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31/01/2023 | FRANCE | N°21/06650

France | France, Cour d'appel de Rennes, 1ère chambre, 31 janvier 2023, 21/06650


1ère Chambre





ARRÊT N°30/2023



N° RG 21/06650 - N° Portalis DBVL-V-B7F-SEOA













M. [Z] [R]

S.E.L.A.R.L. [R]-PINEAU



C/



CRCAM DE L'ANJOU ET DU MAINE JOU ET DU MAINE



















Copie exécutoire délivrée



le :



à :











RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU

31 JANVIER 2023





COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Monsieur Fabrice ADAM, Premier Président de chambre,

Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère entendue en son rapport,





GREFFIER :



M...

1ère Chambre

ARRÊT N°30/2023

N° RG 21/06650 - N° Portalis DBVL-V-B7F-SEOA

M. [Z] [R]

S.E.L.A.R.L. [R]-PINEAU

C/

CRCAM DE L'ANJOU ET DU MAINE JOU ET DU MAINE

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 31 JANVIER 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Fabrice ADAM, Premier Président de chambre,

Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère entendue en son rapport,

GREFFIER :

Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 22 Novembre 2022

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 31 Janvier 2023 par mise à disposition au greffe après prorogation du délibéré annoncé au 24 janvier 2023 à l'issue des débats

****

APPELANTS :

Monsieur [Z] [R]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représenté par Me Charlotte LALLEMENT de la SELARL LALLEMENT SOUBEILLE & ASSOCIES, avocat au barreau de NANTES

La S.E.L.A.R.L. [R]-PINEAU, société d'avocats, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Charlotte LALLEMENT de la SELARL LALLEMENT SOUBEILLE & ASSOCIES, avocat au barreau de NANTES

INTIMÉE :

La CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL DE L'ANJOU ET DU MAINE, immatriculée au RCS de Le Mans sous le n° 414993998, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 6]

[Localité 2]

Représentée par Me Alexandre TESSIER de la SELARL BAZILLE, TESSIER, PRENEUX, avocat au barreau de RENNES

EXPOSÉ DU LITIGE

Entre 1985 et 1989, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de l'Anjou et du Maine (ci-après la CRCAM) consentait à M. [T] [P] quatre prêts pour les besoins de son activité professionnelle dont ses parents, [I] [P] et [O] [P], se portaient cautions solidaires à hauteur de 70.698,23 €.

Le 25 mai 1998, la CRCAM prononçait la déchéance du terme pour l'ensemble des prêts souscrits, tant à l'égard du débiteur principal que des cautions.

Par jugement du tribunal de grande instance de Saumur du 5 juin 1998, une procédure de redressement judiciaire était ouverte à l'égard de [T] [P]. Après un plan de continuation, la liquidation judiciaire était prononcée le 2 mars 2007.

Par acte d'huissier du 26 février 2008, la CRCAM faisait assigner [I] [P] et [O] [P] devant le tribunal de grande instance de Saumur aux fins de les voir condamnés, en leur qualité de cautions solidaires, à lui payer la somme totale de 98.518,89 €.

Dans le cadre de cet instance, ils étaient assistés de Me [Z] [R], avocat à [Localité 2]. Par jugement du 19 mars 2010, le tribunal de Saumur retenait une disproportion de l'engagement des cautions et un défaut de mise en garde de la part de la banque. Il fixait le préjudice subi par les époux [P] à la somme de 30.000 €.

La CRCAM interjetait appel de cette décision et par arrêt du 12 juin 2012, la cour d'appel d'Angers condamnait [I] et [O] [P] à payer à la CRCAM la somme de 26.672,66 € avec intérêts au taux légal à compter du 30 novembre 2011 au titre des prêts souscrits par leur fils dont ils étaient cautions solidaires, et condamnait la CRCAM à leur verser la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

*****

La CRCAM avait également consenti des prêts à l' Eurl de la Grande Dîme dont M. [T] [P] était le gérant, pour plus de 300 000 €. Les parents [I] et [O] [P] s'étaient engagés au titre de ces prêts en qualité de cautions hypothécaires.

Dans le cadre de la liquidation judiciaire de M. [T] [P], l'immeuble objet des prêts hypothécaires faisait l'objet d'une vente amiable par Me [J], notaire à [Localité 8] (49), au prix de 100 000 €.

Par suite d'une donation partage intervenue le 9 juillet 1984, cet immeuble était détenu à 70% par M. [T] [P] en tant que nu-propriétaire et à 30 % par les époux [I] et [O] [P], en tant qu'usufruitiers.

Le liquidateur procédait à la répartition du prix de vente. Les fonds revenant à M. [T] [P] étaient adressés à la CRCAM tandis que les 30% restants, revenant aux époux [I] et [O] [P], demeuraient entre les mains de Me [J].

*****

Après avoir été définitivement condamnés par la cour d'appel d'Angers à régler à la CRCAM la somme de 26.672,66 € outre les intérêts au titre de leurs engagements de cautions, les époux [I] et [O] [P] faisaient savoir à leur avocat Me [R], qu'ils disposaient de fonds en l'étude de Me [J], notaire à [Localité 8] (49), provenant de la vente de l'immeuble dont ils étaient usufruitiers.

Par télécopie du 22 juin 2012, Me [R] demandait à Me [J] le transfert des fonds revenant à ses clients, soit la somme de 29.776,50 €. Le 7 janvier 2013, le notaire adressait un chèque de 30.332,68 € qui était déposé sur le compte CARPA de Me [R].

Par courrier officiel du 2 décembre 2014, Me [H], avocat de la CRCAM sollicitait le règlement des causes de l'arrêt de la cour d'appel d'Angers à hauteur de 26.672,66 € et avisait par ailleurs Me [R] qu'il restait dû à la CRCAM, en vertu d'un cautionnement hypothécaire pris sur l'immeuble vendu, la somme de 177.130,72 €. À cet égard, il lui demandait de lui confirmer qu'il était toujours en possession des sommes transmises par le notaire.

Le 6 mai 2015, un chèque de 23.391,01 € a été émis du compte CARPA de Me [R] au profit de la CRCAM.

Par courrier du 2 octobre 2019, Me [H] interrogeait Me [R] sur le sort de la somme de 30.000 € qui était grevée d'une inscription hypothécaire au profit de la CRCAM et qu'il devait répartir, étant devenu le séquestre des fonds remis par le notaire.

En réponse, Me [R] faisait savoir le 6 novembre 2019 à Me [H] qu'il n'avait jamais eu connaissance de la qualité de séquestre de Me [J] et qu'il n'avait jamais lui-même été désigné séquestre.

Par acte d'huissier en date du 29 novembre 2019, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de l'Anjou et du Maine (CRCAM) faisait assigner Me [Z] [R] et la Selarl [R]-Pineau devant le tribunal de grande instance de Nantes aux fins de voir dire que Me [R] avait commis une faute engageant sa responsabilité et de le voir condamner à lui payer la somme de 30.000 € à titre de dommages et intérêts, outre celle de 4.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 23 septembre 2021, le tribunal judiciaire de Nantes a :

- dit que Me [Z] [R] a commis une faute en ne restituant pas l'intégralité de la somme reçue de Me [J] à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de l'Anjou et du Maine, engageant sa responsabilité,

- condamné Me [Z] [R] à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de l'Anjou et du Maine la Somme de 29.776,50 € en réparation du préjudice subi,

- débouté Me [Z] [R] et la Selarl [R]-Pineau de leur demande reconventionnelle,

- condamné Me [Z] [R] à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de l'Anjou et du Maine la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Suivant déclaration du 22 octobre 2021, Me [R] et sa société d'exercice la Selarl [R]-Pineau ont relevé appel de tous les chefs de ce jugement.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions transmises au greffe et notifiée le 19 janvier 2022 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des moyens et prétentions, Me [Z] [R] et la Selarl [R]-Pineau demandent à la cour de :

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Nantes le 23 septembre 2021,

Statuant à nouveau :

- débouter la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de l'Anjou et du Maine de toutes ses demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre de Monsieur [Z] [R] et de la Selarl [R]-Pineau,

- condamner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de l'Anjou et du Maine à payer à Monsieur [Z] [R] et à la Selarl [R]-Pineau la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de l'Anjou et du Maine en tous les dépens.

Me [R] conteste toute faute en soutenant que la qualité de séquestre de Me [J] n'est pas établie, faute d'accord en ce sens des époux [P] et qu'à la supposer établie, il n'est pas démontré qu'il en avait eu connaissance. Il considère que cette qualité de séquestre n'a donc pas pu lui être transférée en même temps que les fonds, contrairement à ce que prétend la CRCAM. Il précise qu'il n'est par ailleurs justifié d'aucun accord des parties ni de sa part pour le désigner en qualité de séquestre conventionnel.

Subsidiairement, il fait valoir que si la cour retenait l'existence d'une convention de séquestre dont les obligations lui auraient été transférées avec les fonds litigieux, il y aurait lieu de constater qu'aucune violation des obligations inhérentes au statut de séquestre ne pourrait lui être reprochée. Il expose notamment que la banque ne lui a jamais fourni les justificatifs de la créance hypothécaire qu'elle revendiquait. Il ajoute qu'une partie des fonds a été distribuée à la CRCAM, le solde ayant été conservé sur le compte CARPA. Il en conclut que la CRCAM ne peut se prévaloir d'aucun préjudice et que seule une éventuelle levée judiciaire d'un éventuel séquestre dont M. [R] serait reconnu dépositaire pourrait éventuellement être prononcée avec instruction donnée à Me [R] de verser à la banque le solde des sommes perçues du notaire.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises au greffe et notifiées le 14 avril 2022 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des moyens et prétentions, Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de l'Anjou et du Maine (CRCAM) demande à la cour de :

- débouter Me [R] et la Selarl [R]-Pineau de l'ensemble de ses demandes,

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nantes le 23 septembre 2021,

en conséquence,

- condamner Me [R] au paiement de la somme de 29. 776,50 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par la CRCAM du fait du manquement fautif commis par Me [R] en ne représentant pas les fonds détenus par ce dernier, alors même que la CRCAM a bénéficié d'un cautionnement hypothécaire en vertu duquel les fonds avaient été consignés par Me [J],

- condamner Me [Z] [R] au paiement d'une indemnité de 4.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Me [Z] [R] et la SELARL [R]-Pineau au paiement des entiers dépens.

La CRCAM rappelle qu'elle était titulaire à l'égard des époux [I] et [O] [P] tout à la fois d'une créance chirographaire d'un montant de 26.672,66 € au titre du solde des quatre prêts souscrits par M. [T] [P] pour lesquels ils s'étaient portés cautions solidaires, telle que fixée par l'arrêt de la cour d'appel d'Angers, et d'une créance hypothécaire, au titre d'un prêt pour lequel ils s'étaient portés cautions hypothécaires compte tenu de la vente du bien immobilier financé par ledit prêt hypothécaire dont une partie du prix de vente devait leur revenir en tant qu'usufruitiers.

MOTIVATION DE LA COUR

1°/ Sur la responsabilité de Me [R]

a. Sur la faute de l'avocat en qualité de séquestre

S'agissant du transfert des obligations du séquestre à Me [R]

Il résulte de l'article 1955 du code civil que le séquestre est conventionnel ou judiciaire.

L'article 1956 définit le séquestre conventionnel comme le dépôt fait par une ou plusieurs personnes, d'une chose contentieuse, entre les mains d'un tiers qui s'oblige de le rendre, après la contestation terminée, à la personne qui sera jugée devoir l'obtenir.

Comme l'a rappelé le premier juge, il ressort du jugement du tribunal de grande instance de Saumur du 19 mars 2010 en pages 9 et 10, que par acte au rapport de Me [S], notaire à [Localité 5] en date du 9 juillet 1984, [I] et [O] [P] ont fait donation à leurs enfants, [T] et [U] [P], de la nue-propriété de divers biens immobiliers situés à [Localité 7] (49).

Dans le lot attribué à M. [T] [P] se trouvaient les parcelles de terre (pré et verger), ainsi qu'une maison d'habitation située [Adresse 1] à [Localité 7].

Par ordonnance en date du 9 mars 2009, le juge commissaire à liquidation judiciaire de M. [T] [P] a autorisé Me [F] à céder de gré à gré pour la somme de 100 000 € la maison d'habitation.

Aux termes d'une télécopie adressée à la CRCAM le 8 avril 2011, l'étude de Me [J] indiquait :

« Le prix de vente concernant la liquidation judiciaire des époux [P] vous a été remis par Me [F], mandataire judiciaire et Me [J] détient à l'étude la somme revenant à Monsieur et Madame [P] parents (cautions hypothécaires) correspondant à leur usufruit et s'engage à la séquestrer puis vous la remettre en cas d'issue favorable au Crédit Agricole dans la procédure en cours ».

Le 11 avril 2011, la CRCAM répondait au notaire en ces termes: « Le prix de vente correspondant à l'usufruit de Monsieur et Madame [P] [I] restera consigné en vos livres jusqu'à l'issue de la contestation de notre créance par les époux [P] [I]. En cas d'issue favorable au Crédit Agricole, l'intégralité du prix de vente nous sera remise, augmentée des intérêts générés par cette somme sur simple présentation d'un décompte actualisé ».

Il résulte de ces échanges que Me [J] s'est expressément engagé en qualité de tiers dépositaire du prix de vente correspondant à l'usufruit des époux [P], ce que la CRCAM a tout aussi expressément accepté, alors même qu'étant titulaire d'une hypothèque sur l'immeuble, elle pouvait appréhender le prix de vente indépendamment de l'issue du litige qui l'opposait aux époux [P], au titre d'autres prêts pour lesquels ils étaient engagés en tant que cautions solidaires.

S'agissant des époux [P], il est manifeste qu'ils ont accepté la qualité de séquestre de Me [J] et la consignation en son étude des fonds issus de la vente survenue le 8 juillet 2009, dans la mesure où par courrier du 20 avril 2010, Me [J] adressait à Me [R], un courrier aux termes duquel il indiquait :

«Je suis actuellement titulaire d'un compte créditeur d'un montant de 29.776,50 €. Ce solde correspond à l'usufruit de Monsieur et Madame [I] [P] sur le prix de vente de la partie habitation vendue à Monsieur [G] à [Localité 7] : acte régularisé le 8 juillet 2009.

- 30% sur 100 000 € après déduction de la part des frais de diagnostic de 123,50 €.

Je vous saurais gré de bien vouloir me confirmer que Monsieur et Madame [I] [P], n'étant pas cautions hypothécaires de la créance du CRÉDIT AGRICOLE (étant à l'origine de la procédure collective de leur fils), qu'il n'existe aucun obstacle à ce que je vous transferts les fonds».

Ce courrier n'a appelé aucune contestation de la part des époux [P] ni de leur avocat.

Ce n'est d'ailleurs que par courrier du 22 juin 2012, que Me [R] a écrit à Me [J] pour solliciter le versement des sommes dues à ses clients.

Il s'en infère que la qualité de séquestre de Me [J] était parfaitement connue et acceptée par les époux [P].

Il existait donc bien un accord des parties pour instituer Me [J] en qualité de séquestre conventionnel.

Il résulte également de ce courrier du 20 avril 2010 que Me [R] avait également parfaitement connaissance de la qualité de séquestre de Me [J], contrairement à ce qu'il prétend.

Cette connaissance ressort également de la correspondance de Me [R] à Me [J] en date du 22 juin 2011, aux termes de laquelle l'avocat demandait au notaire le transfert de la somme de 29.776,50 € détenue en l'étude, en précisant : « Je vous confirme pour ce faire que les époux [P] et moi-même vous déchargeons de toute responsabilité ».

Comme l'a relevé à juste titre le premier juge, il est certain que Me [J] a contrevenu aux dispositions de l'article 1960 du Code Civil qui énonce que le dépositaire chargé du séquestre ne peut être déchargé avant la contestation terminée, que du consentement de toutes les parties intéressées ou pour une cause jugée légitime. Il a donc commis une faute en se libérant des fonds restés en son étude entre les mains de Me [R], alors qu'il n'est pas démontré que la CRCAM avait donné son accord à ce transfert de fonds, qui apparaît même contraire à ses intentions exprimées dans son courrier du 11 avril 2011.

L'erreur du notaire ne doit cependant pas empêcher de considérer que Me [R], en sollicitant le transfert des fonds figurant dans la comptabilité du notaire à son profit et en déchargeant expressément Me [J] de toute responsabilité, a accepté de répartir le prix de vente dans les mêmes conditions qu'aurait dû le faire le notaire, c'est à dire en respectant le rang des créanciers.

Au surplus, il est observé qu'en définitive, Me [R] s'est comporté comme un séquestre, dans la mesure où après avoir réglé les causes de l'arrêt de la cour d'Appel d'Angers, il n'a pas restitué aux époux [P] le solde des fonds perçus (soit la somme de 6.941,67 €) qu'il a au contraire conservée sur son compte CARPA, dans l'attente que la CRCAM justifie sa créance hypothécaire.

Sur la faute de Me [R] dans la répartition du prix de vente

Le 6 mai 2015, Me [R] a émis un chèque à l'ordre de la CRCAM de l'Anjou et du Maine d'un montant de 23.391,01 € en exécution des condamnations prononcées par la cour d'appel d'Angers dans son arrêt du 12 juin 2012.

En opérant une confusion entre les sommes issues de la vente de l'immeuble hypothéqué et celles dues au titre des quatre autres prêts, et en ne contrôlant pas que les époux [I] et [O] [P] étaient cautions hypothécaires de la créance de la CRCAM, Me [R] a commis une faute qui a privé la banque de pouvoir appréhender la totalité de la somme qui devait lui revenir en tant que créancier privilégié.

Il est observé que l'attention de Me [R] avait pourtant été particulièrement attirée à double titre.

En premier lieu, par Me [J] qui dans son courrier du 20 avril 2012, demandait à Me [R] : «  Je vous saurais gré de bien vouloir me confirmer que Monsieur et Madame [I] [P], n'étant pas cautions hypothécaires de la créance du CRÉDIT AGRICOLE (étant à l'origine de la procédure collective de leur fils), qu'il n'existe aucun obstacle à ce que je vous transferts les fonds», l'incitant ainsi à vérifier l'absence d'engagement de ses clients en tant que caution hypothécaire.

Au surplus, dans le courrier accompagnant la remise des fonds, le notaire précisait « Je vous remercie de bien vouloir consigner cette somme sur un compte CARPA, car je vous rappelle que vos clients sont cautions de leur fils, M. [T] [P], aujourd'hui en état de liquidation judiciaire. »

En second lieu, par le conseil de la CRCAM qui dans sa correspondance officielle du 2 décembre 2014 rappelait à Me [R] : « J'indique également pour être complet que Monsieur [P] [I] est également débiteur en vertu d'un cautionnement hypothécaire qui avait été pris sur l'immeuble et qui a été vendu, dont les fonds vous ont été transmis. »

Il est certain que Me [R] aurait dû régler prioritairement la CRCAM au titre de sa créance hypothécaire en lui reversant la totalité des fonds issus de la vente de l'immeuble reçus par Me [J], soit la somme de 30. 332,68 € au lieu de régler une dette personnelle et chirographaire des époux [P] à hauteur de 23.391,01 €.

La faute est caractérisée.

b. Sur le préjudice du CRCAM

Comme précédemment indiqué, Me [R] a émis le 6 avril 2015 un chèque à l'ordre de la CRCAM d'un montant de 23.391,01 € en règlement des condamnations prononcées par la cour d'appel d'Angers le 12 juin 2012.

Il convient de préciser qu'il avait été sollicité à ce titre par l'avocat de la CRCAM (Me [H]) aux termes d'un courrier en date du 2 décembre 2014.

Une grande partie des fonds issus de la vente du bien immobilier qui avaient été transférés sur le compte CARPA de Me [R] ont par conséquent servis à désintéresser la CRCAM, le solde étant demeuré sur le compte CARPA de l'avocat.

Aucune somme n'a été versée à des tiers ni restituée aux époux [P].

En définitive, c'est bien la CRCAM qui a été seule destinataire des fonds provenant de la vente du bien immobilier.

Le fait que Me [R] ait adressé les fonds en règlement des causes de l'arrêt de la cour d'appel d'Angers, n'empêchait en rien la CRCAM d'affecter lesdits fonds à sa créance hypothécaire et de poursuivre autrement le recouvrement des sommes obtenues en justice.

En définitive, la CRCAM ne justifie d'aucun préjudice autre que celui correspondant à la différence entre la somme qu'elle aurait dû percevoir de Me [J] et celle qui a été effectivement versée par Me [R].

Le manque à gagner pour la CRCAM résultant de la faute de Me [R] dans la libération des fonds dont il disposait n'est donc pas de 30.000 € ni même de 29 776,50 € comme l'a jugé à tort le tribunal, mais seulement de 6.941,67 € correspondant à la différence entre la somme transférée par Me [J] (30. 332,68 €) et celle déjà versée à la CRCAM ( 23.391,01 €).

Dans la mesure où cette somme se trouve toujours sur le compte CARPA de la Selarl [R]-Pineau, il convient d'en ordonner la déconsignation au profit de la CRCAM qui sera déboutée du surplus de ses demandes.

Le jugement sera donc infirmé en ce sens.

2°/ Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a mis les dépens à la charge de Me [Z] [R] et de la Selarl [R]-Pineau et en ce qu'il les a déboutés de leur demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Il convient de l'infirmer en ce qu'il a condamné Me [R] à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de l'Anjou et du Maine la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Succombant en appel, Me [Z] [R] et la Selarl [R]-Pineau seront condamnés in solidum aux dépens d'appel.

Il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. Par conséquent, chaque partie sera déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement rendu le 23 septembre 2021 par le Tribunal judiciaire de Nantes en ce qu'il a :

- condamné Me [Z] [R] à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de l'Anjou et du Maine la somme de 29.776,50 € en réparation du préjudice subi,

- condamné Me [Z] [R] à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de l'Anjou et du Maine la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Confirme le jugement déféré pour le surplus de ses dispositions ;

Et statuant à nouveau sur les chefs du jugement infirmés :

Condamne solidairement Me [Z] [R] et la Selarl [R] - Pineau à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de l'Anjou et du Maine la somme de 6.941,67 € en réparation du préjudice subi ;

Ordonne par conséquent, la déconsignation de la somme de 6.941,67 €, détenue sur le compte Carpa de la Selarl [R]-Pineau au bénéfice de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de l'Anjou et du Maine ;

Déboute Me [Z] [R] et la Selarl [R]- Pineau de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de l'Anjou et du Maine de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Me [Z] [R] et la Selarl [R]-Pineau aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

9


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21/06650
Date de la décision : 31/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-31;21.06650 ?
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