1ère Chambre
ARRÊT N°406/2022
N° RG 20/04036 - N° Portalis DBVL-V-B7E-Q354
Mme [C] [S] [I] [Z]
C/
M. [P] [N]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 13 DÉCEMBRE 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Aline DELIÈRE, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 24 octobre 2022 devant Madame Aline DELIÈRE, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 13 décembre 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
Madame [C] [S] [I] [Z]
née le 18 Décembre 1930 à [Localité 7] (82)
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Sylvain VAROQUAUX de la SARL ACTALEX VAROQUAUX AVOCAT, avocat au barreau de NANTES
INTIMÉ :
Monsieur [P] [N]
né le 08 Octobre 1950 à [Localité 8] (14)
[Adresse 4]
[Adresse 4]
Représenté par Me Catherine GRENO, avocat au barreau de SAINT-NAZAIRE
FAITS ET PROCÉDURE
Mme [C] [Z] est propriétaire d'une maison sur un terrain situé [Adresse 1] (44), cadastré section [Cadastre 2].
M. [P] [N] est propriétaire d'une maison sur un terrain voisin, au [Adresse 3], cadastré section [Cadastre 6] et [Cadastre 5].
Par ordonnance du juge des référés du tribunal d'instance de Saint-Nazaire du 3 décembre 2014, Mme [Z] a été condamnée à procéder à l'élagage des branches dépassant la limite séparative des fonds, condamnation qu'elle a exécutée courant janvier 2015.
Par courriers des 27 septembre et 25 octobre 2018, M. [N] a mis Mme [Z] en demeure de tailler les branches dépassant sur sa propriété.
Par courrier du 29 novembre 2018, Mme [Z] a demandé à M. [N] l'autorisation de pénétrer sur sa propriété, ce que M. [N] a refusé par courrier du 12 décembre 2018.
Le 27 septembre 2019, M. [N] a assigné Mme [Z] devant le tribunal d'instance de Saint-Nazaire afin qu'elle soit condamnée à tailler ou arracher les arbres implantés à moins de deux mètres de la limite séparative entre leurs fonds.
Par jugement du 24 juin 2020, le tribunal judiciaire de Saint-Nazaire a :
-rejeté le moyen de prescription trentenaire,
-condamné Mme [Z] à procéder à l'arrachage des arbres implantés à une distance inférieure à un demi-mètre de la ligne séparative du fonds de M. [N],
-condamné Mme [Z] à procéder, à son choix, à l'arrachage ou à la réduction à une hauteur inférieure à deux mètres des arbres situés entre un demi-mètre et deux mètres de la ligne séparative du fonds de M. [N],
-dit que l'arrachage des arbres implantés à une distance inférieure à un demi-mètre de la ligne séparative et l'arrachage ou la réduction à une hauteur inférieure à deux mètres des arbres situés entre un demi-mètre et deux mètres de la ligne séparative devront être exécutés dans un délai de quatre mois suivant la signification du jugement et ensuite sous astreinte provisoire de 15 euros par jour de retard,
-débouté M. [N] de sa demande de dommages et intérêts,
-condamné Mme [Z] aux dépens, ne comprenant pas le coût du constat d'huissier du 6 mars 2019, et à payer à M. [N] la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Le 26 juin 2020, Mme [Z] a fait appel du jugement, à l'exclusion des chefs déboutant M. [N] de sa demande de dommages et intérêts et disant n'y avoir lieu à l'exécution provisoire.
Elle expose ses moyens et ses demandes dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées le 28 juillet 2021, auxquelles il est renvoyé en application de l'alinéa 1er de l'article 455 du code de procédure civile.
Elle demande à la cour de :
-confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [N] de sa demande de dommages et intérêts,
-l'infirmer des autres chefs dont il a été fait appel,
-statuant à nouveau, juger que les arbres implantés sur son fonds ont une hauteur de deux mètres depuis plus de trente ans,
-dire n'y avoir lieu à l'arrachage des arbres implantés à une distance inférieure à un demi-mètre de la ligne séparative des fonds et à l'arrachage ou la réduction à une hauteur inférieure à deux mètres des arbres situés entre un demi-mètre et deux mètres de la ligne séparative des fonds,
-dire qu'il n'y a pas lieu de la condamner à procéder à l'arrachage des arbres situés à moins d'un demi-mètre et à la réduction de ceux situés entre un demi-mètre et deux mètres du fonds de M. [N] et à payer une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens,
-condamner M. [N] aux entiers dépens, y compris les frais des deux expertises de datation des cyprès de Leyland, d'un montant respectif de 360,00 euros et 1144,73 euros, et à lui payer la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-débouter M. [N] de ses demandes.
M. [N] expose ses moyens et ses demandes dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées le 30 août 2022, auxquelles il est renvoyé.
Il demande à la cour de :
-confirmer le jugement en ce qu'il a :
*condamné Mme [Z] à procéder à l'arrachage des arbres implantés à une distance inférieure à un demi-mètre,
*condamné Mme [Z] à procéder à son choix soit à l'arrachage soit à la réduction à une hauteur inférieure à deux mètres pour les arbres situés entre un demi-mètre et deux mètres de la ligne séparative,
*condamné Mme [Z] à procéder aux travaux sous astreinte de 15 euros par jour de retard dans les 4 mois suivant l'arrêt de la cour d'appel,
-infirmer le jugement, et statuant à nouveau,
-condamner Mme [Z] au paiement de la somme de 3000 euros à titre de dommages intérêts pour trouble anormal de voisinage,
-la condamner aux dépens, comprenant le procès-verbal de constat de Me [F] du 6 mars 2019, et à lui payer la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-débouter Mme [Z] de ses demandes.
MOTIFS DE L'ARRÊT
Mme [Z] se fonde sur la prescription acquisitive trentenaire qui s'opposerait, aux termes de l'article 672 du code civil, à toute demande de M. [N] tendant à l'arrachage ou la réduction des arbres concernés. Elle soutient qu'elle a recueilli sa maison avec le terrain dans la succession de sa mère, aux termes d'un acte de partage du 10 mars 1984, et que la maison a été construite et aménagée entre 1969 et 1974. Elle précise que la plantation des cyprès de Leyland en limite de l'actuelle propriété de M. [N] date de cette période. Elle rappelle que jusqu'au décès du père de M. [N], les cyprès et leur taille n'ont jamais posé problème et que ce n'est que par la suite que ce dernier a réclamé l'élagage des arbres dépassant sur sa propriété. Elle soutient avoir régulièrement procédé à l'élagage en 2015 et 2018, M. [N] ayant autorisé le passage de l'élagueur sur son fonds. Mais M. [N] lui en ayant refusé l'accès par courrier du 12 décembre 2018, après l'avoir pourtant accepté, l'intervention de la société d'élagage n'a pu avoir eu lieu à la date prévue en janvier 2019.
M. [N] conteste la prescription acquisitive. Il soutient qu'aucun arbre ne dépassait la hauteur de la clôture dans les années 1980, sa famille ayant acquis le terrain en 1982 et ayant fait édifier la maison au début des années 1990. Il évoque la mauvaise foi de sa voisine, laquelle différerait délibérément les opérations d'élagage. Selon lui, l'ordonnance de référé de 2014 a conduit Mme [Z] à s'exécuter seulement sous la pression de l'astreinte et l'accès à sa propriété en vue de réaliser l'élagage n'est pas nécessaire. Il conteste la validité de l'expertise amiable en ce qu'elle évoque l'implantation des arbres au Nord de la propriété [N] au lieu du Nord-Ouest et qu'elle écarte à tort la perte d'ensoleillement qui est, selon lui, réelle. Enfin, il conteste la datation des arbres utilisée par l'expert.
1) Sur les demandes d'arrachage et d'étêtage des arbres
Aux termes de l'article 671 du code civil, il n'est permis d'avoir des arbres, arbrisseaux et arbustes près de la limite de la propriété voisine qu'à la distance prescrite par les règlements particuliers actuellement existants, ou par des usages constants et reconnus et, à défaut de règlements et usages, qu'à la distance de deux mètres de la ligne séparative des deux héritages pour les plantations dont la hauteur dépasse deux mètres, et à la distance d'un demi-mètre pour les autres plantations. Les arbres, arbustes et arbrisseaux de toute espèce peuvent être plantés en espaliers, de chaque côté du mur séparatif, sans que l'on soit tenu d'observer aucune distance, mais ils ne pourront dépasser la crête du mur. Si le mur n'est pas mitoyen, le propriétaire seul a le droit d'y appuyer les espaliers.
Par ailleurs, l'alinéa 1er de l'article 672 du même code précise que le voisin peut exiger que les arbres, arbrisseaux et arbustes, plantés à une distance moindre que la distance légale, soient arrachés ou réduits à la hauteur déterminée dans l'article précédent, à moins qu'il n'y ait titre, destination du père de famille ou prescription trentenaire.
Il résulte, en outre, de la jurisprudence, que la prescription en la matière court à partir de la date à laquelle les arbres et arbustes concernés ont dépassé la hauteur maximum permise.
Il ressort de l'expertise amiable du 7 mai 2021 effectuée par M. [E] [A] (ingénieur agronome, docteur de l'ENSAR, expert près la cour d'appel de Rennes et certifié EEA dommages agricoles) et de l'étude dendrochronologique du 19 mai 2021 réalisée par M. [H] [R] (arboriste conseil) que la période de plantation des 8 arbres litigieux ' lesquels sont implantés entre 37 et 60 cm du mur de séparation entre les deux fonds ' est évaluée à la première moitié des années 1970, soit dans la fourchette haute au plus tard en 1976.
L'expertise amiable (page 12 de la pièce 15 communiquée par Mme [Z]), analysant un cliché issu du portail IGN «'remonter le temps'», confirme ainsi l'existence d'une «'haie d'arbres entre la propriété de Mme [Z] (et sa maison) et le terrain sur lequel M. [N] construira ensuite la sienne. La photographie suivante (cliché noir et blanc de 1979) fait apparaître plus clairement la rangée d'arbres qui, en 4 ans, a déjà pris de l'ampleur'». Il n'existe pas de doute, contrairement à ce que soutient M. [N], sur l'identification et l'emplacement des arbres litigieux.
Sur les arbres situés à moins d'un demi-mètre de la limite séparative
Aucune plantation ne devait être effectuée à moins d'un demi-mètre de la ligne séparative des fonds.
Dès lors, le délai de prescription a commencé à courir à partir de la plantation des arbres, soit au plus tard à compter de 1976, de sorte que dès l'année 2006, la prescription était acquise.
Or, l'action de M. [N] a été initiée le 27 septembre 2019.
La prescription étant acquise, l'action en arrachage des arbres plantés à moins d'un demi-mètre de la limite entre les deux fonds est irrecevable.
Le jugement sera infirmé pour avoir fait droit à la demande d'arrachage des arbres et avoir prononcé une astreinte et l'action engagée par M. [N] sera déclarée irrecevable.
Sur les arbres situés entre 0,5 et 2 mètres de la limite séparative
Il ressort du rapport d'expertise amiable que les cyprès de Leyland atteignent la hauteur de 2 mètres en 3 ans environ. Les arbres litigieux ont été plantés au plus tard en 1976.
S'agissant des arbres situés à plus d'un demi-mètre et à moins de deux mètres de la limite séparative, la date à laquelle les arbres ont dépassé la hauteur de deux mètres a manifestement été dépassée au plus tard en 1980, ainsi que le confirme le rapport d'expertise (page 13).
Au surplus, l'expertise dendrochronologique de mai 2021 estime, à l'aide d'un protocole de carottage, l'âge des arbres entre 45 et 50 ans (marges d'erreur comprises) pour l'ensemble des 8 arbres.
Ces deux expertises sont cohérentes entre elles et documentées.
Dès lors, la prescription trentenaire était acquise lorsque M. [N] a assigné Mme [Z] le 27 septembre 2019.
L'action de M. [N] en étêtage sera déclarée irrecevable et le jugement sera infirmé pour avoir condamné Mme [Z] à réduire la hauteur des arbres à deux mètres et avoir prononcé une astreinte.
2) Sur la demande de dommages et intérêts pour trouble anormal du voisinage
M. [N] réclame le paiement de la somme de 3000 euros de dommages et intérêts pour trouble anormal du voisinage au motif que les arbres sont la cause d'une perte d'ensoleillement et de l'envahissement de son grenier par des animaux parasites qui passent par les arbres et les gouttières. Le tribunal a omis de répondre à sa demande.
Le rapport d'expertise de M. [A] indique que les arbres litigieux ont été élagués et étêtés régulièrement et qu'aucune branche ne dépasse sur la propriété [N]. M. [N] reconnaît que sa voisine a élagué les arbres au début de l'année 2021.
Le fonds de M. [N] est situé au Sud du fonds de Mme [Z], aussi l'ombre portée des arbres, le long de la limite entre les deux fonds, ne peut être gênante pour le fonds de M. [N]. En page 6 de son rapport, l'expert, qui est intervenu en mars 2021, expose que l'implantation de la maison de ce dernier et son positionnement par rapport aux arbres la met à l'abri de toute ombre même à 18 h 20 le 2 mars.
M. [N] verse à la procédure des photographies, qui auraient été prises en août 2022, montrant que les branches des arbres plantés sur la parcelle [Cadastre 2], dépassent la limite entre les fonds. Mais le fonds surplombé par les branches des arbres ne dépend manifestement pas de sa propriété mais d'une autre propriété située derrière sa maison, alors que les branches des arbres au premier plan sont élaguées.
Enfin M. [N] ne justifie pas de la présence d'animaux nuisibles arrivés par les arbres depuis le fonds de Mme [Z].
Il n'est donc pas établi que les arbres dépendant de la propriété de Mme [Z] causent un trouble anormal du voisinage à l'intimé et la demande à ce titre sera rejetée.
3) Sur les dépens et les frais non compris dans les dépens
Succombant, M. [N] supportera, après infirmation du jugement, la charge des entiers dépens, conformément à l'article 696 du code de procédure civile et sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée.
Les frais des expertises, non judiciaires, des 7 janvier et 19 mai 2021 ne sont pas compris dans les dépens. La demande de Mme [Z] à ce titre doit donc s'entendre comme une demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il n'est pas équitable de laisser à la charge de Mme [Z] la totalité des frais qu'elle a exposés qui ne sont pas compris dans les dépens et il lui sera alloué la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, comprenant les frais des expertises des 7 janvier et 19 mai 2021.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement déféré dans toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts de M. [P] [N],
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déclare irrecevables les demandes de M. [P] [N] d'arrachage et d'étêtage des arbres plantés sur le fonds de Mme [C] [Z], le long de la limite entre son fonds et celui de M. [P] [N],
Déboute M. [P] [N] de sa demande de dommages et intérêts pour trouble anormal du voisinage et de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Le condamne aux dépens de première instance et d'appel et à payer à Mme [C] [Z] la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE