1ère Chambre
ARRÊT N°40/2023
N° RG 21/04276 - N° Portalis DBVL-V-B7F-R2KN
M. [J] [E]
C/
S.A.R.L. ALTO IMMOBILIER
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 07 FÉVRIER 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Aline DELIÈRE, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 07 novembre 2022 devant Madame Caroline BRISSIAUD, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 07 février 2023 par mise à disposition au greffe après prorogation du délibéré annoncé au 17 janvier 2023 à l'issue des débats
****
APPELANT :
Monsieur [J] [E]
né le 16 décembre 1955 à [Localité 7] (56)
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté par Me Benoît BOMMELAER de la SELARL CVS (Cornet Vincent Ségurel), avocat au barreau de RENNES
INTIMÉE :
La S.A.R.L. ALTO IMMOBILIER, immatriculée au RCS de Lorient sous le N° 393014170, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 8]
[Localité 4]
Représentée par Me Nathalie QUENTEL-HENRY de la SELARL SYNELIS AVOCATS, avocat au barreau de LORIENT
EXPOSÉ DU LITIGE
La Sarl Alto Immobilier a fait l'acquisition en 2004 de divers terrains situés sur la commune d'[Localité 6], aux fins de création d'un lotissement.
Suivant acte authentique régularisé le 20 décembre 2005, la Sarl Alto Immobilier a vendu à M. [J] [E] le lot numéro 12 de ce lotissement, constitué d'un terrain cadastré AW [Cadastre 1], d'une contenance de 400 m².
La Sarl Alto Immobilier est demeurée propriétaire du lot numéro 11 (cadastré AW [Cadastre 5]), qui jouxte la parcelle du concluant en limite Est ainsi qu'en limite Nord.
Un premier différend a opposé la Sarl Alto Immobilier à son voisin à propos du mur de clôture Est de la propriété de ce dernier.
Une expertise judiciaire a été ordonnée le 7 juillet 2009 et a été confiée à Mme [L] (géomètre-expert) dont le rapport daté du 13 janvier 2011 a conclu à l'existence d'un empiétement de la semelle des fondations en béton du mur de soutènement jusqu'à 18 centimètres par endroits.
Par jugement du tribunal de grande instance de Lorient du 19 novembre 2014, la Sarl Alto Immobilier a été déboutée de sa demande tendant à la suppression du mur Est de la propriété de M. [E].
La Sarl Alto Immobilier a relevé appel de cette décision. La cour dans un arrêt avant dire droit du 6 septembre 2018 a ordonné une nouvelle expertise.
Cette procédure a fait l'objet d'une ordonnance de radiation en date du 1er février 2022.
Parallèlement, suivant assignation du 10 septembre 2015, la Sarl Alto Immobilier a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Lorient aux fins d'expertise, estimant que le mur pignon du garage de M. [E] et les deux murs de soutènement situés de part et d'autre, édifiés en partie Nord de sa propriété, empiétaient sur sa parcelle.
Par ordonnance en date du 24 novembre 2015, M. [I] (géomètre-expert) a été désigné.
Dans son rapport déposé le 12 décembre 2017, l'expert concluait que les fondations des murs de soutènement et du pignon du garage édifiés par M. [J] [E] empiétaient sur la parcelle appartenant à la Sarl Alto Immobilier.
Dans ces conditions, par acte du 4 octobre 2018, la Sarl Alto Immobilier a fait assigner M. [J] [E] devant le tribunal de grande instance de Lorient au visa de l'article 545 du Code civil notamment aux fins de suppression des empiétements mis en évidence par l'expert judiciaire ainsi que des murs et ouvrages édifiés au-dessus des fondations litigieuses.
Par jugement du 5 juin 2019, le tribunal de grande instance de Lorient a :
-Condamné M. [J] [E] à supprimer ou faire supprimer les fondations des murs Nord qui empiètent sur la parcelle section AW [Cadastre 5], propriété de la Sarl Alto Immobilier et subséquemment les murs édifiés sur ces fondations, sous astreinte de 100 € par jour de retard passé un délai de 3 mois à compter de la signification du présent jugement et ce, pendant un délai d'une même durée au terme duquel il sera à nouveau statué ;
-Condamné M. [J] [E] à verser à la Sarl Alto Immobilier la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
-Condamné M. [J] [E] aux dépens auxquels seront joints les dépens de l'instance en référé qui comprennent les frais d'expertise en application de l'article 695 du Code de procédure civile ;
-Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision.
Suivant déclaration du 1er juillet 2019, M. [J] [E] a relevé appel de tous les chefs de ce jugement.
Les parties ont par la suite convenu d'une médiation conventionnelle, portant sur le mur situé à l'Est de la propriété [E].
Par ordonnance du 12 octobre 2020, le conseiller de la mise en état a été saisi d'une demande de sursis à statuer dans le cadre de la présente affaire, à laquelle il a fait droit jusqu'à l'exécution du protocole transactionnel convenu par les parties ou à défaut d'exécution du protocole jugée satisfaisante par les deux parties, jusqu'au dernier acte d'exécution du protocole. Cette affaire enregistrée sous le n°RG 19/04341 a été radiée du rôle de la chambre et les dépens réservés au sort de ceux de l'instance au fond.
Par conclusions du 29 juin 2021, la Sarl Alto Immobilier a sollicité la réinscription de l'affaire au motif que les termes du protocole n'avaient pas été intégralement exécutés par M. [E]. L'affaire a été réinscrite sous le n°RG 21-04276.
Par conclusions d'incident du 7 janvier 2022, la Sarl Alto Immobilier a saisi le conseiller de la mise en état d'une demande d'irrecevabilité des prétentions formées par M. [E] comme étant nouvelles en cause d'appel, étant précisé que celui-ci n'avait pas conclu en première instance.
Par ordonnance du 25 avril 2022, le conseiller de la mise en état a rejeté la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité des demandes de M. [E] formées en cause d'appel, rejeté la demande de confirmation du jugement déféré comme relevant de la compétence de la cour d'appel, condamné la Sarl Alto Immobilier aux dépens et à payer à M. [J] [E] la somme de 1.200 euros au titre des frais irrépétibles.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières conclusions transmises et notifiées au greffe le 17 octobre 2022 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des moyens et prétentions, M. [J] [E] demande à la cour de :
-Réformer le jugement,
-Rejeter l'intégralité des demandes, fins et conclusions de la Sarl Alto Immobilier,
-Condamner la Sarl Alto Immobilier à verser à M. [J] [E] la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts,
-Condamner la Sarl Alto Immobilier à verser à M. [J] [E] la somme de 18.000 € par application de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens, lesquels comprendront les frais d'expertise judiciaire.
A titre liminaire, M.[J] [E] rappelle qu'il n'avait pu faire valoir aucun moyen en première instance, n'ayant pas pu conclure dans les délais. Il fait valoir que cela ne le prive pas de la possibilité de contester la décision déférée en excipant des moyens nécessaires à sa demande de réformation. S'agissant de la demande de dommages-et-intérêts, il indique que celle-ci présente un lien suffisant avec la prétention initiale et qu'elle est donc recevable par application de l'article 567 du code de procédure civile.
Au fond, M. [J] [E] conteste les empiétement mis en évidence par l'expert judiciaire dont il conteste le travail en exposant que celui-ci n'a pas tenu compte de la configuration du terrain (déplacement de bornes) et des limites séparatives réelles des propriétés.
Subsidiairement, si les empiétements devaient être retenus, il expose que la démolition sollicitée par la Sarl Alto Immobilier constitue une mesure disproportionnée, au regard de la faible importance de l'éventuel empiétement (10 centimètres au plus), de sa situation (sur une bande de terrain à usage de passage) et de l'absence de toute privation de propriété par la Sarl Alto Immobilier en conséquence de ce débord (invisible) de fondations.
Il considère enfin que les demandes de dommages-et-intérêts et d'amende civile sont injustifiées.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises et notifiées au greffe le 14 octobre 2022 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des moyens et prétentions, la Sarl Alto Immobilier demande à la cour de :
-Juger les prétentions de M. [J] [E] irrecevables comme étant nouvelles en cause d'appel et par conséquent l'en débouter,
-Confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Lorient du 5 juin 2019 en toutes ces dispositions,
Y additant,
-Condamner M.[E] à une amende civile qui pourra être d'un montant maximum de 10 000 € au titre du caractère abusif de ses demandes et de sa procédure,
-Condamner M.[E] à verser à la Sarl Alto Immobilier la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts,
-Condamner M.[E] à verser à la Sarl Alto Immobilier la somme de 20 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
-Condamner également M. [J] [E] en tous les frais et dépens d'appel et frais d'expertise judiciaire.
La Sarl Alto Immobilier expose que l'ordonnance rendue le 25 avril 2022 par le conseiller de la mise en état n'a pas autorité de la chose jugée et que les fins de non-recevoir tirées des articles 564 et 910-4 du Code de procédure civile relèvent de la compétence de la cour d'appel (selon un avis de la deuxième chambre civile de la cour de cassation du 11 octobre 2022). Elle s'estime donc bien fondée à réitérer devant la cour sa demande tendant à voir déclarer M. [E] irrecevable en ses demandes, comme étant nouvelles en cause d'appel.
S'agissant de l'empiétement, la société intimée conclut que la nature et l'ampleur de l'empiétement ont été parfaitement démontrées par l'expert judiciaire dont le travail n'encourt selon elle aucune critique. Elle expose en effet que l'expert judiciaire a répondu aux nombreux dires de M. [E], en écartant point par point toutes les objections de ce dernier et qu'il s'est en outre parfaitement expliqué sur les éléments qui lui ont permis de définir la limite séparative des immeubles (notamment d'après les coordonnées d'origine des lots du lotissement obtenues auprès des services du cadastre), et de mettre ainsi en évidence les empiétements dénoncés.
Pour écarter le moyen tiré de la disproportion de la mesure de démolition, la Sarl Alto Immobilier se réfère aux constatations de l'expert judiciaire et de son sapiteur, ayant mis en évidence que les fondations n'avaient pas été réalisées dans les règles de l'art de sorte que les murs, contraints par des poussées de terre, présentaient un risque d'effondrement sur le fonds voisin.
Enfin, la Sarl Alto Immobilier considère que la demande indemnitaire de M. [E] n'est pas fondée, aucun préjudice n'étant démontré. Elle rappelle que M. [E] est seul responsable de la longueur de la procédure et qu'il n'a pas respecté les obligations mises à sa charge dans le cadre du protocole transactionnel. Elle sollicite reconventionnellement des dommages-et-intérêts outre le paiement d'une amende civile au titre du caractère dilatoire et abusif de la procédure.
MOTIVATION DE LA COUR
1°/ Sur la recevabilité des demandes de M. [E]
Il résulte de l'article 914 in fine du code de procédure civile que seules « les ordonnances du conseiller de la mise en état statuant sur la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'appel, sur la caducité de celui-ci ou sur l'irrecevabilité des conclusions et des actes de procédure en application des articles 909, 910 et 930-1 ont autorité de la chose jugée au principal ».
Par ailleurs, il est exact que les fins de non-recevoir tirées de la nouveauté des demandes en appel par rapport à la première instance (article 564 du Code de procédure civile) ou par rapport aux premières conclusions au fond (article 910-4 du Code de procédure civile) relèvent de la compétence de la cour d'appel. (Cass. 2e civ., avis, 11 oct. 2022, n° 22-70.010).
En l'espèce, antérieurement à cet avis, le conseiller de la mise en état avait déjà statué sur la fin de non- recevoir soulevée par la société Alto Immobilier tirée du caractère nouveau en appel des demandes formées par M. [J] [E], qui n'avait pas conclu en première instance.
En effet, par ordonnance du 25 avril 2022, il a rejeté cette fin de non-recevoir en considérant que les demandes de M. [E] tendant à la réformation du jugement et au rejet de l'intégralité des demandes fins et conclusions de la Sarl Alto Immobilier ne tendaient qu'à faire écarter les prétentions adverses, d'une part, et que la demande de dommages-et-intérêts reconventionnelle au titre du préjudice moral se rattachait à la prétention originaire par un lien suffisant, d'autre part.
La cour ne peut que reprendre les justes motifs de l'ordonnance précitée pour considérer que les demandes de M. [E] ne se heurtent à aucune irrecevabilité sur le fondement des articles 564,565 et 566 du code de procédure civile, ce qui ne préjuge en rien du bien fondé de ces demandes, qui sera examiné ci-après.
La fin de non-recevoir sera donc rejetée.
2°/ Sur la demande principale en suppression de l'empiétement
Aux termes des dispositions de l'article 545 du Code civil : « nul ne peut être contraint à céder sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, et moyennant une juste et équitable indemnité ».
a. sur l'empiétement
La limite Nord de la parcelle AW n°[Cadastre 1] est constituée d'un mur pignon de garage et dans le prolongement à l'Est et à l'Ouest de ce pignon, de deux murs de soutènement destinés à retenir les terres du fonds [E].
Dans sa note annexée au rapport d'expertise, M. [V] ingénieur béton intervenu en qualité de sapiteur, avait précisé que ces trois murs étaient montés en parpaings d'une épaisseur de 15 centimètres, centrés sur des semelles en béton de 50 cm de large environ.
Aux termes de son rapport, l'expert judiciaire [I] a conclu de la manière suivante : « Au vu de l'ensemble des documents et des mesures réalisées sur place, nous pouvons dire que les murets de clôture et murs de pignon Nord de la propriété de M. [J] [E] sont sur son terrain. La limite passe au nu de ces murs. Les fondations empiètent donc sur la propriété de la Sarl Alto Immobilier de 7 à 30 centimètres environ. L'origine de ces empiétements est essentiellement due à un non-respect des règles de l'art (').
Contrairement à ce que soutient M. [E], l'expert judiciaire n'a pas travaillé sur les plans du cabinet du géomètre-expert [Y] (géomètre de la Sarl Alto Immobilier). Il a même expressément indiqué, en réponse aux dires de M. [E], qu'il n'a pas tenu compte de ces plans pour éviter toute critique. Il a précisé avoir travaillé à partir de données selon lui incontestables, à savoir les listings de coordonnées d'origine des lots du lotissement obtenues auprès des services cadastraux. L'expert a détaillé sa méthodologie, laquelle a essentiellement consisté à superposer ses propres relevés (effectués lors de l'accedit du 29 février 2016) avec les points d'origine tels qu'ils résultaient des plans établis par M. [S], géomètre-expert ayant réalisé le lotissement (plans et données transmis au cadastre).
M. [E] reproche à l'expert de ne pas avoir adopté la même méthodologie que Mme [L], expert-géomètre désignée dans le cadre du litige concernant le mur de soutènement Est de la parcelle Aw n°[Cadastre 1]. Il est cependant observé que dans son rapport, Mme [L] exposait avoir procédé par calage des plans informatisés [S] sur son plan des lieux par rapport au mur pignon de la maison [E] et par rapport aux murs de clôture édifiés au Nord de la propriété de M. [E] à l'Est et à l'Ouest du pignon de sa maison, et avoir ainsi pu retrouver la position de la limite d'origine par rapport à la situation actuelle des lieux.
Il s'avère donc que les deux experts ont adopté la même méthodologie et sont d'ailleurs parvenus à des conclusions similaires. En effet, à l'instar de Mme [L], M. [I] a constaté lui aussi que plusieurs bornes étaient mal positionnées par rapport aux points d'origine.
De fait, comme l'a rappelé le premier juge, le terrain propriété de M. [E] a été remblayé sur près de 1,60 à 2,10 mètres de hauteur afin de compenser-la pente naturelle du terrain d'environ 8 % de manière à le rendre quasiment plat, ce qui peut expliquer ces déplacements de bornes.
Pour autant, les deux experts successivement désignés, après avoir reconstitué les limites de propriété, ont conclu que tant le mur de soutènement situé à l'Est ( rapport de Mme [L]) que les murs situés au Nord ( rapport de M. [I]) étaient situés à l'intérieur de la propriété de M. [E] mais qu'en revanche, les semelles en béton des fondations débordaient sur la parcelle voisine appartenant à la Sarl Alto Immobilier.
Les conclusions du rapport d'expertise de M. [I] sont donc cohérentes avec le rapport d'expertise de Mme [L] qui lui avait d'ailleurs été communiqué.
Au regard des réponses précises faites par l'expert judiciaire aux dires de M. [E], auxquelles il est renvoyé, il convient de considérer que M. [E] ne critique pas utilement le rapport d'expertise.
L'empiétement des fondations des murs de soutènement et du pignon du garage situés en limite Nord de la propriété de M. [E] Immobilier est donc caractérisé.
b. sur la démolition
Pour faire cesser les empiétements, l'expert judiciaire a précisé qu'une simple démolition des semelles débordantes ne serait pas suffisante car celle-ci pourrait entraîner des désordres sur les ouvrages. Il a ainsi préconisé une démolition puis une réfection à neuf des murets de clôture et une reprise en sous-'uvre du pignon du garage. L'ensemble des travaux a été estimé à la somme de 40.741,69 euros.
M. [E] invoque le caractère disproportionné de la démolition sollicitée par la Sarl Alto Immobilier.
En l'espèce, l'empiétement est constitué par des débords de béton en sous-sol, sur une bande de terre comprise entre 7 et 30 centimètres. Il affecte une partie de la parcelle AW n° [Cadastre 5] à usage de passage, aucune construction ne pouvant être édifiée à cet endroit.
Il est toutefois constant que le caractère minime de l'empiétement, le fait que celui-ci soit souterrain et donc non visible et qu'il n'en résulte aucun trouble particulier ne sont pas de nature à faire obstacle à l'action en démolition du propriétaire victime de l'empiétement.
La construction de M. [E] porte incontestablement atteinte au droit de propriété de la Sarl Alto Immobilier, le respect de la propriété d'autrui étant un droit fondamental, constitutionnellement protégé.
En revanche, il ne peut être considéré que la démolition sollicitée porterait une atteinte excessive aux droits fondamentaux de M. [E], notamment au regard de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme qui consacre le droit de chacun au respect de son domicile, dès lors que la démolition concerne seulement les murs de soutènement, l'expert ayant préconisé une reprise en sous-oeuvre des fondations du mur pignon, ce qui n'implique pas la destruction de celui-ci.
Surtout, le rapport d'expertise a mis en évidence que pour respecter les limites, les semelles débordantes ne pouvaient simplement être coupées dans la mesure où elles n'avaient pas été réalisées dans les règles de l'art (absence d'ancrage et de redans, hétérogénéité des sols d'assise).
En effet, M. [V], ingénieur béton, intervenu en qualité de sapiteur, a relevé que les murs de soutènement ont été réalisés en agglo, donc sans béton ni armature spécifique, ce qui selon lui, est rédhibitoire.
Dans sa note, annexée au rapport d'expertise, il expose que les soutènements sont en principe à réaliser en voiles béton armé encastrés sur des semelles en béton armé relativement larges, calculées pour résister au basculement dû à la poussée des terres. Il conclut que les murs litigieux « sont déjà condamnés ».
Ces conclusions rejoignent celles qui avaient déjà été faites dans le cadre du litige relatif au mur Est de la propriété de M. [E], notamment aux termes des rapport de l'entreprise ECR Environnement daté du mois de décembre 2014 (chargée d'établir un diagnostic géotechnique) et de la société Socotec en date du 2 février 2015 ( chargée de donner un avis sur la stabilité du mur de soutènement) lesquels avaient conclu que le mur de soutènement Est n'avait pas été construit dans les règles de l'art et que la pérennité de l'ouvrage n'était pas assurée.
Il convient donc de considérer qu'il existe un obstacle technique à ne supprimer que les semelles en béton débordantes et que la démolition des murs de soutènement construits sur les fondations litigieuses est justifiée par un risque d'effondrement sur la parcelle voisine.
Le jugement ayant condamné M. [E] à supprimer ou faire supprimer les fondations des murs Nord qui empiètent sur la parcelle Section AW [Cadastre 5], propriété de la Sarl Alto Immobilier et subséquemment les murs édifiés sur ces fondations sera donc confirmé, de même que l'astreinte ordonnée.
Il sera seulement précisé que la démolition des murs édifiés sur les fondations débordantes ne concernera que les murs de soutènement, le mur pignon de la maison pouvant être repris en sous-'uvre conformément au rapport d'expertise.
3°/ Sur les demandes de dommages-et-intérêts et d'amende civile
a. sur la demande de dommages et intérêts formée par M. [E]
M. [E] expose que l'action de la société Alto Immobilier lui est préjudiciable en ce qu'elle complique fortement tout projet de cession de son bien et qu'elle est en outre source de tracas et de soucis.
Cette demande indemnitaire ne saurait être accueillie compte tenu de la solution apportée au litige.
b. sur la demande de dommages et intérêts formée par la Sarl Alto Immobilier et l'amende civile
Selon l'article 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut-être condamné à une amende civile d'un maximum de 10.000 euros sans préjudice des dommages et intérêts qui seraient réclamés.
La Sarl Alto sollicite la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts outre le prononcé d'une amende civile du même montant.
Le caractère abusif ou dilatoire de l'appel n'est pas caractérisé, étant rappelé que M. [E] n'avait pu se défendre en première instance, n'ayant pas conclu dans les délais. Par ailleurs, la Sarl Alto évoque l'inexécution par M. [E] du protocole transactionnel. Celui-ci n'est cependant pas communiqué. Par conséquent, aucun manquement à ce titre ne peut-être établi.
Par ailleurs, le préjudice résultant de l'atteinte portée au droit de propriété est suffisamment réparé par les mesures réparatoires ordonnées. Aucun autre préjudice n'est justifié, ni même d'ailleurs allégué.
Enfin, le prononcé d'une amende civile relève de l'appréciation de la cour. Les parties ne sont pas fondées à en faire la demande. En l'occurrence, la cour considère n'y avoir lieu au prononcé d'une telle sanction.
Par conséquent, la Sarl Alto sera déboutée de ses demandes de ce chef.
4°/ Sur les frais irrépétibles et les dépens.
Les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront confirmées.
Succombant en appel, M. [E] sera condamné aux dépens d'appel et donc débouté de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Il n'est pas inéquitable de le condamner à payer à la Sarl Alto Immobilier la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Rejette la fin de non-recevoir tirée du caractère nouveau en appel des demandes formées par M. [J] [E] ;
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 5 juin 2019 par le tribunal de grande instance de Lorient ;
Précise que la démolition des murs édifiés sur les fondations débordantes ne concernera que les murs de soutènement, le mur pignon de la maison pouvant être repris en sous-'uvre conformément au rapport d'expertise ;
Y ajoutant :
Déboute M. [J] [E] de sa demande de dommages-et-intérêts ;
Déboute la Sarl Alto Immobilier de sa demande de dommages-et-intérêts ;
Dit n'y avoir lieu à prononcer une amende civile ;
Déboute M. [J] [E] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [J] [E] à payer à la Sarl Alto Immobilier la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [J] [E] aux dépens d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE