2ème Chambre
ARRÊT N°68
N° RG 20/00054
N° Portalis DBVL-V-B7E-QL25
CRCAM D'ILLE-ET-VILAINE
C/
M. [G] [V]
M. [O] [V]
Mme [T] [V] épouse [V]
E.A.R.L. [Adresse 9]
Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 03 FEVRIER 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Joël CHRISTIEN, Président de Chambre,
Assesseur : Monsieur David JOBARD, Président de Chambre,
Assesseur : Madame Hélène BARTHE-NARI, Conseillère,
GREFFIER :
Mme Aichat ASSOUMANI, lors des débats, et Madame Ludivine MARTIN, lors du prononcé,
DÉBATS :
A l'audience publique du 06 Décembre 2022
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 03 Février 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
CRCAM D'ILLE-ET-VILAINE
[Adresse 7]
[Localité 6]
Représentée par Me Alexandre TESSIER de la SELARL BAZILLE, TESSIER, PRENEUX, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉS :
Monsieur [G] [V]
né le [Date naissance 1] 1947 à [Localité 5]
[Adresse 9]
[Localité 5]
Madame [T] [V] épouse [V]
née le [Date naissance 2] 1948 à [Localité 8]
[Adresse 9]
[Localité 5]
Tous représentés par Me Cécile HERRY de la SARL AVOXA CH, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
Monsieur [O] [V]
né le [Date naissance 3] 1975 à [Localité 10] (35)
[Adresse 4]
[Localité 5]
E.A.R.L. [Adresse 9]
[Adresse 9]
[Localité 5]
Tous représentés par Me Mikaël LE ROL de la SELARL LRM AVOCAT, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
* * *
EXPOSÉ DU LITIGE
L'EARL [Adresse 9] (l'EARL) a, par convention du 28 mars 2008, ouvert un compte bancaire auprès de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel d'Ille-et-Vilaine (le Crédit agricole).
Par contrat du 15 avril 2008, la banque lui a, en vue de financer l'acquisition d'un cheptel et de matériel agricole, consenti un concours consistant en :
un prêt n° 288 de 161 000 euros au taux de 5,2 %, remboursable en 144 mensualités,
un prêt n° 297 de 69 000 euros au taux de 5,2 %, remboursable en 144 mensualités.
Par actes sous signature privée annexés au contrat de prêt, M. [O] [V], gérant de l'EARL, ainsi que les parents de celui-ci, M. [G] [V] et Mme [T] [U] (les époux [G] [V]), se sont portés cautions solidaires de cet engagement dans les limites respectives de 299 000 euros et 119 600 euros.
Prétendant que le compte présentait un découvert non autorisé et que les échéances de remboursement des prêts n'étaient plus honorées depuis juillet 2014 en dépit d'une lettre recommandée de mise en demeure de régulariser la situation sous dix jours en date du 6 février 2015, le Crédit agricole a, par acte du 4 mars 2015, fait assigner l'EARL, M. [O] [V] et les époux [G] [V] devant le tribunal de grande instance de Rennes en paiement du solde débiteur du compte et des sommes dues au titre des prêts après déchéance du terme.
L'EARL a sollicité des délais de paiement.
M. [O] [V] a invoqué la disproportion de son engagement de caution, s'est porté demandeur reconventionnel en paiement de dommages-intérêts pour manquement de la banque à son devoir de mise en garde et a sollicité un délai de grâce.
Les époux [G] [V] ont quant à eux demandé la déchéance du droit du prêteur aux intérêts pour défaut d'information des cautions, se sont portés demandeur reconventionnel en paiement de dommages-intérêts pour manquement de la banque à son devoir de mise en garde, et ont sollicité un délai de grâce.
Par jugement du 4 novembre 2019, les premiers juges ont :
condamné l'EARL à payer au Crédit agricole les sommes de 28 848,09 euros au titre du solde débiteur du compte, de 38 052,63 euros au titre du prêt n° 297 et de 88 565,53 euros au titre du prêt n° 288, avec intérêts au taux de 8,20 % à compter du jugement,
condamné M. [O] [V] à payer au Crédit agricole les sommes de 34 247,37 euros au titre du prêt n° 297 et de 79 708,98 au titre du prêt n° 288, avec intérêts au taux de 8,20 % à compter du jugement, déduction ayant été faite de sa créance de dommages-intérêts de 12 661,82 euros,
condamné les époux [G] [V] à payer au Crédit agricole les sommes de 38 052,63 euros au titre du prêt n° 297 et de 88 565,53 euros au titre du prêt n° 288, chacun dans la limite totale de 119 600 euros et sous déduction à faire de l'ensemble des intérêts, frais et accessoires sauf l'intérêt au taux légal courant sur les sommes restant dues à compter du 6 février 2015, l'ensemble des paiements antérieurs étant imputés sur le capital,
dit que le Crédit agricole pourra capitaliser les intérêts pourvu qu'ils soient dus pour une année entière,
condamné in solidum l'EARL, M. [O] [V] et les époux [G] [V] aux dépens ;
condamné in solidum l'EARL, M. [O] [V] et les époux [G] [V] à payer au Crédit agricole la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
débouté les parties du surplus de leurs prétentions,
ordonné l'exécution provisoire.
Le Crédit agricole a relevé appel de ce jugement le 3 janvier 2020, pour demander à la cour de :
le réformer en ce qu'il a prononcé la déchéance du droit aux intérêts contractuels à l'égard des époux [G] [V] et condamné la banque au paiement de dommages-intérêts à M. [O] [V],
confirmer le jugement attaqué pour le surplus,
rejeter toutes les demandes de l'EARL, de M. [O] [V] et des époux [G] [V],
condamner l'EARL au paiement des sommes de 28 848,09 euros au titre du compte, de 38 052,63 euros au titre du prêt n° 297 et de 88 565,53 euros au titre du prêt n° 288, outre les intérêts au taux contractuel de 8,20 %,
condamner M. [O] [V] et les époux [G] [V] au paiement des sommes de 38 052,63 euros au titre du prêt n° 297 et de 88 565,53 euros au titre du prêt n° 288, outre les intérêts au taux contractuel de 8,20 %,
ordonner la capitalisation des intérêts échus depuis une année,
condamner solidairement l'EARL, les époux [G] [V] et M. [O] [V] au paiement d'une indemnité de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
L'EARL et M. [O] [V] demandent quant à eux à la cour de :
réformer le jugement en ce qu'il a débouté l'EARL de sa demande de délai de paiement,
accorder à l'EARL les plus larges délais de paiement pour s'acquitter de sa dette,
le cas échéant, ordonner à l'EARL de s'acquitter de ses dettes dans la limite de deux ans à compter de la signification de la décision à intervenir ou, en tous cas, moyennant 23 échéances de 1 000 euros puis une 24ème échéance soldant le paiement du principal et des intérêts, avec imputation des règlements sur le principal,
réformer le jugement attaqué en ce qu'il a débouté M. [O] [V] de sa demande d'inopposabilité de son acte de cautionnement,
à titre principal, déclarer son engagement de caution inopposable pour cause de disproportion,
à titre subsidiaire, confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a considéré que le Crédit agricole avait manqué à son devoir de mise en garde et le réformer sur le quantum des dommages-intérêts alloués,
condamner le Crédit agricole au paiement d'une somme de 126 605,49 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de sa perte de chance de ne pas contracter, ou toute autre somme laissée à l'appréciation de la cour en fonction du pourcentage de chance retenu,
ordonner la compensation entre les sommes dues de part et d'autre,
en tout état de cause, condamner le Crédit agricole au paiement d'une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, y compris de première instance,
à titre infiniment subsidiaire, accorder à M. [O] [V] les plus larges délais de paiement dans la limite de deux ans, avec report intégral, dans cette limite, de la dette afférente,
ordonner que le montant des sommes reportées portera intérêt à un taux réduit au moins égal au taux légal,
laisser à chaque partie la charge de ses propres frais irrépétibles et dépens.
Les époux [G] [V] demandent de leur côté à la cour de :
débouter le Crédit agricole de l'intégralité de ses demandes,
confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a fait droit à la demande de déchéance du droit du prêteur aux intérêts, que ce soit au titre du manquement à son obligation d'information annuelle ou, à défaut, pour manquement à son obligation d'information sur la première défaillance de l'emprunteur,
réformer le jugement attaqué pour le surplus,
condamner le Crédit agricole à payer à M. [G] [V] la somme de 119 550 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement de la banque à son obligation de mise en garde,
condamner le Crédit agricole à payer à Mme [T] [V] la somme de 119 550 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement de la banque à son obligation de mise en garde,
prononcer la compensation avec les éventuelles sommes qui seraient dues par les époux [G] [V] au Crédit agricole,
à titre subsidiaire, accorder aux époux [G] [V] des délais de paiement dans la limite de deux années,
en tout état de cause, condamner le Crédit agricole au paiement d'une indemnité de 5 000 euros chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision ainsi qu'aux dernières conclusions déposées le Crédit agricole le 23 septembre 2020, pour l'EARL [Adresse 9] et M. [O] [V] le 11 octobre 2022, et pour les époux [G] [V] le 25 juin 2020, l'ordonnance de clôture ayant été rendue le 10 novembre 2022.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Sur la créance de la banque à l'égard de l'emprunteur
Il résulte du contrat de prêt, des tableaux d'amortissement et des décomptes de créance qu'il restait dû au prêteur au titre du prêt n° 288 au jour de la déchéance du terme du 16 février 2015:
10 718,32 euros au titre des échéances échues impayées de juin 2014 à janvier 2015,
74 743,12 euros au titre du capital restant dû,
6 540,27 euros au titre de l'indemnité de recouvrement égale à 7 % des sommes dues,
soit, au total, 92 001,71 euros ramenés dans la demande à 88 565,53 euros.
Il résulte encore du contrat de prêt, des tableaux d'amortissement et des décomptes de créance qu'il restait dû au prêteur au titre du prêt n° 297 au jour de la déchéance du terme du 16 février 2015:
4 576,51 euros au titre des échéances échues impayées de juin 2014 à janvier 2015,
32 102,58 euros au titre du capital restant dû,
2 567,53 euros au titre de l'indemnité de recouvrement égale à 7 % des sommes dues,
soit, au total, 39 246,62 euros ramenés dans la demande à 38 052,63 euros.
C'est donc à juste titre que les premiers juges ont condamné l'EARL au paiement des sommes réclamées, avec intérêts de retard au taux contractuel de 5,20 % majoré de trois points, soit 8,20 %, à compter du jugement faute pour le prêteur d'avoir sollicité un point de départ antérieur.
D'autre part, le compte bancaire de l'EARL présentait, selon les relevés produits, un solde débiteur de 28 848,09 euros arrêté à la clôture du compte du 16 février 2015.
Les premiers juges ont donc, là encore, pertinemment condamné l'EARL au paiement de cette somme.
Étant observé que la convention d'ouverture de compte du 28 mars 2008 ne comporte pas de clause stipulant le paiement, postérieurement à la clôture du compte, d'intérêts de retard au taux des intérêts débiteurs, et moins encore au taux contractuel majoré des prêts, il conviendra de préciser le jugement en ajoutant que cette somme ne produira intérêts qu'au taux légal à compter du jugement attaqué.
Sur la disproportion de l'engagement de caution de M. [O] [V]
Aux termes de l'article L. 341-4 devenu L. 332-1 du code de la consommation, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution ne lui permette de faire face à ses obligations au moment où elle est appelée.
Pour rapporter la preuve, qui lui incombe, de ce que son engagement de caution de 299 000 euros était manifestement disproportionné à ses biens et revenus lorsqu'il l'a conclu, M. [O] [V] soutient que la valeur de son patrimoine immobilier était, selon la fiche de renseignement établie, de 100 000 euros et qu'il ne disposait que d'un revenu annuel de 13 200 euros, la valeur de ses parts dans le capital de l'EARL ne pouvant par ailleurs être évaluée au delà de leur valeur nominale de 8 000 euros.
Le Crédit agricole soutient quant à lui que M. [O] [V] aurait mentionné dans la fiche de renseignements établie le 15 avril 2008 que la valeur de son patrimoine était de 150 000 euros, outre les parts sociales qu'il détient dans le capital de l'EARL et dont il n'établit pas la valeur vénale.
Ainsi que l'ont pertinemment relevé les premiers juges, la fiche de renseignement mentionne bien une valeur de patrimoine immobilier de 150 000 euros, et non de 100 000 euros comme l'allègue M. [O] [V].
En revanche, rien ne démontre que la valeur des parts de l'EARL, que la caution venait de créer pour reprendre l'exploitation familiale, ait pu avoir une valeur vénale notablement supérieure au montant du capital social.
Dès lors, il est manifeste que, même en tenant compte des modestes revenus de la caution, son engagement de caution de 299 000 euros était, au moment où il a été souscrit, disproportionné.
D'autre part, pour rapporte la preuve, qui lui incombe, que M. [O] [V] pouvait faire face à son engagement de caution au moment où il a été appelé par assignation du 4 mars 2015, le Crédit agricole fait valoir que sa créance garantie par le cautionnement litigieux n'était plus, alors, que de 126 618,16 euros outre les intérêts, soit 38 052,63 euros au titre du prêt n° 297 et 88 565,53 euros au titre du prêt n° 288, et qu'il n'était pas démontré que le patrimoine immobilier de la caution, acquis le 27 janvier 2006 moyennant le prix de 159 000 euros et évalué dans la fiche de renseignements patrimoniaux du 15 avril 2008 à 150 000 euros, ait pu subir depuis lors une dépréciation notable.
Cependant, M. [O] [V] produit l'acte de vente de son bien immobilier, révélant que celui-ci, effectivement vendu au prix de 159 000 euros, avait été acquis en indivision, chacun pour moitié, avec sa compagne Mme [Z], ce qui, nonobstant le fait que cette circonstance n'ait pas été mentionnée dans la fiche de renseignements, était connu de la banque puisque la même caisse de Crédit agricole leur avait consenti en 2006 un concours global de 155 611 euros pour financer cette acquisition.
Il ressort en outre des tableaux d'amortissement produits qu'il restait dû, au titre de ces prêts au moment où la caution a été appelée, un capital total de 117 789 euros, de sorte que la valeur nette du bien immobilier n'était en réalité que de 41 211 euros et que la part des droits indivis de M. [O] [V] sur celui-ci n'était donc que de 20 605 euros.
Il sera de surcroît observé que, du fait des sérieuses difficultés financières rencontrées à l'époque par l'EARL, se manifestant notamment par l'impossibilité de faire face aux échéances de remboursement des prêts et aux cotisation dues à la MSA, son gérant ne pouvait pratiquement plus opérer de prélèvements pour se rémunérer depuis 2014, et que la valeur de ses parts sociales ne pouvait plus être très élevée.
Dès lors, M. [O] [V] ne pouvait faire face, au moment où il a été appelé, à son engagement de caution, qui était disproportionné au moment où il a été souscrit.
Il s'en évince que le Crédit agricole ne peut s'en prévaloir et qu'il sera en conséquence débouté de ses demandes formées à son encontre, le jugement attaqué étant réformé en ce sens.
Sur la créance de la banque à l'égard des époux [G] [V]
Il résulte de l'article L. 341-1 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable à la cause, que toute personne physique qui s'est portée caution est informée par le créancier professionnel de la défaillance du débiteur principal dès le premier incident de paiement non régularisé dans le mois de l'exigibilité de ce paiement, à défaut de quoi la caution ne saurait être tenue au paiement des pénalités ou intérêts de retards échus entre la date de ce premier incident et celle à laquelle elle en a été informée.
Or, les époux [G] [V] n'ont été informés de la défaillance de l'EARL, survenue à compter des échéances du 20 juin 2014, que par lettre recommandée avec avis de réception du 6 février 2015.
Le Crédit agricole encourt donc en principe la déchéance du droit du prêteur aux pénalités et intérêts de retard échus entre le 20 juin 2014 et le 6 février 2015, mais la banque n'ayant sollicité le paiement des intérêts de retard qu'à compter de cette décision, et l'indemnité de défaillance n'étant devenue exigible que le jour de la déchéance du terme du 16 février 2015, postérieurement à la période de déchéance, cette dernière est inopérante.
Par ailleurs, il résulte de l'article L. 313-22 du code monétaire et financier que les établissements de crédit ou les sociétés de financement ayant accordé un concours financier à une entreprise, sous la condition du cautionnement par une personne physique ou une personne morale, sont tenus, au plus tard avant le 31 mars de chaque année, de faire connaître à la caution le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente, le défaut d'accomplissement de cette formalité emportant, dans les rapports entre la caution et le créancier, déchéance des intérêts échus depuis la précédente information jusqu'à la date de communication de la nouvelle information, et les paiements effectués par le débiteur principal étant réputés affectés prioritairement au règlement du principal de la dette.
D'autre part, il résulte de l'article L. 341-6 devenu L. 333-2 et L. 343-6 du code de la consommation que le créancier professionnel fait connaître à la caution personne physique, au plus tard avant le 31 mars de chaque année, le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation garantie, à défaut de quoi la caution ne saurait être tenue au paiement des pénalités ou intérêts de retard échus depuis la précédente information jusqu'à la date de communication de la nouvelle information.
Enfin, il résulte de l'article 2303 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 15 septembre 2021 entrée en vigueur le 1er janvier 2022 et immédiatement applicable aux cautionnements en cours, que le créancier professionnel est tenu d'informer toute caution personne physique de la défaillance du débiteur principal dès le premier incident de paiement non régularisé dans le mois de l'exigibilité de ce paiement, à peine de déchéance de la garantie des intérêts et pénalités échus entre la date de cet incident et celle à laquelle elle en a été informée, les paiements effectués par le débiteur pendant cette période étant, dans les rapports entre le créancier et la caution, imputés prioritairement sur le principal de la dette.
Pour démontrer avoir satisfait à son obligation d'information annuelle de la caution, le Crédit agricole produit une copie des courriers adressés entre janvier 2010 et mars 2020 au titre de l'encours des prêts garantis au 31 décembre de l'année précédente, ainsi que des constats d'huissier établis chaque année dans les locaux d'une filiale de la banque entre 2010 et 2018 afin d'attester de l'expédition des courriers à destination des cautions.
Les époux [G] [V] soutiennent que les courriers des années 2010, 2011 et 2012 seraient douteux et que les constats d'huissier, basés sur des sondages, seraient impropres à démontrer que des lettres d'information leurs ont bien été annuellement adressées.
Les courriers afférents aux années 2010 à 2012 ne sont en effet pas des photocopies des lettres adressées aux cautions, mais des rematérialisations informatiques des plis conservés sous forme dématérialisée.
Pour autant, ils permettent de vérifier que le contenu des informations délivrées aux époux [G] [V] est bien conforme aux exigences des textes précités.
De même, les constats d'huissiers produits établissent, grâce à des sondages basés sur un nombre suffisamment significatif de vérifications, que les courriers établis par la banque ont bien été, au cours de toutes ces années, expédiés aux cautions, l'attestation de l'huissier produite en cause d'appel permettant de surcroît de s'assurer que les époux [G] [V] figuraient bien sur les listes de cautions destinataires de courriers d'information à partir desquelles les sondages ont été effectués.
Le Crédit agricole démontre donc avoir satisfait à son obligation d'information annuelle jusqu'au 23 janvier 2018.
En revanche, alors qu'il est de principe que cette obligation d'information perdure, postérieurement à l'assignation de l'emprunteur et des cautions ainsi qu'au jugement de première instance, jusqu'au règlement intégral de la créance, les copies de courriers de février 2019 et mars 2020 ne sont pas étayés par des constats d'huissier, et les courriers de 2021 et 2022 ne sont pas même produits.
Il convient donc de prononcer la déchéance du droit du prêteur aux intérêts à compter du 23 janvier 2018, ce qui revient, compte tenu de ce que la banque n'a pas réclamé le paiement d'intérêts entre le 23 janvier 2018 et le jugement du 4 novembre 2019 et qu'aucun règlement n'a été effectué par l'emprunteur principal durant la période de déchéance, à substituer le taux légal au taux contractuel majoré à compter de cette dernière date.
Il s'en évince que les époux [G] [V] seront condamnés au paiement des sommes de 88 565,53 euros au titre du prêt n° 288 et de 38 052,63 euros au titre du prêt n° 297, avec intérêts au taux légal à compter du 4 novembre 2019, chacun dans la limite de leur engagement de caution de 119 600 euros, le jugement attaqué étant réformé de ce chef.
Sur la capitalisation des intérêts
Le Crédit agricole sera, en application de l'article 1343-2 du code civil, autorisé à capitaliser les intérêts de retard par années entières, le jugement attaqué étant confirmé de ce chef.
Sur la mise en garde
Au soutien de leur demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts et en compensation, les époux [G] [V] soutiennent que le Crédit agricole aurait manqué à son devoir de mise en garde relativement aux risques nés de l'endettement de l'EARL, sur la situation de laquelle la banque ne se serait pas renseignée alors qu'au regard de ses capacités de remboursement et du caractère disproportionné du cautionnement consenti par son gérant, l'opération était aventureuse, et même manifestement vouée à l'échec.
Il est à cet égard exact que la banque dispensatrice de crédit est tenue, à l'égard de cautions non averties, d'un devoir de mise en garde portant à la fois sur l'inadéquation de sa situation financière à son engagement de caution, ce qui n'est en l'espèce pas invoqué, ainsi que sur le risque né d'un endettement excessif de l'emprunteur au regard des capacités de remboursement de celui-ci.
Cependant, le Crédit agricole fait à juste titre observer qu'il n'était tenu d'aucun devoir de mise en garde à l'égard des époux [G] [V] qui étaient des cautions averties.
En effet, le financement octroyé ne présente aucun caractère de complexité, s'agissant de prêts amortissables à long terme à taux fixe, et non d'un montage financier sophistiqué ou d'une opération spéculative.
D'autre part, l'opération financée s'inscrivait dans la reprise, au travers d'une EARL créée à cet effet en 2008, de l'exploitation familiale dont le chef avait longtemps été M. [G] [V], jusqu'en 2005, puis son épouse, Mme [T] [U], de 2005 à 2008.
Ils avaient ainsi, avant de se porter cautions, acquis l'un et l'autre la compétence et l'expérience de la gestion d'une exploitation agricole, qu'ils connaissaient parfaitement, ainsi que du financement de son matériel et de son cheptel, et étaient dès lors en mesure d'apprécier le contenu, la portée et les risques liés au concours consenti.
Enfin, comme l'ont pertinemment relevé les premiers juges, ils ne prétendent pas et, en tous cas, ne démontrent pas que la banque détenait sur l'opération financée des informations qu'eux-mêmes auraient ignorées.
Il convient donc de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts des époux [G] [V].
Sur les délais de grâce
Il n'y a par ailleurs pas matière d'accorder un délai de grâce aux intimés, ceux-ci ayant déjà bénéficié des larges délais de la procédure et la dette étant ancienne.
Les demandes formées à ce titre ont donc été à juste titre rejetées par le jugement attaqué.
Sur les frais irrépétibles
La condamnation de M. [O] [V] à indemniser les frais irrépétibles de première instance exposés par le Crédit agricole ainsi qu'aux dépens de première instance sera réformée, celui-ci n'ayant pas succombé.
Il n'y a par ailleurs pas matière à application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de quiconque en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
Infirme le jugement rendu le 4 novembre 2019 par le tribunal de grande instance de Rennes en ce qu'il a condamné :
M. [O] [V] au paiement des sommes de 34 247,37 euros au titre du prêt n° 297, 79 708,98 euros au titre du prêt n° 288 et 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance,
M. [G] [V] et Mme [T] [U] épouse [V] au paiement des sommes de 38 052,63 euros au titre du prêt n° 297 et 88 565 euros au titre du prêt n° 297, sous déduction de l'ensemble des intérêts contractuels, frais et accessoires, l'ensemble des paiements antérieurs étant imputés sur le capital ;
Dit que la caisse régionale de Crédit agricole mutuel d'Ille-et-Vilaine ne peut se prévaloir de l'engagement de caution de M. [O] [V] ;
La déboute de toutes ses demandes formées à l'encontre de celui-ci ;
Prononce, à l'égard de M. [G] [V] et Mme [T] [U] épouse [V], la déchéance du droit de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel d'Ille-et-Vilaine aux intérêts contractuels à compter du 23 janvier 2018 ;
Condamne M. [G] [V] et Mme [T] [U] épouse [V] au paiement des sommes de 88 565,53 euros au titre du prêt n° 288 et de 38 052,63 euros au titre du prêt n° 297, chacun dans la limite de 119 600 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 4 novembre 2019 ;
Confirme le jugement attaqué en ses autres dispositions, sauf à préciser que la condamnation de l'EARL [Adresse 9] au paiement de la somme de 28 848,09 euros ne produira intérêts qu'au taux légal à compter du 4 novembre 2019 ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
Condamne l'EARL [Adresse 9], M. [G] [V] et Mme [T] [U] épouse [V] aux dépens de première instance et d'appel ;
Accorde le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Rejette toutes autres demandes contraires ou plus amples.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT