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15/12/2022 | FRANCE | N°19/06877

France | France, Cour d'appel de Rennes, 7ème ch prud'homale, 15 décembre 2022, 19/06877


7ème Ch Prud'homale





ARRÊT N°553/2022



N° RG 19/06877 - N° Portalis DBVL-V-B7D-QF3T













Mme [P] [I]



C/



SAS OUEST CONCEPT ET ENSEIGNEMENT























Copie exécutoire délivrée

le :



à :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 15 DECEMBRE 2022





COMPOSITI

ON DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,

Assesseur : Madame Liliane LE MERLUS, Conseillère,

Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,



GREFFIER :



Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé



DÉBATS...

7ème Ch Prud'homale

ARRÊT N°553/2022

N° RG 19/06877 - N° Portalis DBVL-V-B7D-QF3T

Mme [P] [I]

C/

SAS OUEST CONCEPT ET ENSEIGNEMENT

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 15 DECEMBRE 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,

Assesseur : Madame Liliane LE MERLUS, Conseillère,

Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 31 Octobre 2022

En présence de Monsieur [T], médiateur judiciaire

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 15 Décembre 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANTE :

Madame [P] [I]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Lara BAKHOS de la SELEURL PAGES - BAKHOS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉE :

SAS OUEST CONCEPT ET ENSEIGNEMENT Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Bruno LOUVEL de la SELARL PHENIX, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Karen AZRAN, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

EXPOSÉ DU LITIGE

La SAS Ouest concept et enseignement (OCE), filiale de la SAS MJM Graphic design, est un établissement privé hors contrat d'enseignement professionnel des arts appliqués situé à [Localité 4].

Mme [P] [I] exerce une activité dite de 'pré-presse' sous le statut d'artisan depuis le 26 janvier 1983.

À compter de septembre 2009, Mme [I] intervenait en qualité de professeur d'arts graphiques au sein de l'école OCE MJM.

De 2009 à 2011, Mme [I] facturait ses prestations à 40 euros de l'heure de cours, hors taxes.

De 2011 à 2012, elle facturait ses prestations 41 euros de l'heure, hors taxes.

Puis, de 2012 à 2013, elle facturait ses prestations 42 euros de l'heure, hors taxes.

De septembre 2014 à la fin de la relation de travail, Mme [I] facturait ses prestations au taux de 43,26 euros, hors taxes.

Le 13 juillet 2017, suite à une lettre d'observations de l'URSSAF, la société Ouest concept et enseignement proposait à Mme [I] de poursuivre la relation contractuelle dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée selon les conditions de rémunération des enseignants salariés, soit une rémunération à hauteur de 23 euros bruts de l'heure de cours.

Par courrier en date du 29 août 2017, Mme [I] acceptait la proposition à condition de maintenir sa rémunération horaire au dernier niveau de facturation et à condition d'appliquer la convention collective des organismes de formation, convention qui n'était pas appliquée par la SAS OCE.

Le 26 septembre 2017, la société OCE mettait fin à sa collaboration avec Mme [I], à défaut d'accord sur les conditions de son embauche comme salariée.

Le 23 novembre 2017, Mme [I], par l'intermédiaire de son conseil, sollicitait vainement une résolution amiable.

 ***

Mme [I] a saisi le conseil de prud'hommes de Rennes par requête en date du 17 avril 2018 afin de voir:

- Ordonner la requalification de la relation contractuelle depuis septembre 2009 en contrat à durée indéterminée.

- Dire et juger les parties liées par un contrat de travail à temps partiel de 24 heures hebdomadaires

En conséquence,

- Rappel de salaires au titre de l'année 2014/2015 : 21 142,21 Euros

- Rappel de salaires au titre de l'année 2015/2016 : 26 318,66 Euros

- Rappel de salaires au titre de l'année 2016/2017 : 26 208,05 Euros

- Dire et juger que la rupture du contrat de travail s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, en conséquence

- Indemnité compensatrice de préavis 16 474,22 Euros et congés payés afférents : 647,42 Euros

- Indemnité légale de licenciement : 5 286,83 Euros

- Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 19 422,60 Euros

- Indemnité pour travail dissimulé : 19 422,60 Euros

- Remise sous astreinte de 50 euros par jour de retard, les bulletins de salaire, le certificat de travail et l'attestation Pôle Emploi régulièrement libellés.

- Dire et juger que le conseil de prud'hommes se réserve le pouvoir de liquider l'astreinte.

- Article 700 du code de procédure civile : 2 500,00 Euros.

- Ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

- Entiers dépens y compris ceux éventuels d'exécution.

La SAS Ouest concept et enseignement demandait au conseil de prud'hommes de:

- Se déclarer incompétent au profit du tribunal de grande instance de Rennes.

A titre principal :

- Dire et juger que Mme [I] n'a pas d'intérêt légitime à agir en justice.

- En conséquence, déclarer irrecevables l'ensemble des demandes de Mme [I].

A titre subsidiaire :

- Dire et juger que Mme [I] n'avait pas la qualité de salarié de la société OCE, en conséquence, débouter Mme [I] de l'ensemble de ses demandes.

A titre infiniment subsidiaire :

- Dire et juger que la convention collective des organismes de formation n'est pas applicable à la Société OCE

- Dire et juger que Mme [I] n'est soumise à aucune durée minimale de travail à temps partiel

- Dire et juger que la rupture de la relation de travail n'est pas imputable a la société OCE et qu'il ne justifie d'aucun préjudice y afférent.

- Dire et juger que Mme [I] ne rapporte pas la preuve de la dissimulation intentionnelle de son emploi, en conséquence débouter Mme [I] de ses demandes.

En tout état de cause :

- Condamner Mme [I] à verser à la société la somme de 2 500 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

- Dépens.

Par jugement en date du 19 septembre 2019, le conseil de prud'hommes de Rennes s'est déclaré compétent et a:

- Requalifié la relation contractuelle depuis septembre 2009 en contrat à durée indéterminée à temps partiel sans modification des horaires pratiqués.

- Jugé que la rupture intervenue par courrier en date du 26 septembre 2017 est un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- Condamné la société OCE à payer Madame [P] [I] les sommes suivantes :

- 1 334 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 133,40 euros à titre de congés payés afférents au préavis.

- 1 088,54 euros à titre d'indemnité de licenciement.

- 2 001 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

- Débouté Madame [I] du surplus de ses demandes.

- Ordonné la remise sous astreinte des bulletins de salaire des trois derniers mois de travail avant la rupture, du certificat de travail et de l'attestation Pôle emploi régulièrement libellés sous astreinte de 15 euros par jour de retard à compter du 30ème jour suivant la notification du jugement.

- Dit que le conseil se réserve le droit de liquider l'astreinte.

- Condamné la société OCE à payer à Madame [I] la somme de 1 500 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

- Débouté la société OCE de ses autres demandes.

- Ordonné l'exécution provisoire du jugement.

- Dit que les sommes à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la citation, celles à caractère indemnitaire à compter du prononcé du jugement.

- Dit n'y avoir lieu à condamner la société OCE en application des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail à rembourser les allocations chômage réellement perçues par Madame [I], cette dernière étant en droit de bénéficier de sa retraite dès octobre 2015.

- Condamné la société OCE aux dépens y compris ceux éventuels d'exécution du jugement.

***

Mme [I] a régulièrement interjeté appel de la décision précitée par déclaration au greffe en date du 17 octobre 2019.

En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 08 février 2021, Mme [I] demande à la cour d'appel d'infirmer le jugement du 19 septembre 2019 et de:

- Dire et juger les parties liées par un contrat de travail à temps partiel de 24 heures hebdomadaires.

- Condamner en conséquence la société Ouest concept et enseignement à lui payer:

- la somme de 21 142,21 euros de rappel de salaires au titre de l'année 2014/2015,

- la somme de 26 318,63 euros de rappel cie solaires au titre de l'année 2015/2016,

- la somme de 26 208,05 euros de rappel de salaires au titre de l'année 2016/2017.

- Condamner la société Ouest concept et enseignement à payer à Mme [I] :

- la somme de 6 474,22 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 647,42 euros de congés payés afférents, ou subsidiairement la somme de 2 899,86 euros outre 289,98 euros de congés payés afférents ;

- la somme de 5 286,83 euros à titre d'indemnité légale de licenciement, ou subsidiairement celle de 2368,03 euros.

- la somme de 19 422,60 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ou subsidiairement celle de 11 599,44 euros;

- Condamner la société Ouest concept et enseignement au paiement d'une somme de 19 422,60 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé, ou subsidiairement celle de 8 699,58 euros,

- Condamner la société Ouest concept et enseignement à délivrer sous astreinte de 50 euros par jour de retard, les bulletins de salaire, le certificat de travail et l'attestation Pôle Emploi régulièrement libellés,

- Confirmer pour le surplus la décision entreprise,

- Condamner la société Ouest concept et enseignement au paiement d'une indemnité de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,

- Condamner la société Ouest concept et enseignement aux entiers dépens, y compris ceux éventuels d'exécution.

Mme [I] fait valoir en substance que:

- C'est la question de fond (l'existence d'un contrat de travail) qui détermine la compétence ; le conseil de prud'hommes était compétent pour statuer ;

- Elle n'a pas refusé de signer un contrat de travail mais elle a refusé les conditions financières prévues par l'employeur qui imposaient une diminution de près de moitié de sa rémunération ; elle justifie d'un intérêt à agir ;

- Depuis septembre 2009, elle a travaillé pour un donneur d'ordre unique à qui elle a facturé des prestations à l'heure, selon des plannings élaborés par l'école, avec les matériels et équipements fournis par celle-ci, devant respecter des instructions pour les programmes et les cours, participant aux réunions et étant intégrée dans un service organisé; il est démontré un lien de subordination ; elle tirait l'essentiel de ses ressources de son travail pour la société OCE ;

- La cour d'appel de Rennes a statué dans un cas similaire le 14 janvier 2021 pour reconnaître l'existence d'un contrat de travail ; la cour d'appel de Colmar également le 3 octobre 2013, le pourvoi formé contre cet arrêt ayant été rejeté le 18 mars 2015 par la cour de cassation ;

- Il n'existait aucune différence entre les intervenants salariés et les autres qui étaient soumis aux mêmes contingences (respect des plannings et emplois du temps, convocation aux jurys d'examen, réunions pédagogiques, réunions parents-professeurs, journées portes ouvertes, remplissage des bulletins de notes, contrôle des absences, contrôle du respect de la discipline) ;

- Elle est en droit de demander un rappel de salaire sur les trois années précédant la rupture, sur la base de la convention collective nationale des organismes de formation ; la durée minimale de 24 heures par semaine est applicable ;

- La rupture du contrat de travail intervenue en dehors de toute procédure, s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 22 septembre 2022, la SAS Ouest concept et enseignement demande à la cour d'infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Rennes du 19 septembre 2019 en ce que :

' le conseil de prud'hommes s'est déclaré compétent pour connaître du litige,

' le conseil de prud'hommes a :

' requalifié la relation contractuelle depuis septembre 2009 en contrat à durée indéterminée,

' jugé que la rupture est un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

' condamné la société OCE à payer à Madame [I] une indemnité compensatrice de préavis, les congés payés afférents au préavis, une indemnité de licenciement, une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

' ordonné la remise sous astreinte des bulletins de salaire des trois derniers mois de travail avant la rupture, du certificat de travail et de l'attestation Pôle emploi régulièrement libellés sous astreinte de 15 euros par jour de retard à compter du 30ème jour suivant la notification du jugement,

' condamné la société OCE à payer à Madame [I] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

' condamné la société OCE aux dépens y compris ceux éventuels d'exécution du jugement.

Statuant à nouveau sur ces points :

In limine litis :

- Dire et juger que le conseil de prud'hommes de Rennes n'était pas compétent pour connaître du litige et renvoyer le présent litige devant le tribunal de grande instance de Rennes.

Sur le fond :

A titre principal :

- Dire et juger que Madame [I] n'a pas d'intérêt légitime à agir en justice et déclarer irrecevables l'ensemble de ses demandes.

Subsidiairement :

- Dire et juger que Madame [I] n'avait pas la qualité de salariée de la Société OCE et la débouter de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

A titre infiniment subsidiaire :

- Dire et juger que la Convention collective des organismes de formation n'est pas applicable à la Société OCE ;

- Dire et juger que la rupture de la relation de travail n'est pas imputable à la société OCE;

En conséquence,

- Débouter Madame [I] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

- Confirmer le jugement du 19 septembre 2019 en ce que le conseil de prud'hommes de Rennes a :

' Jugé que Madame [I] n'est soumise à aucune durée minimale de travail à temps partiel et l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes de rappels de salaires et de congés payés à ce titre ;

' Jugé que la rupture est intervenue par courrier en date du 26 septembre 2017 ;

' Jugé que Madame [I] ne justifie d'aucun préjudice afférent à la rupture de la relation de travail ;

' Jugé que Madame [I] ne rapporte pas la preuve de la dissimulation intentionnelle de son emploi et l'a déboutée de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé ;

' Dit n'y avoir lieu à condamner la société OCE en application des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail à rembourser les allocations chômage réellement perçues par Madame [I], cette dernière étant en droit de bénéficier de sa retraite dès octobre 2015.

En tout état de cause :

- Débouter Madame [I] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

- Condamner Madame [I] à verser à la Société OCE la somme de 2 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamner Madame [I] aux entiers dépens.

La société OCE fait valoir en substance que:

- En l'absence de contrat de travail, le conseil de prud'hommes n'était pas compétent pour statuer ; il appartient dès lors à la cour de 'renvoyer l'affaire au tribunal de grande instance de Rennes, la société étant établie à Rennes' (sic) ;

- Mme [I] revendique la qualité de salariée alors qu'elle a refusé de bénéficier de cette qualité en refusant de signer le contrat de travail qui lui a été proposé le 13 juillet 2017 ; elle n'a donc pas d'intérêt légitime à agir;

- La charge de la preuve de l'existence d'un contrat de travail repose sur Mme [I] ; étant immatriculée en qualité de travailleur indépendant, elle est présumée ne pas être liée à la société OCE par un contrat de travail;

- Les plannings étaient établis en fonction des disponibilités de l'intervenante qui proposait librement ses services pour assurer certains remplacements et présentations lorsqu'elle était disponible et gérait elle-même ses absences ; elle était totalement libre de l'organisation de ses cours ; elle n'était pas convoquée mais seulement conviée à des réunions d'information ou à des jurys d'examens ; il n'est démontré aucune directive donnée par un employeur ; Mme [I] n'a jamais été sanctionnée ; l'intégration à un service organisé n'est qu'un indice qui ne se suffit pas à lui-même pour démontrer l'existence d'un lien de subordination ;

- La comparaison avec la situation des salariés ne permet pas de caractériser l'existence d'un contrat de travail avec un travailleur indépendant ;

- Elle n'était pas tenue d'appliquer le guide à l'usage des intervenants, qui n'a aucune valeur contraignante;

- La convention collective nationale des organismes de formation n'est pas applicable ; l'activité principale de la société OCE est l'enseignement en cours privés d'étalage, photographie, stylisme, modélisme et décoration d'intérieur ; ces activités ne sont pas visées dans l'article relatif au champ d'application de la convention collective ; le code APE 8559B ne correspond pas aux organismes de formation ; les dispositions dont se prévaut Mme [I] sont des dispositions non étendues ;

- Les contrats de travail à temps partiel conclus avant le 1er janvier 2014 ne sont pas tenus de respecter une durée minimale de 24 heures par semaine ; Mme [I] ne travaillait pas à temps complet ; elle se voyait remettre à chaque rentrée scolaire un planning annuel sur lequel figurent les heures de cours qui établissent son temps de travail partiel ;

Mme [I] ne conteste pas avoir été payée des montants qu'elle a elle-même facturés, qui correspondent aux heures réellement travaillées ; elle n'est pas fondé à revendiquer un salaire horaire de 43,26 euros alors que le taux proposé de 23 euros correspond au minima conventionnel pour les cadres relevant de la convention collective nationale de la formation ;

- Mme [I] ne justifie pas d'une rupture unilatérale à l'initiative de la société OCE ; c'est elle qui n'a pas donné suite à la proposition de contrat de travail à durée indéterminée transmise la société et ne s'est plus présentée à son poste ;

- Elle ne peut calculer son salaire de référence par rapport au montant auquel elle facturait ses prestations ;

- Il n'est démontré aucune intention de dissimulation d'emploi ;

- Il n'est justifié d'aucune prise en charge par Pôle emploi et il n'y a donc pas lieu de condamner l'employeur de ce chef.

***

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du conseiller de la mise en état le 27 septembre 2022 avec fixation de la présente affaire à l'audience du 31 octobre 2022.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour l'exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions qu'elles ont déposées et soutenues oralement à l'audience.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1- Sur la compétence de la juridiction prud'homale:

En vertu de l'article L1411-1 du code du travail, le conseil de prud'hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient.

Le conseil de prud'hommes est compétent pour statuer sur l'existence d'un contrat de travail et il lui appartient à ce titre, dans le cas où il n'existe pas de contrat de travail apparent, de rechercher si la partie qui revendique l'existence d'un tel contrat, exerce ses fonctions sous l'autorité et le contrôle d'un employeur ayant un pouvoir de contrôle et de sanction, pour qualifier de contrat de travail la relation contractuelle qui lie les parties.

En l'espèce, Mme [I] fonde l'intégralité de ses prétentions sur l'existence revendiquée d'un contrat de travail le liant à la société OCE et remet précisément en cause l'apparence de la relation contractuelle, telle qu'elle résulte de la facturation de prestations d'enseignement.

La société OCE conteste pour sa part la réalité d'un tel contrat de travail sur lequel la salariée fonde ses demandes.

La question soumise à la juridiction prud'homale étant relative à l'existence d'un contrat de travail relève donc pleinement de sa compétence ratione materiae, l'argumentation de l'employeur trouvant d'ailleurs sa propre contradiction lorsqu'il affirme, en page 8 de ses écritures que 'Mme [I] n'apporte aucun élément prouvant l'existence d'un lien de subordination, alors que la charge de la preuve pèse exclusivement sur l'appelante', ce dont il se déduit que la question posée est bien une question de fond qu'il revient à la seule juridiction prud'homale de trancher.

Surabondamment et alors qu'en application des dispositions de l'article 75 du code de procédure civile, il incombe à la partie qui soulève une exception d'incompétence de faire connaître devant quelle juridiction elle demande que l'affaire soit portée, il ne peut qu'être constaté que la société OCE demande dans ses conclusions signifiées le 22 septembre 2022 le renvoi devant le tribunal de grande instance de Rennes, juridiction supprimée par la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 et remplacée depuis le 1er janvier 2019 par le tribunal judiciaire.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société OCE et s'est déclaré compétent pour statuer.

2- Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir:

En vertu de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

Le conseil de prud'hommes a omis de statuer sur la fin de non-recevoir soulevée par la société OCE, tirée du défaut d'intérêt à agir qu'elle oppose à Mme [I].

La société OCE soutient à cet égard que Mme [I] a expressément refusé de signer le contrat de travail qui lui a été soumis, de telle sorte qu'elle ne peut pas solliciter le juge pour se voir reconnaître un droit qu'elle a elle-même refusé.

Cette affirmation est toutefois formellement contredite par les termes du courrier adressé le 28 juillet 2017 par l'employeur en réponse au courrier de la salariée du 17 juillet 2017, dans lequel il est indiqué:

'(...) Par courrier du 17 juillet sans vous référer à cet entretien, vous confirmez votre accord sur le principe d'un C.D.I. mais vous proposez un taux horaire de 43,26 € brut (...)'.

Il est constant que Mme [I] s'est vu proposer la conclusion d'un contrat de travail moyennant un taux horaire de rémunération de 23 euros qu'elle a entendu contester et qu'elle estime avoir été liée dès l'origine des relations contractuelles avec la société OCE par un contrat de travail, l'intéressée justifiant donc d'un intérêt à agir contre la dite société qui conteste pour sa part l'existence même d'un tel contrat de travail.

La fin de non-recevoir soulevée par la société OCE doit donc être rejetée.

3- Sur la demande relative à l'existence d'un contrat de travail:

En vertu de l'article L8221-6-I du code du travail, sont présumés ne pas être liés avec le donneur d'ordre par un contrat de travail dans l'exécution de l'activité donnant lieu à immatriculation ou inscription :

1° Les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au registre des agents commerciaux ou auprès des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales pour le recouvrement des cotisations d'allocations familiales (...).

Le paragraphe II de ce même article dispose que l'existence d'un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque les personnes mentionnées au I fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d'ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci.

Il est constant que le lien de subordination juridique est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

Il y a contrat de travail lorsqu'une personne s'engage à travailler pour le compte et sous la subordination d'une autre, moyennant rémunération.

La société OCE verse aux débats un extrait du site 'Société.com' dont il résulte qu'à la date du 15 octobre 2018 Mme [I] était immatriculée en qualité d'artisan exerçant une activité de pré-presse relevant du code NAF 1813Z.

Une telle situation juridique entraîne une présomption d'absence de contrat de travail avec le donneur d'ordre, conformément aux dispositions précitées de l'article L8226-6-I du code du travail.

Pour renverser cette présomption, Mme [I] se prévaut de ce qu'elle a travaillé depuis le mois de septembre 2009 pour un unique donneur d'ordre, la société OCE, à qui elle a facturé des prestations en se conformant aux plannings établis par l'école et en travaillant avec les matériels et équipements fournis par l'école.

Elle ajoute qu'elle devait respecter les instructions qui lui étaient données pour les programmes et les cours et qu'elle devait participer à des réunions, étant intégrée dans un service organisé.

Mme [I] produit les plannings des années 2015-2016 et 2016-2017 remis par la société OCE, sur lesquels figurent, identifiées par différents codes couleurs, différentes tâches programmées telles que réunions de rentrée pour les enseignants, réunions bilans, commissions pédagogiques, réunions parents-professeurs ou encore conseils de classe.

Elle produit également des tableaux de type 'Excel' peu lisibles, sur lesquels on distingue toutefois son nom en qualité d'intervenante dans une classe de communication visuelle - 1ère année ainsi que la localisation des cours à l'intérieur de l'établissement et les horaires.

Il est encore produit une fiche programme du cours de P.A.O. qui mentionne un volume horaire de 3h30 de cours par semaine dispensés par Mme [I], ainsi qu'un plan de cours.

Il doit ici être relevé que ces documents ont une fréquence annuelle, que rien n'établit qu'ils n'aient pas été élaborés en fonction des desiderata et disponibilités de l'intervenante et qu'il n'est pas justifié de modifications de planning mises en oeuvre en cours d'année par la société OCE sans l'aval de l'intéressée.

La mention dans les plannings de réunions à caractère pédagogique devant se tenir à différentes reprises au cours de l'année scolaire ne permet pas, par la seule fixation de bornes temporelles, de conclure à la manifestation d'un pouvoir contraignant de subordination de la société OCE à l'égard de l'intervenante, alors qu'il n'est démontré aucune intervention de la direction de l'établissement dans l'organisation des cours dispensés et dans la façon d'aborder la matière enseignée.

La participation de Mme [I] à des réunions pédagogiques donnant lieu à l'élaboration de comptes rendus qui ne dénotent nullement la manifestation d'un pouvoir hiérarchique sur la personne de l'intervenante et sa participation à des jurys d'examen, s'inscrivent non pas dans le cadre d'une directive énoncée dans le contexte d'une relation de travail subordonnée, mais dans celui d'une composante de la prestation globale qu'elle facturait à l'établissement, étant ici observé que ses factures distinguaient les 'interventions' facturées au taux horaire de 43,26 euros sur la dernière période et des tâches de 'coordination' facturées sur une ligne distincte.

Aucun élément n'établit que la participation de Mme [I] à des journées d'information et portes ouvertes ait revêtu un caractère obligatoire et qu'une défaillance de sa part ait pu faire l'objet de sanctions.

L'appelante se prévaut d'échanges de courriels avec la direction de l'établissement, relatifs à la fixation de dates de réunions ou d'interventions, sans que la teneur des écrits émanant de la société OCE ne mette en évidence la manifestation d'un pouvoir hiérarchique de nature à s'inscrire dans une relation de travail subordonné.

La fixation de dates de réunions et de consignes générales dans des termes qui ne révèlent ni un quelconque caractère comminatoire, ni la manifestation d'un pouvoir de direction sur la personne de l'intervenante, s'inscrit dans le cadre habituel du fonctionnement d'un établissement d'enseignement et il ne résulte pas des documents dont se prévaut Mme [I] une quelconque contrainte s'imposant à elle.

L'appelante produit encore un document intitulé 'Le guide MJM Graphic Design à l'usage des intervenants' qui contient une définition des tâches des différents acteurs de l'établissement (direction générale, direction pédagogique, coordinateur de formation, intervenant professionnel, secrétariat et service informatique), une charte de l'intervenant, des informations sur la notation et les examens ainsi qu'un règlement de l'intervenant.

Au-delà des intitulés de chapitre, le contenu de ce document ne contient que des informations à caractère général sur le fonctionnement de l'établissement, les règles relatives à la discipline des élèves et au suivi de leur formation ainsi que de leur notation, la seule consigne donnée au formateur étant celle de l'absence de validation d'un acquis en cas de note inférieure à 12/20.

L'affirmation selon laquelle ce guide ne distingue pas selon le statut des intervenants et caractérise l'existence d'un lien de subordination ne se vérifie nullement à sa lecture, puisque s'il témoigne de l'existence d'un service éducatif organisé au sein duquel les intervenants doivent respecter une charte éducative et pédagogique, il ne contient aucun élément de nature à mettre en évidence une relation de subordination juridique et ne révèle notamment aucun pouvoir de sanction de la société OCE à l'égard des dits intervenants.

Plus généralement, en vain recherchera t'on dans les pièces produites par Mme [I] des éléments objectifs et pertinents de nature à établir que l'intéressée ait exercé son activité selon des ordres et directives précises de la société OCE, qui aurait contrôlé leur exécution et aurait sanctionné les éventuels manquement commis.

Si Mme [I] établit par la production de factures et avis d'imposition, le fait d'avoir tiré une part importante de ses revenus déclarés en bénéfices non commerciaux au titre des prestations facturées à la société OCE, ce seul élément d'ordre économique est impropre à caractériser un lien de subordination juridique caractéristique de l'existence d'un contrat de travail.

Au résultat de l'ensemble de ces éléments, faute pour Mme [I] de renverser utilement la présomption d'absence de contrat de travail avec un donneur d'ordre, telle qu'elle résulte de son statut et des dispositions précitées de l'article L8226-6-I du code du travail, elle doit être déboutée de sa demande de requalification de la relation de travail ayant existé avec la société OCE en contrat de travail à temps partiel et de toutes ses demandes subséquentes qui dérivent de l'existence d'un tel contrat de travail.

Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé sur l'ensemble de ces chefs de demande.

4- Sur les dépens et frais irrépétibles:

En application de l'article 696, Mme [I], partie perdante, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

Elle sera donc déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité commande de ne pas faire droit à la demande de la société OCE fondée sur les mêmes dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Rejette la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir de Mme [I];

Confirme le jugement entrepris en ce que le conseil de prud'hommes s'est déclaré compétent pour statuer ;

Infirme pour le surplus le jugement entrepris ;

Statuant à nouveau,

Déboute Mme [I] de toutes ses demandes ;

Déboute la société Ouest concept et enseignement de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Mme [I] aux dépens de première instance et d'appel.

Le Greffier Le Conseiller pour le

Président empêché


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 7ème ch prud'homale
Numéro d'arrêt : 19/06877
Date de la décision : 15/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-15;19.06877 ?
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