La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/01/2023 | FRANCE | N°18/04420

France | France, Cour d'appel de Rennes, 9ème ch sécurité sociale, 25 janvier 2023, 18/04420


9ème Ch Sécurité Sociale





ARRÊT N°



N° RG 18/04420 - N° Portalis DBVL-V-B7C-O646













Société [5]



C/



CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES COTES D'ARMOR





















Copie exécutoire délivrée

le :



à :











Copie certifiée conforme délivrée

le:



à:

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRA

NÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 25 JANVIER 2023



COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Madame Aurélie GUEROULT, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Véronique PUJES, Conseillère,

Assesseur : Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, Conseillère,



GREFFIER :



Monsieur Séraphin LARUE...

9ème Ch Sécurité Sociale

ARRÊT N°

N° RG 18/04420 - N° Portalis DBVL-V-B7C-O646

Société [5]

C/

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES COTES D'ARMOR

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Copie certifiée conforme délivrée

le:

à:

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 25 JANVIER 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Aurélie GUEROULT, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Véronique PUJES, Conseillère,

Assesseur : Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, Conseillère,

GREFFIER :

Monsieur Séraphin LARUELLE, lors des débats, et Mme Adeline TIREL, lors du prononcé,

DÉBATS :

A l'audience publique du 22 Novembre 2022

devant Madame Aurélie GUEROULT, magistrat rapporteur, tenant seule l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 25 Janvier 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats ;

DÉCISION DÉFÉRÉE A LA COUR:

Date de la décision attaquée : 29 Mars 2018

Décision attaquée : Jugement

Juridiction : Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de SAINT-BRIEUC

Références : 21700363

****

APPELANTE :

Société [5]

[Adresse 3]

[Localité 2]

représentée par Me Frédérique BELLET, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Fiona HUTCHINSON, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE :

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES COTES D'ARMOR

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 1]

représentée par Mme [E] [Z], en vertu d'un pouvoir spécial

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 29 janvier 2009, M. [H], salarié en tant que maçon au sein de la société [5] (la société), a déclaré une maladie professionnelle en raison d'une arthropathie coude gauche et d'une tendinopathie épaule gauche.

Le certificat médical initial, établi le 13 janvier 2009 avec prescription d'un arrêt de travail jusqu'au 31 janvier 2009, fait état :

- d'une tendinopathie épaule G en rapport avec l'activité MP n° 57 ;

- d'une arthropathie coude G dégénérative en rapport avec l'activité MP n° 69.

Par décision du 26 mai 2009, la caisse primaire d'assurance maladie des Côtes d'Armor (la caisse) a notifié à M. [P] une décision de prise en charge de la maladie arthrose du coude au titre du tableau n°69 des maladies professionnelles.

La date de consolidation de son état de santé a été fixée au 30 avril 2010 et son taux d'incapacité permanente partielle (IPP) évalué à 22% à compter du 1er mai 2010.

Contestant le taux attribué par la caisse, la société a saisi le tribunal du contentieux de l'incapacité par lettre datée du 11 juin 2015.

Par ailleurs, contestant le caractère professionnel de l'arthrose du coude gauche prise en charge par la caisse, la société a saisi, par lettre du 12 mai 2017 reçue le 16 mai 2017, la commission de recours amiable de l'organisme laquelle, par décision du 2 juin 2017, a déclaré irrecevable le recours de la société.

La société a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale des Côtes d'Armor le 8 août 2017.

Par jugement du 26 avril 2018, ce tribunal a déclaré l'action de la société irrecevable comme étant prescrite.

Par déclaration adressée le 21 juin 2018, la société a interjeté appel de ce jugement qui lui a été notifié le 1er juin 2018.

Par ses écritures parvenues au greffe le 11 janvier 2021 auxquelles s'est référé et qu'a développées son conseil à l'audience, la société demande à la cour de :

- la recevoir en son appel, le déclarant recevable et bien fondé ;

A titre liminaire, au visa des articles 2219 et suivants du code civil, L. 243-6 et R. 441-10 et suivants du code de la sécurité sociale et 9 du code de procédure civile,

- constater que les dispositions de l'article 2224 du code civil ne sont pas applicables au contentieux général ;

- constater que la caisse ne rapporte pas la preuve de l'existence entre elle et la société d'une action personnelle ou mobilière susceptible de faire courir le délai de prescription de cinq ans ;

- constater que les seules dispositions applicables sont celles dérogatoires au droit commun de la prescription, prévues par l'article L. 243-6 du code de la sécurité sociale, prévoyant une prescription triennale de l'action en remboursement de cotisations indues ;

- constater qu'aucune décision de la caisse ayant généré la rectification des cotisations accidents du travail n'étant intervenue, le recours de la société n'est pas prescrit ;

- constater que dans ces conditions la caisse ne peut se prévaloir de la prescription quinquennale extinctive de l'article 2224 du code civil ;

En conséquence,

- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

- déclarer que l'action de la société n'est pas prescrite ;

- recevoir la société en ses demandes, les disant recevables et bien fondées ;

A titre principal,

Sur le non-respect du principe du contradictoire préalablement à la décision de prise en charge de la caisse, au visa des articles R. 441-10 à R. 441-16 du code de la sécurité sociale,

- constater que par courrier du 13 mai 2009, la caisse a informé la société de la clôture de l'instruction du dossier de M. [P] et de la possibilité de consulter les pièces du dossier jusqu'au 26 mai 2009, date annoncée de sa décision ;

- constater que la société a accusé réception de ce courrier le 15 mai 2009;

- constater que la société n'a bénéficié que d'un délai effectif de cinq jours utiles pour consulter le dossier de maladie professionnelle de M. [P], préalablement à la décision de prise en charge de la caisse ;

- constater dès lors que ce délai est insuffisant pour garantir le respect du principe de la contradiction ;

En conséquence,

- déclarer que la décision de prise en charge de la caisse, au titre de la législation sur le risque professionnel, de la maladie de M. [P] du 13 janvier 2009 doit être déclarée inopposable à la société ainsi que l'ensemble de ses conséquences ;

A titre subsidiaire,

Sur le non-respect des 1ème (sic) et 3ème conditions du tableau n°69 des maladies professionnelles, au visa de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale et du tableau n°69 des maladies professionnelles,

'' Sur le non-respect de la désignation de la pathologie telle que prévue par le tableau n°69 des maladies professionnelles,

- constater d'une part que le libellé de la maladie mentionnée au certificat médical initial du 13 janvier 2009, à savoir 'Tendinopathie épaule gauche en rapport avec activité MP n°57 - Arthropathie coude gauche dégénérative en rapport avec activité MP n°69' est différent de celui figurant au tableau 69, 1er paragraphe, mentionnant 'arthrose du coude comportant des signes radiologiques d'ostéophytoses' ;

- constater d'autre part que la caisse qui a pris en charge l'affection déclarée par M. [P] ne rapporte pas la preuve que celle-ci a été confirmée par des examens radiologiques et correspondrait à la pathologie visée par le tableau 69 ;

En conséquence,

- constater que la pathologie présentée par M. [P] ne peut être prise en charge au titre de la législation sur le risque professionnel ;

- déclarer que la décision de la caisse de prendre en charge la maladie du 13 janvier 2009 déclarée par M. [P] est inopposable à la société ;

'' Sur le défaut d'exposition telle que prévue par le tableau n°69 des maladies

professionnelles,

- constater que le tableau 69 des maladies professionnelles, 1er paragraphe, vise une liste limitative des travaux exposant à la maladie 'arthrose du coude comportant des signes radiologiques d'ostéophytoses' ;

- constater que la caisse ne produit aucun élément permettant de s'assurer de la réalisation effective par l'assuré des travaux fixés de manière limitative au tableau n°69 des maladies professionnelles ;

- constater dès lors que la caisse n'est pas en mesure de rapporter la preuve d'une exposition certaine de M. [P] au risque de sa maladie ;

En conséquence,

- déclarer inopposable à la société la décision de la caisse de prise en charge de la maladie de M. [P] ;

A titre infiniment subsidiaire,

'' Sur l'absence de justification par la caisse d'une continuité de symptômes et de soins pour bénéficier de la présomption d'imputabilité au travail,

- constater que 1'employeur conteste les décisions de prise en charge de l'ensemble des prestations, soins et arrêts, pris en charge par la caisse après le 31 janvier 2009, au titre de la pathologie déclarée par M. [P];

- constater en effet que la caisse n'a communiqué à la société que le seul certificat médical initial daté du 13 janvier 2009 faisant état d'un arrêt de travail jusqu'au 31 janvier 2009 ;

- constater qu'en ne communiquant pas les certificats médicaux de prolongation qu'elle a pris en charge ainsi que les avis du médecin conseil, la caisse ne peut établir la continuité de symptômes et de soins nécessaire à l'application de la présomption d'imputabilité au travail ;

En conséquence,

- déclarer inopposable à la société, la décision de la caisse de prendre en charge, les lésions soins et arrêts de travail au titre de la pathologie de M. [P], prescrits après le 31 janvier 2009.

Par ses écritures parvenues au greffe le 9 mars 2022 auxquelles s'est référé et qu'a développées son représentant à l'audience, la caisse demande à la cour de :

- juger que la société est forclose en son action ;

- juger que la société est prescrite en son action ;

En conséquence,

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a jugé l'action de la société irrecevable ;

A titre subsidiaire :

- débouter la société de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- juger que la caisse a respecté le principe du contradictoire ;

- juger que la caisse justifie de 1'existence d'une continuité de soins et d'arrêts du 13 janvier 2009 au 30 avril 2010 au titre de la maladie professionnelle du 13 janvier 2009 ;

- juger qu'il y a lieu de déclarer opposable à la société la décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle la maladie déclarée par M. [P] 1e 13 janvier 2009 ainsi que l'ensemble des soins et arrêts de travail prescrits à ce titre ;

En tout état de cause,

- condamner la société aux dépens d'appel.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions susvisées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1- sur la recevabilité du recours de la société

La société soutient en premier lieu que son recours est recevable en l'absence de forclusion pour défaut de saisine de la [6] ; que la seule règle applicable en 2009 est édictée par l'article R 441-14 du code de la sécurité sociale dans sa version en vigueur à l'espèce, et il ne s'agit pas d'une notification faisant courir des délais à l'égard de l'employeur ; que dès lors la caisse ne peut valablement prétendre qu'elle aurait notifié une décision faisant courir le délai de forclusion ; que la Cour de cassation casse systématiquement au visa des articles R 142-1 et R 444-14 les arrêts d'appel déclarant irrecevables les recours des employeurs au motif que la décision de prise en charge avait été notifiée à l'employeur par lettre recommandé avec accusé de réception avec mention des voies et délai de recours (notamment Civ. 2ème, 14 septembre 2006, pourvoir n°05-11061) ; que la communication par la caisse des lettres d'information qui ne font aucunement mention des délais et voies de recours ne saurait s'analyser en une notification et faire courir contre elle le délai de 2 mois prévu par l'article R 142-1 du code de la sécurité sociale ; qu'en tout état de cause, il est de jurisprudence constante que l'exception tirée de l'inopposabilité d'une décision de la caisse n'a pas à être préalablement soumise à la [6]. (Notamment Soc. 19 décembre 2002, Civ 2ème, 2 novembre 2005, pourvoi n°0430015, Civ 2ème, 14 janvier 2010, pourvoir 08-22.038).

La caisse réplique que la société savait dès la notification de rente adressée à la société le 9 août 2010 et au plus tard à la lecture de son compte employeur 2010 que la maladie déclarée par M. [P] avait fait l'objet d'une prise en charge ; qu'en outre elle a saisi le tribunal du contentieux de l'incapacité pour contester le taux d'IPP de 15% attribué au salarié par lettre du 11 juin 2015 ; qu'elle a pourtant attendu le 12 mai 2017 pour saisir la [6], de sorte que la forclusion est opposable ; que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a déclaré l'action de la société irrecevable, mais sur le moyen de la forclusion.

L'article R. 142-1 du code de la sécurité sociale dans sa version en vigueur du 14 décembre 2006 au 10 septembre 2012, applicable en l'espèce dispose que :

Les réclamations relevant de l'article L. 142-1 formées contre les décisions prises par les organismes de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole de salariés ou de non salariés sont soumises à une commission de recours amiable composée et constituée au sein du conseil d'administration de chaque organisme.

Cette commission doit être saisie dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision contre laquelle les intéressés entendent former une réclamation. La forclusion ne peut être opposée aux intéressés que si cette notification porte mention de ce délai.

(...)

S'agissant de la forclusion du recours, il appartient à la caisse qui l'invoque d'établir que sa décision a été régulièrement notifiée. A défaut d'une telle notification ou en cas de notification irrégulière de la décision, son destinataire peut en contester le bien-fondé devant le juge sans condition de délai. (2e Civ., 21 octobre 2021, pourvoi n° 20-16.170).

En l'espèce l'article R 441-14 alinéas 3 et 4 du code de la sécurité sociale dans sa version en vigueur du 29 avril 1999 au 01 janvier 2010 applicable au litige dispose que :

La décision motivée de la caisse est notifiée à la victime ou à ses ayants droit sous pli recommandé avec demande d'avis de réception. En cas de refus, le double de la notification est envoyé pour information à l'employeur.

Si le caractère professionnel de l'accident, de la maladie, ou de la rechute n'est pas reconnu par la caisse, celle-ci indique à la victime dans la notification les voies de recours et les délais de recevabilité de sa contestation.

Il résulte de ce texte que la caisse ne peut utilement prétendre avoir notifié une décision faisant courir le délai de forclusion en arguant de l'envoi de la lettre de clôture d'instruction datée du 13 mai 2009 et reçue par la société le 15 mai 2009 ou encore de la notification de rente adressée à la société le 9 août 2010 et l'informant de la décision de la caisse d'attribuer un taux d'IPP de 22 % suite à la maladie professionnelle de M. [P] dès lors qu'aucune de ces informations ne faisait courir contre elle le délai de recours prévu par l'article R 142-1 du code de la sécurité sociale (Civ 2ème 14 septembre 2006, pourvoi n°06-11061, 2ème Civ. 10 avril 2008, n°07-12.857 ; 2e Civ., 12 mai 2021, pourvoi n° 20-10.593).

En outre, la jurisprudence antérieure à la réforme entrée en vigueur le 1er janvier 2019 prévoyait que n'était pas soumise à la saisine de la [6] la demande d'inopposabilité formulée par un employeur contre une décision prise par une caisse de sécurité sociale (comme une décision de prise en charge d'une maladie professionnelle).

Il apparaît ainsi que contrairement à ce que soutient la caisse, le recours de la société devant la [6] n'était pas forclos.

2- sur la prescription de l'action engagée par la société.

La société soutient que l'action qu'elle a engagée n'est pas prescrite dès lors que les règles du droit commun ne s'appliquent pas au contentieux de la sécurité sociale ; que l'article 2224 sur lequel s'est fondé le tribunal fait exclusivement référence au droit de créance du titulaire d'un droit personnel ; qu'ainsi la décision de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie professionnelle déclarée par M. [P] ne fait naître aucun droit de créance de la société à l'égard de l'organisme décisionnaire, qu'elle ne fait grief à l'employeur que lors qu'elle rentre dans le calcul de son taux accident du travail qui le conduit à payer des cotisations supplémentaires ; que les cotisations AT/MP étant acquittées auprès de l'URSSAF et non des caisses primaires, le droit à créance né de la décision de prise en charge de l'accident ou de la maladie est détenu par la société uniquement à l'égard de l'URSSAF ; que l'action personnelle de la société créancière qui consiste à demander à son débiteur l'URSSAF le remboursement des cotisations impayées est encadrée par une prescription de 3 ans à compter de la décision définitive ayant généré l'indu prévue à l'article L 243-6 du code de la sécurité sociale ; qu'aucune décision de la caisse ayant généré la rectification des cotisations AT n'étant intervenue, son recours ne pouvait être déclaré prescrit ; que la caisse ne démontre pas qu'il existe une action personnelle ou mobilière susceptible de faire courir le délai de prescription ; que la Cour de cassation a confirmé que la prescription de droit commun n'est pas applicable à la contestation d'une décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle. (Civ 2ème, 9 mai 2019 pourvoi n°18-10909, 29 mai 2019 pourvois n°18-12087 et 18-13696 et 10 octobre 2019 pourvoi n° 18-20555).

La caisse réplique que la prescription de droit commun édictée par l'article 2224 du code civil est applicable ; qu'alors qu'elle refusait de qualifier un tel recours d'action en justice, qui conduisait à une imprescriptibilité, la Cour de cassation a dans un arrêt du 18 février 2021, ultérieurement confirmé, opéré un revirement de jurisprudence en considérant que l'action de l'employeur aux fins d'inopposabilité de la décision de la caisse de reconnaissance du caractère professionnel de l'accident, de la maladie ou de la rechute est au nombre des actions qui se prescrivent par 5 ans en application de l'article 2224 précité ; qu'en application de cette jurisprudence, la saisine de la société doit être déclarée prescrite, dès lors que comme relevé par le tribunal la société avait connaissance de la prise en charge de la maladie déclarée et de ses conséquences lui faisant grief lorsque la caisse lui a notifié par lettre datée du 9 août 2010, l'attribution du taux d'IPP à M. [P].

La cour a sollicité de la caisse de justifier contradictoirement de l'envoi de cette lettre.

Par réponse parvenue au greffe le 30 novembre 2022, la caisse indique ne plus disposer de l'accusé de réception compte tenu de l'ancienneté du litige et précise que la société n'a pas critiqué ou contesté le jugement qui a retenu que le mois d'août 2010 est le point de départ du délai de prescription quinquennale.

L'article 2224 du code civil dispose que :

Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

La Cour de cassation dans un arrêt rendu le 18 février 2021 (2ème Civ. 18 février 2021, n° de pourvoi 19-25.886) a opéré un revirement de jurisprudence explicité et considère désormais qu'en l'absence de texte spécifique, l'action de l'employeur aux fins d'inopposabilité de la décision de la caisse de reconnaissance du caractère professionnel de l'accident, de la maladie ou de la rechute est au nombre des actions qui se prescrivent par cinq ans en application de l'article 2224 du code civil.

Ce revirement a d'ailleurs été confirmé par deux autres arrêts Civ 2ème 12 mai 2021 pourvoi n°20-10593 et 24 juin 2021 (pourvoi 20-15.804).

Il y a donc lieu de retenir que l'action de l'employeur aux fins d'inopposabilité de la décision de la caisse de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie de M. [P] se prescrit par cinq ans, de sorte qu'il convient de déterminer à quelle date la société a eu connaissance ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son action en contestation.

Les premiers juges ont retenu que la caisse avait notifié à la société l'attribution du taux d'incapacité par lettre datée du 9 août 2010 et que la société devait donc exercer un recours en inopposabilité avant août 2015, soit dans les 5 ans de cette notification par la caisse de sorte qu'ayant introduit son recours le 12 mai 2017, son action était prescrite. Il convient de relever que les premiers juges ne visent pas la date de notification.

La caisse produit aux débats la lettre de notification à la société du taux d'incapacité accordé au salarié ; si cette dernière ne conteste pas l'avoir reçue, aucun élément ne permet de déterminer à quelle date.

Faute de point de départ déterminable, il ne peut qu'être jugé que le délai de prescription n'a pas couru.

L'action de la société introduite par lettre du 12 mai 2017 reçue par la [6] le 16 mai 2017 est par conséquent recevable.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a déclaré l'action de la société irrecevable comme étant prescrite.

3- Sur le non-respect du principe du contradictoire préalablement à la décision de prise en charge de la caisse.

La société soutient que la décision de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie déclarée par M. [P] a été prise en méconnaissance du principe du contradictoire alors qu'elle n'a disposé que de 5 jours ouvrables pour faire valoir ses observations.

La caisse réplique qu'un délai de 11 jours sépare la réception de la lettre notifiant à la société la possibilité de consulter le dossier et la prise en charge de la maladie ; que la Cour de cassation a jugé que les règles de computation des délais du code de procédure civile ne sont pas applicables aux délais réglementaires (Civ 2ème, 13 février 2020, n°19-11253) ; que la société a donc bénéficié d'un délai suffisant.

L'article R441-11alinéa 1er dans sa version en vigueur du 05 février 2006 au 01 janvier 2010 applicable en l'espèce disposait que :

Hors les cas de reconnaissance implicite, et en l'absence de réserves de l'employeur, la caisse primaire assure l'information de la victime, de ses ayants droit et de l'employeur, préalablement à sa décision, sur la procédure d'instruction et sur les points susceptibles de leur faire grief.

En application de ces dispositions, la caisse était tenue, avant de se prononcer sur le caractère professionnel d'un accident, d'une maladie ou d'une rechute, d'informer l'employeur de la fin de la procédure d'instruction, des éléments recueillis susceptibles de lui faire grief, de la possibilité de consulter le dossier pendant un certain délai et de la date à laquelle elle prévoyait de prendre sa décision.

Le délai laissé à l'employeur devait être suffisant pour lui permettre, de façon effective, de consulter le dossier, et, le cas échéant, de présenter ses observations, ainsi que pour garantir le caractère contradictoire de la procédure, sous peine d'inopposabilité de la décision de prise en charge.

En l'espèce, il est constant que la société a signé le 15 mai 2009 (vendredi) l'accusé de réception de la lettre de clôture du 13 mai 2009 l'informant de la possibilité de venir consulter les pièces du dossier avant la décision sur le caractère professionnel de la maladie devant intervenir le 26 mai 2009 (lundi). La décision de prise en charge de la maladie est intervenue le 26 mai 2009.

Le délai de consultation du dossier commençait ainsi à courir le 15 mai 2009 pour prendre fin le 25 mai 2009, veille de la date annoncée de la prise de décision sur le caractère professionnel de la maladie.

A l'intérieur de ce délai, abstraction faite du 15 mai qui ne peut être considéré comme un jour entièrement utile dès lors que l'heure de réception de la lettre d'information est inconnue, la société a disposé d'un délai suffisant pour garantir le caractère contradictoire de la procédure à l'égard de l'employeur. Les dispositions de l'article 642 du code de procédure civile, propres à la computation des délais légaux pour l'accomplissement d'un ordre ou d'une formalité, n'ont pas vocation à s'appliquer au calcul d'un délai fixé par un organisme de sécurité sociale à un employeur pour venir consulter le dossier de la caisse préalablement à la décision à intervenir sur la prise en charge d'un accident au titre de la législation professionnelle 2e Civ., 13 novembre 2008, pourvoi n° 07-18.731, 2e Civ., 13 février 2020, pourvoi n° 19-11.253).

Par suite, il convient de rejeter le moyen d'inopposabilité de la décision de prise en charge fondée sur le non respect du principe du contradictoire.

4- Sur le caractère professionnel de la maladie déclarée

La société soutient que le CMI fait état d'une arthropathie coude gauche dégénérative qui ne correspond pas à la désignation d'une pathologie visée par le tableau n°69 et que l'arthropathie correspond à une atteinte des articulation et désigne l'ensemble des maladies rhumatismales dont les causes et symptômes sont variés ; que l'arthrose est l'une de ces maladies; qu'il n'est pas possible de faire le lien entre la maladie et l'activité professionnelle de l'assuré et aucune pièce ne vise l'arthrose du coude; qu'en outre la caisse ne démontre pas qu'une telle pathologie a été diagnostiquée dans les conditions du tableau, soit confirmée par des examens radiologiques; qu'en outre le médecin conseil ne confirme pas que les conditions réglementaires du tableau sont remplies.

La caisse réplique que le médecin conseil a confirmé qu'il s'agissait d'une arthropathie coude gauche, code syndrome 069AAM192, que la condition relative à la désignation de la maladie est donc remplie.

L'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale pose une présomption d'origine professionnelle au bénéfice de toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.

Fixés par décret, les tableaux précisent la nature des travaux susceptibles de provoquer la maladie, énumèrent les affections provoquées et le délai dans lequel la maladie doit être constatée après la cessation de l'exposition du salarié au risque identifié pour être prise en charge.

La maladie déclarée doit correspondre précisément à celle décrite au tableau, avec tous ses éléments constitutifs et doit être constatée conformément aux éléments de diagnostic éventuellement prévus (2e Civ., 17 mai 2004, n° 03-11.968)

Il est de jurisprudence constante que la désignation des maladies figurant dans les tableaux présente un caractère limitatif, en sorte que ne peuvent relever de ce cadre de reconnaissance de maladie professionnelle les affections n'y figurant pas (Soc., 5 mars 1998, n° 96-15.326)

Toutefois, il appartient au juge de rechercher si l'affection déclarée figure au nombre des pathologies désignées par le tableau invoqué, sans s'arrêter à une analyse littérale du certificat médical initial (2e Civ., 9 mars 2017, n° 16-10.017) ou sans se fier au seul énoncé formel du certificat médical initial (2e Civ., 14 mars 2019, n° 18-11.975).

Le caractère habituel des travaux visés dans un tableau n'implique pas qu'ils constituent une part prépondérante de l'activité (2e Civ., 8 octobre 2009, pourvoi n° 08-17.005) et le bénéfice de la présomption légale n'exige pas une exposition continue et permanente du salarié au risque pendant son activité professionnelle (2e Civ., 21 janvier 2010, n° 09-12.060).

Lorsque la demande de la victime réunit ces conditions, la maladie est présumée d'origine professionnelle, sans que la victime ait à prouver le lien de causalité entre son affection et son travail.

Il appartient à la caisse, subrogée dans les droits de la victime, de rapporter la preuve que la maladie qu'elle a prise en charge est celle désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau (2e Civ., 30 juin 2011, n° 10-20.144).

Une fois la présomption d'imputabilité établie, il appartient à l'employeur de démontrer que l'affection litigieuse a une cause totalement étrangère au travail ( 2e Civ., 13 mars 2014, pourvoi n° 13-13.663).

La caisse a reconnu le caractère professionnel de la maladie déclarée par M. [P] au titre du tableau n° 69 des maladies professionnelles relatif aux affections ostéo- articulaires.

Ce tableau prévoit que les affections ostéo-articulaires doivent être confirmées par des examens radiologiques.

Il vise notamment comme affection l'arthrose du coude comportant des signes radiologiques d'ostéophytoses.

L'arthopathie du coude mentionnée au CMI ne correspond pas au libellé du tableau.

Surtout, si les examens radiologiques constituent un élément de diagnostic sur lequel les médecins doivent se fonder pour conclure à l'existence de la maladie professionnelle nommément désignée dans le tableau et non un élément constitutif de la maladie, qui n'a pas à figurer dans les pièces du dossier constitué par les services administratifs de la caisse en application de l'article R 441-13 du code de la sécurité sociale et dont l'employeur peut demander communication , il convient néanmoins de rechercher, comme le demande la société, si en application du tableau n° 69 des maladies professionnelles, l'affection ainsi déclarée avait été confirmée par des examens radiologiques.

En l'espèce, force est de constater que le certificat médical initial établi le 13 janvier 2009 par le docteur [W], rhumatologue qui indique que la première constatation médicale de la maladie professionnelle est du même jour, ne fait pas référence à un examen radiologique. Le colloque médico- administratif maladie professionnelle mentionnant les informations apportées par le médecin conseil et le service administratif ne fait pas état de la confirmation de la maladie par un examen radiologique. Il convient à cet égard de relever que le médecin conseil n'a pas coché les cases relatives au point de savoir si les conditions médicales réglementaires du tableau étaient remplies et aucune autre pièce du dossier d'instruction ne fait mention d'un examen radiologique.

Il apparaît donc qu'il n'est pas justifié que l'affection a été confirmée par des examens radiologiques.

Il résulte de ce qui précède que la décision de prise en charge de la maladie doit être déclarée inopposable à la société, sans qu'il soit nécessaire d'étudier si la condition relative aux travaux, également contestée par l'employeur est ou non remplie et si les soins et arrêts sont justifiés.

5- Sur les dépens

L'article R.144-10 du code de la sécurité sociale disposant que la procédure est gratuite et sans frais en matière de sécurité sociale est abrogé depuis le 1er janvier 2019.

Il s'ensuit que l'article R.144-10 précité reste applicable aux procédures en cours jusqu'à la date du 31 décembre 2018 et qu'à partir du 1er janvier 2019 s'appliquent les dispositions des articles 695 et 696 du code de procédure civile relatives à la charge des dépens.

En conséquence, les dépens de la présente procédure exposés postérieurement au 31 décembre 2018 seront laissés à la charge de la caisse qui succombe à l'instance.

PAR CES MOTIFS :

La COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Infirme le jugement dans toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau et y ajoutant :

Dit recevable l'action de la société [5] ;

Dit inopposable à la société [5] la décision de prise en charge par la caisse primaire d'assurance maladie des Côtes d'Armor au titre de la législation professionnelle de la maladie déclarée par M. [P] ainsi que l'ensemble des conséquences de celle-ci ;

Condamne la caisse primaire d'assurance maladie des Côtes d'Armor aux dépens, pour ceux exposés postérieurement au 31 décembre 2018.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 9ème ch sécurité sociale
Numéro d'arrêt : 18/04420
Date de la décision : 25/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-25;18.04420 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award