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10/01/2023 | FRANCE | N°22/01304

France | France, Cour d'appel de Rennes, 1ère chambre, 10 janvier 2023, 22/01304


1ère Chambre





ARRÊT N°7/2023



N° RG 22/01304 - N° Portalis DBVL-V-B7G-SQXH













BOULANGERIE PATISSERIE [U]



C/



M. [Y] [U]

Mme [T] [C] [U] épouse [J]

M. [K] [U]

M. [R] [U]

M. [F] [X] [U]

M. [B] [X] [P] [U]

Association ELIANCE



















Copie exécutoire délivrée



le :



à :







RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU

NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 10 JANVIER 2023





COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Madame Aline DELIÈRE, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,



GRE...

1ère Chambre

ARRÊT N°7/2023

N° RG 22/01304 - N° Portalis DBVL-V-B7G-SQXH

BOULANGERIE PATISSERIE [U]

C/

M. [Y] [U]

Mme [T] [C] [U] épouse [J]

M. [K] [U]

M. [R] [U]

M. [F] [X] [U]

M. [B] [X] [P] [U]

Association ELIANCE

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 10 JANVIER 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Aline DELIÈRE, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Sandrine KERVAREC, lors des débats et Madame Marie-Claude COURQUIN, lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 10 octobre 2022 devant Madame Caroline BRISSIAUD, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 10 janvier 2023 par mise à disposition au greffe après prorogation du délibéré annoncé au 6 décembre 2022 à l'issue des débats

****

APPELANTE :

BOULANGERIE PATISSERIE [U], SARL agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 1]

[Localité 9]

Représentée par Me Christophe LHERMITTE de la SCP GAUVAIN, DEMIDOFF & LHERMITTE, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Grégory SVITOUXHKOFF, Plaidant, avocat au barreau de VANNES

INTIMÉS :

Monsieur [Y] [U]

né le 23 Novembre 1958 à [Localité 18] (29)

[Adresse 4]

[Localité 9]

Représenté par Me Gaëlle YHUEL-LE GARREC de la SELARL YHUEL-LE GARREC, avocat au barreau de LORIENT

Madame [T] [C] [U] épouse [J]

née le 22 Janvier 1964 à [Localité 17] (56)

[Adresse 13]

[Localité 11]

Représentée par Me Gaëlle YHUEL-LE GARREC de la SELARL YHUEL-LE GARREC, avocat au barreau de LORIENT

Monsieur [K] [U]

né le 18 Novembre 1965 à [Localité 17] (56)

[Adresse 3]

[Localité 8]

Représenté par Me Gaëlle YHUEL-LE GARREC de la SELARL YHUEL-LE GARREC, avocat au barreau de LORIENT

Monsieur [R] [U]

né le 07 Mars 1967 à [Localité 17] (56)

[Adresse 19]

[Adresse 14]

[Localité 6]

assisté de sa curatrice, l'association ELIANCE, désignée par ordonnance du juge des tutelles de LORIENT le 25.11.2017, ayant son siège

[Adresse 12]

[Localité 7]

Représenté par Me Elisabeth PLAUD, avocat au barreau de LORIENT

Monsieur [F] [X] [U]

né le 24 Octobre 1971 à [Localité 16] (56)

[Adresse 5]

SAINT CADO

[Localité 10]

Représenté par Me Michel PEIGNARD, avocat au barreau de VANNES

Monsieur [B] [X] [P] [U]

né le 25 Septembre 1957 à [Localité 18] (29)

[Adresse 15]

[Localité 9]

Représenté par Me Michel PEIGNARD, avocat au barreau de VANNES

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [L] [N] épouse [U] est décédée le 21 décembre 1992 laissant pour lui succéder :

-Son époux, M. [M] [U],

- Leurs six enfants :

' M. [Y] [U],

' Mme [T] [U] épouse [J],

' M. [K] [U],

' M. [R] [U], sous curatelle,

' M. [B] [U],

' M. [F] [U].

M. [M] est décédé le 16 novembre 2010 laissant pour lui succéder ses six enfants précités.

La SCP Jegourel-Dreano, notaires associés à Erdeven, a été chargée des opérations liquidation de la succession et de la communauté confondue des époux [A], dont dépendent divers biens meubles et immeubles, notamment :

' un immeuble à usage de commerce et d'habitation, sis [Adresse 1],

' un bâtiment à usage de fournil aux dépendances de Ouarch à [Adresse 1], siège de l'exploitation du fonds de commerce de boulangerie-pâtisserie, participant également de l'indivision et exploité par l'Eurl Boulangerie-pâtisserie [U], dont M. [B] [U], co-indivisaire, est le gérant dans le cadre d'une location gérance depuis le 1er avril 1993.

Il doit être précisé que le fonds de commerce de boulangerie-pâtisserie qui appartient aujourd'hui à l'indivision des héritiers de [M] et [L] [U] est exploité par l'Eurl Boulangerie-pâtisserie [U] dans trois immeubles différents':

' l'établissement principal, situé [Adresse 1] dans un immeuble qui appartient depuis 1995 à M. [B] [U]'(gérant de l'Eurl exploitante en location-gérance) dans lequel de nombreux travaux ont été réalisés': nouveau laboratoire avec fournil, salon de thé...

' l'établissement secondaire, situé à 600 mètres environ, qui n'est utilisé que l'été comme point de vente dans un immeuble dépendant de l'indivision,

' le laboratoire où se situe le fournil et le terrain attenant situés au lieu-dit Ouarch à 250 mètres environ de l'établissement principal dans un immeuble appartenant également à l'indivision.

Il s'ensuit que l'indivision successorale doit des loyers commerciaux à M. [B] [U] en sa qualité de propriétaire du bâtiment principal d'exploitation du fonds de commerce acquis en 1995 et que parallèlement, aux termes du contrat de location-gérance du 1er avril 1993, l'Eurl Boulangerie-pâtisserie est en principe redevable d'une redevance mensuelle de 7000 Francs.

Par acte d'huissier du 8 août 2011, M. [Y] [U], Mme [T] [J] et M. [K] [U] ont fait assigner leurs co-indivisaires MM. [B], [F] et [R] [U], ainsi que le curateur de ce dernier, devant le tribunal de grande instance de Lorient aux fins de voir ordonner les opérations de compte liquidation et partage de la communauté et des successions de leurs parents.

Par ordonnance du 27 juillet 2012, le Juge de la mise en état a ordonné une expertise judiciaire comptable et immobilière aux fins de déterminer la valeur du fonds de commerce exploité par l'Eurl Boulangerie-pâtisserie [U] et a commis pour y procéder M. [V] [S], lequel a déposé son rapport le 5 janvier 2013.

Par jugement du 4 février 2014, le tribunal de grande instance de Lorient a principalement :

-Ordonné l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la communauté et des successions de Mme [L] [N] et de M. [M] [U] ;

-Commis pour y procéder, la SCP Jegourel-Dreano, notaires à Erdeven ;

-Retenu comme valeur de fonds de commerce, celle de 212 140 €, base 2010 et de 229 764 €, base 2012 ;

-Constaté l'existence d'une compensation entre la redevance de location-gérance due par M. [B] [U] et les loyers du local [Adresse 2], dus par M. [M] [U], puis par l'indivision.

Mme [T] [J], M. [Y] [U] et M. [K] [U] ont interjeté appel de cette décision, notamment en ce qu'elle a ordonné la compensation.

Par un arrêt du 24 mars 2015, la Cour a notamment :

-Infirmé le jugement en ce qu'il a constaté l'existence d'une compensation entre la redevance de location gérance due par M. [B] [U] et les loyers du [Adresse 1] dus par [M] [U] puis par l'indivision,

Puis statuant à nouveau :

-Dit n'y avoir lieu à compensation entre ces créances faute d'identité de parties,

-Dit n'y avoir lieu à déduction des sommes payées par la Sarl Boulangerie-pâtisserie [U], tiers à l'instance en partage successoral, pour la valorisation du fonds de commerce au jour le plus proche du partage, date de la jouissance divise qui sera fixée par le Notaire chargé des opérations de compte liquidation et partage,

-Ordonné un complément d'expertise pour actualiser l'évaluation du fonds de commerce.

M. [V] [S] à nouveau désigné en qualité d'expert judiciaire, a déposé son rapport le 9 juillet 2015.

Les parties ne parvenant pas à s'accorder dans le cadre des opérations de liquidation, Mme [T] [J], M. [Y] [U] et M. [K] [U] ont saisi le Juge chargé du contrôle des opérations notariales le 5 février 2019.

Les parties ont alors été convoquées par-devant le Juge conciliateur à l'audience du 21 mars 2019, lequel a constaté la non-conciliation des parties.

Par suite, le 21 juin 2019, Me Yann Blanchard, Notaire, a dressé procès-verbal de dires.

A l'occasion de ce procès-verbal, Mme [T] [J], M. [Y] [U], M. [K] [U] et M. [R] [U], assisté de son curateur, ont déclaré être prêts à signer le projet d'acte liquidatif établi par le notaire le 12 mars 2019.

Ce projet prévoyait l'attribution à M. [B] [U] du fonds de commerce de Boulangerie-pâtisserie, moyennant l'évaluation retenue par l'expert de 228 300 €, outre les sommes à recevoir de l'Eurl Boulangerie-pâtisserie [U] au titre des redevances de location gérance à payer depuis le décès du de cujus, contre le versement d'une soulte de 236 799 € à ses coindivisaires.

M. [B] [U] s'est opposé à ce projet en contestant tant la valorisation du fonds de commerce que la réalité des impayés de redevances de l'Eurl Boulangerie-pâtisserie [U], dont il est le gérant.

Compte tenu du procès-verbal de non-conciliation, le juge en charge des partages judiciaires du tribunal judiciaire de Lorient, saisi par Mme [T] [J], M. [Y] [U] et M. [K] [U] a par ordonnance du 27 mars 2020, renvoyé l'affaire à la mise en état.

Dans le cadre de cette instance, les parties à l'instance en partage ont été convoquées par le greffe de la mise en état ainsi que l'Eurl Boulangerie-pâtisserie [U].

Par conclusions du 24 août 2020, Mme [T] [J], M. [Y] [U] et M. [K] [U] ont conclu au fond à l'homologation du projet d'état liquidatif du 12 mars 2019.

Par conclusions du 25 août 2020, M. [R] [U] assisté de son curateur a conclu aux mêmes fins.

Le 30 septembre 2020, l'Eurl Boulangerie-pâtisserie [U] a sollicité le débouté des consorts [H] de leur prétention tendant à l'homologation du projet d'état liquidatif.

Par conclusions du 1er octobre 2020, MM. [B] et [F] [U] se sont associés au débouté sollicité et ont demandé une nouvelle expertise.

C'est dans ce contexte que par conclusions d'incident en date du 3 décembre 2020, M. [Y] [U], Mme [T] [J] et M. [K] [U] ont saisi le juge de la mise en état au visa de l'article 789-6° du code de procédure civile aux fins de voir':

-Dire et juger l'Eurl Boulangerie-patisserie [U] irrecevable en son intervention, ses fins et conclusions pour défaut d'intérêt à agir,

-Condamner l'Eurl Boulangerie-patisserie [U] à leur payer une somme de 2 500€ à titre de dommages-intérêts, sans préjudice d'amende civile, du fait de son intervention.

L'Eurl Boulangerie-patisserie [U] a contesté cette fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à intervenir dans l'instance en partage et a sollicité reconventionnellement la désignation d'un expert judiciaire.

Par ordonnance du 21 janvier 2022, le Juge de la mise en état près le Tribunal judiciaire de Lorient a :

-Déclaré irrecevable l'intervention de l'Eurl [U],

-Condamné l'Eurl [U] à payer à M. [Y] [U], Mme [T] [J] et M. [K] [U] la somme de 2 500 €, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

-Rejeté la demande d'expertise,

-Condamné MM. [F] et [B] [U] à verser à MM. [Y], [K] [U] et à Mme [T] [U] épouse [J] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

-Débouté les parties du surplus de leurs demandes.

Suivant déclaration du 2 mars 2022, l'Eurl [U] a interjeté appel de cette ordonnance en ce qu'elle a déclaré irrecevable son intervention, rejeté l'expertise judiciaire sollicitée et prononcé à son encontre une condamnation aux frais irrépétibles.

Par ordonnance du 14 juin 2022, le conseiller de la mise en état a déclaré que MM. [B] et [F] [U] étaient irrecevables à conclure dans le cadre du présent appel, faute de l'avoir fait dans les délais prévus par l'article 905-2 alinéa 2 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises et notifiées au greffe le 20 septembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des moyens et prétentions, L'Eurl Boulangerie-pâtisserie (ci-après l'Eurl [U]) demande à la cour de':

-Infirmer l'ordonnance du Juge de la mise en état près le Tribunal judiciaire de Lorient, du 21 janvier 2022, en ce qu'elle a :

' Déclaré irrecevable l'intervention de l'Eurl [U],

' Condamné l'Eurl [U] à payer à M. [Y] [U], Mme [T] [J] et M. [K] [U] la somme de 2 500,00 €, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

' Rejeté la demande d'expertise.

Statuant à nouveau :

-Dire et juger l'Eurl [U] recevable en son intervention,

-Désigner tel expert judiciaire qu'il plaira à la Cour, avec pour mission de :

-Constater que le fournil utilisé par l'Eurl [U] au sein du laboratoire sis à [Adresse 1] ne pouvait continuer à être utilisé du fait de son état sanitaire,

-Décrire et évaluer les travaux réalisés par l'Eurl [U] dans les locaux sis [Adresse 1], après accord donné par M. [M] [U], usufruitier,

-Décrire les matériels mis en place par l'Eurl [U] et en déterminer la valorisation,

-Décrire et valoriser les travaux réalisés dans le salon thé et le magasin,

-Rechercher et fournir tous éléments permettant de déterminer les conséquences financières pour l'évaluation du fonds de commerce et en conséquence le montant de l'indemnité pouvant être due par l'indivision successorale en raison des améliorations et transformations apportées par le locataire gérant,

- Fournir tous éléments permettant de déterminer par ailleurs le montant des redevances de location gérance qui pourraient être ou non à régler par le locataire gérant en fonction des conditions de travail qui ont été les siennes avant et pendant la réalisation des travaux,

-Répondre à tous dires pertinents des parties.

-Condamner M. [Y] [U], Mme [T] [J] et M. [K] [U] à payer à l'Eurl [U] la somme de 2 000,00 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Aux termes de leurs dernières conclusions transmises et notifiées au greffe le 16 septembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des moyens et prétentions, M. [Y] [U], Mme [T] [J] et M. [K] [U] (ci-après les consorts [H]) demandent à la cour de':

- Confirmer l'ordonnance du 21 janvier 2022 en ce qu'elle a':

' Déclaré irrecevable l'intervention de l'Eurl [U],

' rejeté la demande d'expertise

' condamnée l'Eurl [U] au règlement d'une somme de 2.500 € au titre de ses frais irrépétibles

Y ajoutant':

-Condamner l'Eurl [U] à payer à [T], [Y] et [K] [U] une somme de 2.500 € à titre de dommages et intérêts, sans préjudice d'amende civile,

-Condamner l'Eurl [U] à payer à [T] [Y] et [K] [U] une somme de 3.000 € au titre de leurs frais irrépétibles d'appel, outre les dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises et notifiées au greffe le 25 mai 2022, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des moyens et prétentions, M. [R] [U] assisté de son curateur, Eliance, demande à la cour de':

-Confirmer l'ordonnance rendue par le Juge de la mise en état du Tribunal Judiciaire de Lorient du 21 janvier 2022 en ce qu'elle a :

' rejeté la demande d'expertise,

' déclaré l'Eurl [U] irrecevable en son intervention,

' condamné l'Eurl [U] au règlement d'une somme de 2 500 € au titre des frais irrépétibles sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

Y ajoutant':

-Condamner l'Eurl [U] à payer à M. [R] [U] la somme de 2 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procèdure civile ainsi qu'aux dépens.

MOTIFS DE LA COUR':

1°/ Sur l'irrecevabilité de l'intervention de l'Eurl Boulangerie-pâtisserie [U]

Au soutien de son appel, l'Eurl [U] soutient qu'elle dispose d'un droit propre à agir, en qualité de créancier opposant, sur le fondement de l'article 882 du code civil. Elle explique que «'l'indivision successorale'» n'ayant pas la personnalité juridique, elle est en réalité créancière de chacun des copartageants pris individuellement, en application de l'article 1309 du code civil et qu'elle est en tant que telle, habilitée à poursuivre le paiement de sa créance sur la totalité de la masse indivise.

M. [R] [U] et son curateur, reprenant la motivation du premier juge, rappellent qu'en vertu de l'article 882 du code civil, seuls les créanciers personnels d'un copartageant peuvent s'opposer à ce que le partage ait lieu hors leur présence. Ils estiment que dans la mesure où l'Eurl [U] se dit créancière de «'l'indivision successorale'» et non créancière personnelle de l'un des copartageants, elle doit être irrecevable en son intervention. Par ailleurs, ils soulèvent l'irrecevabilité de cette intervention dans la mesure où en application de l'article 5 alinéa 3 de la Loi n°70-1130 du 31 décembre 1971, l'Eurl [U] ne pouvait en matière de partage, constituer un avocat de Vannes devant le tribunal judiciaire de Lorient.

Les consorts [H] ajoutent que les dispositions de l'article 882 du code civil ne peuvent s'appliquer en l'espèce en ce que l'Eurl [U] n'explique pas en quoi l'homologation du projet de partage se ferait en fraude de ses droits.Ils précisent qu'en tout état de cause, cet article a pour seul vocation d'assurer l'indisponibilité des droits du copartageant au bénéfice de son créancier, sans instituer quelque droit audit créancier de contester la tenue et les modalités du partage. Ils font valoir au surplus qu'une créance sérieusement contestée (telle qu'en l'espèce) ne peut permettre à son titulaire de faire opposition au partage en vertu de l'article 882 du code civil qui suppose un créance certaine. Ils soutiennent également que les prétentions de l'Eurl sont irrecevables au sens des articles 1373 et 1374 du code de procédure civile aux termes desquels ne peuvent être examinés que les points de désaccords arrêtés entre copartageants lors de l'établissement du procès-verbal de difficultés. A ce titre, ils rappellent que l'Eurl [U] n'est ni un copartageant ni partie à cet acte. Ils concluent enfin à l'irrecevabilité des prétentions de l'Eurl [U] en ce qu'elles sont portées par un avocat près le tribunal judiciaire de Vannes en contradiction avec les règles de postulation en matière de partage (article 5 alinéa 3 de la loi n°70-1130 du 31 décembre 1971)

a. Sur la constitution non conforme aux règles de la postulation en matière de partage

Il est vrai qu'en première instance, la constitution de Me Svitouxhkoff, avocat inscrit au barreau de Vannes, n'était pas conforme aux règles de la postulation, dérogatoires en matière de partage énoncées à l'article 5 alinéa 3 de la loi n°70-1130 du 31 décembre 1971.

Toutefois, le défaut de capacité ou de pouvoir d'une personne assurant la représentation d'une partie en justice ne constitue pas une fin de non recevoir mais une irrégularité de fond affectant la validité de l'acte, ainsi qu'il résulte de l'article 117 alinéa 3 du code de procédure civile.

Or, la nullité de l'intervention volontaire de l'Eurl [U] n'a jamais été soulevée. Par ailleurs, l'irrégularité de fond tenant au défaut de pouvoir de l'avocat ne revêtant pas un caractère d'ordre public, le juge n'a pas à la soulever d'office. (Civ 1ère 19 septembre 2007, n°06-17.408)

En tout état de cause, il est observé que l'Eurl [U] a constitué la SCP Gauvain Demidoff Lhermitte pour faire appel et conclure devant la cour.

Ce moyen ne peut donc qu'être rejeté.

b. Sur la fin de non -recevoir tirée du défaut de qualité à agir

Il résulte de l'article 32 du code de procédure civile qu'est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir.

L'article 122 du même code précise que constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut du droit d'agir tel que le défaut de qualité (').

Selon l'article 329 alinéa 2, l'intervention volontaire de l'Eurl [U] n'est recevable que si celle-ci dispose du droit d'agir relativement à cette prétention.

A cet égard, l'Eurl [U] soutient à tort qu'elle dispose d'un droit propre à agir, en qualité de créancier opposant, sur le fondement de l'article 882 du code civil aux termes duquel «'les créanciers d'un copartageant pour éviter que le partage soit fait en fraude de leurs droits, peuvent s'opposer à ce qu'il y soit procédé hors de leur présence': ils ont le droit d'y intervenir à leurs frais, mais ils ne peuvent attaquer un partage consommé, à moins toutefois qu'il n'y ai été procédé sans eux et au préjudice d'une opposition qu'ils auraient formés.'»

En effet, l'opposition à partage de l'article 882 du code civil est ouverte au créancier personnel d'un copartageant et non au créancier de la succession, lequel dispose des voies de droit et actions de l'article 815-17 alinéa 1 du code civil et de toutes mesures conservatoires sur le patrimoine successoral.

En effet, l'article 815-17 alinéa 1er du code civil dispose que «'les créanciers qui auraient pu agir sur les biens indivis avant qu'il y eût indivision, et ceux dont la créance résulte de la conservation ou de la gestion des biens indivis, seront payés par prélèvement sur l'actif avant partage (')'». Est ainsi consacrée l'existence de «'créanciers de l'indivision'» ( quand bien même une indivision n'a pas la personnalité juridique) dont les droits sont distincts de ceux bénéficiant aux créanciers personnels de l'indivisaire, tels que définis aux alinéas 2 et 3 de cet article.

En l'occurrence, c'est de manière tout à fait artificielle que l'Eurl [U] se prétend créancière de chacun des indivisaires copartageants pris individuellement, dès lors que son objectif est bien de faire admettre au passif de la succession les travaux qu'elle a financés ou qui resteraient à financer pour l'aménagement et la mise aux normes du fonds de commerce indivis qu'elle exploite, ce aux fins d'obtenir une compensation avec les redevances dues au de cujus puis à l'indivision successorale en vertu du contrat de location-gérance, portées à l'actif de la succession à hauteur de 172 573,78 euros d'après le projet de partage.

La créance revendiquée par l'Eurl [U] est incontestablement une créance à l'encontre de l'indivision au sens de l'article 815-17 alinéa 1er, auquel elle se réfère d'ailleurs elle-même dans ses conclusions, en insistant par ailleurs sur la nécessité que soit déterminée avec précision «'la créance envers l'indivision'» (page 5).

C'est donc à juste titre que le premier juge a retenu que l'Eurl [U] ne pouvait utilement invoquer l'article 882 du code civil alors qu'elle ne se prétend pas créancière d'un des copartageants mais bien de l'indivision.

Au surplus, pour être recevable à intervenir sur le fondement de l'article 882 du code civil dans l'instance en partage préalablement initiée par les indivisaires, encore faut-il que l'Eurl [U] justifie d'un intérêt légitime, ce qui suppose l'existence d'une créance certaine en son principe et qu'elle explique en quoi l'homologation du projet de partage se ferait en fraude de ses droits.

En l'occurrence, l'article III-3 «'améliorations transformations'» de la convention de location- gérance du 1er avril 1993 prévoit que le locataire gérant peut prétendre à l'indemnisation au titre des travaux réalisés par lui dans deux hypothèses': en cas d'éviction ou en cas de non renouvellement du contrat pour une cause non imputable à l'exploitant.

Pour justifier l'application de ces dispositions, l'Eurl [U] dont il n'est pas contesté qu'elle poursuit son exploitation, expose être victime d'une double éviction sur le fondement de l'article 1725 du code civil':

- au titre des dispositions de l'article L.122-17 du code de la consommation dont il s'évince que si elle n'avait pas réalisé l'aménagement d'un laboratoire avec fournil sur son lieu principal de vente (3 place de l'Eglise), elle n'aurait pu continuer à utiliser l'appellation de «'boulanger'» ni l'enseigne commerciale de «'Boulangerie'»

- au titre des conditions d'hygiène qui ne sont pas respectées dans les locaux de fabrication avec un risque à court terme de suppression de l'activité demandée par les autorités administratives jusqu'à la mise en conformité des locaux.

Toutefois, l'Eurl [U] ne justifie d'aucune pièce ni d'aucun titre constatant l'éviction alléguée et donc l'existence d'une quelconque créance en application du contrat de location-gérance, au titre des travaux de mise aux normes du fonds de commerce.

Par conséquent, l'Eurl [U] ne démontre pas être titulaire d'une créance certaine en son principe, de sorte qu'elle n'est pas recevable à se prévaloir des dispositions de l'article 882 du code civil pour intervenir au partage en tant que «'créancier opposant'».

L'ordonnance sera donc confirmée en ce qu'elle a déclaré irrecevable l'intervention de l'EURL [U] à l'instance en partage de la communauté et des successions de Mme [L] [N] et de M. [M] [U].

2°/ Sur la demande d'expertise

L'Eurl [U] sollicite une expertise judiciaire aux fins de voir chiffrer le montant des travaux réalisés et restant à réaliser pour l'aménagement du nouveau laboratoire dans les locaux du [Adresse 1], devant se compenser avec les redevances de location gérance.

Cependant, l'intervention de l'Eurl [U] étant déclarée irrecevable, la demande d'expertise ne peut qu'être rejetée.

Au surplus, la cour ne voit pas à quel titre elle devrait examiner les prétentions de MM. [F] et [B] [U], notamment aux fins d'expertise, dès lors qu'ils ont été déclarés irrecevables à conclure en application de l'article 905-2 aliéna 2 du code de procédure civile, par ordonnance du conseiller de la mise en état rendue le 14 juin 2022.

L'ordonnance déférée sera donc confirmée en ce qu'elle a rejeté cette demande d'expertise.

3°/ Sur la demande de dommages-et-intérêts

Les consorts [H] estiment que l'intervention manifestement irrecevable de l'Eurl [U] dont M. [B] [U] est le gérant répondait à un objectif purement dilatoire et sollicitent la somme de 2.500 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile. Ils font grief au premier juge d'avoir omis de statuer sur cette demande.

Considérant le fait que l'Eurl [U] a initialement été convoquée - à tort- par le greffe du tribunal de Lorient pour participer à la mise en état relative à l'instance en partage, le caractère dilatoire ou abusif de son intervention n'est pas suffisamment établi.

La demande de dommages-et-intérêts sera rejetée.

4°/ Sur les demandes accessoires

Il convient de confirmer les dispositions de l'ordonnance relatives aux frais irrépétibles.

L'Eurl [U] sera condamnée aux dépens d'appel.

Elle sera déboutée de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et condamnée sur ce même fondement, à payer':

- la somme de 2.500 euros à M. [Y] [U], Mme [T] [J] et M. [K] [U],

- la somme de 1.500 euros à M. [R] [U] assisté de son curateur.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 21 janvier 2022 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Lorient';

Y ajoutant':

Déboute M. [Y] [U], Mme [T] [J] et M. [K] [U] de leur demande de dommages-et-intérêts'fondée sur l'article 32-1 du code de procédure civile';

Déboute l'Eurl Boulangerie pâtisserie [U] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile';

Condamne l'Eurl Boulangerie pâtisserie [U] à payer sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile'':

- la somme de 2.500 euros à M. [Y] [U], Mme [T] [J] et M. [K] [U],

- la somme de 1.500 euros à M. [R] [U] assisté de son curateur.

Condamne l'Eurl [U] aux dépens d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22/01304
Date de la décision : 10/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-10;22.01304 ?
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