2ème Chambre
ARRÊT N°640
N° RG 19/06427
N° Portalis DBVL-V-B7D-QEAK
(1)
SA DOMOFINANCE
C/
M. [X] [P]
Mme [V] [S] épouse [P]
SCP [F] MORAND
Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
- Me LECLERCQ
- Me GAONAC'H
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 16 DECEMBRE 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Joël CHRISTIEN, Président de Chambre,
Assesseur : Monsieur David JOBARD, Président de Chambre,
Assesseur : Madame Hélène BARTHE-NARI, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Ludivine MARTIN, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 25 Octobre 2022
ARRÊT :
Réputé contradictoire, prononcé publiquement le 16 Décembre 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
SA DOMOFINANCE
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentée par Me Erwan LECLERCQ de la SCP LECLERCQ & CASTRES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉS :
Monsieur [X] [P]
[Adresse 3]
[Localité 4]
Madame [V] [S] épouse [P]
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentés par Me Arnaud GAONAC'H, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de QUIMPER
(bénéficient d'une aide juridictionnelle Partielle numéro 2019/012123 du 31/10/2019 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de RENNES)
SCP [F] MORAND es qualité de mandataire ad'hoc de la société ECONHOMA, prise en la personne de Maître [F]
[Adresse 2]
[Localité 6]
Assigné par acte d'huissier en date du 08/01/2020, délivré à personne morale, n'ayant pas constitué
EXPOSÉ DU LITIGE
À la suite d'un démarchage à domicile, M. [X] [P] et Mme [V] [S] (les époux [P]) ont, selon bon de commande du 7 mars 2013, commandé à la société Econhoma la fourniture et la pose d'une pompe à chaleur et un ballon thermodynamique, moyennant le prix de 16 000 euros TTC.
En vue de financer cette opération, la société Domofinance a, selon offre acceptée le même jour, consenti aux époux [P] un prêt de 16 000 euros au taux de 4,78 % l'an, remboursable en 144 mensualités de 149,26 euros, hors assurance emprunteur, après un différé de remboursement de 180 jours.
D'autre part, après un nouveau démarchage à domicile, les époux [P] ont, selon second bon de commande du 23 avril 2013, commandé à la société Econhoma la fourniture et la pose d'une installation photovoltaïque, moyennant le prix de 20 000 euros TTC.
En vue de financer cette opération, la société Domofinance a, selon offre acceptée le même jour, consenti aux époux [P] un prêt de 20 000 euros au taux de 5,21 % l'an, remboursable en 140 mensualités de 195,13 euros, hors assurance emprunteur, après un différé de remboursement de 180 jours.
Prétendant que les échéances de remboursement des prêts n'étaient plus honorées en dépit de lettres recommandées de mise en demeure de régulariser l'arriéré sous dix jours en date du 16 janvier 2016, le prêteur s'est, par un second courrier recommandé du 2 février 2016, prévalu de la déchéance du terme et, par acte du 6 juillet 2016, a fait assigner les emprunteurs en paiement devant le tribunal d'instance de Quimper.
L'affaire a fait l'objet d'un retrait du rôle le 6 septembre 2017, puis l'affaire a été réenrôlée quand les défendeurs eurent, par acte du 24 octobre 2018, fait assigner en intervention forcée la SCP Canhet-Morand, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Econhoma, mise en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de 13 janvier 2014, afin d'obtenir l'annulation des contrats de vente et de prêt en invoquant l'irrégularité des bon de commande.
Par jugement du 31 mai 2019, le premier juge a :
prononcé la nullité du bon de commande signé le 7 mars 2013 par les époux [P] portant sur l'acquisition auprès de la société Econhoma d'une pompe à chaleur,
prononcé la nullité du contrat de prêt signé par les époux [P] le 7 mars 2013 portant sur la somme de 16 000 euros consenti par la société Domofinance,
prononcé la nullité du bon de commande signé le 23 avril 2013 par les époux [P] portant sur l'acquisition auprès de la société Econhoma d'un ensemble de panneaux photovoltaïques,
prononcé la nullité du contrat de prêt signé par les époux [P] le 23 avril 2013 portant sur la somme de 20 000 euros consenti par la société Domofinance,
débouté la société Domofinance de sa demande de remboursement des deux prêts contractés les 7 mars et 23 avril 2013,
dit que les époux [P] ne sont pas tenus de restituer à la société Domofinance les fonds prêtés,
condamné la société Domofinance à verser aux époux [P] la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
ordonné l'exécution provisoire de la décision,
rejeté toutes autres demandes,
condamné in solidum la société Domofinance et la SCP [F]-Morand, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Econhoma, aux dépens.
La société Domofinance a relevé appel de cette décision en intimant les époux [P] et la SCP [F]-Morand, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Econhoma.
La liquidation judiciaire de la société Econhoma ayant été clôturée pour insuffisance d'actif le 15 mars 2019, ce qui mettait fin à la mission du liquidateur, la société Domofinance a saisi le président du tribunal de commerce de Pontoise qui, par ordonnance du 29 janvier 2020, a désigné la même SCP [F]-Morand en qualité de mandataire ad hoc de la société Econhoma.
Par ordonnance du 19 juin 2020, le conseiller de la mise en état a rejeté la demande de caducité de la déclaration d'appel dirigée contre la SCP [F]-Morand, ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Econhoma, après avoir relevé que la SCP de mandataires judiciaires était bien partie à la procédure de première instance en cette qualité.
La société Domofinance demande à la cour de :
réformer le jugement attaqué,
dire irrecevables comme prescrites les demandes de Mme [P] en annulation des bons de commande et en mise en jeu de la responsabilité du prêteur,
débouter les époux [P] de toutes leurs demandes,
condamner les époux [P], solidairement ou l'un à défaut de l'autre, au paiement des sommes de :
17 219,20 euros au titre du prêt du 7 mars 2013, avec intérêts au taux contractuel de 4,78 % à compter du 18 juin 2016,
22 230,17 euros au titre du prêt du 23 avril 2013, avec Intérêts au taux contractuel de 5,21 % à compter du 18 juin 2016,
subsidiairement, condamner les époux [P], in solidum ou l'un à défaut de l'autre, au remboursement des capitaux prêtés de 16 000 euros au titre du prêt du 7 mars 2013 et de 20 000 euros au titre du prêt du 23 avril 2013, avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir, sauf à déduire les échéances versées,
en tous cas, condamner in solidum les époux [P] au paiement d'une indemnité de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Les époux [P] demandent quant à eux à la cour de rejeter 'l'exception' de prescription et de confirmer le jugement attaqué en tous points, sollicitant en outre la condamnation de la société Domofinance au paiement d'une indemnité de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que la condamnation solidaire de la société Domofinance et de SCP [F]-Morand mandataire ad hoc de la société Econhoma, aux dépens d'appel.
La SCP [F]-Morand, ès qualités, n'a pas constitué avocat devant la cour.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour la société Domofinance le 30 juin 2020 et pour les époux [P] le 11 août 2022, l'ordonnance de clôture ayant été rendue le 8 septembre 2022.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Sur la prescription
Relevant qu'il s'était écoulé plus de cinq ans entre la régularisation des bons de commande des 7 mars et 23 avril 2013 et l'assignation en intervention forcée du liquidateur de la société Econhoma aux fins d'obtenir leur annulation du fait d'irrégularités qui les affecteraient, la société Domifinance a conclu à l'irrecevabilité de ces demandes pour cause de prescription, mais, après que M. [P] eut justifié avoir, dès le 23 juin 2016 formé une demande d'aide juridictionnelle dans l'intention de mettre en cause le liquidateur de la société Econhoma, l'appelante a, dans le dernière état du dispositif de ses conclusions qui seul saisit la cour en application de l'article 954 du code de procédure civile, conclu à l'irrecevabilité des seules demandes formées par Mme [S] épouse [P].
Conformément aux dispositions de l'article 1304 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause, les actions en nullité se prescrivent par cinq ans commençant à courir à compter de la découvert du vice affectant l'acte incriminé.
En l'occurrence, les irrégularités des bon de commande alléguées, consistant en de prétendues omissions ou contradictions des conditions de règlement et en l'absence de bordereau détachable de rétractation, étaient visibles à la simple lecture des contrats des 7 mars et 23 avril 2013, de sorte que le délai de la prescription quinquennale a commencé à courir dès leur conclusion.
D'autre part, si, aux termes de l'article 38 de la loi du 19 décembre 1991 relative à l'aide juridictionnelle, une demande d'aide juridictionnelle formée en vue de saisir une juridiction a pour effet d'interrompre le délai de prescription du droit revendiqué, Mme [P] n'a formé une telle demande que le 18 octobre 2019, à l'occasion de la procédure d'appel, seul M. [P] ayant formé une demande d'aide juridictionnelle au cours de la procédure de première instance.
Dès lors, la prescription était déjà acquise depuis le 23 avril 2018 lorsque Mme [P] a demandé l'aide juridictionnelle, si bien que ses demandes en annulation des contrats de vente et de prêt sont irrecevables.
Sur la nullité des contrats de vente
Aux termes de l'article L. 121-23 du code de la consommation dans sa rédaction en vigueur lors de la conclusion du contrat litigieux, les ventes et fournitures de services conclues à l'occasion d'un démarchage au domicile d'une personne physique doivent faire l'objet d'un contrat dont un exemplaire est remis au client et notamment comporter, à peine de nullité, les mentions suivantes :
les noms du fournisseur et du démarcheur,
la désignation précise de la nature et des caractéristiques des biens offerts ou des services proposés,
les conditions d'exécution du contrat, notamment les modalités et le délai de livraison des biens, ou d'exécution de la prestation de services,
le prix global à payer, les modalités de paiement et, en cas de vente à crédit, les formes exigées par la réglementation sur ce type de vente,
la faculté de renonciation ouverte au client ainsi que les conditions d'exercice de cette faculté et, de façon apparente, le texte intégral des articles L. 121-23, L. 121-24, L. 121-25 et L. 121-26.
En outre, l'article L. 121-24 du code de la consommation précise que le contrat doit comprendre un formulaire détachable destiné à faciliter l'exercice de cette faculté de renonciation et contenant les mentions décrites aux articles R. 121-3 à R. 121-6 de ce code, tous les exemplaires du contrat devant être signés et datés de la main même du client.
Enfin, selon l'article R. 121-4, le formulaire détachable de rétractation doit comporter, sur une face, l'adresse exacte et complète à laquelle il doit être envoyé, et, sur son autre face, les mentions prévues à l'article R. 121-5 qui impose notamment l'indication de façon très lisible de la mention 'l'envoyer par lettre recommandée avec avis de réception' soulignée ou en caractères gras, ainsi que l'indication que le courrier doit être adressé à l'adresse figurant au dos.
À cet égard, au soutien de leur demande d'annulation des bons de commande des 7 mars et 23 avril 2013, les époux [P] invoquent, s'agissant celui du 7 mars 2013, la mention de conditions de règlement lacunaires, omettant l'indication du coût total du crédit, et prétendument contradictoires en ce qui concerne le financement de la pompe à chaleur et du ballon thermodynamique, et, s'agissant des deux bons de commande, l'absence de bordereaux détachables de rétractation.
S'agissant des conditions financières, il n'existe aucune incohérence entre les feuillets du bon de commande du 7 mars 2013 relatifs, d'une part, à la pompe à chaleur et, d'autre part, au ballon thermodynamique, tous deux mentionnant des conditions de paiement par un financement à hauteur de 16 000 euros.
D'autre part, le bon de commande indique le taux d'intérêts, le taux effectif global, ainsi que le nombre et le montant des échéances, et, à supposer même que le coût total du crédit dût être mentionné à peine de nullité du contrat de vente, il sera observé que celui-ci figure sur l'offre de prêt acceptée le même jour à l'occasion de la même opération de démarchage, si bien que les emprunteurs en ont été parfaitement informés.
Par ailleurs, ces bons de commande ne sont produits que sous la forme de photocopies partielles de deux pages du bon de commande du 7 mars 2013 et d'une seule page de celui du 23 avril 2013, lesquels, comme le relève à juste titre la société Domofinance, comportent l'un et l'autre en pied des documents l'une des faces d'un bordereau détachable de rétractation mentionnant, comme exigé par l'article R. 121-4 précité, l'adresse exacte et complète de la société Econhoma à laquelle il doit être envoyé.
En outre, l'appelante produit le formulaire du bon de commande utilisé par la société Econhoma dont le recto est exactement identique aux bons de commandes litigieux, en ce inclus la face du bordereau détachable de rétractation figurant en pied du document et mentionnant l'adresse du siège social du fournisseur, et, au verso, les conditions générales de vente reproduisant les articles L. 121-23 et suivants du code de la consommation dans leur rédaction applicable à la cause, notamment l'article L. 121-25 relatif aux modalités de la faculté de rétractation du consommateur, ainsi que l'autre face du bordereau détachable comportant les déclarations prérédigées propres à faciliter l'exercice du droit de rétractation et, dans un encart titré en caractères gras, l'indication très lisible de ce que ce bordereau devait être envoyé par lettre recommandée avec accusé de réception à l'adresse du siège de la société Econhoma.
Dès lors, rien ne démontre que le contrat de vente n'était pas doté d'un bordereau de rétractation régulier.
Il convient en conséquence d'infirmer le jugement attaqué en ce qu'il a prononcé l'annulation des bons de commande des 7 mars et 23 avril 2013.
Sur les prêts
Les contrats principaux n'ayant pas été annulés, les dispositions du jugement attaqué ayant prononcé par voie de conséquence l'annulation des contrats de crédit affectés ne pourront qu'être infirmées.
D'autre part, pour s'opposer à l'action de la société Domofinance en paiement des sommes dues au titre du prêt, les époux [P] font valoir que celle-ci aurait engagé sa responsabilité en ne vérifiant pas la régularité formelle des bons de commande.
Cependant, il vient d'être précédemment relevé que ceux-ci n'étaient affectés d'aucune des irrégularités invoquées, de sorte que le prêteur n'a commis aucune faute en libérant les fonds empruntés entre les mains du fournisseur au vu de fiches de réception de travaux des 18 avril et 20 juin 2013, par lesquelles M. [P] déclarait que les installations (livraison et pose) étaient terminées et correspondaient aux bons de commande, et demandait à la société Domofinance d'adresser à la société Econhoma le règlement correspondant au financement de l'opération considérée.
Il ressort de l'offre de prêt acceptée le 7 mars 2013, du tableau d'amortissement et du décompte de créance qu'il restait dû à la société Domofinance au jour de la déchéance du terme du 2 février 2016 :
2 175,23 euros (635,52 + 1 539,71) au titre des échéances échues impayées et reportées,
13 929,61 euros au titre du capital restant dû,
1 114,36 euros au titre de l'indemnité de défaillance égale à 8 % du capital restant dû,
soit, au total, 17 219,20 euros, avec intérêts au taux de 4,78 % sur le principal de 16 104,84 euros à compter, comme demandé, du 18 juin 2016.
Il ressort par ailleurs de l'offre de prêt acceptée le 23 avril 2013, du tableau d'amortissement et du décompte de créance qu'il restait dû à la société Domofinance au jour de la déchéance du terme du 2 février 2016 :
3 184,46 euros (955,75 + 2 228,71) au titre des échéances échues impayées et reportées,
17 634,92 euros au titre du capital restant dû,
1 410,79 euros au titre de l'indemnité de défaillance égale à 8 % du capital restant dû,
soit, au total, 22 230,17 euros, avec intérêts au taux de 5,21 % sur le principal de 20 819,38 euros à compter, comme demandé, du 18 juin 2016.
Sur les frais irrépétibles
Il n'y a pas matière à application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de quiconque, tant en première instance qu'en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
Infirme le jugement rendu le 31 mai 2019 par le tribunal d'instance de Quimper en toutes ses dispositions ;
Déclare les demandes en annulation des contrats de vente et de prêt formées par Mme [V] [S] épouse [P] irrecevables ;
Déboute M. [X] [P] de ses demandes en annulation des contrats de vente et de prêt ;
Condamne solidairement M. et Mme [P] à payer à la société Domofinance la somme de 17 219,20 euros au titre du prêt du 7 mars 2013, avec intérêts au taux de 4,78 % sur le principal de 16 104,84 euros à compter du 18 juin 2016 ;
Condamne solidairement M. et Mme [P] à payer à la société Domofinance la somme de 22 230,17 euros, avec intérêts au taux de 5,21 % sur le principal de 20 819,38 euros à compter du 18 juin 2016 ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum M. et Mme [P] aux dépens de première instance et d'appel ;
Rejette toutes autres demandes contraires ou plus amples.
LE GREFFIER LE PRESIDENT