9ème Ch Sécurité Sociale
ARRÊT N°
N° RG 20/02501 - N° Portalis DBVL-V-B7E-QUZQ
[P] [E]
C/
MAISON DEPARTEMENTALE DE L'AUTONOMIE DU MORBIHAN
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Copie certifiée conforme délivrée
le:
à:
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 08 FEVRIER 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Elisabeth SERRIN, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Véronique PUJES, Conseillère,
Assesseur : Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, Conseillère,
GREFFIER :
Mme Adeline TIREL, lors des débats, et Monsieur Philippe LE BOUDEC, lors du prononcé,
DÉBATS :
A l'audience publique du 14 Décembre 2022
devant Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, magistrat chargé de l'instruction des affaires, tenant seule l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 08 Février 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats ;
DÉCISION DÉFÉRÉE A LA COUR:
Date de la décision attaquée : 13 Mars 2020
Décision attaquée : Jugement
Juridiction : Tribunal Judiciaire de RENNES - Pôle Social
Références : 18/10041
****
APPELANTE :
Madame [P] [E]
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 2]
représentée par Me Axel DE VILLARTAY de la SCP VIA AVOCATS, avocat au barreau de RENNES substituée par Me Chloé HAYS, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉE :
LA MAISON DEPARTEMENTALE DE L'AUTONOMIE DU MORBIHAN
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 1]
représentée par Me Lara BAKHOS de la SELEURL PAGES - BAKHOS, avocat au barreau de RENNES substituée par Me Anne LE ROY, avocat au barreau de RENNES
EXPOSÉ DU LITIGE :
Le 12 juin 2017, Mme [P] [E], née le 23 janvier 1964, a déposé auprès de la Maison départementale de l'autonomie du Morbihan (la MDA) une demande de compensation du handicap.
Par décision du 22 septembre 2017, suivant avis de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (la CDAPH) du 21 septembre 2017, la MDA a rejeté sa demande d'attribution de l'allocation aux adultes handicapés (l'AAH) au motif que son taux d'incapacité compris entre 50% et 79% ne lui permet pas d'en bénéficier en l'absence de restriction substantielle et durable pour l'accès à l'emploi.
Contestant cette décision, Mme [E] a saisi le 12 octobre 2017 le président de la CDAPH d'un recours gracieux. Par décision du 19 décembre 2017 suivant avis de la CDAPH du même jour, la MDA a rejeté sa demande.
Par suite, elle a porté le litige devant le tribunal du contentieux de l'incapacité de Rennes le 9 janvier 2018.
Par jugement du 13 mars 2020, le pôle social du tribunal judiciaire de Rennes, devenu compétent, a :
- déclaré recevable le recours de Mme [E] mais mal fondé ;
- confirmé la décision de la CDAPH du Morbihan refusant l'AAH à Mme [E] ;
- dit n'y avoir lieu à statuer sur les dépens s'agissant d'une procédure introduite avant le 31 décembre 2018.
Par déclaration faite par communication électronique le 4 juin 2020, Mme [E] a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 22 mai 2020.
Par ses écritures parvenues au greffe par le RPVA le 12 décembre 2022 auxquelles s'est référé son conseil à l'audience, Mme [E] demande à la cour, au visa des articles L. 821-1, L. 821-2, D. 821-1 et D. 821-1-2 du code de la sécurité sociale, de :
Réformer le jugement dont appel, et statuant à nouveau :
- annuler la décision du président de la CDAPH du Morbihan du 1er décembre 2017 lui ayant refusé l'AAH ;
- lui accorder cette prestation à compter du mois de mars 2018, date de son arrêt de travail initial ;
A titre subsidiaire,
- ordonner, avant dire droit, une expertise médicale judiciaire et désigner tel expert qu'il plaira à la cour avec mission habituelle en la matière, et notamment celle de :
* entendre contradictoirement les parties, leurs conseils convoqués et entendus ;
* recueillir toutes informations orales ou écrites des parties ;
* se faire communiquer puis examiner tout document utile, dont le dossier médical ;
* examiner Mme [E], et renseigner la cour sur la question de savoir si elle subit une restriction substantielle et durable pour l'accès à l'emploi, du fait de son handicap ;
En tout état de cause,
- condamner la MDA du Morbihan aux entiers dépens.
Par ses écritures n°2 visées à l'audience par le greffe, auxquelles s'est référé son conseil, la MDA demande à la cour de :
A titre principal :
- confirmer dans toutes ses dispositions le jugement entrepris et en conséquence de confirmer la décision de la CDAPH du Morbihan en date du 19 décembre 2017 ;
- débouter Mme [E] de sa demande d'expertise médicale ;
A titre subsidiaire :
- ordonner avant dire droit, une expertise médicale judiciaire et désigner tel
expert qu'il plaira à la cour, avec pour mission de :
* dire si le handicap de Mme [E] engendre une restriction substantielle et durable pour l'accès à l'emploi au regard des dispositions des articles L. 821-1 et D. 821-l-2 du code de la sécurité sociale et se placer à la date de la demande soit, le 12 juin 2017, pour se prononcer.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions susvisées.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
L'article L.821-1 du code de la sécurité sociale dans sa version en vigueur du 1er janvier 2017 au 19 juin 2020 applicable à l'espèce dispose en son alinéa 1er :
'Toute personne résidant sur le territoire métropolitain ou dans les collectivités mentionnées à l'article L. 751-1 ou à Saint-Pierre-et-Miquelon ayant dépassé l'âge d'ouverture du droit à l'allocation prévue à l'article L.541-1 et dont l'incapacité permanente est au moins égale à un pourcentage fixé par décret perçoit, dans les conditions prévues au présent titre, une allocation aux adultes handicapés'.
Ce taux d'incapacité est fixé à 80 % par l'article D. 821-1 du même code.
L. 821-2 du même code énonce :
'L'allocation aux adultes handicapés est également versée à toute personne qui remplit l'ensemble des conditions suivantes :
1° Son incapacité permanente, sans atteindre le pourcentage fixé par le décret prévu au premier alinéa de l'article L. 821-1, est supérieure ou égale à un pourcentage fixé par décret ;
2° La commission mentionnée à l'article L. 146-9 du code de l'action sociale et des familles lui reconnaît, compte tenu de son handicap, une restriction substantielle et durable pour l'accès à l'emploi, précisée par décret.(...)'
Ce taux est fixé à 50 % par l'article l'article D. 821-1 du code de la sécurité sociale.
La restriction pour l'accès à l'emploi est substantielle lorsque la personne rencontre des difficultés importantes d'accès à l'emploi liées au handicap et ne pouvant pas être compensées.
A ce titre, l'article D. 821-1-2 du code de la sécurité sociale détermine les critères à prendre en compte pour évaluer cette restriction. Il dispose :
'Pour l'application des dispositions du 2° de l'article L. 821-2, la restriction substantielle et durable pour l'accès à l'emploi subie par une personne handicapée qui demande à bénéficier de l'allocation aux adultes handicapés est appréciée ainsi qu'il suit :
1° La restriction est substantielle lorsque le demandeur rencontre, du fait de son handicap même, des difficultés importantes d'accès à l'emploi. A cet effet, sont à prendre en considération :
a) Les déficiences à l'origine du handicap ;
b) Les limitations d'activités résultant directement de ces mêmes déficiences ;
c) Les contraintes liées aux traitements et prises en charge thérapeutiques induits par le handicap ;
d) Les troubles qui peuvent aggraver ces déficiences et ces limitations d'activités.
Pour apprécier si les difficultés importantes d'accès à l'emploi sont liées au handicap, elles sont comparées à la situation d'une personne sans handicap qui présente par ailleurs les mêmes caractéristiques en matière d'accès à l'emploi.
2° La restriction pour l'accès à l'emploi est dépourvue d'un caractère substantiel lorsqu'elle peut être surmontée par le demandeur au regard :
a) Soit des réponses apportées aux besoins de compensation mentionnés à l'article L. 114-1-1 du code de l'action sociale et des familles qui permettent de faciliter l'accès à l'emploi sans constituer des charges disproportionnées pour la personne handicapée ;
b) Soit des réponses susceptibles d'être apportées aux besoins d'aménagement du poste de travail de la personne handicapée par tout employeur au titre des obligations d'emploi des handicapés sans constituer pour lui des charges disproportionnées ;
c) Soit des potentialités d'adaptation dans le cadre d'une situation de travail.
3° La restriction est durable dès lors qu'elle est d'une durée prévisible d'au moins un an à compter du dépôt de la demande d'allocation aux adultes handicapés, même si la situation médicale du demandeur n'est pas stabilisée. La restriction substantielle et durable pour l'accès à l'emploi est reconnue pour une durée de un à cinq ans.
4° Pour l'application du présent article, l'emploi auquel la personne handicapée pourrait accéder s'entend d'une activité professionnelle lui conférant les avantages reconnus aux travailleurs par la législation du travail et de la sécurité sociale.
5° Sont compatibles avec la reconnaissance d'une restriction substantielle et durable pour l'accès à l'emploi :
a) L'activité à caractère professionnel exercée en milieu protégé par un demandeur admis au bénéfice de la rémunération garantie mentionnée à l'article L. 243-4 du code de l'action sociale et des familles ;
b) L'activité professionnelle en milieu ordinaire de travail pour une durée de travail inférieure à un mi-temps, dès lors que cette limitation du temps de travail résulte exclusivement des effets du handicap du demandeur ;
c) Le suivi d'une formation professionnelle spécifique ou de droit commun, y compris rémunérée, résultant ou non d'une décision d'orientation prise par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées mentionnée à l'article L. 241-5 du code de l'action sociale et des familles'.
En l'espèce, Mme [E] souffre d'une épicondylite chronique du coude droit consécutive à un accident du travail survenu en 2002. En 2015, elle a subi une rechute ainsi qu'une intervention chirurgicale, puis une nouvelle rechute en juillet 2016, suite à une rupture du tendon épicondylien droit.
Elle a bénéficié d'un arrêt de travail jusqu'en mai 2017. Une rupture conventionnelle de son contrat de travail est intervenue en septembre 2017.
Le taux d'incapacité fixé par la MDA n'est pas discuté en ce qu'il est compris entre 50 % et 79 %.
C'est à tort que les premiers juges ont rejeté la demande de Mme [E] au titre de l'allocation aux adultes handicapés au seul motif que son taux d'incapacité est inférieur à 80 %, sans s'expliquer sur la restriction substantielle et durable à l'emploi, seule question qui était véritablement en débat.
Mme [E] expose qu'elle exerçait une activité de VRP dans tout le département du Morbihan ; que les douleurs liées à son affection ont eu une incidence sur ses aptitudes à la conduite automobile (difficulté à passer les vitesses et à serrer le frein à main) ; que le médecin du travail avait préconisé une réduction de son périmètre d'intervention ; que cette restriction ne lui permettant pas de continuer son activité, une rupture conventionnelle est intervenue le 6 septembre 2017 ; qu'elle n'est aujourd'hui plus en mesure de conduire sur de longs trajets, ceux-ci générant de fortes douleurs dans le coude ; qu'en outre, elle souffre de douleurs continues irradiant l'épaule ; que ces douleurs sont accentuées par l'activité et les efforts, et surtout par le port de charges ; que la pathologie affecte également son quotidien, rendant difficile l'exécution de certaines tâches notamment la toilette, l'habillage, et surtout les tâches ménagères ; qu'elle ressent également une grande fatigue psychique en lien avec ses problèmes de santé ; que peu de possibilités lui sont proposées pour la prise en charge thérapeutique de sa pathologie ; que les soins se limitent à des séances chez le kinésithérapeute et de la rééducation ; qu'elle a réalisé toute sa carrière dans le domaine de la vente, domaine dans lequel les emplois sédentaires sont rares ; que si elle est effectivement en mesure d'effectuer certaines tâches seules (et notamment utiliser le téléphone et autre appareils techniques de communication), elle présente une hyperesthésie de l'avant-bras droit et des douleurs quotidiennes irradiant l'épaule qui empêchent d'envisager la réalisation de ces tâches sur une durée prolongée, dans le cadre d'une activité professionnelle à temps plein ; que depuis 2020, elle bénéficie d'un accompagnement renforcé réalisé par l'organisme Cap Emploi afin de rechercher un autre type de métier compatible avec ses capacités, ses compétences et sa situation de handicap ; qu'elle est âgée de 57 ans ce qui rend difficile toute reconversion professionnelle ; que la situation sanitaire a également fortement impacté ses recherches ; que de ce fait, elle justifie effectivement d'une restriction substantielle et durable pour l'accès à l'emploi ; qu'elle a désormais pour projet de devenir aidante familiale pour son père, âgé de 88 ans ; que sa demande déposée en septembre 2021 est toujours en cours de traitement ; qu'au mois de juin 2022, elle a été embauchée à temps partiel (15 heures par mois) par la société [3] en qualité d'aide à domicile ; que son contrat a pris fin le 30 septembre 2022.
La MDA réplique qu'au jour de la demande, Mme [E], âgée de 54 ans, occupait un poste de VRP en CDI à temps complet depuis le 1er février 2016 dans une entreprise de communication ; que l'impossibilité de reclassement professionnel au sein de l'entreprise n'était pas effective à cette date ; que si les éléments médicaux fournis par Mme [E] font état de douleurs et de difficultés dont la réalité n'est pas contestée, aucun de ces éléments ne fournit d'indication quant à l'impossibilité d'accéder à un emploi; qu'ils sont en outre postérieurs à la demande ; que Mme [E] est titulaire d'un BEP-CAP de commerce ainsi que d'une formation en informatique ; que si elle a principalement occupé des postes en lien avec le commerce durant sa carrière, elle a aussi connu des expériences sur des postes administratifs (secrétaire administrative scolaire, accueil et standard, archiviste) ; que le seul fait de ne pas être en capacité de conduire ou de porter des charges lourdes ne peut s'analyser en une restriction substantielle et durable à l'emploi ; que l'âge et la crise sanitaire ne sont pas des paramètres en lien avec la situation médicale de l'intéressée.
Il sera rappelé que les conditions de la restriction substantielle et durable à l'emploi s'apprécient au jour de la demande, soit au 12 juin 2017.
Il ressort des pièces du dossier que les difficultés de Mme [E] sont relatives au port de charges lourdes, aux gestes répétitifs et à la conduite prolongée, l'impossibilité de passer les vitesses et de serrer le frein à main étant surmontables, du fait des technologies actuellement existantes dans les véhicules.
Si les éléments médicaux produits par l'intéressée mentionnent que les douleurs la gênent dans la pratique de l'emploi qui était le sien en 2017, cela ne peut conduire à considérer que son handicap rende impossible ou à tout le moins particulièrement difficile l'exercice de toute fonction.
Au vu de son curriculum vitae, elle possède des qualifications et a un parcours professionnel continu et varié. Elle était d'ailleurs toujours salariée lors du dépôt de la demande, laquelle constitue sa première demande.
Elle ne justifie d'aucune restriction durable à l'emploi que l'on peut qualifier de substantielle. La pandémie intervenue en 2020 n'est pas en l'état un élément dont il peut être tenu compte. Son âge au moment de la demande (54 ans) permettait d'envisager une réorientation professionnelle qu'elle n'avait pas encore initiée.
Elle a d'ailleurs bénéficié à compter l'année 2021 d'un accompagnement renforcé par l'organisme Cap Emploi pour la recherche d'emploi.
La cour est en possession des éléments suffisants pour statuer sur la demande de Mme [E] sans qu'il soit nécessaire de recourir à une expertise.
Le jugement sera en conséquence confirmé en son dispositif.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
L'article R.144-10 du code de la sécurité sociale disposant que la procédure est gratuite et sans frais en matière de sécurité sociale est abrogé depuis le 1er janvier 2019.
Il s'ensuit que l'article R.144-10 précité reste applicable aux procédures en cours jusqu'à la date du 31 décembre 2018 et qu'à partir du 1er janvier 2019 s'appliquent les dispositions des articles 695 et 696 du code de procédure civile relatives à la charge des dépens.
En conséquence, les dépens de la présente procédure exposés postérieurement au 31 décembre 2018 seront laissés à la charge de Mme [E] qui succombe à l'instance.
PAR CES MOTIFS :
La COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement dans toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
DÉBOUTE Mme [P] [E] de sa demande d'expertise ;
CONDAMNE Mme [P] [E] aux dépens, pour ceux exposés postérieurement au 31 décembre 2018.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT