9ème Ch Sécurité Sociale
ARRÊT N°
N° RG 21/00514 - N° Portalis DBVL-V-B7F-RJFK
DIRECTION REGIONALE DES FINANCES PUBLIQUES DE BRETAGNE
C/
DEPARTEMENT DES COTES D'ARMOR
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Copie certifiée conforme délivrée
le:
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 08 FEVRIER 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Elisabeth SERRIN, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Véronique PUJES, Conseillère,
Assesseur : Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, Conseillère,
GREFFIER :
Mme Adeline TIREL, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 14 Décembre 2022
devant Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 08 Février 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats ;
DÉCISION DÉFÉRÉE A LA COUR:
Date de la décision attaquée : 19 Novembre 2020
Décision attaquée : Jugement
Juridiction : Pole social du TJ de SAINT-BRIEUC
Références : 19/300
****
APPELANTE :
DIRECTION REGIONALE DES FINANCES PUBLIQUES DE BRETAGNE
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Me Laura LUET de la SELARL HORIZONS, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉ :
DEPARTEMENT DES COTES D'ARMOR
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 1]
représenté par Me Yves CLAISSE, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Ourida DERROUICHE, avocat au barreau de PARIS
EXPOSÉ DU LITIGE :
[M] [R], qui résidait de son vivant à l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes de [Localité 5], a perçu des aides sociales jusqu'au 2 mars 2013, date de son décès.
Le 11 septembre 2013, le notaire chargé de sa succession a sollicité du département des Côtes d'Armor (le département) le montant de sa créance d'aide sociale.
Le 2 février 2015, le département, par le biais du président de son conseil général, a saisi le tribunal de grande instance de Saint-Malo d'une requête aux fins de faire constater la vacance de la succession de [M] [R] et d'en confier la curatelle ou l'administration provisoire à l'administration des domaines. Cette requête comprenait une déclaration de créance d'un montant de 74 710,76 euros.
Par ordonnance du 5 mars 2015, le président de ce tribunal a constaté la vacance de la succession et désigné le service France Domaine pris en la personne du directeur régional des finances publiques de Bretagne (la DRFIP) en tant que curateur.
Le 14 avril 2015, le département a déclaré sa créance auprès de la DRFIP pour la somme de 77 187,41 euros.
Le 29 juin 2018, il a renouvelé sa déclaration de créance pour le même montant.
Le 24 janvier 2019, suite à un échange de courriels, la DRFIP a informé le département de la prescription de sa créance sur la succession de [M] [R] et a refusé de poursuivre le règlement.
Contestant cette décision, le département a formé un recours administratif devant la DRFIP le 14 février 2019.
Après rejet de sa réclamation par décision implicite, le département a saisi le tribunal administratif de Rennes qui, par ordonnance du 24 juin 2019, a estimé que ce litige relevait de la compétence du juge judiciaire et a rejeté la requête comme étant portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Le 5 juillet 2019, le département a porté le litige devant le tribunal de grande instance de Saint-Brieuc.
Par jugement avant dire droit du 12 mars 2020, ce tribunal, devenu le pôle social du tribunal de grande instance de Saint-Brieuc, a ordonné la réouverture des débats afin que les parties présentent leurs observations sur les dispositions de l'article 2223 du code civil et sur celles de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968.
Par jugement du 19 novembre 2020, ce tribunal, devenu le pôle social du tribunal judiciaire de Saint-Brieuc, a :
- déclaré le département des Côtes d'Armor recevable à agir en recouvrement de sa créance d'aide sociale à l'encontre de la succession vacante de [M] [R] ;
- ordonné en conséquence à la DRFIP de Bretagne et d'Ille-et-Vilaine de réexaminer la créance d'aide sociale du département des Côtes d'Armor sur la succession de [M] [R] et de poursuivre le processus conduisant à son règlement ;
- condamné la DRFIP de Bretagne et d'Ille-et-Vilaine à payer au conseil départemental la somme de 150 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la DRFIP de Bretagne et d'Ille-et-Vilaine aux dépens.
Par déclaration adressée le 16 décembre 2020, la DRFIP a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 30 novembre 2020.
Par ses écritures n°2 parvenues par le RPVA le 8 novembre 2021 auxquelles s'est référé et qu'a développées son conseil à l'audience, la DRFIP demande à la cour, au visa des articles 809-1 et suivants et 2224 et suivants du code civil :
- d'infirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau de :
- juger que la créance d'aide sociale du département des Côtes-d'Armor à l'encontre de la succession vacante de [M] [R] est prescrite depuis le 19 mars 2018 ;
- constater l'absence de causes de suspension et d'interruption de la prescription dans le délai ;
Par conséquent,
- déclarer le département des Côtes d'Armor irrecevable à agir en recouvrement de sa créance d'aide sociale à l'encontre de la succession vacante de [M] [R] ;
- débouter le département des Côtés d'Armor de ses demandes plus amples ou contraires ;
- condamner le département des Côtes d'Armor à régler à la direction régionale des finances publiques de la région Bretagne et du département d'Ille-et-Vilaine la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ses écritures visées à l'audience du 14 décembre 2022, auxquelles s'est référé et qu'a développées son conseil à l'audience, le département demande à la cour, au visa de la loi n)68-1250 du 31 décembre 1968 et des articles 2234 et suivants, 539 et suivants du Code civil, de :
- confirmer le jugement entrepris ;
- en conséquence, ordonner à la DRFIP de Bretagne de réexaminer la créance d'aide sociale sur la succession de M. [R] et de poursuivre le processus conduisant à son règlement ;
Y ajoutant,
- assortir l'obligation de réexaminer la créance d'aide sociale et de poursuivre le processus conduisant à son règlement, d'une astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir ;
- dire et juger que la cour se réservera le droit de liquider l'astreinte ;
Si par extraordinaire, la cour de céans estimait la prescription quinquennale prévue par l'article 2224 du Code civil applicable au présent litige :
- dire et juger que la prescription a été suspendue à compter du 15 mars 2015, date de l'ordonnance constatant la vacance de la succession et portant désignation de la DRFIP en qualité de curateur de la succession ;
- en conséquence, dire et juger que l'action du département est recevable et y faire droit ;
En tout état de cause :
- condamner la DRFIP à la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions susvisées.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
1 - Sur la loi applicable au litige en matière de prescription :
Le département, dont l'argumentaire a été suivi par le tribunal, estime que si en application de l'article 2224 du Code civil, la prescription quinquennale de droit commun a vocation à s'appliquer aux actions mobilières, cette disposition ne fait pas obstacle à l'application de règles spéciales comme le prévoit l'article 2223 du Code civil ; que dans les relations entre une personne de droit public, et plus précisément avec l'État, les départements et les communes, le législateur a prévu des règles exorbitantes du droit commun ; qu'en l'espèce, il y a lieu d'appliquer la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 qui dispose notamment que 'sont prescrites, au profit de l'État des départements et des communes, sans préjudice des déficiences particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant le sel au cours de laquelle les droits ont été acquis' ; que la circonstance que l'État agit ès qualités de curateur à une succession vacante est indifférente ; que sa qualité de personne morale de droit public dépasse celle de curateur.
La DRFIP fait valoir au contraire que le curateur de la succession vacante est soumis au droit privé de sorte que ce sont bien les dispositions du Code civil qui doivent trouver à s'appliquer en l'espèce ; qu'il importe peu que la curatelle soit assumée par une personne morale de droit public ; qu'il ne s'agit pas d'une créance sur l'État à proprement parler mais d'une créance sur la succession vacante.
Sur ce :
Les dettes successorales ne font l'objet d'aucun régime de prescription dérogatoire. Le seul fait qu'une dette puisse être mise à la charge d'une succession ne la soumet pas à un régime différent de celui qui s'applique en raison de sa nature (Civ. 1re, 25 mars 2020, n° 18-22.451).
En l'espèce, l'objet du litige est le recouvrement de la créance d'aide sociale du département des Côtes d'Armor contre la succession de M. [R].
Le législateur n'a prévu aucune prescription spécifique pour ce type de créance de sorte que le droit commun de la prescription régi par l'article 2224 du Code civil a vocation à s'appliquer.
Cet article dispose :
'Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer'.
La circonstance que le curateur désigné par le tribunal pour administrer provisoirement la succession soit une personne morale de droit public est indifférent.
A ce stade de la procédure de vacance, les biens ne sont pas la propriété de l'Etat, celui-ci n'étant envoyé en possession qu'à la fin des opérations, en cas de déshérence de la succession.
Les premiers juges se sont appuyés à tort sur une décision rendue par la cour d'appel de Paris le 27 novembre 2019 (RG n°19/00337) en indiquant que la solution était transposable à l'espèce.
Dans le litige soumis à la cour d'appel de Paris, celle-ci s'est prononcée sur des demandes indemnitaires formées par un héritier contre l'administration des domaines lui reprochant une faute dans la gestion de la succession de sa mère déclarée vacante. Elles étaient dirigées contre l'Etat comptable des fautes commises et non contre l'Etat ès qualités de curateur si bien que les dispositions spéciales de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ont été dans ce cas à juste titre appliquées. Néanmoins, les demandes indemnitaires ne sont pas des dettes de succession.
Il s'ensuit que le jugement sera réformé en ce qu'il est fait application des dispositions de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968.
2 - Sur le point de départ du délai de prescription et la suspension ou l'interruption de celui-ci :
Le département a été avisé du décès de M. [R] survenu le 2 mars 2013 par une lettre en date du 19 mars 2013, réceptionnée le 22 mars 2013 selon le cachet d'entrée apposé, émanant de l'Association Costarmoricaine d'Accompagnement et de Protection, chargée par le juge des Tutelles d'une mesure de protection au profit de l'intéressé. Y figurait également le nom du notaire auquel a été confié le règlement de la succession.
La connaissance du décès constitue le point de départ de la prescription quinquennale. Cet élément n'est pas discuté par le département.
Le délai de prescription s'achevait donc le 22 mars 2018 et non le 19 mars 2018 comme retenu par la DRFIP.
Cette dernière fait valoir que le département ne peut se prévaloir d'aucune cause de suspension ni d'une interruption du délai au titre des articles 2234 et suivants du Code civil dès lors qu'il ne dispose d'aucune reconnaissance par le débiteur, d'aucune demande en justice ou d'aucun acte d'exécution forcée avant l'achèvement du délai. Il ajoute que sa créance était parfaitement déterminable et qu'en vertu de l'article L. 252 A du livre des procédures fiscales, il était à même d'émettre son titre de recette dès lors qu'il dispose de tous les justificatifs des dépenses avancées pour le compte du défunt ; qu'aucun texte d'une subordonne l'exercice de son droit de recouvrement à la connaissance exacte de l'actif successoral ; que rien n'interdit le département d'exercer son recours en récupération sur la base titre exécutoire qu'il aurait pu émettre, quitte à ce que la récupération se trouve limitée, ou même empêchée, s'il apparaissait que l'actif net successoral n'excédait pas le seuil réglementaire de 46'000 euros, prévu aux articles L. 132-8 et R. 132-12 du code de l'action sociale et des familles.
Le département soutient que le cours de la prescription a été suspendu en raison de son impossibilité d'agir dans le cadre de la vacance de la succession ; que l'ouverture de la vacance a pour effet de suspendre l'exercice des poursuites individuelles des créanciers sur l'actif héréditaire ; qu'il a déclaré sa créance le 14 avril 2015 auprès de la DRFIP, cette déclaration ayant été réitérée le 25 juin 2018 ; que la DRFIP n'a pas jugé utile de l'informer des opérations dont elle avait la charge dans le cadre de la succession de M. [R] ; que ces circonstances l'ont mis dans l'impossibilité d'agir.
Les causes de suspension ou d'interruption sont régies par les articles 2233 à 2239 du Code civil.
L'article 2234 du Code civil énonce :
'La prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure'.
Il est certain que le département ne peut se prévaloir d'aucun acte interruptif de prescription, n'ayant notamment pas émis de titre exécutoire avant l'expiration du délai de prescription.
La déclaration de créance et sa réitération ainsi que les courriers/courriels de demande de renseignements sur l'état d'avancement du dossier ne sont pas des actes interruptifs de prescription au sens du droit commun.
Par ailleurs, aucun texte ne prévoit la suspension de la prescription lors de l'ouverture de la succession vacante.
Le fait qu'en vertu de l'article 810-4 du Code civil, le curateur ne puisse payer, avant l'établissement du projet de règlement de la succession, que les frais nécessaires à la conservation du patrimoine, les frais funéraires et de dernière maladie, les impôts dus par le défunt, les loyers et autres dettes successorales dont le règlement est urgent n'empêchait nullement le département d'émettre un titre exécutoire pour garantir sa créance, d'autant qu'entre le 14 avril 2015, date de la déclaration de créance, et le 22 mars 2018, terme de la prescription, il s'est écoulé près de trois années.
Les reproches opposés par le département à la DRFIP quant à son inaction pendant plusieurs années et quant au défaut d'information sur l'état d'avancement du règlement de la succession ne peuvent s'analyser sur le terrain de l'impossibilité d'agir au sens de l'article 2234 du Code civil.
En conséquence, la prescription de la créance du département sur la succession de M. [R] est acquise. Les demandes formées par ce dernier sont dès lors irrecevables.
Le jugement sera infirmé en toutes ses dispositions.
3 - Sur les frais irrépétibles et les dépens :
Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de la DRFIP ses frais irrépétibles de sorte qu'elle sera déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Les dépens de la présente procédure seront laissés à la charge du département qui succombe à l'instance.
PAR CES MOTIFS :
La COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
INFIRME le jugement dans toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau :
DIT que la créance du département des Côtes d'Armor sur la succession de M. [M] [R] au titre de l'aide sociale versée est prescrite ;
DÉCLARE en conséquence irrecevables les demandes formées par le département des Côtes d'Armor tendant au recouvrement de sa créance ;
DÉBOUTE la direction régionale des finances publiques de la région Bretagne et du département d'Ille-et-Vilaine, ès qualités de curateur de la succession de M. [M] [R], de sa demande d'indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE le département des Côtes d'Armor aux dépens.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT