3ème Chambre Commerciale
ARRÊT N° 41
N° RG 20/05355 - N° Portalis DBVL-V-B7E-RBL7
SOCIETE MESA HOLDING SARL
C/
M. [D] [M]
Mme [L] [F] épouse [M]
S.A.R.L. HOLDING PAG FINANCES
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me DEMIDOFF
Me CHAUDET
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 31 JANVIER 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre,
Assesseur : Madame Fabienne CLEMENT, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseillère, rapporteur,
GREFFIER :
Madame Julie FERTIL, lors des débats, et Madame Lydie CHEVREL, lors du prononcé,
DÉBATS :
A l'audience publique du 22 Novembre 2022
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 31 Janvier 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
SOCIETE MESA HOLDING SARL prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 7]
[Localité 5]
Représentée par Me Nicolas MENAGE de la SELAS FIDAL, Plaidant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Eric DEMIDOFF de la SCP GAUVAIN, DEMIDOFF & LHERMITTE, Postulant, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉS :
Monsieur [D] [M]
né le [Date naissance 4] 1952 à [Localité 6]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Madame [L] [F] épouse [M]
née le [Date naissance 2] 1956 à [Localité 6]
[Adresse 1]
[Localité 3]
S.A.R.L. HOLDING PAG FINANCES, agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentés par Me Lydie LAPOUS de la SELARL LEMASSON & ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de SAINT-BRIEUC
Représentés par Me Jean-David CHAUDET de la SCP JEAN-DAVID CHAUDET, Postulant, avocat au barreau de RENNES substitué par Me Sandrine VIVIER, avocat au barreau de RENNES
Le Groupe Winco est constitué de trois sociétés, Loda, Winco Technologies et MCI Technologies détenues elles-mêmes par M. [M] et Mme [F], son épouse ainsi que par la société HOLDING PAG FINANCE.
Le 25 mars 2014, la société Mesa Holding s'est engagée à acquérir moyennant un prix de 6.200.000 euros auprès de la société PAG Finances et M. et Mme [M] les titres sociaux que ces derniers détenaient dans les trois sociétés. Cet engagement comportait certaines conditions suspensives.
La cession est intervenue le 26 juin 2014, M. et Mme [M] consentant ce jour- là en outre une garantie d'actif et de passif plafonnée à 1.200.000 euros.
Suivant acte du 15 juin 2016, la société MCI TECHNOLOGIES a donné congé à son bailleur, la SCI DU HAUT RAUSSAN, dont les parts sociales sont détenues par M et Mme [M].
Dans le cadre de ce congé, la société MCI TECHNOLOGIES a fait réaliser par l'APAVE un état diagnostic du milieu, qui aurait révélé, dans un rapport remis au mois de septembre 2016, l'enfouissement dans le sol, durant des années, de fibres céramiques réfractaires.
Une excavation des terres serait nécessaire, avec transport des matières jusqu'à un centre de traitement spécialisé, pour un coût d'environ 260.000 euros.
Par lettre recommandée du 20 janvier 2017, la société MESA HOLDING a adressé une mise en demeure à M. [M], désigné comme représentant des cédants dans le cadre de la garantie, afin de mettre en oeuvre la garantie de passif en réparation d'un préjudice de nature environnementale.
M. [M] a apporté une réponse le 07 février 2017.
Aucun accord n'a pu intervenir entre les parties.
Par acte du 24 novembre 2017, la société MESA HOLDING a assigné la société HOLDING PAG FINANCES ainsi que M et Mme [M] devant le tribunal de commerce de Saint-Brieuc aux fins de les voir condamner au paiement de la somme de 260.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 28 septembre 2020, le tribunal de commerce de Saint-Brieuc a:
- dit que la société MESA HOLDING n'a pas respecté le délai de 20 jours entre le rapport de l'APAVE et l'information portée aux consorts [M] et à la société PAG FINANCES
- dit que les Consorts [M] et Ia société PAG FINANCES ne démontrent pas avoir été privés d'un droit ou d'un recours quelconque,
- débouté les consorts [M] et la société PAG HOLDING de leur demande de déchéance contractuelle du bénéfice de la GAP au motif du non-respect par la société MESA HOLDING de son obligation d'information dans le délai imparti,
- dit que la Société MESA HOLDING était informée de la présence de fibres céramiques réfractaires préalablement à l'acquisition des titres,
- débouté les consorts [M] et la société PAG HOLDING de leur demande de déchéance contractuelle du bénéfice de la GAP au motif de la connaissance que la Société MESA HOLDING pouvait avoir des préjudices indemnisables,
- jugé que les articles du Code de l'environnement relatifs aux déchets ne s'appliquent pas à la présente affaire,
- dit que la société MESA HOLDING ne rapporte pas la preuve des désordres allégués et d'un prejudice,
- dit que les consorts [M] et la société HOLDING PAG FINANCES n'ont pas intentionnellement caché des informations déterminantes qui auraient pu entraver le consentement de la société MESA HOLDING,
- constaté qu'aucune déclaration inexacte des consorts [M] et de la société HOLDING PAG FINANCES n'a été émise dans le cadre de la convention de GAP en matière environnementale
- jugé qu'il n'y a pas lieu à la mise en oeuvre de la convention de GAP,
- débouté la Société MESA HOLDING de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- jugé que le préjudice des Consorts [M] et de la société HOLDING PAG FINANCES pour procédure abusive de la part de la société MESA HOLDING est fondé,
- condamné la société MESA HOLDING au paiement au profit des Consorts [M] et à la société HOLDING PAG FINANCES de la somme de 40 000€ au titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- condamné la société MESA HOLDING à verser aux Consorts [M] et à la société HOLDING PAG FINANCES la somme de 15 000€ au titre de l'articIe 700 du CPC,
- condamné la société MESA HOLDING aux dépens,
- dit les parties mal fondées en leurs demandes plus amples ou contraires au
dispositif du présent jugement, en conséquence les en a déboutées respectivement.
Appelante de ce jugement, la société MESA HOLDING, par conclusions du 10 novembre 2021, a demandé que la Cour:
- infirme intégralement le jugement du Tribunal de Commerce de Saint Brieuc,
- condamne in solidum Monsieur [D] [T] et son épouse Madame [L]
[F] épouse [M] ainsi que la société HOLDING PAG FINANCES à payer à la société MESA HOLDING la somme de 100.000 €,
- condamne in solidum Monsieur [D] [M] et son épouse Madame [L]
[F] épouse [M] ainsi que la société HOLDING PAG FINANCES à payer à la société MESA HOLDING la somme de 50.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamne les intimés in solidum aux entiers dépens
Par conclusions du 02 février 2022, la société HOLDING PAG FINANCES, M. [D] [M] et Mme [L] [F] épouse [M] ont demandé que la Cour:
- confirme le jugement entrepris en ce qu'iI a :
- jugé que Ia Société MESA HOLDING n'a pas respecté Ia convention de garantie,
- dit que Ia Société MESA HOLDING était informée de la présence de fibres céramiques réfractaires préalablement à I'acquisition des titres du groupe WINCO,
- réforme le jugement néanmoins en ce qu'il a débouté les intimés de leur demande de déchéance contractuelle de la convention de GAP, et statuant de nouveau déboute la société MESA HOLDING de toutes ses demandes, fins et conclusions, pour défaut de loyauté dans la conclusion du contrat,
- confirme le jugement entrepris en ce qu'iI a :
- jugé que les articles du Code de l'environnement relatifs aux déchets ne s'appliquent pas à la présente affaire,
- jugé que la Société MESA HOLDING ne rapporte pas la preuve des désordres allégués et d'un préjudice,
- jugé que les consorts [M] et la société PAG FINANCES n'ont pas intentionnellement caché des informations déterminantes qui auraient entravé le consentement de la société MESA HOLDING
- jugé qu'aucune declaration inexacte des consorts [M] et de la société PAG FINANCES n'a été émise dans le cadre de la convention de garantie de passif,
- jugé qu'il n'y a pas lieu à la mise en oeuvre de la garantie d'actif et de passif
- débouté la Société MESA HOLDING de toutes ses demandes fins et conclusions,
- jugé que le préjudice des consorts [M] et de Ia société PAG FINANCES pour procédure abusive de la part de la Société MESA HOLDING est caractérisé et en conséquence a condamné cette dernière société au paiement d'une somme de 40 000 € au profit des CEDANTS
- juge que la Société MESA HOLDING se désiste de sa demande de condamnation de la société PAG FINANCES et des époux [M] au paiement de la somme de 260 000 € sur le fondement du contrat de garantie, et de la demande subsidiaire de mise en oeuvre d'une expertise judiciaire,
- déboute la société MESA HOLDING de sa demande nouvelle portant sur la condamnation de la société PAG FINANCES et des époux [M] au paiement d'une somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive.
- condamne la société MESA HOLDING au paiement de la somme de 30.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamne la Société MESA HOLDING aux entiers dépens en ce compris les frais d'exécution.
MOTIFS DE LA DECISION:
Le litige était donc afférent à la crainte, pour le nouveau propriétaire des parts sociales de la société MCI TECHNOLOGIES, de voir la responsabilité de cette dernière être recherchée en qualité de pollueur du terrain sur lequel elle avait exercé son activité durant de nombreuses années et y avait enfoui des fibres céramiques réfactaires, ceci antérieurement à la cession des titres.
Ce terrain ainsi que les bâtiments d'exploitation étaient loués par la société MCI TECHNOLOGIES à une SCI DU HAUT RAUSSAN dont M. et Mme [M] détiennent les parts sociales, et dont M. [M] est le gérant.
La société MCI TECHNOLOGIES a donné congé le 15 juin 2016, au terme du bail.
La somme de 260.000 euros demandée par la société MESA HOLDING aux vendeurs au titre de la garantie d'actif et de passif représentait selon devis le coût d'excavation et de retraitement des fibres céramiques enfouies dans le sol.
Du 24 novembre 2017, date de l'assignation, aux troisièmes conclusions d'appelant du 10 novembre 2021, le débat, devant le premier juge puis devant la Cour, a porté exclusivement sur le fait de savoir d'une part si l'acquéreur avait eu connaissance de la pollution avant la vente, d'autre part, quelle était la législation applicable aux fibres céramiques, enfin, de savoir si l'excavation et le retraitement des terres était réellement indispensables.
La réponse des vendeurs pour s'opposer aux prétentions de l'acquéreur tenait donc en trois points: l'acquéreur était au courant avant la vente, l'absence de dangerosité des fibres était établie, les fibres ne généraient pas de pollution, et par conséquent ses demandes étaient infondées.
Les conclusions de chaque partie ont été complexes et techniques compte tenu de la matière.
Puis, dans des troisièmes conclusions du 10 novembre 2021, la société MESA HOLDING a conclu avoir découvert que le terrain avait été vendu par la SCI DU HAUT RAUSSAN en 2020, après qu'elle ait réalisé des travaux d'excavation et de retraitement des fibres.
La société MESA HOLDING versait aux débats l'acte de vente relatant la dépollution et son annexe 11 en précisant les modalités et la date.
Les époux [M] sont donc les détenteurs des parts sociales de la SCI DU HAUT RAUSSAN, dont M. [M] est le gérant.
La réalisation des travaux au cours du printemps et de l'été 2018 ne fait donc pas débat. La réticence des intimés à porter cette information à la connaissance du premier juge, qui a statué le 28 septembre 2020 sans détenir cette information, à la connaissance de la Cour, et à la connaissance de l'appelant non plus.
La réalisation des travaux rendait l'instance introduite par la société MESA HOLDING sans objet puisqu'elle ne courrait plus le risque d'être poursuivie en qualité de pollueur.
Il convient donc en premier lieu d'infirmer le jugement déféré et de dire sans objet les prétentions de la société MESA HOLDING à voir M et Mme [M] ainsi que la société HOLDING PAG FINANCES condamnés à lui payer la somme de 260.000 euros.
Il convient d'autre part d'examiner sa demande de dommages et intérêts pour rétention fautive durant la procédure d'une information qui aurait pu y mettre fin.
Que la société MESA HOLDING ait ou non été fondée dans ses prétentions initiales, la réalisation des travaux permettait d'y mettre fin, et ce, quelques soient les motifs ayant conduit à les faire exécuter.
Aucune explication n'est donnée sur le silence conservé sur cette information, constituant une réelle fraude au jugement quant on demande - et obtient - une somme de 40.000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive, procédure à laquelle on avait donc les moyens de mettre fin.
Trois années de procédure (de 2018, date des travaux, à septembre 2021, date de révélation des faits) ont été diligentées pour rien par la société MESA HOLDING, tandis que le tribunal de commerce a rendu un jugement sans objet.
La rétention d'information de M. et Mme [M], propriétaires des parts sociales de la SCI DU HAUT RAUSSAN est donc fautive et a occasionné un préjudice certain à la société MESA HOLDING, constitué des soucis et tracas inhérents à toute instance.
Ils sont par conséquent condamnés solidairement à lui payer une somme de 10.000 euros de dommages et intérêts.
Les intimés sont par ailleurs déboutés de leur propre demande indemnitaire, ne pouvant se prévaloir du moindre préjudice résultant d'une procédure à laquelle ils auraient eu les moyens de mettre fin à bref délai, et le jugement est infirmé de ce chef.
M. et Mme [M], qui succombent, sont solidairement condamnés aux dépens de première instance et d'appel et paieront à la société MESA HOLDING la somme de 30.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS:
La Cour,
Infirme le jugement déféré.
Statuant à nouveau:
Déclare sans objet les prétentions de la société MESA HOLDING visant à voir M et Mme [M] ainsi que la société HOLDING PAG FINANCES condamnés à lui payer la somme de 260.000 euros que ce soit sur le fondement de la garantie d'actif et de passif ou du dol.
Condamne solidairement Monsieur [M] et Madame [M] née [F] à payer à la société MESA HOLDING la somme de 10.000 euros de dommages et intérêts.
Déboute Monsieur et Madame [M] ainsi que la société HOLDING PAG FINANCES de leur demande de dommages et intérêts.
Condame solidairement Monsieur et Madame [M] à payer à la société MESA HOLDING la somme de 30.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Les condamne solidairement aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT