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01/12/2022 | FRANCE | N°18/03623

France | France, Cour d'appel de Rennes, 8ème ch prud'homale, 01 décembre 2022, 18/03623


8ème Ch Prud'homale





ARRÊT N°508



N° RG 18/03623 et 18/3687 joints

N° Portalis DBVL-V-B7C-O4NX













Liquidation judiciaire de la SA SAD (SOCIETE D'AGENCES ET DE DIFFUSION)



C/



M. [B] [T]

















Réformation partielle













Copie exécutoire délivrée

le :



à :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRAN

ÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 1er DECEMBRE 2022





COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Président de chambre,

Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller,

Madame Gaëlle DEJOIE, Conseillère,



GREFFIER :



Monsieur Philippe RENAULT, ...

8ème Ch Prud'homale

ARRÊT N°508

N° RG 18/03623 et 18/3687 joints

N° Portalis DBVL-V-B7C-O4NX

Liquidation judiciaire de la SA SAD (SOCIETE D'AGENCES ET DE DIFFUSION)

C/

M. [B] [T]

Réformation partielle

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 1er DECEMBRE 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Président de chambre,

Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller,

Madame Gaëlle DEJOIE, Conseillère,

GREFFIER :

Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 15 Septembre 2022

En présence de Madame Elise BOUYER, médiatrice judiciaire

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 1er Décembre 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANTE :

La SA SAD (SOCIETE D'AGENCES ET DE DIFFUSION) en liquidation judiciaire par jugement du TC de PARIS du 15/05/2020

[Adresse 5]

[Adresse 5]

Prise en la personne de ses mandataires liquidateurs :

- La S.E.L.A.F.A. de Mandataires Judiciaires MJA agissant par Me [M] [V] intervenant ès-qualités à la procédure

[Adresse 1]

[Adresse 1]

- La S.E.L.A.R.L. de Mandataires Judiciaires [G] YANG-TING agissant par Me [A] [G] intervenant ès-qualités à la procédure

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentées par Me Bertrand GAUVAIN substituant à l'audience Me Christophe LHERMITTE de la SCP GAUVAIN, DEMIDOFF & LHERMITTE, Avocats postulants du Barreau de RENNES et par Me Sandrine NAUTIN substituant à l'audience Me Hugues PELISSIER, Avocats plaidants du Barreau de LYON

.../...

INTIMÉ :

Monsieur [B] [T]

né le 20 Août 1984 à [Localité 6] (44)

demeurant [Adresse 4]

[Adresse 4]

Représentée par Me Aude STEPHAN, Avocat au Barreau de SAINT-NAZAIRE

AUTRE INTERVENANTE FORCÉE, DE LA CAUSE, appelante à titre incident :

L'Association UNEDIC, DÉLÉGATION AGS - CGEA Ile De France OUEST prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège:

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Me Louise LAISNE substituant à l'audience Me Marie-Noëlle COLLEU de la SELARL AVOLITIS, Avocats au Barreau de RENNES

=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+

M. [B] [T] a travaillé au sein de la SOCIETE D'AGENCES ET DE DIFFUSION en qualité d'employé logistique, à compter du 25 août 2008 dans le cadre de différents contrats de mise à disposition, par l'intermédiaire de quatre entreprises de travail temporaire différentes, soit - VEDIORBIS pour les contrats conclus entre le 25 août 2008 et le 28 février 2009,

- RANDSTAD pour les contrats conclus entre le 3 mars 2009 et le 25 juillet 2010,

- MANPOWER pour les contrats conclus entre le 26 juillet 2010 et le 3 novembre 2012,

- RAS 180 pour les contrats conclus entre le 6 novembre 2012 et le 30 avril 2015.

Les contrats de mission ont été conclus pour les motifs de remplacement d'un salarié absent ou d'accroissement temporaire d'activité. a travaillé au sein de la SA SAD.

La relation contractuelle a définitivement pris fin le30 avril 2015, la SA SAD ayant cessé de faire appel aux services de M. [T].

Le 16 juin 2016, M. [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Nantes aux fins notamment de voir requalifier les contrats de missions d'intérim au sein de la société SOCIÉTÉ D'AGENCES ET DE DIFFUSION (SAD) en contrat à durée indéterminée à temps plein à compter du 25 août 2008 et jusqu'au 30 juin 2015 en incluant le préavis, de voir reconnaître qu'il a fait l'objet d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamner l'entreprise utilisatrice au paiement de diverses sommes à titre d'indemnisation.

La cour est saisie d'un appel régulièrement formé par la SAD le 5 juin 2018 du jugement du 9 mai 2018 par lequel le conseil de prud'hommes de Nantes a :

' Dit que les demandes formées par M. [T] sont recevables au regard des règles de prescription,

' Dit que les contrats de mission de M. [T] doivent être requalifiés en une relation de travail à durée indéterminée à compter du 25 août 2008,

' Dit qu'à la date de la rupture de la relation de travail M. [T] pouvait le 30 juin 2015 prétendre à une ancienneté de 6 ans et 10 mois,

' Fixé à la somme de 2.215,44 € le salaire mensuel brut de référence,

' Condamné la SA SAD à payer à M. [T] les sommes suivantes :

- 2.215,44 € net au titre de l'indemnité de requalification,

- 4.430,88 € brut au titre de l'indemnité de préavis,

- 443,09 € brut au titre des congés payés afférents,

- 8.876,77 € net au titre de l'indemnité de licenciement,

- 14.500 € net à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 25.795,94 € brut au titre du rappel de salaire de juillet 2011 à avril 2015,

- 2.579,59 € brut au titre des congés payés afférents,

- 14.953,13 € brut au titre du rappel de 13ème et 14ème mois,

- 1.100 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

' Lesdites condamnations étant assorties des intérêts au taux légal à compter du 16 juin 2016 pour les sommes à caractère salarial et de la notification de la présente décision pour celles à caractère indemnitaire,

' Ordonné à la SA SAD de remettre à M. [T] un bulletin de paie récapitulatif de la décision, un certificat de travail du 25 août 2008 au 30 juin 2015 en qualité de préparateur expéditions et une attestation Pôle Emploi sur la période contractuelle, sous astreinte journalière de 15 € par jour de retard à compter du 15ème jour suivant la notification de la présente décision,

' Dit que le conseil de prud'hommes se réserve expressément le pouvoir de liquider cette astreinte provisoire, charge à la partie intéressée d'en formuler la demande au greffe,

' Débouté la partie défenderesse de ses demandes reconventionnelles formées au titre de l'irrecevabilité des prétentions de M. [T] et de l'indemnité de l'article 700 du code de procédure civile,

' Dit que le présent jugement est opposable à la SAS RAS 180, société d'intérim signataire des derniers contrats de mission,

' Ordonné l'exécution provisoire de la présente décision pour la totalité des condamnations à caractère salarial et, à hauteur de 50 % des sommes allouées en ce qui concerne les condamnations à titre indemnitaire,

' Condamné la SA SAD à rembourser aux organismes intéressés les indemnités de chômage versées à M. [T] dans la limite d'un mois d'indemnités,

' Condamné la SA SAD aux dépens éventuels.

Par jugement en date du 15 mai 2020, le tribunal de commerce de Paris a prononcé la liquidation judiciaire de la SA SAD'; par ce même jugement ont été nommées mandataires liquidateurs de la SAD la SELAFA MANDATAIRES JUDICIAIRES ASSOCIES -MJA prise en la personne de Maître [M] [V] et la SELARL [G] YANG TING prise en la personne de Maître [A] [G].

Vu les écritures notifiées par voie électronique le 23 mars 2021, suivant lesquelles la SELAFA MJA et la SELARL [G] YANG-TING demandent à la cour de

' Donner acte à la SELAFA MANDATAIRES JUDICIAIRES ASSOCIES -MJA- prise en la personne de Maître [M] [V], et à la SELARL [G] YANG TING prise en la personne de Maître [A] [G], toutes deux ès-qualités de mandataires judiciaires de la SOCIETE D'AGENCES ET DE DIFFUSION, de ce qu'elles reprennent l'instance pendante devant la cour et de les recevoir en leurs écritures,

' Réformer, dans son intégralité, le jugement entrepris et, statuant à nouveau,

* Sur l'irrecevabilité des demandes fondées sur la période antérieure au 16 juin 2014

' Constater que M. [T] a saisi le conseil de prud'hommes le 16 juin 2016,

' Dire irrecevables car prescrites les demandes fondées sur les contrats de travail temporaires conclus avant le 16 juin 2014,

' Dire irrecevables les présentes demandes de requalification des contrats de mission de M. [T] antérieurs au 16 juin 2014 en contrat de travail à durée indéterminée et les demandes subséquentes fondées sur ladite demande de requalification,

* Sur la demande de requalification

' Dire que la succession de contrats de mission ne suffit pas à elle seule à justifier la requalification des contrats de mission en contrats à durée indéterminée,

' Constater que le recours à M. [T] par la SAD n'avait pas pour objet ou pour effet de pourvoir un emploi permanent au sein de ladite société,

' Dire que les contrats de mission étaient justifiés et réguliers,

' Dire que les contrats de mission ne peuvent être requalifiés en contrat de travail à durée indéterminée,

' Dire qu'à l'occasion de chacun de ces contrats de mission, M. [T] ne justifiait pas d'une ancienneté égale ou supérieure à un an,

' Débouter M. [T] de l'intégralité de ses demandes,

À titre subsidiaire, si par extraordinaire, la cour entendait prononcer une requalification des contrats de mission en contrat de travail à durée indéterminée,

' Dire que l'ancienneté de M. [T] ne se présume pas et doit être démontrée par ce dernier,

' Dire que l'ancienneté à prendre en compte, du fait de la prescription, ne peut débuter qu'au 4 août 2014, signifiant que l'ancienneté de M. [T] doit être fixée à 9 mois,

' Fixer le salaire de référence de M. [T] à 1.480,91 € brut,

' Débouter M. [T] de sa demande d'indemnité conventionnelle de licenciement,

' Réduire :

- l'indemnité de requalification à la somme de 1.897,06 €,

- l'indemnité compensatrice de préavis à la somme de 1.480,91 € brut du fait d'une ancienneté inférieure à 1 an,

- les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à de plus justes proportions, au regard d'une ancienneté de 9 mois et de l'absence de toute justification du préjudice,

' Débouter en tout état de cause M. [T] de l'intégralité de ses demandes de rappels de salaires et de primes de 13ème et 14ème mois du fait d'une ancienneté inférieure à une année,

À titre reconventionnel,

' Condamner M. [T] à verser respectivement à la SELAFA MANDATAIRES JUDICIAIRES ASSOCIES -MJA- prise en la personne de Maître [M] [V] et à la SELARL [G] YANG TING prise en la personne de Maître [A] [G] la somme de 750 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Vu les écritures notifiées par voie électronique le 17 septembre 2021, suivant lesquelles le CGEA IDF OUEST demande à la cour de :

' Déclarer son appel incident recevable et bien fondé,

' Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- Dit que les contrats de mission de M. [T] doivent être requalifiés en une relation de travail à durée indéterminée à compter du 25 août 2008,

- Dit qu'à la date de la rupture de la relation contractuelle de travail, M. [T] pouvait prétendre à une ancienneté de 6 ans et 10 mois,

- Condamné la société SAD à payer au demandeur plusieurs sommes aux titres d'indemnité de requalification, d'indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, d'indemnité de licenciement, de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de rappel de salaires de juillet 2011 à mai 2015 et congés payés afférents et de prime de 13ème mois et 14ème mois,

' Débouter M. [T] de l'intégralité de ses demandes,

Subsidiairement,

' Débouter M. [T] de toute demande excessive et injustifiée,

En toute hypothèse,

' Débouter M. [T] de toutes ses demandes qui seraient dirigées à l'encontre de l'AGS,

' Décerner acte à l'AGS de ce qu'elle ne consentira d'avance au mandataire judiciaire que dans la mesure où la demande entrera bien dans le cadre des dispositions des articles L.3253-6 et suivants du code du travail,

' Dire que l'indemnité éventuellement allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile n'a pas la nature de créance salariale,

' Dire que l'AGS ne pourra être amenée à faire des avances, toutes créances du salarié confondues, que dans la limite des plafonds applicables prévus aux articles

L.3253-17 et suivants du code du travail,

' Dépens comme de droit.

Vu les écritures notifiées par voie électronique le 31 août 2022, suivant lesquelles M. [T] demande à la cour de :

' Confirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions, sauf les termes 'condamner la SA SAD',

' Tirer les conséquences de l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire et fixer les créances de M. [T] au passif de la liquidation judiciaire de la SOCIETE D'AGENCES ET DE DIFFUSION (SAD), aux montants fixés par le conseil de prud'hommes de Nantes,

' Déclarer opposable à l'AGS-CGEA l'arrêt à intervenir et la condamner à garantir le montant des créances, dans les limites des textes en vigueur,

' Rappeler que les intérêts fixés par le conseil de prud'hommes courent jusqu'au 15 mai 2020, date d'ouverture de la liquidation judiciaire,

' Ordonner aux mandataires liquidateurs de la SAD de remettre à M. [T] les documents sociaux conformes à l'arrêt à intervenir,

' Débouter les mandataires liquidateurs de la SAD de toutes leurs demandes, fins et conclusions,

Y additant,

' Condamner les mandataires liquidateurs de la SAD à payer à M. [T] la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens d'appel.

La clôture a été prononcée par ordonnance du 8 septembre 2022.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions notifiées via le RPVA.

MOTIVATION DE LA DECISION

Sur la prescription de l'action en requalification

Pour infirmation à ce titre, les mandataires de la SA SAD soutiennent que l'action en requalification est soumise au délai de prescription de 2 ans de sorte que sont irrecevables les demandes portant sur la période antérieure au 16 juin 2014 soit deux années avant la saisine par le salarié de la juridiction prud'homale'; que le point de départ du délai de prescription en matière de requalification de contrats à durée déterminée fondée sur l'absence d'une mention au contrat court à compter de la conclusion de chaque contrat'; que cette solution est transposable aux contrats de missions temporaires'; que ni le contenu ni le motif du recours aux contrats conclus plus de deux ans avant la saisine du Conseil de prud'hommes ne peuvent être examinés'; que toute demande de M. [T] portant sur des contrats conclus avant le 16 juin 2014 est prescrite'; qu'ainsi toute demande de requalification des contrats de mission conclus avant celui daté du 4 août 2014 est irrecevable.

M. [T] rétorque que le point de départ de son action en requalification de contrats de mission successifs est la fin du dernier contrat et que le contrat à durée indéterminée est réputé avoir débuté au premier contrat irrégulier, de sorte que c'est à juste titre que le Conseil de Prud'hommes s'est prononcé sur l'ensemble des contrats conclus depuis 2008.

Aux termes de l'article L.1471-1 du code du travail en sa rédaction issue de la loi n°2013-504 du 14 juin 2013 et antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 :

'Toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.

Le premier alinéa n'est toutefois pas applicable aux actions en réparation d'un dommage corporel causé à l'occasion de l'exécution du contrat de travail, aux actions en paiement ou en répétition du salaire et aux actions exercées en application des articles L. 1132-1, L. 1152-1 et L. 1153-1. Elles ne font obstacle ni aux délais de prescription plus courts prévus par le présent code et notamment ceux prévus aux articles L. 1233-67, L. 1234-20, L. 1235-7 et L. 1237-14, ni à l'application du dernier alinéa de l'article L. 1134-5.'

Aux termes de l'article L. 1251-5 du code du travail, le contrat de mission , quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice.

Selon l'article L. 1251-40 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, lorsqu'une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d'une entreprise de travail temporaire , en méconnaissance des dispositions des articles L. 1251-5 à L. 1251-7, L. 1251-10 à L. 1251-12, L. 1251-30 et L. 1251-35, ce salarié peut faire valoir auprès de l'entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission.

Il résulte de la combinaison de ces textes que le délai de prescription d'une action en requalification d'une succession de contrats de mission en contrat à durée indéterminée à l'égard de l'entreprise utilisatrice, fondée sur le motif du recours au contrat de mission énoncé au contrat, a pour point de départ le terme du dernier contrat et que le salarié est en droit, lorsque la demande en requalification est reconnue fondée, de faire valoir auprès de l'entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa première mission irrégulière.

Il est en outre établi que la requalification en contrat à durée indéterminée pouvant porter sur une succession de contrats séparés par des périodes d'inactivité, ces dernières n'ont pas d'effet sur le point de départ du délai de prescription .

En l'espèce, le terme du dernier contrat de mission de l'intéressée au sein de l'entreprise utilisatrice était le 30 avril 2015'; le salarié a introduit le 16 juin 2016 une action en requalification des contrats de mission souscrits à compter du 25 août 2008 en un contrat à durée indéterminée, en soutenant que la conclusion successive de contrats de mission avait pour objet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise.

Il en résulte que l'action du salarié en requalification n'était pas prescrite.

Sur la requalification du contrat

Pour infirmation, les mandataires de la SA SAD soutiennent que les motifs de recours au contrat à durée déterminée sont justifiés, soit par le remplacement de salariés absents soit par un accroissement temporaire d'activité, tous motifs dont les appelantes sont en mesure de justifier par les pièces versées aux débats'; que les contrats conclus avec M. [T] n'ont pas eu pour objet de pourvoir à l'activité normale et permanente de l'entreprise'; que c'est à tort que M. [T] soutient avoir été affecté toujours au même poste alors qu'i a été affecté à au moins quatre postes différents (préparateur aux expéditions, employé logistique, employé de production)'; qu'il a été affecté à de courtes missions et qu'il n'a conclu aucun contrat pendant des périodes allant jusqu'à 16 semaines consécutives (en 2014) ce qui démontre que son intervention n'était que ponctuelle.

L'AGS CGEA fait valoir que les organes de la procédure collective justifient le bien fondé du recours aux différents contrats d'intérim de M. [T], principalement pour assurer le remplacement de salariés nommément désignés, ponctuellement pour des motifs d'accroissement temporaires d'activité ; qu'une éventuelle irrégularité formelle dans la rédaction des contrats ne constitue pas un cas de requalification des contrats d'intérim.

M. [T] soutient principalement qu'il a été employé entre août 2008 et avril 2015 dans le cadre de 416 contrats de mission, toujours pour effectuer la même tâche, en remplacement de membres du personnel sur des périodes d'absence prévisible (congés, récupération) et avec parfois la succession de plusieurs contrats pour remplacer le même salarié sur un même congé donc sans nouvelle absence'; que l'employeur ne justifie ni des absences des salariés pour la majeure partie des contrats (notamment avant 2014) ni des motifs invoqués d'accroissement d'activité.

Le contrat de travail temporaire est défini par l'article L.1251-1 comme ayant pour objet la mise à disposition d'un salarié par une entreprise de travail temporaire au bénéfice d'un client utilisateur pour l'exécution d'une mission.

Aux termes de l'article L.1251-5 du code du travail précité, le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice.

Il en résulte que même si les contrats de mission successifs mentionnent un motif de recours qui est exact, le salarié peut demander la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée lorsque ses missions ont eu pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice.

En cas de litige sur le motif du recours au travail temporaire, il incombe à l'entreprise utilisatrice de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat de travail.

En l'espèce, M. [T] justifie avoir été mis à disposition de la SA SAD par plusieurs entreprises de travail temporaire à compter du 25 août 2008 et avoir signé plus de 410 contrats temporaires successifs jusqu'au 30 avril 2015 correspondant au dernier jour du dernier contrat de mise à disposition (pièces n°1 à 6 de M. [T]).

Ces contrats ont été conclus soit dans le cadre de remplacement de salariés absents, soit dans le cadre d'un accroissement temporaire d'activité.

M. [T] a ainsi notamment remplacé successivement MM. [U], [F], [Y], [I], [E], [H], [W], [D], [P] entre août et octobre 2008, MM. [N], [C], [S], [J], [X], [L], [E], [O] et de nombreux autres sur le reste de l'année de manière quasi continue, de même qu'en 2011, 2012, 2013 pour des motifs d'absence de ces salariés en congés payés, sans que la société appelante ne justifie d'aucune des absences considérés puisque si elle reproduit dans ses pièces (n°1-1 et suivantes) les contrats de mission du salarié elle ne produit de justificatifs d'absences qu'à compter de 2014 (pièce n°3).

Il n'est pas davantage justifié de la réalité d'aucun des motifs d'accroissement temporaire d'activité visés dans plusieurs des contrats de mission, qu'il s'agisse d'une «'opération encartage du client FIGARO'» du 20 novembre 2014, pour lesquelles il n'est produit aucun élément justificatif en dehors des contrats de mission (pièces n°7 du salarié, pièce n°1-7 de l'entreprise utilisatrice) ou qu'il s'agisse de la «'récupération du volume du site de [Localité 7]'» du 6 au 11 avril 2015 pour laquelle il n'est produit qu'un compte rendu de réunion du CCE du 14 mai 2014 qui ne fait qu'évoquer un tel transfert «'le 19 mai'» (pièce n°4 des mandataires liquidateurs de la SAD).

Or l'absence de contestation par le salarié du motif d'accroissement temporaire d'activité au moment de la signature du contrat n'a pas pour conséquence de dispenser l'employeur de son obligation de justifier du motif de recours à un contrat temporaire.

D'autre part, les caractéristiques du poste dans les contrats successifs sont toujours ainsi décrites :

- en 2008, 2009 et jusqu'en juillet 2010 « manutention et préparation des magazines avant expédition»,

- en 2011 et jusqu'en octobre 2012': « tri et mise en case des différentes presses» et « tri des invendus »,

- entre fin 2012 et 2015«'préparation des commandes de journaux ' manutention ' rangement du poste de travail'».

Outre que M. [T] justifie avoir ainsi assuré le remplacement de plusieurs salariés même durant les périodes de congés payés que ceux-ci auraient normalement pris entre 2010 et 2015, les éléments produits démontrent que par l'effet de ces renouvellements successifs de contrats de travail temporaire pour les différents motifs indiqués, M. [T] a en réalité occupé de manière continue sur une durée de près de sept années nonobstant des interruptions de quelques jours à quelques mois un même emploi d'agent de manutention, lié durablement à l'activité normale et permanente de la SA SAD.

Dans ces circonstances, la demande en requalification de la relation en un contrat à durée indéterminée à compter du 25 août 2008, date d'effet de sa première mission, est bien fondée par application des dispositions légales précitées.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a fait droit à cette demande de M. [T].

Par application de l'article L.1251-39 du code du travail et par suite de la requalification ordonnée, l'ancienneté du salarié doit être appréciée en tenant compte du premier jour de sa mission au sein de l'entreprise. M. [T] est ainsi fondé à percevoir l'intégralité de la rémunération à laquelle il avait droit à compter du 25 août 2008.

Compte tenu des décomptes chiffrés produits (notamment annexes I et II des écritures de la salariée), les conséquences financières de la requalification n'étant pas autrement contestées par les mandataires judiciaires de la société appelante que pour le motif déjà écarté lié à la circonstance que les contrats antérieurs au 16 juin 2014 ne pourraient pas être examinés, le jugement attaqué sera également confirmé en ce qu'il a fixé, sur la base d'un salaire de référence tenant compte des treizième et quatorzième mois au regard d'une ancienneté de plus d'une année (conf. La convention collective en pièce n°5 de l'appelante), d'une indemnité de requalification de 2.215,44€ net, d'une somme de 25.795,94€ brut au titre du rappel de salaire sur la période de juillet 2011 à avril 2015 augmentée de 2.579,59€ brut au titre des congés payés afférents et de la somme de 14.953,13 € brut au titre du rappel des 13ème et 14ème mois.

Ces sommes seront fixées au passif de la liquidation judiciaire de la société.

Sur la rupture du contrat de travail

Les mandataires de la SAD soutiennent pour infirmation du montant des sommes allouées au salarié que M. [T] ne peut pas prétendre à une ancienneté de plus de neuf mois au regard de la date de conclusions du premier contrat de mission (4 août 2014) qui n'est pas atteint par la prescription ; que le calcul des sommes allouées doit donc se faire sur la base d'un salaire de référence inféieur à celui retenu par les premiers juges ; que l'indemnité de fin de mission et l'indemnité de licenciement ont le même objet et ne peuvent en tout état de cause se cumuler.

L'AGS-CGEA soutient que le rappel de salaires sollicité par M. [T] au titre des périodes non travaillés entre les contrats d'intérim n'est pas fondé, M. [T] ne justifiant aucunement s'être tenu à la disposition de son employeur ; que M.[T] ne justifie d'aucun préjudice légitimant l'octroi de dommages et intérêts supérieurs aux minimums légaux en référence à l'ancienneté acquise.

Compte tenu de la requalification de la relation contractuelle en un contrat de travail à durée indéterminée et alors qu'il n'est allégué par les mandataires de la société SAD aucun acte susceptible au vu de l'ensemble des pièces produites aux débats de caractérisant une cause réelle et sérieuse de licenciement ni d'aucun motif de nature à justifier la rupture des relations contractuelles dans les conditions prévues par le code du travail, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a déclaré que la SA SAD devait être tenue des conséquences de ce licenciement à l'égard de M. [T].

Dans ce cas, le salarié a droit, en plus de l'indemnité de précarité qui a déjà été versée et qu'il a le droit de conserver, aux indemnités suivantes au regard des dispositions des articles L1251-32 et L1251-33 :

- indemnité de requalification,

- indemnité de congés payés,

- indemnité de préavis et indemnité de congés payés sur préavis,

- indemnité légale ou conventionnelle de licenciement s'il remplit les conditions d'ancienneté,

- indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Les dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail selon sa rédaction applicable au présent litige sont en effet applicables en raison de l'ancienneté de M. [T] de 6 ans et 10 mois au sein de la SAD qui comptait plus de dix salariés. Le jugement sur ce point sera confirmé à hauteur des sommes non autrement contestées de :

- 4.430,88 € brut au titre de l'indemnité de préavis outre 443,09 € brut au titre des congés payés afférents,

- 8.876,77 € net au titre de l'indemnité de licenciement,

- 14.500 € net à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au regard des circonstances ci-dessus décrites et de la situation personnelle de M. [T], âgé de 31 ans avec l'ancienneté décrite.

Sur le remboursement des indemnités de chômage

Par application combinée des articles L.1235-3 et L.1235-4 du code du travail, lorsque le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé. Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.

Sur ce fondement, il y a lieu de fixer la créance aux organismes concernés les indemnités de chômage payées, le cas échéant, à M. [T] à compter du jour de la rupture du contrat de travail, dans la limite de trois mois d'indemnités.

***

Sur les frais irrépétibles

L'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile dans la mesure énoncée au dispositif ; la société appelante et ses mandataires, qui succombent en appel, doivent être déboutées de leurs demandes formulée à ce titre et condamnées à indemniser l'intimée des frais irrépétibles qu'elle a pu exposer pour assurer sa défense.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,

INFIRME le jugement entrepris seulement en ce qu'il a condamné la SA SAD à verser les montants alloués à M. [T] par les premiers juges,

Statuant à nouveau :

FIXE au passif de la liquidation de la SOCIÉTÉ D'AGENCES ET DE DIFFUSION (SA SAD) les créances de M. [T] aux sommes suivantes soit :

- 2.215,44 € net au titre de l'indemnité de requalification,

- 25.795,94 € brut au titre des rappels de salaire sur la période de juillet 2011 au 30 avril 2015,

- 2.579,59 € brut au titre des congés payés afférents,

- 14.953,13 € brut au titre des rappels de 13ème et 14ème mois,

- 4.430,88 € brut à titre d'indemnité de préavis,

- 443,09 € brut au titre des congés payés afférents,

- 8.876,77 € net au titre de l'indemnité de licenciement.

- 14.500 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 1.100 € net au titre des frais irrépétibles ;

CONFIRME le jugement entrepris pour le surplus,

Et y ajoutant,

FIXE la créance de POLE EMPLOI au passif de la liquidation de la SOCIÉTÉ D'AGENCES ET DE DIFFUSION (SA SAD) à trois mois d'indemnités chômage versées à M. [T] à compter du 30 avril 2015 ;

DÉCLARE le présent arrêt opposable à l'AGS CGEA ÎLE DE FRANCE OUEST ;

DÉBOUTE la SELAFA MJA et la SELARL [G] YANG-TING es qualités de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la SELAFA MJA et la SELARL [G] YANG-TING es qualités à payer à M. [T] la somme de 2.000 € au titre des frais irrépétibles qu'il a dû exposer en cause d'appel ;

CONDAMNE la SELAFA MJA et la SELARL [G] YANG-TING es qualités aux dépens d'appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 8ème ch prud'homale
Numéro d'arrêt : 18/03623
Date de la décision : 01/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-01;18.03623 ?
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