2ème Chambre
ARRÊT N°67
N° RG 20/00015
N° Portalis DBVL-V-B7E-QLWX
(1)
Mme [O] [K]
C/
Société CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE PLEYBER CHRIST
Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
- Me CAHOURS
- Me LAURENT
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 03 FEVRIER 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Joël CHRISTIEN, Président de Chambre,
Assesseur : Monsieur David JOBARD, Président de Chambre,
Assesseur : Madame Hélène BARTHE-NARI, Conseillère,
GREFFIER :
Mme Aichat ASSOUMANI, lors des débats, et Madame Ludivine MARTIN, lors du prononcé,
DÉBATS :
A l'audience publique du 06 Décembre 2022
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 03 Février 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
Madame [O] [K]
née le [Date naissance 3] 1968 à [Localité 6]
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentée par Me Mélanie CAHOURS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de BREST
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/001384 du 21/02/2020 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de RENNES)
INTIMÉE :
CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE PLEYBER CHRIST
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Cyril LAURENT de la SELARL BRITANNIA, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de BREST
EXPOSÉ DU LITIGE
Par contrat du 16 février 2007 réitéré par acte authentique des 22 et 26 février 2007, la caisse de Crédit mutuel de Pleyber Christ (le Crédit mutuel) a, en vue de financer l'acquisition d'un immeuble à usage d'hôtel-restaurant, consenti à la SCI de la Gare (la SCI) un prêt professionnel d'un montant de 216 000 euros au taux de 4,50 % l'an, remboursable en 180 mensualités de 1 652,39 euros.
Prétendant que les échéances de remboursement n'étaient plus honorées depuis avril 2014, le prêteur s'est, par courrier recommandé du 9 octobre 2014, prévalu de la déchéance du terme et a, par acte du 13 avril 2016, fait délivrer à la société emprunteuse un commandement aux fins de saisie immobilière de l'immeuble financé.
Le juge de l'exécution de Brest a, par jugement d'orientation du 11 octobre 2016, arrêtée au 18 janvier 2016 la créance du Crédit mutuel à la somme de 154 483,26 euros, avec intérêts postérieurs et accessoires, et autorisé la SCI à vendre le bien saisi à l'amiable, laquelle a finalement eu lieu au prix de 78 899 euros encaissé par le Crédit mutuel le 20 novembre 2017.
Après avoir vainement mis la SCI en demeure de payer le solde de sa créance par lettre recommandée du 1er décembre 2017 et mandaté un huissier lui ayant délivré le 24 avril 2018 un certificat d'irrécouvrabilité, le Crédit mutuel a, par actes des 4 et 5 juillet 2018, fait assigner M. [Y] [G] et Mme [O] [K], associés de la SCI à parts égales, en paiement du passif social devant le tribunal de grande instance de Brest.
M. [G] a transigé avec la demanderesse, tandis que Mme [K] a invoqué la responsabilité de la banque pour manquement à son devoir d'information et de mise en garde à l'égard des associés de la société emprunteuse.
Par jugement du 20 novembre 2019, les premiers juges ont :
constaté le désistement du Crédit mutuel de ses demandes dirigées contre M. [G],
condamné Mme [K] à verser au Crédit mutuel la somme de 46 643,91 euros, avec intérêts au taux de 7,50 % à compter du 1er décembre 2017 sur le principal de 23 679,75 euros,
déclaré l'action en responsabilité de Mme [K] dirigée contre le Crédit mutuel recevable au regard du délai de prescription,
débouté Mme [K] de toutes ses demandes,
débouté le Crédit mutuel du surplus de ses demandes,
dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire,
condamné Mme [K] aux entiers dépens.
Mme [K] a relevé appel de ce jugement le 31 décembre 2019, pour demander à la cour de :
à titre principal, dire que le Crédit mutuel ne démontre pas l'existence de vaines poursuites à l'encontre de la SCI,
en conséquence, infirmer le jugement entrepris et débouter le Crédit mutuel de toutes ses demandes plus amples et contraires,
à titre subsidiaire, confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a déclaré l'action en responsabilité de Mme [K] recevable au regard du délai de prescription,
infirmer pour le surplus et dire que le Crédit mutuel a commis une faute délictuelle à l'égard de Mme [K] en ne l'informant pas des conséquences éventuelles de l'engagement de la SCI sur les associés et en ne vérifiant pas leurs facultés à pouvoir faire face au passif social,
condamner en conséquence le Crédit mutuel au paiement d'une somme de 46 440 euros à titre de dommages-intérêts,
ordonner la compensation avec toute somme qui pourrait être mise à la charge de Mme [K],
débouter le Crédit mutuel de toutes ses demandes plus amples et contraires,
à titre infiniment subsidiaire, accorder à Mme [K] un délai de paiement de deux ans,
dire n'y avoir lieu à exécution provisoire de la décision à intervenir,
condamner le Crédit mutuel au paiement d'une indemnité de 2 000 euros au titre de l'article 37 de la loi relative à l'aide juridique, ainsi qu'aux entiers dépens.
Le Crédit mutuel demande à la cour de :
confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a condamné Mme [K] au paiement de la somme de 46 643,91 euros, avec intérêts au taux de 7,50 % à compter du 1er décembre 2017,
déclarer irrecevable la demande reconventionnelle de Mme [K] pour cause de prescription,
en tout état de cause, débouter Mme [K] de toutes ses demandes,
condamner Mme [K] au paiement d'une indemnité de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour Mme [K] le 10 octobre 2022 et pour le Crédit mutuel le 11 octobre 2022, l'ordonnance de clôture ayant été rendue le 13 octobre 2022.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Il résulte des dispositions des articles 1857 et 1858 du code civil que les associés d'une société civile répondent, à l'égard des tiers, des dettes sociales indéfiniment à proportion de leur part dans le capital, mais qu'ils ne peuvent être poursuivis par un créancier qu'après que celui-ci eut préalablement et vainement poursuivi la société.
En l'occurrence, les premiers juges ont, par d'exacts motifs, relevé que le Crédit mutuel, ayant octroyé son concours par acte authentique, disposait d'un titre exécutoire à l'encontre de la SCI et que le jugement d'orientation du juge de l'exécution de Brest avait fixé le montant de sa créance à 154 483,26 euros arrêtés au 18 janvier 2016, outre les intérêts postérieurs, si bien qu'après encaissement du prix de vente de l'immeuble de 78 899 euros mais en tenant compte des intérêts de retard postérieurs à l'arrêté de compte du 18 janvier 2016 au taux contractuel de 4,50 % majoré de trois points, soit 7,50 %, le solde de sa créance arrêté au 1er décembre 2017 était de 93 287,82 euros.
Ils ont également pertinemment relevé que le bien immobilier financé avait été vendu et son prix encaissé par le Crédit mutuel sans qu'il soit suffisant pour solder sa créance, et que celui-ci avait alors vainement tenté de faire pratiquer des saisies-attribution sur les comptes ouverts par la SCI auprès de diverses banques sans que ces mesures d'exécution forcées aboutissent, de sorte que le prêteur est bien fondé à poursuivre Mme [K], détenant la moitié du capital social de la SCI, afin d'obtenir le paiement de 50 % de sa créance, soit 46 643,91 euros, outre les intérêts au taux de 7,50 % à compter de l'arrêté de compte du 1er décembre 2017 sur le principal résiduel de 23 679,75 euros.
Mme [K] prétend à cet égard à tort que le Crédit mutuel ne démontrerait pas suffisamment l'existence de vaines poursuites contre la SCI, alors qu'outre ce qui a été précédemment relevé par les premiers juges, la cour observe que l'huissier mandaté par le créancier afin de recouvrer le solde de sa créance lui avait délivré le 24 avril 2018 un certificat d'irrecouvrabilité, duquel il ressort que les recherches opérées avaient révélé que la SCI n'était propriétaire d'aucun véhicule et d'aucun autre bien immobilier que celui déjà vendu, que l'ensemble des comptes bancaires identifiés présentaient un solde débiteur, et que la procédure de saisie-vente engagée par commandement du 26 juillet 2017 n'avait pas davantage abouti.
L'appelante soutient par ailleurs que le prêteur aurait engagé à son égard sa responsabilité délictuelle, en acceptant de financer la SCI à hauteur de 216 000 euros sans l'informer du risque qu'elle encourrait en sa qualité d'associée non avertie dépourvue de surface financière et personnellement endettée, et sans même s'être renseigné sur sa situation.
Le Crédit mutuel prétend de son côté à tort que cette demande en paiement de dommages-intérêts et en compensation serait irrecevable comme prescrite, alors que le délai de prescription applicable est celui de l'article L. 110-4 du code de commerce, de dix ans ramenés à cinq ans par la loi du 17 juin 2008, et que ce délai n'a pu commencer à courir qu'à compter de l'apparition du dommage, c'est à dire du jour où Mme [K] a été appelée à garantir le passif social.
Cependant, le Crédit mutuel, dont rien ne démontre qu'il soit intervenu dans la reprise de l'hôtel-restaurant pour concevoir le montage juridique de l'opération, n'était débiteur d'aucun devoir d'information et de conseil à l'égard de Mme [K], avec laquelle il n'avait pas de lien contractuel, relativement aux risques encourus par les associés d'une SCI ne pouvant faire face à son passif social.
Le prêteur n'avait notamment pas à faire mentionner dans son contrat que les associés de la SCI emprunteuse était indéfiniment tenus au passif social à proportion de leur part dans le capital social, cette obligation d'information incombant au notaire ayant rédigé les statuts, qui s'en est au demeurant acquitté en rappelant expressément dans cet acte du 22 février 2007 les règles légales d'engagement des associés à l'égard des tiers.
D'autre part, il est de principe que, lorsque l'emprunteur est une société civile immobilière, seule cette dernière est créancière de l'obligation de mise en garde qui pèse sur le prêteur, et non ses associés, même si ceux-ci sont tenus indéfiniment des dettes sociales.
Et, en l'espèce, le Crédit mutuel n'était tenue d'aucun devoir de mise à l'égard de la SCI, dès lors qu'elle était une emprunteuse avertie.
En effet, le caractère averti d'une personne morale s'apprécie en la personne de son représentant légal, et non en celle de ses associés même si ces derniers sont tenus solidairement des dettes sociales.
Or, la SCI a été constituée en vue de l'acquisition d'un immeuble à usage d'hôtel et de restaurant et avait, selon le registre du commerce et des sociétés, pour objet social 'la propriété, la gestion, l'administration et la disposition de tous les biens dont elle pourra devenir propriétaire'.
D'autre part, M. [G], son co-gérant qui la représentait en qualité de fondateur de la société lors de la conclusion du contrat de prêt du 16 février 2007, était le dirigeant de l'hôtel-restaurant depuis plusieurs années, le prêt ayant par surcroît pour objet de financer le rachat des murs auprès de celui-ci.
Au surplus, Mme [K] n'apporte nullement la preuve, qui lui incombe, que le crédit consenti à la SCI était excessif ou que l'opération était manifestement vouée à l'échec, alors que, comme le souligne la banque, les échéances de remboursement ont été honorées durant sept ans.
Par ailleurs, il n'y a pas matière à accorder un délai de grâce à Mme [K], celle-ci ayant déjà bénéficié des larges délais de la procédure et la dette étant ancienne.
Il convient donc de confirmer le jugement attaqué en tous points.
Il serait enfin inéquitable de laisser à la charge du Crédit mutuel l'intégralité des frais exposés par lui à l'occasion de l'instance d'appel et non compris dans les dépens, en sorte qu'il lui sera alloué une somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
Confirme le jugement rendu le 20 novembre 2019 par le tribunal de grande instance de Brest en toutes ses dispositions ;
Condamne Mme [O] [K] à payer à la caisse de Crédit mutuel de Pleyber Christ une somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Mme [O] [K] aux dépens d'appel ;
Rejette toutes autres demandes contraires ou plus amples.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT