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15/12/2022 | FRANCE | N°19/06873

France | France, Cour d'appel de Rennes, 7ème ch prud'homale, 15 décembre 2022, 19/06873


7ème Ch Prud'homale





ARRÊT N°550/2022



N° RG 19/06873 - N° Portalis DBVL-V-B7D-QF3H













M. [W] [T]



C/



SAS OUEST CONCEPT ET ENSEIGNEMENT





















Copie exécutoire délivrée

le :



à :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 15 DECEMBRE 2022





COMPOSITION DE LA

COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,

Assesseur : Madame Liliane LE MERLUS, Conseillère,

Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,



GREFFIER :



Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé



DÉBATS :
...

7ème Ch Prud'homale

ARRÊT N°550/2022

N° RG 19/06873 - N° Portalis DBVL-V-B7D-QF3H

M. [W] [T]

C/

SAS OUEST CONCEPT ET ENSEIGNEMENT

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 15 DECEMBRE 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,

Assesseur : Madame Liliane LE MERLUS, Conseillère,

Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 31 Octobre 2022

En présence de Monsieur [V], médiateur judiciaire

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 15 Décembre 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANT :

Monsieur [W] [T]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représenté par Me Lara BAKHOS de la SELEURL PAGES - BAKHOS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉE :

SAS OUEST CONCEPT ET ENSEIGNEMENT

Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Bruno LOUVEL de la SELARL PHENIX, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me AZRAN Karent, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

EXPOSÉ DU LITIGE

La SAS Ouest concept et enseignement (OCE), filiale de la SAS MJM Graphic design, est un établissement privé hors contrat d'enseignement professionnel des arts appliqués situé à [Localité 4].

M. [W] [T] exerce son activité sous le statut d'auto-entrepreneur et est également gérant de la société Espace création, spécialisée dans le secteur d'activité des studios et autres activités photographiques.

À compter de septembre 2007, M. [T] intervenait en qualité de professeur de photographie au sein de l'école OCE MJM.

De septembre 2007 à août 2014, M. [T] facturait ses prestations 40 euros hors taxes de cours.

Puis, de septembre à décembre 2014, il facturait ses interventions à 43 euros de l'heure de cours.

À compter de janvier 2015, il facturait ses prestations à 43,86 euros toutes taxes comprises, de l'heure de cours.

Les 26 juin et 28 juillet 2017, suite à une observation de l'Urssaf, la société Ouest concept et enseignement proposait à M. [T] de poursuivre la relation contractuelle dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée selon les conditions de rémunération des enseignants salariés, soit une rémunération à hauteur de 23,50 euros bruts de l'heure de cours.

Par courrier en date du 28 août 2017, M. [T] acceptait la proposition à condition de maintenir sa rémunération horaire au dernier niveau de facturation et à condition d'appliquer la convention collective des organismes de formation, convention qui n'était pas appliquée par la SAS OCE.

Le 26 septembre 2017, la société OCE mettait fin à sa collaboration avec M. [T], à défaut d'accord sur les conditions de son embauche comme salarié.

Le 23 novembre 2017, M. [T], par l'intermédiaire de son conseil, sollicitait vainement une résolution amiable.

 ***

M. [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Rennes par requête en date du 17 avril 2018 afin de voir:

- Ordonner la requalification de la relation contractuelle depuis septembre 2007 en contrat de travail à durée indéterminée.

- Dire et juger les parties liées par un contrat de travail à temps partiel de 24 heures hebdomadaire.

- Condamner en conséquence la société Ouest concept et enseignement à lui payer :

- la somme de 23 246,25 euros de rappel de salaires au titre de l'année 2014/2015,

- la somme de 26 797,56 euros de rappel de salaires au titre de l'année 2015/2016,

- la somme de 23 246,25 euros de rappel de salaires au titre de l'année 2016/2017.

- Dire et juger que la rupture du contrat de travail s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- Condamner en conséquence la société Ouest concept et enseignement à payer à Monsieur [T]:

- la somme de 6 561,60 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 656,16 euros de congés payés afférents,

- la somme de 6 670,42 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

- la somme de 19 684,50 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

- Condamner la société Ouest concept et enseignement au paiement d'une somme de 19 684,50 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé.

- Condamner la société Ouest concept et enseignement à délivrer sous astreinte de 50 euros par jour de retard, les bulletins de salaire, le certificat de travail et l'attestation Pôle Emploi régulièrement libellés,

- Dire et juger que le conseil de prud'hommes se réserve le pouvoir de liquider l'astreinte.

- Condamner la société Ouest concept et enseignement au paiement d'une indemnité de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

- Condamner la société Ouest concept et enseignement aux entiers dépens, y compris ceux éventuels d'exécution.

La SAS Ouest concept et enseignement demandait in limine litis au conseil de prud'hommes de se déclarer incompétent au profit du tribunal de grande instance de Rennes et de déclarer M. [T] irrecevable en ses demandes.

Subsidiairement, elle demandait de débouter M. [T] de toutes ses demandes.

Par jugement en date du 19 septembre 2019, le conseil de prud'hommes de Rennes s'est déclaré compétent.

Statuant sur le fond du litige, le conseil de prud'hommes a:

- Requalifé la relation contractuelle depuis septembre 2007 en contrat à durée indéterminée à temps partiel sans modification des horaires pratiqués.

- Jugé que la rupture intervenue par courrier en date du 26 septembre 2017 est un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

- Condamné la Société Ouest concept et enseignement (OCE) à payer à Monsieur [T] [W] les sommes suivantes :

- 1 690 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et celle de 169 euros à titre de congés payés afférents au préavis.

- 1 692 euros à titre d'indemnité de licenciement.

- 2 538 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

- Ordonné la remise sous astreinte des bulletins de salaire des trois derniers mois de travail avant la rupture, du certificat de travail, et de l'attestation Pôle Emploi régulièrement libellés sous astreinte de 15 euros par jour de retard a compter du 30ème jour suivant la notification du jugement.

- Dit que le conseil se réserve le droit de liquider l'astreinte.

- Condamné la Société Ouest concept et enseignement (OCE) à payer à M. [T] [W] la somme de 1 500 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

- Débouté M. [T] [W] du surplus de ses demandes.

- Débouté la Société Ouest concept et enseignement (OCE) de ses autres demandes.

- Ordonné l'exécution provisoire du jugement.

- Dit que les sommes à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la citation, celles à caractère indemnitaire à compter du prononcé du jugement ;

- Ordonné le versement par la SAS Ouest concept et enseignement (OCE) à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à M. [T] [W] dans la limite de six mois d'indemnisation.

- Condamné la Société Ouest concept et enseignement (OCE) aux dépens y compris ceux éventuels d'exécution du jugement.

***

M. [T] a interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe en date du 17 octobre 2019.

En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 15 septembre 2022, M. [T] demande à la cour d'appel d'infirmer le jugement du 19 septembre 2019 et de:

- Dire et juger les parties liées par un contrat de travail à temps partiel de 24 heures hebdomadaire.

- Condamner en conséquence la société Ouest concept et enseignement à lui payer les sommes suivantes:

- 23 246,25 euros de rappel de salaires au titre de l'année 2014/2015,

- 26 797,56 euros de rappel de salaires au titre de l'année 2015/2016,

- 23 246,25 euros de rappel de salaires au titre de l'année 2016/2017.

- 6 561,60 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavi

- 656,16 euros de congés payés afférents

- subsidiairement 3 740,56 euros outre 374,05 euros de congés payés afférents,

- 6 670,42 euros à titre d'indemnité légale de licenciement

- subsidiairement celle de 3 802,65 euros,

- 19 684,50 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- subsidiairement celle de 18 702,80 euros,

- 19 684,50 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé

- subsidiairement celle de 11 221,68 euros,

- Condamner la société Ouest concept et enseignement à délivrer sous astreinte de 50 euros par jour de retard, les bulletins de salaire, le certificat de travail et l'attestation Pôle Emploi régulièrement libellés,

- Confirmer pour le surplus la décision entreprise,

- Condamner la société Ouest concept et enseignement au paiement d'une indemnité de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,

- Condamner la société Ouest concept et enseignement aux entiers dépens, y compris ceux éventuels d'exécution.

M. [T] fait valoir en substance que:

- C'est la question de fond (l'existence d'un contrat de travail) qui détermine la compétence ; le conseil de prud'hommes était compétent pour statuer ;

- Il n'a pas refusé de signer un contrat de travail mais il a refusé les conditions financières prévues par l'employeur qui imposaient une diminution de près de moitié de sa rémunération ; il justifie d'un intérêt à agir;

- Depuis 2007, il a travaillé pour un donneur d'ordre unique à qui il a facturé des prestations à l'heure, selon des plannings élaborés par l'école, avec les matériels et équipements fournis par celle-ci, devant respecter des instructions pour les programmes et les cours, participant aux réunions et étant intégré dans un service organisé; il est démontré un lien de subordination ; il tirait l'essentiel de ses ressources de son travail pour la société OCE ;

- La cour d'appel de Rennes a statué dans un cas similaire le 14 janvier 2021 pour reconnaître l'existence d'un contrat de travail ; la cour d'appel de Colmar également le 3 octobre 2013, le pourvoi formé contre cet arrêt ayant été rejeté le 18 mars 2015 par la cour de cassation ;

- Il n'existait aucune différence entre les intervenants salariés et les autres qui étaient soumis aux mêmes contingences ; (respect des plannings et emplois du temps, convocation aux jurys d'examen, réunions pédagogiques, réunions parents-professeurs, journées portes ouvertes, remplissage des bulletins de notes, contrôle des absences, contrôle du respect de la discipline) ;

- Il est en droit de demander un rappel de salaire sur les trois années précédant la rupture, sur la base de la convention collective nationale des organismes de formation ; la durée minimale de 24 heures par semaine est applicable ;

- La rupture du contrat de travail intervenue en dehors de toute procédure, s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 22 septembre 2022, la SAS Ouest concept et enseignement demande à la cour de :

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a:

- Débouté M. [T] de ses demandes de rappels de salaire et congés payés

- Jugé que la rupture est intervenue par courrier du 26 septembre 2017

- Jugé que M. [T] ne justifie d'aucun préjudice lié à la rupture du contrat de travail

- Débouté M. [T] de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé

- Infirmer pour le surplus le jugement entrepris ;

- Dire que le conseil de prud'hommes de Rennes n'était pas compétent pour connaître du litige et renvoyer le litige devant le tribunal de grande instance de Rennes (sic) ;

Subsidiairement,

- Dire et juger que M. [T] n'avait pas la qualité de salarié et le débouter de toutes ses demandes ;

Très subsidiairement,

- Dire et juger que la convention collective nationale des organismes de formation n'est pas applicable à la société OCE ;

- Dire et juger que la rupture de la relation de travail n'est pas imputable à la société OCE ;

- Débouter M. [T] de l'ensemble de ses demandes ;

En tout état de cause:

- Condamner M. [T] à payer la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

- Condamner M. [T] aux dépens.

La société OCE fait valoir en substance que:

- M. [T] revendique la qualité de salarié alors qu'il a refusé de bénéficier de cette qualité en refusant de signer le contrat de travail qui lui a été proposé le 26 juin 2017 ; il n'a donc pas d'intérêt légitime à agir ;

- Les plannings étaient établis en fonction des disponibilités de l'intervenant qui proposait librement ses services pour assurer certains remplacements et présentations lorsqu'il était disponible et gérait lui-même ses absences ; il était totalement libre de l'organisation de ses cours ; il n'était pas convoqué mais seulement convié à des réunions d'information ou à des jurys d'examens ; il n'est démontré aucune directive donnée par un employeur ; M. [T] n'a jamais été sanctionné ; l'intégration à un service organisé n'est qu'un indice qui ne se suffit pas à lui-même pour démontrer l'existence d'un lien de subordination ;

- Il n'était pas tenu d'appliquer le guide à l'usage des intervenants, qui n'a aucune valeur contraignante ;

- La convention collective nationale des organismes de formation n'est pas applicable ; l'activité principale de la société OCE est l'enseignement en cours privés d'étalage, photographie, stylisme, modélisme et décoration d'intérieur ; ces activités ne sont pas visées dans l'article relatif au champ d'application de la convention collective ; les dispositions dont se prévaut M. [T] sont des dispositions non étendues ;

- Les contrats de travail à temps partiel conclus avant le 1er janvier 2014 ne sont pas tenus de respecter une durée minimale de 24 heures par semaine ; M. [T] ne travaillait pas à temps complet ; il se voyait remettre à chaque rentrée scolaire un planning annuel sur lequel figurent les heures de cours qui établissent son temps de travail partiel ; M. [T] ne conteste pas avoir été payé des montants qu'il a lui-même facturés, qui correspondent aux heures réellement travaillées ; il n'est pas fondé à rendiquer un salaire horaire de 43,26 euros alors que le taux proposé de 23,50 euros correspond au minima conventionnel des organismes de formation, dont se prévaut le salarié, prévu pour les cadres ;

- La base de calcul des demandes à caractère salarial est erronée puisqu'elle est fondée sur les factures émises en tant que travailleur indépendant ;

- La société n'a pu que prendre acte du refus de M. [T] d'accepter le taux horaire proposé ; la rupture a donc bien une cause réelle et sérieuse ;

- Compte tenu de la date de la rupture intervenue le 26 septembre 2017, ce sont les nouvelles dispositions issues des ordonnances du 22 septembre 2017 qui doivent recevoir application ; il n'est justifié d'aucun préjudice par M. [T];

- Il n'est démontré aucune intention de dissimulation d'emploi ;

- Il n'est justifié d'aucune prise en charge par Pôle emploi et il n'y a donc pas lieu de condamner l'employeur de ce chef.

***

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du conseiller de la mise en état le 27 septembre 2022 avec fixation de la présente affaire à l'audience du 31 octobre 2022.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour l'exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions qu'elles ont déposées et soutenues oralement à l'audience.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1- Sur la compétence de la juridiction prud'homale:

En vertu de l'article L1411-1 du code du travail, le conseil de prud'hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient.

Le conseil de prud'hommes est compétent pour statuer sur l'existence d'un contrat de travail et il lui appartient à ce titre, dans le cas où il n'existe pas de contrat de travail apparent, de rechercher si la partie qui revendique l'existence d'un tel contrat, exerce ses fonctions sous l'autorité et le contrôle d'un employeur ayant un pouvoir de contrôle et de sanction, pour qualifier de contrat de travail la relation contractuelle qui lie les parties.

En l'espèce, M. [T] fonde l'intégralité de ses prétentions sur l'existence revendiquée d'un contrat de travail le liant à la société OCE et remet précisément en cause l'apparence de la relation contractuelle, telle qu'elle résulte de la facturation de prestations d'enseignement.

La société OCE conteste pour sa part la réalité d'un tel contrat de travail sur lequel le salarié fonde ses demandes.

La question soumise à la juridiction prud'homale étant relative à l'existence d'un contrat de travail relève donc pleinement de sa compétence ratione materiae, l'argumentation de l'employeur trouvant d'ailleurs sa propre contradiction lorsqu'il affirme, en page 9 de ses écritures que 'M. [T] n'apporte aucun élément prouvant l'existence d'un lien de subordination, alors que la charge de la preuve pèse exclusivement sur l'appelant', ce dont il se déduit que la question posée est bien une question de fond qu'il revient à la seule juridiction prud'homale de trancher.

Surabondamment et alors qu'en application des dispositions de l'article 75 du code de procédure civile, il incombe à la partie qui soulève une exception d'incompétence de faire connaître devant quelle juridiction elle demande que l'affaire soit portée, il ne peut qu'être constaté que la société OCE demande dans ses conclusions signifiées le 22 septembre 2022 le renvoi devant le tribunal de grande instance de Rennes, juridiction supprimée par la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 et remplacée depuis le 1er janvier 2019 par le tribunal judiciaire.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société OCE et s'est déclaré compétent pour statuer.

2- Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir:

En vertu de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

Le conseil de prud'hommes a omis de statuer sur la fin de non-recevoir soulevée par la société OCE, tirée du défaut d'intérêt à agir qu'elle oppose à M. [T].

La société OCE soutient à cet égard que M. [T] a expressément refusé de signer le contrat de travail qui lui a été soumis, de telle sorte qu'il ne peut pas solliciter le juge pour se voir reconnaître un droit qu'il a lui-même refusé.

Cette affirmation est toutefois formellement contredite par les termes du courrier adressé le 28 juillet 2017 par l'employeur en réponse au courrier du salarié du 17 juillet 2017, dans lequel il est indiqué:

'(...) Par courrier du 17 juillet sans vous référer à cet entretien, vous confirmez votre accord sur le principe d'un C.D.I. mais vous proposez un taux horaire de 43,26 € brut (...)'.

Il est constant que M. [U] s'est vu proposer la conclusion d'un contrat de travail moyennant un taux horaire de rémunération de 23,50 euros qu'il a entendu contester et qu'il estime avoir été lié dès l'origine des relations contractuelles avec la société OCE par un contrat de travail, l'intéressé justifiant donc d'un intérêt à agir contre la dite société qui conteste l'existence même d'un tel contrat de travail.

La fin de non-recevoir soulevée par la société OCE doit donc être rejetée.

3- Sur la demande relative à l'existence d'un contrat de travail:

En vertu de l'article L8221-6-I du code du travail, sont présumés ne pas être liés avec le donneur d'ordre par un contrat de travail dans l'exécution de l'activité donnant lieu à immatriculation ou inscription :

1° Les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au registre des agents commerciaux ou auprès des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales pour le recouvrement des cotisations d'allocations familiales (...).

Le paragraphe II de ce même article dispose que l'existence d'un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque les personnes mentionnées au I fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d'ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci.

Il est constant que le lien de subordination juridique est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

Il y a contrat de travail lorsqu'une personne s'engage à travailler pour le compte et sous la subordination d'une autre, moyennant rémunération.

La société OCE verse aux débats un extrait du site 'Société.com' dont il résulte qu'à la date du 26 octobre 2018 M. [T] était immatriculé sous la rubrique 'affaire personnelle profession libérale' depuis le 1er janvier 1979 dans le domaine suivant: 'Formation contnue d'adultes' - code NAF 8559A.

Une telle situation juridique entraîne une présomption d'absence de contrat de travail avec le donneur d'ordre, conformément aux dispositions précitées de l'article L8226-6-I du code du travail.

Pour renverser cette présomption, M. [T] se prévaut de ce qu'il a travaillé depuis le mois de septembre 2007 pour un unique donneur d'ordre, la société OCE, à qui il a facturé des prestations en se conformant aux plannings établis par l'école et en travaillant avec les matériels et équipements fournis par l'école.

Il ajoute qu'il devait respecter les instructions qui lui étaient données pour les programmes et les cours et qu'il devait participer à des réunions, étant intégré dans un service organisé.

M. [T] produit les plannings qui lui ont été remis par la société OCE depuis 2008, sur lesquels figurent pour chaque mois le nombre d'heures de cours devant être dispensés ainsi que, identifiées par différents codes couleurs, différentes tâches programmées telles que réunions de rentrée pour les enseignants, réunions bilans, commissions pédagogiques, réunions parents-professeurs ou encore conseils de classe.

Il doit ici être relevé que ces documents ont une fréquence annuelle, que rien n'établit qu'ils n'aient pas été élaborés en fonction des disponibilités de l'intervenant et qu'il n'est pas justifié de modifications de planning mises en oeuvre en cours d'année par la société OCE sans l'aval de l'intervenant.

Les notes que produit l'appelant, relatives à la fixation de dates pour des réunions pédagogiques, avec des créneaux horaires pour la présentation des programmes pédagogiques par spécialité, en l'occurrence la photographie s'agissant de la matière enseignée par M. [T], ne permettent pas, par la seule fixation de bornes temporelles, de conclure à la manifestation d'un pouvoir contraignant de subordination à son égard, alors qu'il n'est démontré aucune intervention de la direction de l'établissement dans l'organisation des cours dispensés et dans la façon d'aborder la matière enseignée.

La participation de M. [T] à des réunions pédagogiques et à des jurys d'examen s'inscrit non pas dans le cadre d'une directive inhérente à une relation de travail subordonnée, mais dans celui d'une composante de la prestation globale qu'il facturait à l'établissement.

Aucun élément n'établit que sa participation à des journées d'information et portes ouvertes ait revêtu un caractère obligatoire et qu'une défaillance de sa part ait pu faire l'objet de sanctions.

L'appelant produit encore un courrier daté du 5 septembre 2016, dans lequel la directrice pédagogique de l'établissement demande à l'ensemble des membres du corps enseignant de remettre au plus tard pour le 19 octobre un programme pédagogique et de remettre les sujets d'examen finalisés au plus tard pour le 1er mars, avant validation par la direction de la société, une réunion de travail étant fixée au mois de décembre précédent pour réfléchir aux sujets d'examen.

M. [T] justifie également de la programmation par la direction de l'établissement de commissions pédagogiques auxquelles il était convoqué à dates fixes et selon des horaires déterminés.

La fixation de dates de réunions et de consignes générales et impersonnelles dans des termes qui ne révèlent ni un quelconque caractère comminatoire, ni la manifestation d'un pouvoir de direction sur la personne de l'intervenant, s'inscrit dans le cadre habituel du fonctionnement d'un établissement d'enseignement et il ne résulte pas du document susvisé, qui apparaît d'ailleurs isolé, une quelconque contrainte s'imposant à M. [T].

L'appelant produit encore un document intitulé 'Le guide MJM Graphic Design à l'usage des intervenants' qui contient une définition des tâches des différents acteurs de l'établissement (direction générale, direction pédagogique, coordinateur de formation, intervenant professionnel, secrétariat et service informatique), une charte de l'intervenant, des informations sur la notation et les examens ainsi qu'un règlement de l'intervenant.

Au-delà des intitulés de chapitre, le contenu de ce document ne contient que des informations à caractère général sur le fonctionnement de l'établissement, les règles relatives à la discipline des élèves et au au suivi de leur formation ainsi que de leur notation, la seule consigne donnée au formateur étant celle de l'absence de validation d'un acquis en cas de note inférieure à 12/20.

L'affirmation selon laquelle ce guide ne distingue pas selon le statut des intervenants et caractérise l'existence d'un lien de subordination ne se vérifie nullement à sa lecture, puisque s'il témoigne de l'existence d'un service éducatif organisé au sein duquel les intervenants doivent respecter une charte éducative et pédagogique, il ne contient aucun élément de nature à mettre en évidence une relation de subordination juridique et ne révèle notamment aucun pouvoir de sanction de la société OCE à l'égard des dits intervenants.

Plus généralement, en vain recherchera t'on dans les pièces produites par M. [T] des éléments objectifs et pertinents de nature à établir que l'intéressé ait exercé son activité selon des ordres et directives précises de la société OCE, qui aurait contrôlé leur exécution et aurait sanctionné les éventuels manquements commis.

Si M. [T] établit par la production de factures et avis d'imposition, le fait d'avoir tiré une part importante de ses revenus déclarés des prestations facturées à la société OCE, soit de l'ordre de 70 % des revenus déclarés au titre des années 2015 à 2017, ce seul élément d'ordre économique est impropre à caractériser un lien de subordination juridique caractéristique de l'existence d'un contrat de travail.

Au résultat de l'ensemble de ces éléments, faute pour M. [U] de renverser utilement la présomption d'absence de contrat de travail avec un donneur d'ordre, telle qu'elle résulte de son statut et des dispositions précitées de l'article L8226-6-I du code du travail, il doit être débouté de sa demande de requalification de la relation de travail ayant existé avec la société OCE en contrat de travail à temps partiel et de toutes ses demandes subséquentes qui dérivent de l'existence d'un tel contrat de travail.

Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé sur l'ensemble de ces chefs de demande.

4- Sur les dépens et frais irrépétibles:

En application de l'article 696, M. [T], partie perdante, sera condamné aux dépens de première instance et d'appel.

Il sera donc débouté de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité commande de ne pas faire droit à la demande de la société OCE fondée sur les mêmes dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Rejette la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir de M. [T] ;

Confirme le jugement entrepris en ce que le conseil de prud'hommes s'est déclaré compétent pour statuer ;

Infirme pour le surplus le jugement entrepris ;

Statuant à nouveau,

Déboute M. [T] de toutes ses demandes ;

Déboute la société Ouest concept et enseignement de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [T] aux dépens de première instance et d'appel.

Le Greffier Le Conseiller pour le Président empêché


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 7ème ch prud'homale
Numéro d'arrêt : 19/06873
Date de la décision : 15/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-15;19.06873 ?
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