1ère Chambre
ARRÊT N°389/2022
N° RG 21/04415 - N° Portalis DBVL-V-B7F-R23S
Mme [X] [W] [Y] [V] épouse [Z]
C/
Me [N] [I]
S.A. MMA IARD
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 29 NOVEMBRE 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Fabrice ADAM, Premier Président de chambre,
Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre entendue en son rapport,
Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 27 Septembre 2022
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 29 Novembre 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
Madame [X] [W] [Y] [V] épouse [Z]
née le [Date naissance 3] 1973 à [Localité 11] (35)
[Adresse 1]
[Localité 11]
Représentée par Me Dominique TOUSSAINT de la SELARL TOUSSAINT DOMINIQUE, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉS :
Maître [N] [I]
[Adresse 4]
[Localité 11]
Représenté par Me Bérengère SOUBEILLE de la SELARL LALLEMENT SOUBEILLE & ASSOCIES, avocat au barreau de NANTES
La société MMA IARD, SA agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentée par Me Bérengère SOUBEILLE de la SELARL LALLEMENT SOUBEILLE & ASSOCIES, avocat au barreau de NANTES
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte notarié du 22 décembre 2003, M. [F] [Z] et Mme [X] [V], mariés sous le régime légal de la communauté d'acquêts le 1er juin 2001, ont adopté le régime de la séparation de biens homologué par le tribunal de grande instance de Lille le 23 février 2004.
Par acte authentique du 9 octobre 2009 au rapport de Maître [S] [A], notaire associé à [Localité 9], avec la participation de leur notaire, Maître [I], notaire associé à [Localité 11], ils ont fait l'acquisition d'un appartement situé [Adresse 5] à [Localité 11].
Dans cet acte figurait une déclaration de remploi de fonds propres de Mme [Z] (ci-après Mme [V]) aux termes de laquelle elle déclarait s'être acquittée du prix payé comptant à concurrence de la somme de 185.000 € au moyen de deniers lui appartenant en propre, à savoir :
a) à hauteur de 120.000 € comme lui provenant d'une donation de ses parents aux termes d'un acte de donation partage reçu par Maître [M], notaire à [Localité 7], le 29 décembre 2008 dûment enregistré,
b) à hauteur de 65.000 € comme provenant de ses comptes propres.
Cet acte faisait l'objet le 28 septembre 2011 d'un rectificatif des quotités des droits acquis par chacun des époux qui avaient été inversées à la suite d'une erreur matérielle, Mme [V] ayant acquis à concurrence de 65 centièmes en pleine propriété et M. [Z] à concurrence de 35 centièmes en pleine propriété et non l'inverse.
Par acte authentique du 1er décembre 2015 reçu par Maître [J], notaire à [Localité 8] (44), M. et Mme [Z] ont fait l'acquisition d'un autre appartement situé cette fois au [Adresse 1] à [Localité 11].
Cet acte devait être reçu en l'étude de Maître [I] à [Localité 11] mais fut finalement reçu en l'étude de Maître [J] à [Localité 8] (Loire-Atlantique) en présence des vendeurs domiciliés à [Localité 10]) tandis que M. et Mme [Z] étaient, en vertu d'une procuration principale donnée à Maître [I] avec faculté de délégation à tout collaborateur de Maître [J], représentés par Maître [L], notaire assistant à [Localité 8].
L'acte de vente indiquait que le prix de vente d'un montant de 425.000 € était payé comptant par l'acquéreur et précisait que sur la somme payée, celle de 288.956,00 € provenait de fonds empruntés au Crédit mutuel de [Localité 11] Sainte-Anne Saint-Martin. Suivait la mention de 2 prêts de 148.956,00 € et de 140.000 € pour "achat et travaux d'amélioration". Suivait encore la mention de 2 autres prêts de 92.600,00 € et de 270.000 € pareillement causés, le montant total des prêts étant de 652.456,00 €.
Le bien était acquis en indivision à concurrence de 3/10èmes par M. [Z] et 7/10èmes par Mme [V] et leur servait d'habitation principale.
La vente de l'appartement du [Adresse 5] était quant à elle régularisée le 28 janvier 2016 par Maître [I]. Il était procédé au remboursement au Crédit mutuel des deux derniers prêts pour les montants de 271.566,35 € et 92.451,18 €.
Le 6 juillet 2017, Mme [V] déposait une requête en divorce et une ordonnance de non conciliation était rendue le 11 décembre 2017 aux termes de laquelle :
- la jouissance du logement familial du [Adresse 1] à [Localité 11] était attribuée à Mme [V] à titre gratuit,
- M. [Z] prenait à sa charge le remboursement des prêts immobiliers.
Le couple décidait de mettre en vente l'appartement du [Adresse 1] et remettait un mandat à cette fin à l'étude [I].
Exposant avoir découvert à cette occasion que l'acte du 1er décembre 2015 ne contenait pas, contrairement à sa demande de l'époque, de clause de remploi ni de mention de l'origine de ses fonds propres ayant servi à financer l'acquisition et devant le refus de Maître [I] de reconnaître sa responsabilité et procéder à une déclaration de sinistre auprès de son assureur, Mme [V] l'a fait convoquer ainsi que la société MMA Iard par assignations respectives des 11 et 4 juin 2019 devant le tribunal de grande instance de Rennes aux fins d'indemnisation de son préjudice à concurrence de la somme de 91.500 € sollicités à titre de dommages-intérêts.
Par jugement du 11 mai 2021, le tribunal judiciaire de Rennes a :
- déclaré Mme [V] irrecevable en l'intégralité de ses demandes dirigées contre Maître [I] et son assureur la sa MMA Iard faute d'intérêt à agir,
- débouté Maître [I] de sa demande reconventionnelle en paiement de la somme de 1 euro,
- rejeté la demande de frais irrépétibles de Mme [V],
- condamné Mme [V] à payer à Maître [I] et à la sa MMA Iard chacun la somme de 1.500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Mme [V] aux entiers dépens,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Par déclaration du 15 juillet 2021, Mme [V] a interjeté appel du jugement dans toutes ses dispositions.
Pour mémoire, le jugement de divorce a été prononcé le 23 juin 2022 aux torts exclusifs de l'époux et a été frappé d'appel.
PRÉTENTIONS ET MOYENS
Mme [V] expose ses demandes et moyens dans ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 24 août 2022 auxquelles il est renvoyé.
Elle demande à la cour de :
- annuler le jugement pour violation du principe du contradictoire,
- en toute hypothèse, l'infirmer,
- la déclarer recevable et bien fondée en son action,
- juger que Maître [I] a commis une faute en ne s'assurant pas de la stipulation de la clause de remploi dans l'acte d'acquisition du 1er décembre 2015,
- subsidiairement,
- juger que Maître [I] a commis une faute de conseil en ne s'assurant pas du sens du courriel qu'il invoque du 1er décembre 2015 et en ne lui apportant aucun conseil sur les conséquences d'une absence de clause de remploi sur le devenir du prix de vente de la précédente acquisition de M. et Mme [Z],
- en conséquence,
- condamner in solidum Maître [I] et la sa MMA Iard à lui payer la somme de 91.500 €,
- subsidiairement à nouveau,
- surseoir à statuer dans l'attente de l'établissement d'un état liquidatif notarié,
- débouter Maître [I] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- condamner in solidum Maître [I] et la sa MMA Iard à lui payer la somme de 5.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.
- condamner les mêmes aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Maître [I] et la sa MMA Iard exposent leurs demandes et moyens dans leurs dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 1er septembre 2022 auxquelles il est renvoyé.
Ils demandent à la cour de :
- confirmer le jugement du 11 mai 2021,
- subsidiairement, juger que Mme [V] ne rapporte la preuve d'aucune faute de Maître [I], ni d'un préjudice né, direct, certain et définitif avec les griefs allégués,
- en conséquence, la débouter de sa demande de condamnation in solidum de Maître [I] et de la société MMA Iard à lui verser la somme de 91.500 €,
- la débouter de sa demande subsidiaire de surseoir à statuer dans l'attente de l'établissement d'un état liquidatif notarié,
- incidemment,
- la condamner à verser à Maître [I] la somme symbolique de 1€ à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et atteinte à sa réputation et à son intégrité professionnelle,
- la condamner à leur verser la somme de 4000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel.
MOTIFS DE L'ARRÊT
À titre liminaire, il convient de rappeler que l'office de la cour d'appel est de trancher le litige et non de donner suite à des demandes de "constater", "dire" ou "dire et juger" qui ne constituent pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions au sens des articles 4, 5 et 954 du code de procédure civile mais la reprise des moyens censés les fonder.
1) Sur le manquement au principe du contradictoire
Mme [V] soutient que son action ne pouvait être déclarée irrecevable sans qu'elle ait été invitée à faire part de ses observations sur la recevabilité de celle-ci.
Maître [I] et son assureur soutiennent qu'ils ont dès l'origine du litige plaidé l'absence de préjudice né et actuel et que le tribunal a examiné ce moyen sous l'angle de la recevabilité de l'action sans ajouter aucun élément nouveau au débat ni contrevenir au principe du contradictoire.
En droit, l'article 125 alinéa 2 du code de procédure civile dispose que "le juge peut relever d'office la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt, du défaut de qualité ou de la chose jugée".
L'article 16 du même code lui impose toutefois en toutes circonstances de faire observer et d'observer lui-même le principe de la contradiction et de ne retenir dans sa décision que les moyens dont les parties ont été à même de débattre contradictoirement.
En l'espèce, le tribunal a considéré dans sa motivation que :
"Au cas présent, les défendeurs soutiennent, notamment, que la demanderesse ne justifie d'aucun dommage né certain et actuel pour conclure au fond au rejet de ses prétentions.
Au vrai, ils soulèvent de ce chef une exception tenant à l'absence d'intérêt légitime à agir au sens de l'article 31 du code de procédure civile, en réparation d'un préjudice qu'ils qualifient eux-mêmes d'"hypothétique ou éventuel".
Dès lors que tout examen au fond d'une action en responsabilité civile suppose la démonstration préalable d'un intérêt légitime à agir consistant à obtenir réparation d'un dommage né certain et actuel, il convient, au cas présent, d 'examiner le moyen de fond soulevé par les défendeurs de ce chef sous l'angle de sa recevabilité.
Étant observé que la partie demanderesse a pu s'expliquer sur l'existence et la consistance du dommage allégué en le qualifiant de perte de chance future de récupérer la somme de 91.500 € lors de la revente du bien, ce qui fait que le contradictoire est assuré."
Ce faisant, le tribunal a, dans le 2ème paragraphe ci-dessus rappelé, d'office requalifié le moyen au fond de l'absence d'un dommage en fin de non-recevoir tirée de l'absence d'intérêt à agir faute d'un dommage né, certain et actuel.
Il a ainsi requalifié un moyen au fond en moyen de recevabilité sans cependant soumettre cette requalification aux parties avant sa décision alors que l'article 16 alinéa 2 lui imposait de ne retenir dans son jugement que les "moyens" dont les parties avaient été à même de débattre contradictoirement.
Les intimés admettent du reste bien volontiers n'avoir pas soulevé en première instance une quelconque fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir.
Mme [V] n'a pu dans ces circonstances faire valoir une argumentation en réponse à cette fin de non-recevoir fondée sur l'absence d'intérêt à agir que le tribunal entendait relever d'office.
Sous le bénéfice de ces observations, il ne saurait être considéré que le contradictoire a été utilement respecté.
Par voie de conséquence, le jugement doit être annulé.
2) Sur l'intérêt à agir de l'appelante
Mme [V] soutient que l'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action et qu'à partir du moment où la manière dont le notaire a accompli sa mission est mise en cause, elle a un intérêt sérieux et légitime à agir, précision faite de ce qu'elle se trouve encore dans le délai de prescription pour agir.
Maître [I] et les MMA Iard soutiennent que l'intérêt à agir doit être personnel, direct, né et actuel, et légitime au succès ou au rejet d'une prétention, que Mme [V] échoue dans cette démonstration, d'autant qu'elle revendique un préjudice futur et sollicite subsidiairement un sursis à statuer dans l'attente de l'état liquidatif du régime matrimonial.
En droit, l'article 31 du code de procédure civile dispose que "L'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé."
L'intérêt à agir se définit comme une condition de recevabilité de l'action consistant dans l'avantage que procurerait au demandeur la reconnaissance par le juge du bien-fondé de sa demande. Cet intérêt doit être personnel, direct, né et actuel et s'apprécie à la date de la saisine de la juridiction.
Il est de jurisprudence constante que l'intérêt à agir n'est toutefois pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action et que l'existence du préjudice invoqué par le demandeur n'est pas une condition de recevabilité de son action mais de son succès.
Autrement dit, l'intérêt à agir d'un plaideur ne se confond pas avec le bien-fondé de son action.
En l'espèce, Mme [V] justifie notamment au travers de deux courriels ' non contestés par les intimés ' adressé par ses soins les 10 et 24 novembre 2015 à l'étude notariale, avoir explicitement confié à Maître [I] le soin d'insérer une clause de remploi de ses fonds propres à l'acte d'acquisition de l'appartement du [Adresse 1] à [Localité 11], laquelle clause n'a finalement pas été insérée ainsi que cela résulte de l'examen dudit acte, tandis que l'explication à cette carence est disputée par les parties.
Il s'évince de ces circonstances que Mme [V] justifie d'un intérêt parfaitement légitime au sens de l'article 31 du code de procédure civile à agir contre Maître [I] et son assureur à raison de l'office dudit notaire.
Elle sera déclarée recevable en son action sans qu'il y ait lieu à prononcer en sus une infirmation du premier jugement de ce chef dès lors que celui-ci a été ci-dessus annulé en toutes ses dispositions.
3) Sur la faute du notaire
3.1) Sur l'absence de la clause de remploi des fonds propres
Mme [V] soutient qu'elle a attiré l'attention de son notaire dès le 10 novembre 2015 sur la nécessité de prévoir une clause de l'origine de ses deniers stipulant un apport complémentaire par rapport à l'acte d'acquisition du 9 octobre 2009 et qu'elle a fait part par courriel du 24 novembre 2015 de l'absence de cette clause dans le projet d'acte.
Maître [I] et les MMA Iard soutiennent Mme [V] a renoncé à la clause de remploi devenue inutile dès lors que l'acquisition était financée exclusivement par des emprunts et aucun fonds propre.
En droit, le notaire est tenu de veiller à l'efficacité des actes qu'il établit et d'éclairer les parties sur les conséquences qui s'y attachent.
En l'espèce, par courriel du 10 novembre 2015 transmis à l'étude de Maître [I], Mme [V] précisait : "Dans notre apport, il faudra bien remettre l'origine de mes deniers comme dans l'ancien acte (il y aura une autre origine à noter mais je n'ai pas encore la date). Nous souhaitons signer l'achat le 30 novembre, fin de journée, après 17h. Car les travaux démarrent le 1er décembre".
Par courriel du 13 novembre 2015, l'étude notariale lui indiquait que la signature de l'acte interviendrait chez Maître [L], notaire à [Localité 8].
Mme [V] répondait le même jour qu'elle ne pouvait pas se déplacer si loin et qu'elle avait demandé que la signature se fasse en l'étude de Maître [I].
Par courriel du 24 novembre 2015, l'étude notariale transmettait à M. et Mme [Z] le projet d'acte établi par Maître [J], notaire à [Localité 8], et sollicitait leurs éventuelles observations.
Par courriel du 24 novembre 2015, Mme [V] signalait des anomalies dans les termes suivants : "J'ai noté quelques anomalies qu'il conviendra de corriger (origine de mes fonds perso, un mois de prorata de charges, ventilation de la cuisine')".
Par courriel du 1er décembre 2015 à 9 h 15, l'étude notariale transmettait un projet de clause de remploi libellé ainsi qu'il suit :
"NATURE ET QUOTITE DES DROITS ACQUIS
L'immeuble objet des présentes est vendu, en indivision, par :
Monsieur [Z] [F] à concurrence de 3/10èmes en pleine propriété
Madame [V] [X] à concurrence de 7/10èmes en pleine propriété pour partie ainsi qu'il suit :
Mme [X] [Z] déclare s'être acquittée du prix payé comptant à concurrence de la somme de DEUX CENT CINQ MILLE EUROS (205.000,00 EUR) au moyen des deniers lui appartenant en propre, savoir :
- à hauteur de CENT VINGT MILLE EUROS (120.000,00 EUR) comme lui provenant d'une donation de ses parents aux termes d'un acte de donation partage reçu par Maître [M], notaire à [Localité 7], le 29 décembre 2008 dument enregistré,
- à hauteur de CENT MILLE EUROS (100.000,00 EUR) comme lui provenant d'un don manuel (déclaration numéro 2735) en date du 23 novembre 2015, document enregistré,
- à hauteur de QUATRE-VINGT-CINQ MILLE EUROS (85.000,00 EUR) comme lui provenant de ses comptes personnels.
Les parties reconnaissent avoir pris connaissance de ce qui précède et la réalité des déclarations ».
Aucune clause de remploi n'était toutefois insérée.
Ce n'est que par courriel adressé à l'étude de son notaire le 15 mai 2018 que Mme [V] faisait état d'une contrariété personnelle en ces termes : "Pour mémoire, nous avons vendu le [Adresse 5] en janvier 2016, et j'avais dans mon titre un remploi de mes propres de 65 000 € (fonds propres) + 120.000 € (donation parents), soit 185.000 €.
Nous avons acheté au [Adresse 1] en décembre 2015 : j'ai évidemment remis cette somme, payé 20.000 € de séquestre sur mes fonds propres, et payé 100.000 € de travaux avec une somme que j'aie eue en donation + j'ai réinjecté la somme que j'avais eue de la vente du 5, et payé donc la quasi-totalité des travaux de 145.000 €.
Mon époux, absolument rien, à l'exception du prêt que je vais devoir lui rembourser au moins pour moitié.
C'est vraiment magique !
D'autant qu'aujourd'hui, il apparaît que mon époux a eu la volonté d'en arriver là au moment où nous vendions et achetions. Bref.
Aujourd'hui, l'origine de mes deniers et la clause de remploi n'apparaissent pas dans mon titre du 11, je ne sais plus pour quelle raison.
Je suis propriétaire à 70% mais je vais me faire spolier par mon époux, qui voit la belle occasion de se faire de l'argent sur mon dos et celui de mes parents.
['] ».
Pour contester la consigne de sa cliente, Maître [I] oppose un courriel daté du même 1er décembre 2015 mais à 8 h 19 émanant de sa cliente dans lequel il est écrit : "Par ailleurs, pourriez-vous me remettre un double de mon origine de deniers que vous aviez préparée et qui ne sera donc pas inscrite dans l'acte '".
C'est en réponse à cette demande que le clerc de notaire de l'étude de Maître [I] a transmis par courriel du 1er décembre 2015 à 9 h 15 à Mme [V] le projet de clause de remploi des fonds propres : "Vous trouverez comme convenu en pièce jointe le document demandé."
Mme [V] soutient ne pas se souvenir avoir adressé le courriel de 8 h 19 et n'avoir pas été en mesure de le retrouver dans un ordinateur qui n'est plus en sa possession. Elle indique qu'elle "doute fortement de l'authenticité de la phrase "qui ne sera donc pas inscrite dans l'acte".
La cour relève toutefois qu'elle ne proteste pas fermement avoir transmis ledit courriel de 8 h 19, se contentant de situer son propos sur le terrain du doute ou de l'interrogation, notamment quant à l'ajout des mots incriminés sans viser un auteur particulièrement.
Elle n'évoque pas non plus une quelconque plainte en faux public dirigée contre le notaire du chef de ce courriel. Elle écrit encore dans son courriel du 15 avril 2018 que "Aujourd'hui, l'origine de mes deniers et la clause de remploi n'apparaissent pas dans mon titre du 11", en ajoutant "je ne sais plus pour quelle raison."
Par ailleurs, ainsi que les intimés le soulignent, elle a pu retrouver les courriels des 10 et 24 novembre 2015 qui sont antérieurs de quelques jours au courriel litigieux et le courriel du 1er décembre 2015 à 9 h 15 qui lui est immédiatement postérieur à une heure d'écart.
Ces circonstances de fait, qui ne sont contredites par aucun élément contraire, permettent à la cour de conclure à la véracité de ce courriel du 1er décembre 2015 à 8 h 19 tant dans sa forme que dans son contenu faisant in fine apparaître que Mme [V] avait renoncé à l'insertion d'une clause de remploi de fonds propres à l'acte authentique du 1er décembre 2015.
La question est de savoir si cette renonciation était suffisamment éclairée par un conseil avisé du notaire.
3.2) Sur l'absence de conseil en vue de la protection des fonds propres
Mme [V] soutient que Maître [I], ayant reçu l'acte de prêt comportant deux prêts à vocation de prêts relais, savait pertinemment que le prix de vente du précédent logement devait servir à financer la nouvelle acquisition et que Mme [V] perdait tout droit sur ses fonds personnels ainsi réinvestis. Elle estime qu'en ne prenant aucune précaution pour préserver ses droits sur le produit de cette vente et réinvesti de cette manière, Maître [I] a manifestement manqué à son devoir de conseil.
Maître [I] soutient qu'aucune clause de remploi n'était techniquement possible dès lors que l'acquisition n'était financée que par des emprunts. Il ne conclut pas sur l'absence de conseil en vue de la protection des fonds propres.
De fait, la protection de ses fonds propres était une préoccupation certaine chez Mme [V] qui s'en inquiétait explicitement auprès de son notaire, qui ne le conteste pas, et ce à au moins deux reprises par courriels des 10 et 24 novembre 2015 avant la signature du 1er décembre 2015, ce d'autant que le précédent acte d'acquisition du 9 octobre 2009 portant sur l'appartement du [Adresse 5] comportait cette clause de remploi.
Cette préoccupation de sa cliente n'appelait pas pour autant de la part de Maître [I] un conseil spécifique sur ce point ' du moins n'en est-il pas justifié ' alors que la mise en oeuvre d'une clause de remploi par anticipation en application de l'article 1435 du code civil aurait pu par exemple être étudiée pour tenter d'atteindre cet objectif puisque l'acquisition du [Adresse 1] devait in fine être financée en partie par le produit de la vente du [Adresse 5] à intervenir le 28 janvier 2016, ce que démontre Mme [V] sans aller toutefois jusqu'à nommer le mécanisme du remploi par anticipation et ce que le notaire n'ignorait pas pour avoir accompagné les acquéreurs dans les deux opérations d'acquisition immobilière et de financement.
C'est donc à tort que Maître [I] prétend soutenir, sans avoir conduit aucune étude ni en justifier, qu'aucune clause de remploi n'était techniquement possible au motif d'un financement exclusif par des prêts relais.
Sa faute est ainsi caractérisée.
5) Sur le préjudice
Conformément au droit commun, le notaire n'est responsable que si sa faute a provoqué un dommage qui, pour être réparable, doit être certain et actuel, c'est-à-dire d'ores et déjà constitué.
Il est de jurisprudence constante que le préjudice futur s'analyse en un préjudice certain indemnisable s'il doit nécessairement se produire dans l'avenir selon des modalités déjà vérifiables.
Au cas particulier, le prix de vente de l'appartement du [Adresse 1], dont la jouissance a été attribuée à Mme [V] dans le cadre de la procédure de divorce, n'est pas connu, cette vente ayant été suspendue par ses soins par courriel du 18 octobre 2017.
Il n'est pas non plus démontré que M. [Z] entend nécessairement s'opposer, si la vente a lieu, au règlement de la dette de biens propres.
Enfin et surtout, l'article 1433 du code civil dispose que "La communauté doit récompense à l'époux propriétaire toutes les fois qu'elle a tiré profit de biens propres. Il en est ainsi, notamment, quand elle a encaissé des deniers propres ou provenant de la vente d'un propre, sans qu'il en ait été fait emploi ou remploi."
La présomption de communauté étant simple, Mme [V] sera admise à justifier de l'origine propre des fonds ayant participé, par le biais du remboursement de certains prêts, au financement de l'acquisition du second bien immobilier.
Sous le bénéfice de ces observations, le préjudice de Mme [V], dont les modalités de réalisation ne sont pas vérifiables à ce jour, ne saurait être qualifié de certain et la cour ne peut que la débouter de sa demande de paiement de dommages et intérêts à ce titre.
4) Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive
Maître [I] estime que les propos de Mme [V] à son encontre sont mensongers, voire diffamatoires et que, nullement étayés, ils relèvent d'un véritable dénigrement de sa qualité de professionnel et portent atteinte à sa réputation et ce d'autant plus qu'en étant dénuée de tout fondement sérieux, l'action intervient quatre ans après les faits. Il sollicite la condamnation de Mme [V] à lui verser la somme symbolique de 1€ à titre de dommages-intérêts.
Maître [I] conclut au débouté de cette demande dès lors que l'exercice d'une action en justice constitue un droit qui ne peut dégénérer en abus qu'en cas de mauvaise foi démontrée.
En l'espèce compte tenu de ce qui précède, l'action intentée par Mme [V] n'est pas abusive.
Maître [I] sera débouté de sa demande.
5) Sur les dépens et les frais irrépétibles
Chaque partie échouant en ses prétentions supportera la charge des frais, compris ou non dans les dépens, par elle exposés en première instance et en appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Annule le jugement du tribunal judiciaire de Rennes du 11 mai 2021 en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Déclare Mme [X] [V] recevable en son action,
Déboute Mme [V] de sa demande au titre des dommages et intérêts,
Déboute Maître [N] [I] de sa demande de dommages et intérêts au titre de la procédure abusive,
Dit que chaque partie conservera à sa charge les frais, compris ou non dans les dépens, qu'elle a exposés en première instance et en appel.
Rejette en conséquence les demandes au titre des frais irrépétibles.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT