1ère Chambre
ARRÊT N°407/2022
N° RG 21/03767 - N° Portalis DBVL-V-B7F-RYC5
S.A.S. OCDL 'OMNIUM DE CONSTRUCTIONS DEVELOPPEMENTS LOCAT IONS'
C/
Me [V] [Y] [L]
S.C.P. TRENTE CINQ NOTAIRES ARLOTTE PICARD-DAVID, PAUL COLLIN, DOMINIQUE GATIN
S.A. MMA IARD
Société MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 13 DÉCEMBRE 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Fabrice ADAM, Premier Président de chambre,
Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère entendue en son rapport,
GREFFIER :
Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 27 Septembre 2022
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 13 décembre 2022 par mise à disposition au greffe après prorogation du délibéré annoncé au 22 novembre 2022 à l'issue des débats
****
APPELANTE :
La société OCDL 'OMNIUM DE CONSTRUCTIONS DÉVELOPPEMENTS LOCATIONS' société par actions simplifiée immatriculée au RCS de Rennes sous le n° 739 202 166, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Christophe BAILLY de la SELARL AVOLITIS, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉS :
Maître [V] [Y] [L]
[Adresse 9]
[Localité 5]
Représenté par Me Caroline RIEFFEL de la SCP BG ASSOCIÉS, avocat au barreau de RENNES
La S.C.P. TRENTE CINQ NOTAIRES, anciennement dénommée Michaël KERJEAN, Guy MESSAGER, Guillaume JOUIN, Charlotte PICARD-DAVID, Paul COLLIN, Dominique GATINEAU, Charlotte PHILIPPE et Corinne RIMASSON, SCP titulaire d'un Office Notarial, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 3]
[Localité 7]
Représentée par Me Caroline RIEFFEL de la SCP BG ASSOCIÉS, avocat au barreau de RENNES
La société MMA IARD, SA agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentée par Me Caroline RIEFFEL de la SCP BG ASSOCIÉS, avocat au barreau de RENNES
La société MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES, société d'assurances mutuelles, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentée par Me Caroline RIEFFEL de la SCP BG ASSOCIÉS, avocat au barreau de RENNES
EXPOSÉ DU LITIGE
Le 5 décembre 2005, M. [W] [D] et la société OCDL (Omnium de Constructions, Développements, Locations, groupe Giboire) concluaient une promesse conditionnelle synallagmatique de vente, portant sur un tènement de 31 455 m² situé à [Localité 8], Ille-et-Vilaine.
La société OCDL prévoyait d'édifier sur cette parcelle un ensemble immobilier dont une partie dédiée à la création de logements sociaux, en coopération avec la SA d'HLM Archipel Habitat.
Me [M], notaire à [Localité 7], était le rédacteur de l'acte sous signatures privées.
Il était notamment prévu que le prix des parcelles serait de :
- 1.700.000 € HT pour une SHON de 11 600 m² obtenue,
- avec une variation de 150 € le m² à la hausse ou à la baisse si la SHON obtenue est supérieure ou inférieure à 11 600 m².
L'acte prévoyait en outre diverses conditions suspensives dont l'obtention d'un permis de construire définitif permettant la réalisation d'au moins 11 600 m² de SHON à usage d'habitation, avec un maximum de 50% de la SHON autorisée à usage locatif, social et location aidée.
L'acquéreur s'engageait à déposer la demande de permis de construire, pour la partie en accession libre, dans les 4 mois de la signature de l'acte, soit avant le 5 avril 2006 et il s'engageait à adresser au vendeur la copie du dossier de permis de construire précisant le nombre de m² de SHON constructible sur le terrain vendu.
Il était convenu que la promesse de vente devait être réitérée par acte authentique dans le mois suivant la levée de la dernière condition suspensive et au plus tard dans le délai d'un an de la signature de la promesse de vente.
La Société OCDL déposait une première demande de permis le 5 avril 2006 auprès des services instructeurs de la commune de [Localité 8] et adressait copie de l'avis de dépôt de la demande de permis de construire à Me [M] le même jour.
Par courrier du 21 avril 2006, la Direction Générale des Services Techniques de [Localité 4] Métropole informait la société OCDL que son dossier était incomplet et qu'elle devait faire parvenir une liste de pièces complémentaires dans un délai de deux mois, pour que sa demande puisse être instruite.
Les pièces n'étaient pas adressées dans le délai et la Société OCDL déposait deux nouvelles demandes de permis de construire le 11 août 2006. La SA Archipel Habitat déposait sa propre demande.
Le 14 novembre 2006, les trois permis sollicités étaient accordés respectivement pour une SHON de 1.402 m², 6.696 m² et 2.982,05 m², soit au total 11.08,05 m².
Ces permis étaient contestés par une association de riverains. Par jugement du 9 décembre 2010, le tribunal administratif de Rennes rejetait les recours s'agissant des deux permis accordés à la société OCDL. En revanche, le permis de construire accordé à la SA Archipel Habitat était annulé.
L'association de riverains interjetait appel du jugement du tribunal administratif ayant validé les permis de construire à la société OCDL. Pour sa part, la SA d'HLM Archipel Habitat n'exerçait aucun recours contre la décision d'annulation de son permis de construire de sorte que celle-ci était devenue définitive.
Compte tenu des procédures en cours relatives à l'obtention des permis de construire, les effets de la promesse ont été successivement prorogés jusqu'au 15 janvier 2012 par deux avenants en date des 4 novembre et 22 décembre 2006, rédigés par Me [M].
Par courrier expédié le 5 janvier 2012, la société OCDL informait le vendeur qu'elle renonçait à la condition suspensive du caractère définitif du permis de construire et demandait la réitération de la vente par acte authentique, au prix de 1 174 000 € HT sur la base de la SHON de 8.098 m² qu'elle pouvait encore espérer obtenir.
Le 29 juin 2012, le vendeur indiquait par l'intermédiaire de son avocat que dans ces conditions, la réitération de la vente par acte authentique ne pouvait intervenir et mettait en demeure la société OCDL de lui confirmer sa renonciation à se prévaloir du compromis du 5 décembre 2005.
Faute de réponse, suivant acte d'huissier du 17 juillet 2012, M. [W] [D] faisait assigner la société OCDL devant le tribunal de grande instance de Rennes aux fins de voir prononcer la nullité des avenants du 04 novembre 2006 et du 22 décembre 2006 sur les fondements du dol et de la violence, subsidiairement de voir constater la caducité de la promesse synallagmatique et des avenants et très subsidiairement que soit dite non écrite la clause de variation du prix.
Par jugement du 4 juillet 2014, le tribunal de grande instance de Rennes rejetait les prétentions du vendeur et le condamnait à rembourser à la société OCDL le montant des intérêts d'un prêt de 150 000 € qu'elle lui avait consenti le 22 décembre 2006.
Ce jugement était déféré à la cour qui dans un arrêt du 28 juin 2016, annulait la promesse du 5 décembre 2005 pour cause de « potestativité » et condamnait la société OCDL à payer à M. [W] [D] la somme de 340 000 € au titre de la réparation de l'immobilisation du bien, celle de 10 000 € au titre du préjudice moral, ainsi que la somme de 61 397,26 € au titre des intérêts dus à la date du 28 février 2015, outre les intérêts postérieurs.
La cour avait considéré que la combinaison de la condition suspensive relative à l'obtention d'un permis de construire autorisant la réalisation d'au moins 11 600 m² de SHON avec la clause relative au dépôt de la demande de permis de construire et celle relative à la détermination du prix de vente en fonction de la SHON obtenue, aboutissait pour le cas où l'autorisation de construire 11 600 m² de SHON ne serait pas obtenue, à ce que l'acquéreur puisse à son choix :
- renoncer à la vente en se prévalant de la non réalisation de la condition suspensive,
- poursuivre la vente en se prévalant de la clause de révision du prix,
de sorte que l'exécution de la promesse synallagmatique ne dépendait pas des autorisations administratives allant être accordées mais de la seule volonté de l'acquéreur. À défaut dans une telle occurrence, d'accord sur la chose et sur le prix, la promesse de vente devait être jugée nulle et de nul effet.
Cet arrêt est définitif, la Cour de cassation ayant par arrêt du 12 octobre 2017, rejeté le pourvoi inscrit par la société OCDL au motif « la clause relative à la condition suspensive d'obtention d'un permis de construire prévoyait que le permis de construire définitif devait permettre la réalisation d'au moins 11 600 m² de SHON à usage d'habitation, avec au maximum 50 % de la SHON autorisée à usage locatif, social et d'accession aidée, qu'il ressortait de la combinaison de cette clause avec celle relative au dépôt de la demande de permis de construire et celle relative à la détermination du prix de vente que, pour le cas où l'autorisation de construire 11 600 m² de Shon ne serait pas obtenue, l'acquéreur avait le choix entre renoncer à la vente, en se prévalant de la défaillance de la condition suspensive, et poursuivre la vente, en se prévalant de la clause de révision du prix à la baisse, la cour d'appel en a exactement déduit, sans dénaturation, que la réalisation de la promesse synallagmatique de vente ne dépendait pas de l'autorisation administrative de construire, mais de la seule volonté de l'acquéreur ».
Le 26 octobre 2017, la société OCDL, mettant en cause l'intervention fautive du notaire, sollicitait par courrier recommandé auprès de Me [Y]-[L] (successeur de Me [M]) l'indemnisation de son préjudice, qu'il évaluait à la somme de 786 283,89 €.
Le notaire effectuait une déclaration de sinistre mais sa compagnie d'assurances, MMA, refusait toute prise en charge.
C'est dans ce contexte que par assignations des 20 et 23 mars 2018, la société OCDL faisait assigner Me [V] [Y]-[L], la SCP Kerjean, Pouessel, Messager, L'Ollivier, [Y]-[L], Jouin ainsi que les compagnies MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles, devant le tribunal de grande instance de Rennes en sollicitant leur condamnation solidaire au paiement des sommes suivantes :
' 422 397,26 € au titre des condamnations prononcées du fait de l'annulation de la vente, outre le remboursement des dépenses engagées pour mémoire,
' 322 886,63 € au titre des frais engagés depuis la signature du compromis,
' 50 000 € au titre du préjudice moral,
' 20 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, plus les dépens, le tout assorti de l'exécution provisoire.
Par jugement du 1er juin 2021, le tribunal judiciaire de Rennes a :
- mis hors de cause Me [V] [Y] [L] ;
- déclaré la société OCDL irrecevable en toutes ses demandes à l'encontre de Me [V] [Y] [L] ;
- débouté la société OCDL de toutes ses demandes à l'encontre de la SCP notariale Kerjean Messager Jouin Picard-David Collin Gatineau Philippe Rimasson et des sociétés MMA Iard et MMA Assurances Mutuelles ;
- débouté Me [Y] [L] et la SCP Kerjean et associés de leurs demandes reconventionnelles en paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
- condamné la société OCDL à payer à la SCP notariale Kerjean et associés et à Me [Y] [L], chacun, la somme de 1 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société OCDL aux entiers dépens dont distraction au profit de la société d'avocats BG associés en application de l'article 699 du code de procédure civile ;
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Pour débouter la société OCDL de ses demandes indemnitaires, le tribunal a considéré que si la faute du notaire dans l'accomplissement de sa mission était établie par la consécration judiciaire le 28 juin 2016 de l'inefficacité juridique de l'acte daté du 5 décembre 2005 rédigé par ses soins, le lien de causalité entre les préjudices allégués et la faute commise n'était pas avéré.
Suivant déclaration du 21 juin 2021, la société ' Omnium de constructions, développements, locations' (OCDL) a relevé appel de tous les chefs de ce jugement.
La SCP Notaires 35 et Me [V] [Y] [L] se sont portés appelants incidents du jugement en ce qu'il a rejeté leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises et notifiées au greffe le 15 mars 2022, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des moyens et prétentions, la société OCDL demande à la cour, au visa de l'article 1240 du code civil, de réformer le jugement en ce qu'il a rejeté ses demandes et l'a condamnée aux frais irrépétibles et aux dépens et statuant à nouveau de :
- condamner solidairement la société 35 Notaires ainsi que les compagnies MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles à verser à la Société OCDL une somme de 422 397,26 € au titre des condamnations prononcées à l'encontre de la Société OCDL du fait de l'annulation de la vente ainsi qu'à lui rembourser le montant des dépens engagés (mémoire) ;
- condamner solidairement la société 35 Notaires ainsi que les compagnies MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles à verser à la société OCDL au titre des frais engagés par la société OCDL depuis la signature du compromis la somme de 322 886,63 € ;
- condamner solidairement la société 35 Notaires ainsi que les compagnies MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles à verser à la société OCDL une somme d'un montant de 50 000 € au titre du préjudice moral subi ;
- condamner solidairement la société 35 Notaires ainsi que les compagnies MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles à verser à la société OCDL une somme de 25.000 € au visa de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner solidairement la société 35 Notaires ainsi que les compagnies MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles aux entiers dépens ;
- débouter les intimés de leurs demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires telles que présentées à l'encontre de la société OCDL ;
- débouter la société 35 Notaires, les compagnies MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles et Me [Y] [L] de leurs demandes indemnitaires.
Au soutien de son appel, la société OCDL considère que le notaire a manqué à son obligation d'assurer l'efficacité des actes auxquels il prête son concours puisque celui-ci a été jugé nul et de nul effet par l'arrêt définitif de la cour d'appel de Rennes du 28 juin 2016. Elle ajoute que le notaire a manqué à son devoir d'information en ne l'avisant pas de l'illégalité du montage juridique résultant de la combinaison des deux clauses.
La société OCDL expose que l'annulation de la vente résulte directement de la faute commise par le notaire qui n'a pas assuré l'efficacité juridique de son acte et que la nullité du compromis a empêché sa réitération, de sorte que le bien de M. [D] a été immobilisé inutilement et a rendu inutile l'ensemble des frais exposés par la société OCDL en vue de son projet de promotion immobilière.
Par ailleurs, la société OCDL soutient que si Me [M] lui avait annoncé dès l'origine l'illégalité de la combinaison des deux clauses de fixation du prix et de conditions suspensives, elle n'aurait pas contracté. Elle estime avoir donc perdu une chance de ne pas conclure le contrat. Il n'aurait alors pas été question de comportement déloyal, d'immobilisation du bien et elle aurait ainsi évité les condamnations prononcées par la cour d'appel de Rennes ainsi que les frais d'études et de défense en justice engagés en pure perte.
La société OCDL considère que les condamnations mises à sa charge par l'arrêt du 28 juin 2016 (notamment l'indemnité d'immobilisation du bien) sont directement et exclusivement consécutives à l'annulation de la vente du fait de l'insertion d'une condition purement potestative dont le notaire est responsable, et non en raison d'un comportement prétendument déloyal. A cet égard, la société OCDL conteste les motifs de l'arrêt du 28 juin 2016 dont elle rappelle qu'ils ne sont pas revêtus de l'autorité de chose jugée.
En définitive, elle estime que le comportement déloyal qui lui est injustement imputé résulte exclusivement du fait qu'elle a entendu en toute bonne foi, faire application des clauses prévues en sa faveur dans la promesse, pensant que celles-ci étaient parfaitement régulières.
Aux termes de leurs dernières conclusions transmises et notifiées au greffe le 27 juillet 2022, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des moyens et prétentions, la société 35 Notaires anciennement dénommée SCP Kerjean, Messager-Jouin, Picard-David, les compagnies MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles et Me [Y] [L] demandent à la cour de :
- confirmer le jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de Rennes le 1er juin 2021 en ce qu'il a :
* mis hors de cause Me [V] [Y] [L],
* déclaré la société OCDL irrecevable en ses demandes à l'encontre de Me [V] [Y] [L],
* débouté la société OCDL de toutes ses demandes à l'encontre de la SCP notariale Michaël Kerjean, Guy Messager, Guillaume Jouin, Charlotte Picard-David, Paul Collin, Dominique Gatineau, Charlotte Philippe et Corinne Rimasson et à l'encontre des sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles ;
* condamné la société OCDL à payer à la SCP notariale Kerjean et associés et à Me [Y] [L], chacun, la somme de 1 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;
- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Me [Y] [L] et la SCP Kerjean de leurs demandes reconventionnelles en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Statuant à nouveau de ce chef :
- condamner la société OCDL à régler à Me [V] [Y] [L], d'une part, et à la SCP 35 Notaires, d'autre part, une somme de 5.000 €, chacun, à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
- débouter la société OCDL de toutes ses demandes, fins et conclusions à l'encontre des concluants ;
- condamner en tout état de cause la société OCDL à régler à Me [Y] [L] une somme de 1.500 € au titre des frais irrépétibles exposés en appel sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
- condamner également la société OCDL à régler à la SCP 35 Notaires et aux sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles une somme de 5.000 € au titre des frais irrépétibles exposés en appel sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
- condamner la société OCDL aux dépens d'appel dont distraction au profit de la SCP BG Associés.
En substance, les notaires et leurs assureurs concluent que la société appelante ne justifie d'aucune perte de chance en lien avec les fautes reprochées au notaire, tenant à la rédaction de l'acte. Ils exposent que dès le mois de février 2012, M. [D] a manifesté le souhait de se désengager de la promesse, non pas en raison des conditions de la vente telles que prévues dans le compromis du 5 décembre 2005 mais au vu de l'attitude déloyale de la société OCDL qui s'est abstenue de faire le nécessaire pour que les conditions suspensives soient obtenues dans les délais convenus d'une part, et qui a ensuite tenté d'imposer au vendeur une baisse conséquente du prix de vente d'autre part. Ils rappellent à cet égard, la motivation de l'arrêt du 28 juin 2016 ayant retenu qu'indépendamment de la nullité de la promesse, celle-ci se devait être exécutée de bonne foi, ce que la société OCDL s'était abstenue de faire en adoptant « un comportement confinant au dol », qui avait conduit les époux [D] à immobiliser leur bien pendant 10 ans dans l'espoir de percevoir le prix de vente de 1.700.000 €. Ils considèrent donc que quelle que soit la régularité formelle de l'acte, M. [D] aurait en toute hypothèse poursuivi la nullité de l'engagement de vendre en raison du comportement de la société OCDL (notamment sur le fondement du dol), ainsi que l'indemnisation de ses préjudices. Ils ajoutent qu'il n'est pas démontré qu'indépendamment de la condition potestative, cette dernière aurait pu obtenir que la vente intervienne a fortiori au prix qu'elle a tenté d'imposer à M. [D].
MOTIVATION DE LA COUR
A titre liminaire, bien qu'il ait été fait appel de la mise hors de cause de Me [Y] [L] et de l'irrecevabilité des demandes dirigées contre lui, la cour n'est saisie d'aucune demande de ce chef dans le dispositif des conclusions de l'appelante. Il ne sera donc pas statué sur ces points.
1°/ Sur la responsabilité du notaire
La responsabilité du notaire est recherchée sur le fondement de l'article 1382 devenu 1240 du Code civil, aux termes duquel 'tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer'.
a. sur la faute
Le notaire rédacteur d'actes a l'obligation d'assurer l'efficacité des actes qu'il instrumente, le devoir de conseil étant le complément de ce devoir d'efficacité.
En l'espèce, il ne fait pas de doute qu' à la demande de la société OCDL, Me [M] a accepté d'insérer dans l'acte qu'il instrumentait, une combinaison de clauses dont l'illégalité a été consacrée judiciairement en ce qu'elle aboutissait, de manière purement potestative, à faire dépendre l'exécution de la promesse de la seule volonté de l'acquéreur, ce qui a justifié l'annulation du contrat.
Comme l'a justement relevé le tribunal, le manquement professionnel du notaire a consisté à rédiger un acte dont l'efficacité n'a pas résisté au contrôle du juge.
En outre, la société OCDL est également fondée à reprocher au notaire un manquement à son devoir d'information et de conseil dans la mesure où il ne ressort d'aucune pièce que Me [M] avait attiré son attention sur l'illégalité du montage juridique résultant de la combinaison des deux clauses de condition suspensive et de fixation du prix, que ce soit au stade de la rédaction de la promesse ou à l'occasion de la régularisation ultérieure des deux avenants de prorogation.
La faute de Me [M] est donc caractérisée et au demeurant non contestée.
b. sur le lien de causalité et le préjudice
Les préjudices allégués par la société OCDL résultent des condamnations mises à sa charge par la cour d'appel (notamment les frais d'immobilisation et le préjudice moral qu'elle a réglés à M. [D]) ainsi que les frais d'études et de valorisation du terrain qu'elle a engagés dans le projet.
La société OCDL estime que la faute du notaire lui a fait perdre une chance de ne pas avoir eu à régler ces sommes.
* sur le défaut d'information du notaire et la perte de chance de ne pas contracter :
Elle expose qu'il était primordial pour elle en cas d'autorisation de construire pour une SHON inférieure à 11 600 m², de disposer de la double faculté de :
- renoncer à la vente en se prévalant de la défaillance de la condition suspensive afin de s'assurer de la possibilité de réaliser son opération immobilière,
- poursuivre la vente en se prévalant de la clause de révision du prix à la baisse afin de garantir la rentabilité de son opération.
Elle soutient donc que ce dispositif juridique résultant de la combinaison des clauses conditionnait son engagement et que si elle avait été informée par le notaire de son illégalité, elle n'aurait pas contracté.
Il y a toutefois lieu de considérer au regard des enjeux financiers et des gains espérés que même informée de l'illégalité de cette combinaison de clauses, au demeurant insérées à sa demande et dans son intérêt, la société OCDL n'aurait pas renoncé à cette opération de promotion immobilière dont elle espérait manifestement tirer le meilleur prix au détriment de son co-contractant (cf les développements ci-après).
Au surplus, il n'est pas démontré que la société OCDL aurait refusé de signer une promesse synallagmatique autrement rédigée.
La perte de chance de ne pas contracter, étant mieux informée par le notaire, n'est donc pas établie.
*Sur l'absence de lien de causalité entre la rédaction de l'acte et les dommages et intérêts prononcés par la cour d'appel
Comme le soutiennent à juste titre le notaire et son assureur, la société OCDL ne peut faire fi de la volonté manifestée par M. [D] dès le mois de février 2012 de se délier de sa promesse en considération de l'attitude de l'acquéreur. D'évidence, l'irrégularité du contrat en présence d'une condition potestative n'est pas la cause de cette volonté de se désengager mais le moyen par lequel M. [D] a pu le faire.
Il convient donc de déterminer si même en l'absence de cette condition potestative, le vendeur aurait pu obtenir l'anéantissement du contrat (notamment sur le fondement du dol) et des dommages-et-intérêts équivalents à ceux qui lui ont été alloués par la cour dans son arrêt du 28 juin 2016.
Cet arrêt mentionne que « Au delà même de sa nullité intrinsèque, tant que cette dernière n'était pas constatée, la promesse synallagmatique se devait d'être exécutée de bonne foi, dans la mesure où pour qu'un permis de construire accordant une SHON de 11 600 m² soit obtenu encore fallait-il qu'il eut été demandé ».
Par ailleurs, l'arrêt a retenu que les conditions dans lesquelles la société OCDL avait obtenu du vendeur la prorogation des effets de la promesse, notamment jusqu'au mois de janvier 2012 par un avenant signé le 22 décembre 2006, mettaient en évidence un comportement déloyal, confinant au dol de la part de cette dernière. Il était jugé que « les comportements de la société OCDL ont conduit les époux [D] à immobiliser leur bien inutilement jusqu'en janvier 2012, date à laquelle elle leur a offert un prix très inférieur à leurs espérances, puis durant quatre années supplémentaires où elle s'est opposée aux prétentions de M. [D] visant à voir déclarer la vente nulle ou caduque par les juridictions. Il en est résulté une immobilisation du bien pendant dix années. »
Il ressort clairement de cet arrêt que le préjudice des époux [D] ne résulte pas tant du manquement du notaire rédacteur de la promesse que de la déloyauté de la société OCDL dans l'exécution de cette dernière, ayant conduit les époux [D] à vouloir se désengager, après plusieurs années d'immobilisation de leur bien et l'espérance trompée de percevoir le prix de 1.700 000 €.
En effet, dès lors qu'une condition suspensive d'obtention d'un permis de construire pour une SHON de 11.600 m² était stipulée et que le prix principal convenu de 1. 700 000 € dépendait de l'obtention de l'autorisation de construire avec cette SHON, la société OCDL avait l'obligation de faire en sorte que la somme des demandes des permis déposées par elle même et par son pétitionnaire soit supérieure ou égale à 11. 600 m².
Cette obligation, bien que non expressément stipulée dans l'acte, relève de la bonne foi contractuelle la plus élémentaire.
Or, la société OCDL a déposé le 5 avril 2006 une demande de permis de construire pour une SHON de 6.875 m², soit très en deçà de 11.600 m². Cette demande a été déclarée incomplète par les services de l'urbanisme instructeurs et la longue liste des pièces manquantes révèle l'absence totale de sérieux de celle-ci.
Les deux autres demandes de permis de construire (complètes) ont été déposées le 11 août 2006, soit postérieurement au délai prévu au compromis, pour des SHON de 1.402 m² et 6.696 m². La demande de permis de construire déposée par Archipel Habitat visait une SHON de 2.982 m².
Il en résulte que la condition suspensive tenant à l'obtention d'un permis de construire définitif pour une SHON minimum de 11 600 m² ne risquait pas de se réaliser dès lors que les demandes d' autorisation de construire avaient été faites pour une SHON inférieure.
Au surplus, la société OCDL n'a jamais justifié avoir respecté l'obligation qui lui était faite de communiquer au vendeur la copie du dossier du permis de construire précisant le nombre de m² de SHON constructible sur le terrain vendu.
M. [D] a ainsi été maintenu dans l'ignorance de ce que les permis demandés ne permettraient pas d'atteindre la SHON de 11.600 m² et par voie de conséquence de ce que la condition suspensive ne serait jamais réalisée et donc que la vente ne pourrait jamais intervenir au prix espéré de 1.700 000 €.
La société OCDL a indéniablement adopté un comportement contraire aux prévisions des parties.
Pour justifier de sa bonne foi, la société OCDL expose qu'au moment de la signature de la promesse, elle croyait légitimement pouvoir construire avec la surface de SHON prévue à l'acte, comme en atteste une étude de faisabilité commandée le 23 août 2005 portant sur une SHON de 11 700 m². Elle ajoute que des études ultérieures lui ont révélé des contraintes techniques l'obligeant à revoir son projet à la baisse.
Cependant, contrairement à ce qui est soutenu, l'étude de faisabilité du 23 août 2005 n'est pas produite, la production se limitant à quelques plans dont la cour ne peut tirer aucun enseignement. Les études ultérieures ayant révélé les contraintes techniques alléguées ne sont pas davantage versées aux débats.
La cour relève surtout que cette position est en contradiction avec les conclusions soutenues par la société OCDL en première instance aux termes desquelles elle admettait avoir dû revoir ses projets à cause des résultats de l'étude de faisabilité du 23 août 2005 (« En effet et alors que la société OCDL envisageait de réaliser une SHON de 11 700 m², une étude de faisabilité établie le 23 août 2005 est venue contredire ses projets » conclusions OCDL page 18, pièce n °2 intimés).
Il s'en déduit que quatre mois avant de signer la promesse de vente, la société OCDL savait qu'elle ne pourrait pas construire avec une surface de SHON de 11 600 m² minimum. Cela ne l'a pas empêchée d'imposer à son co-contractant la condition suspensive telle que stipulée au compromis ainsi que la clause de variation du prix, ce qui rendait l'économie du contrat totalement fallacieuse.
De fait, les parties s'étaient mises d'accord sur trois modalités de prix (inférieur, supérieur ou égal à 1.700 000 €) en fonction de la surface de SHON obtenue, alors qu'en réalité seule l'une d'entre elles pouvait trouver à s'appliquer. Il ne pouvait en effet qu'être prévu un prix inférieur à 1 700 000 € puisque la société OCDL n'a jamais prévu de solliciter la possibilité de construire avec une surface de SHON de 11 600 m².
Il est donc manifeste que la société OCDL a réussi à convaincre M. [D] de lui céder son terrain en lui faisant croire de façon totalement fictive qu'il pourrait en obtenir un prix de 1.700 000 € voire un prix supérieur, ce qu'elle savait d'emblée impossible.
Au surplus, sachant dès l'origine que la condition suspensive telle que stipulée au compromis ne pourrait jamais être réalisée, c'est donc avec une intention évidente de tromper son co-contractant que la société OCDL a sollicité et obtenu une première prorogation jusqu'au 15 janvier 2007 par avenant du 4 novembre 2006 au motif que le permis de construire devait être obtenu en novembre 2006 et une seconde prorogation par avenant du 22 décembre 2006 jusqu'au 5 janvier 2012, au motif que des recours étaient exercés devant les juridictions administratives contre les permis de construire.
Il n'est pas contesté par la société OCDL, qui ne fournit aucune explication sur ce point, que l'acompte de 100.000 € qu'elle s'était engagée à verser au vendeur en contrepartie de la régularisation du premier avenant signé le 4 novembre 2006 a été remplacé six semaines plus tard, par un prêt de 150 000 € assorti d'un taux d'intérêt de 5%, déductible du prix de vente, aux termes de l'avenant régularisé le 22 décembre 2006. La cour constate que la société OCDL s'est abstenue en première instance comme en appel de produire cet avenant en intégralité.
Au total, comme l'avait déjà relevé la cour dans son arrêt du 28 juin 2016, le comportement qui a consisté à obtenir l'immobilisation du bien pendant cinq ans, en laissant croire que le prix de 1.700 000 € serait in fine perçu alors que la demande de permis de construire ne portait pas sur une demande de SHON suffisante pour parvenir à ce prix, ce qu'elle a sciemment caché au vendeur et alors qu'elle allait renoncer à la condition suspensive ce qui lui permettait d'offrir un prix encore moindre, le tout sans aucune contrepartie, l'acompte promis lors de la régularisation du premier avenant ayant été remplacé par un prêt assorti d'un taux d'intérêt de 5% venant en déduction du prix de vente, caractérise sans aucun doute un comportement déloyal confinant au dol.
En outre, la cour avait retenu que la propriété de M. [D] était restée immobilisée quatre années supplémentaires en raison de l'opposition de la société OCDL aux prétentions de M. [D], visant à voir déclarer la vente nulle ou caduque par les juridictions.
C'est indéniablement en considération de la durée d'immobilisation du bien pendant dix années, imputable au seul comportement de la société OCDL que la cour a fixé le préjudice d'immobilisation et au regard de la déloyauté de cette dernière qu'elle a fixé un préjudice moral conséquent.
Au total, il est certain que M. [D] avait toutes les chances d'obtenir l'annulation de l'avant-contrat sur le fondement du dol ou de la réticence dolosive ainsi que des dommages et intérêts équivalents à ceux qui lui ont été accordés par la cour le 28 juin 2016, du seul fait du comportement de la société OCDL et indépendamment de la rédaction de l'acte.
Il en résulte que la société OCDL n'établit aucun lien de causalité entre les dommages et intérêts qu'elle a été contrainte de régler à M. [D] en exécution de l'arrêt du 28 juin 2016 et la faute du notaire.
Les conditions de la responsabilité du notaire n'étant pas réunies, le jugement l'ayant débouté de sa demande de dommages et intérêts à l'encontre de la société d'exercice du notaire et de son assureur ne pourra qu'être confirmé.
2°/ Sur les demandes reconventionnelles des notaires en dommages et intérêts pour procédure abusive
Il y a lieu de considérer qu'en intimant Me [Y]-[L] alors que le jugement non critiqué sur ce point, l'avait mis hors de cause en constatant qu'en qualité de successeur de Me [M], il n'avait nullement participé à la rédaction des actes litigieux et en ne formant à son encontre aucune demande devant la cour, la société OCDL a fait preuve de légèreté blâmable dans l'exercice de sa voie de recours. Toutefois, Me [Y]-[L] ne justifie d'aucun préjudice autre que les frais irrépétibles qu'il a dû de nouveau exposer pour sa défense.
S'agissant de la demande indemnitaire formée par la SCP 35 Notaires venant aux droits de la SCP notariale Kerjean et associés, l'usage fautif ou abusif par la société OCDL de son droit légitime d'agir en justice n'est pas démontré, de sorte que c'est à bon droit que le premier juge a rejeté la demande.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes reconventionnelles.
3°/ Sur les demandes accessoires
Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles seront confirmées.
Succombant à nouveau en cause d'appel, la société OCDL sera condamnée aux dépens d'appel dont distraction au profit de la SCP BG associés.
Elle sera par conséquent déboutée de sa propre demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ailleurs, il n'est pas inéquitable de la condamner à payer les sommes suivantes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile :
- 1.500 € à Me [V] [Y]-[L]
- 4.000 € à la SCP Notaires et aux assureurs MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 1er juin 2021 par le tribunal judiciaire de Rennes ;
Y ajoutant :
Déboute la société «Omnium de constructions, développements, locations » (OCDL) de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société « Omnium de constructions, développements, locations » (OCDL) à payer à Me [V] [Y]-[L] la somme de 1.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société « Omnium de constructions, développements, locations » (OCDL) à payer la somme de 4.000 € à la SCP Notaires et aux assureurs MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile  ;
Condamne la société « Omnium de constructions, développements, locations » (OCDL) aux dépens d'appel dont distraction au profit de la SCP BG associés.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT