles L.1152-3, L.1235-3 et L.1235-5 du code du travail, en plus des indemnités de rupture, à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à six mois de salaire, quelle que soit son ancienneté et l'effectif de l'entreprise.

En l'espèce, le préjudice subi par M. [Z] du fait de la rupture doit être, au vu des éléments dont il justifie et du marché de l'emploi dans le secteur de la coiffure, réparé par la condamnation de la société LV Liberté à lui payer la somme de 17 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, en infirmation du jugement sur le quantum retenu.

La mention du jugement selon laquelle la société comptait moins de 11 salariés n'est pas contestée, de même que sa disposition écartant l'application de l'article L1235-4 du code du travail, qui doit être confirmée en tout état de cause en l'état des textes applicables à l'espèce.

M. [Z] ne justifie pas de l'existence d'un accident ou d'une maladie professionnelle, a fortiori dont l'employeur aurait eu connaissance au moment du licenciement, en lien avec l'inaptitude prononcée par le médecin du travail. Le jugement entrepris doit donc être confirmé en ce qu'il l'a débouté de sa demande d'indemnité spéciale sur le fondement de l'article L1226-14 du code du travail.

Sur la demande indemnitaire au titre d'un manquement à l'obligation de sécurité

M. [Z], qui rappelle qu'aux termes de l'article L4112-1 du code du travail, l'emloyeur est tenu de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés, fait valoir que l'employeur avait parfaite connaissance des faits de harcèlement qu'il a subis pour en avoir été l'auteur et n'a pas réagi.

Il ne critique cependant pas utilement le jugement qui a retenu, pour le débouter de sa demande indemnitaire sur ce fondement, que ce faisant il ne caractérisait pas de préjudice distinct de celui invoqué au titre du harcèlement moral. Il y a lieu en conséquence de confirmer sur ce point le jugement entrepris.

Il convient de rappeler que les sommes à caractère salarial produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation et les sommes à caractère indemnitaire à compter de la décision les ordonnant ; il sera fait droit à la demande de capitalisation des intérêts légaux conformément aux dispositons légales (ancien article 1154 du code civil, 1343-2 nouveau du code civil), en complément du jugement entrepris qui a omis cette demande.

Il est inéquitable de laisser à M. [Z] ses frais irrépétibles d'appel qui seront mis à la charge de la société appelante à hauteur de 1500 euros, en sus de la somme allouée à ce titre pour la procédure de première instance. La société LV Liberté, qui succombe principalement, sera également condamnée aux dépens d'appel, et le jugement entrepris confirmé en ses dispositions sur ces chefs.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a condamné la Sarl LV Liberté à payer à M. [V] [Z] les sommes de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral et de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

Condamne la Sarl LV Liberté à payer à M. [V] [Z] les sommes de :

-1500 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

-17 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

Y ajoutant,

Rappelle que les sommes à caractère salarial allouées produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation et les sommes à caractère indemnitaire à compter de la décision les ordonnant,

Ordonne la capitalisation des intérêts légaux,

Condamne la Sarl LV Liberté à payer à M. [V] [Z] la somme de 1500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,

Déboute la Sarl LV Liberté de sa demande sur le même fondement,

Condamne la Sarl LV Liberté aux dépens d'appel.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 7ème ch prud'homale
Numéro d'arrêt : 20/00775
Date de la décision : 09/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-09;20.00775 ?
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