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24/11/2022 | FRANCE | N°19/01913

France | France, Cour d'appel de Rennes, 8ème ch prud'homale, 24 novembre 2022, 19/01913


8ème Ch Prud'homale





ARRÊT N°482



N° RG 19/01913 -

N° Portalis DBVL-V-B7D-PUBZ













- SAS [10]

- SELARL [6] (Commissaire à l'exécution du plan de sauvegarde de la SAS [10])

SCP THEVENOT PARTNERS (Commissaire à l'exécution du plan de sauvegarde de la SAS [10]



C/



M. [E] [H]



- Association UNEDIC, DÉLÉGATION AGS CGEA DE RENNES

- SCP [C] [L] (Mandataire de la SAS [10])

- SCP MAURAS-JOUIN (Mandataire de la SAS [10])

















Réformation partielle















Copie exécutoire délivrée

le :



à :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 24 NOVEMBRE 2022



...

8ème Ch Prud'homale

ARRÊT N°482

N° RG 19/01913 -

N° Portalis DBVL-V-B7D-PUBZ

- SAS [10]

- SELARL [6] (Commissaire à l'exécution du plan de sauvegarde de la SAS [10])

SCP THEVENOT PARTNERS (Commissaire à l'exécution du plan de sauvegarde de la SAS [10]

C/

M. [E] [H]

- Association UNEDIC, DÉLÉGATION AGS CGEA DE RENNES

- SCP [C] [L] (Mandataire de la SAS [10])

- SCP MAURAS-JOUIN (Mandataire de la SAS [10])

Réformation partielle

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 24 NOVEMBRE 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Président de chambre,

Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller,

Madame Gaëlle DEJOIE, Conseillère,

GREFFIER :

Monsieur [C] RENAULT, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 20 Octobre 2022

ARRÊT :

Réputé contradictoire, prononcé publiquement le 24 Novembre 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANTES :

La SAS [10] prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège social :

[Adresse 3]

[Adresse 3]

La SELARL d'Administrateurs Judiciaires [6],, représentée par Maître [X] [U] ès-qualités d'administrateur judiciaire et de Commissaire à l'exécution du plan de sauvegarde de la SAS [10] ayant son siège :

[Adresse 5]

[Adresse 5]

La SCP d'Administrateurs Judiciaires THEVENOT PARTNERS représentée par Maître [R] [D], ès qualités d'administrateur judiciaire et de Commissaire à l'exécution du plan de sauvegarde de la SAS [10] ayant son siège :

[Adresse 4]

[Adresse 4]

REPRÉSENTÉES par Me Mathilde KERNEIS substituant à l'audience Me Annaïc LAVOLE, Avocats au Barreau de RENNES

.../...

INTIMÉS :

Monsieur [E] [H]

née le 26 Octobre 1959 à [Localité 9] (44)

demeurant [Adresse 1]

[Adresse 1]

Représenté par Me Frédéric QUINQUIS de la SCP MICHEL LEDOUX ET ASSOCIES, Avocat au Barreau de PARIS

L'Association [11], DÉLÉGATION AGS-CGEA DE RENNES prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège :

[Adresse 8]

[Adresse 8]

[Adresse 8]

Représentée par Me Marie-Noëlle COLLEU de la SELARL AVOLITIS, Avocat au Barreau de RENNES

La SCP de Mandataire Judiciaire [C] [L] représentée par Maître [C] [L], ès qualités de Mandataire de la SAS [10]

[Adresse 7]

[Adresse 7]

INTIMÉE NON CONSTITUÉ

La SCP de Mandataires Judiciaires MAURAS-[I] représentée par Maître [O] [I], ès qualités de Mandataire de la SAS [10].

[Adresse 5]

[Adresse 5]

INTIMÉE NON CONSTITUÉE

=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=

M. [E] [H] a été embauché du 1er février 1980 au 24 octobre 1986 pour le compte de la [10] au sein de l'établissement situé [Adresse 2], en qualité de Perceur, niveau 2 échelon 1.

Par arrêté du 19 mars 2001 n°MESS0121161A faisant référence à l'arrêté du 7 juillet 2000 et à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, la [10] a été inscrite sur la liste des établissements de la construction et de la réparation navales susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA) au profit de salariés exerçant un emploi référence, depuis sa création.

Par arrêté n° ETST1601473A du 2 mars 2016, faisant référence aux textes précédents, la période susvisée a été modifiée pour être fixée de la date de la création à l'année 1986.

Parallèlement, par arrêté n° ETST1601470A du 2 mars 2016 faisant référence à l'arrêté du 3 juillet 2000 et au même article 41 de la loi du 23 décembre 1998, la [10] a été inscrite sur la liste des établissements de fabrication, flocage et calorifugeage à l'amiante susceptibles d'ouvrir droit à l'ACAATA pour la période de 1986 à 1999.

A ce jour, M. [E] [H] n'a pas développé de pathologie liée à l'exposition à l'amiante.

Par jugement du 4 mai 2017, le tribunal de commerce de Nantes a prononcé la sauvegarde judiciaire de la [10], qui a été suivie d'un plan de sauvegarde le 21 mars 2018.

Le 20 novembre 2017, M. [E] [H] a saisi le conseil de prud'hommes de Saint-Nazaire aux fins de :

' Dire qu'il était éligible à l'allocation amiante du fait de son emploi pour le compte de la [10],

' Dire qu'il a été exposé à l'inhalation de fibres d'amiante au sein de la [10],

' Dire que la [10] a manqué à son obligation de sécurité de résultat en ne le préservant pas de l'inhalation de fibres d'amiante et dire qu'il a subi un préjudice spécifique d'anxiété qu'il convient de réparer,

' Condamner la [10] à lui verser les sommes suivantes :

- 15.000 € en réparation de son préjudice d'anxiété,

- 800 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

' Constater et fixer sa créance à la procédure collective de la [10] aux sommes suivantes:

- 15.000 € en réparation de son préjudice d'anxiété,

- 800 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

' Déclarer la décision à intervenir opposable à l'AGS CGEA de Rennes,

' Dire qu'en vertu de l'article 1153-1 du code civil, l'ensemble des sommes dues portera intérêts au taux légal à compter du jugement,

' Ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

La cour est saisie de l'appel formé par la [10] le 20 mars 2019 contre le jugement du 28 février 2019, par lequel le conseil de prud'hommes de Saint-Nazaire, a :

' Mis hors de cause le CGEA de Rennes et les organes de la procédure collective,

' Dit que M. [E] [H] a été exposé à l'inhalation de fibres d'amiante au sein de la [10],

' Dit que l'action de M. [E] [H] n'est pas prescrite,

' Condamné la [10] à payer à M. [E] [H] les sommes suivantes avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement :

- 10.000 € à titre de réparation du préjudice spécifique d'anxiété,

- 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

' Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

' Débouté la [10] de ses demandes,

' Dit que le jugement était opposable à la SCP THEVENOT PERDEREAU MANIERE en la personne de Maître [D], commissaire à l'exécution du plan de sauvegarde de la [10],

' Mis les dépens à la charge de la [10], ainsi que les éventuels frais d'huissier en cas d'exécution forcée de la décision.

Vu les écritures notifiées par voie électronique le 9 février 2022, suivant lesquelles la [10], Maître [U] (SELARL [6]) et Maître [D] (SCP THEVENOT PARTNERS) agissant ès qualités d'administrateurs judiciaires et de commissaires à l'exécution du plan de la [10] demandent à la cour de :

' Réformer le jugement entrepris,

Statuant à nouveau,

A titre principal,

' Juger irrecevable comme prescrite l'action en réparation du préjudice d'anxiété,

A titre subsidiaire,

' Juger que M. [E] [H] est mal fondé en ses demandes,

' Débouter M. [E] [H] de toutes ses demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires,

A titre infiniment subsidiaire,

' Réduire à de plus justes proportions l'indemnisation allouée au titre du préjudice d'anxiété,

' Rappeler que toute condamnation éventuelle au titre du préjudice d'anxiété ne pourra s'inscrire que dans le cadre du plan de sauvegarde de la [10] arrêté par jugement du tribunal de commerce de Nantes du 21 mars 2018,

Dans tous les cas,

' Condamner M. [E] [H] à payer la somme de 2.500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

' Condamner M. [E] [H] aux entiers dépens dont ceux éventuels d'exécution.

Vu les écritures notifiées par courrier le 11 mai 2021, suivant lesquelles M. [E] [H] demande à la cour de :

' Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Saint-Nazaire rendu le 28 février 2019,

Et y ajoutant,

' Condamner la [10] à lui verser en cause d'appel une somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

En tout état de cause,

' Rejeter l'ensemble des demandes et prétentions formées par la [10] et l'AGS CGEA de Rennes.

Vu les écritures notifiées par voie électronique le 10 septembre 2019, suivant lesquelles le CGEA de Rennes demande à la cour de :

In limine litis,

' Prononcer sa mise hors de cause,

' Confirmer à ce titre le jugement du conseil de prud'hommes de Saint-Nazaire,

A titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour ne prononcerait pas sa mise hors de cause,

' Réformer le jugement du conseil de prud'hommes de Saint-Nazaire en ce qu'il a :

- Dit que M. [E] [H] a été exposé à l'inhalation de fibres d'amiante au sein de la [10],

- Dit que son action n'est pas prescrite,

- Condamné la [10] à lui payer une somme de 10.000 € au titre de la réparation du préjudice spécifique d'anxiété et une somme de 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

' Déclarer irrecevable car prescrite la demande indemnitaire du salarié,

A titre principal,

' Dire que le préjudice résultant de l'exposition à l'amiante ne peut être que le préjudice d'anxiété,

' Débouter M. [E] [H] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice d'anxiété,

A titre subsidiaire,

' Dire que M. [E] [H] ne justifie pas du quantum de sa demande indemnitaire,

' Débouter M. [E] [H] de sa demande de dommages et intérêts,

A titre infiniment subsidiaire,

' Ramener à de plus justes proportions le quantum de l'indemnisation,

En tout état de cause,

' Dire que l'AGS ne garantit que les sommes dues au salarié à la date du jugement d'ouverture de toute procédure de redressement ou de liquidation judiciaire,

' Déclarer la créance relative au préjudice d'anxiété hors garantie AGS,

En toute hypothèse,

' Débouter M. [E] [H] de toutes ses demandes qui seraient dirigées à l'encontre de l'AGS,

' Décerner acte à l'AGS de ce qu'elle ne consentira d'avance au mandataire judiciaire que dans la mesure où la demande entrera bien dans le cadre des dispositions des articles L.3253-6 et suivants du code du travail,

' Dire que l'indemnité éventuellement allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile n'a pas la nature de créance salariale,

' Dire que l'AGS ne pourra être amenée à faire des avances, toutes créances des salariés confondues, que dans la limite des plafonds applicables prévus aux articles L.3253-17 et suivants du code du travail,

' Dépens comme de droit.

La SCP [L] [C] et la SCP MAURAS [I] n'ont pas constitué avocat, le présent arrêt sera réputé contradictoire à leur égard.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 6 octobre 2022.

Par application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties à leurs dernières conclusions sus-visées

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la mise hors de cause du CGEA de Rennes

Les articles L. 631-18 et L. 641-14 du code de commerce ne prévoient la mise en cause de l'AGS respectivement qu'en cas de liquidation judiciaire et de redressement judiciaire. Ces dispositions ne prévoient donc aucunement la mise en cause des institutions de garantie du salaire en cas d'ouverture d'une procédure de sauvegarde.

En l'espèce, l'AGS à la cause intervient par son mandataire le CGEA de Rennes, suite à la procédure de sauvegarde ouverte à l'encontre de la [10] le 4 mai 2017, puis au plan de sauvegarde adopté le 21 mars 2018.

La [10] n'est ni en redressement, ni en liquidation judiciaire.

L'intervention du CGEA de Rennes n'a donc pas lieu d'être.

En conséquence, c'est à juste titre que le Conseil de prud'hommes a mis hors de cause le CGEA de Rennes.

Sur l'irrecevabilité des demandes du salarié du fait de la prescription

Pour infirmation à ce titre, les appelants et l'AGS CGEA soulèvent la prescription de la demande du salarié et concluent à son irrecevabilité. Ils prétendent que le point de départ du délai de prescription commence à courir à compter de la date où le demandeur a eu connaissance, pour la première fois, des faits lui permettant d'exercer son action. Les appelants précisent que l'établissement situé [Adresse 2], au sein duquel le demandeur a effectué sa carrière professionnelle, a été classé dans le dispositif ACAATA, par arrêté ministériel du 19 mars 2001. Ils font donc valoir que c'est à compter de cette date que la prescription a commencé à courir. Ils estiment en conséquence que l'action du demandeur ne pouvait être valablement introduite après le 19 juin 2013, soit cinq ans après l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008. Les appelants précisent que le deuxième arrêté du 2 mars 2016 est seulement venu réduire la période initialement fixée en la restreignant de 1986 à1999, sans ouvrir pour autant un second délai aux salariés.

Pour confirmation à ce titre, M. [E] [H] réplique qu'il fonde sa demande sur l'arrêté du 2 mars 2016 citant pour la première fois la [10] sur la liste des établissements de fabrication, flocage et calorifugeage à l'amiante susceptibles d'ouvrir droit à l'ACAATA. Il ajoute que l'instance étant introduite avant l'expiration du délai de deux ans, elle n'est pas prescrite. Il précise que la [10] fonde son moyen de prescription sur les textes relatifs aux établissements et aux métiers de la construction et de la réparation navale. Il indique que la [10] opère une confusion du fait que les arrêtés ayant trait à ces deux domaines ont été pris à des dates identiques.

Aux termes de l'article L. 1471-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.

L'action par laquelle un salarié, ayant travaillé dans un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, demande réparation du préjudice d'anxiété, au motif qu'il se trouve, du fait de l'employeur, dans un état d'inquiétude permanente généré par le risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, se rattache à l'exécution du contrat de travail.

En l'occurrence, la [10] a été inscrite sur la liste des établissements ouvrant droit à l'ACAATA au titre de deux activités successives :

- par arrêté du 19 mars 2001 n°MESS0121161A faisant référence à l'arrêté du 7 juillet 2000 et à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, la société [10] a été inscrite sur la liste des établissements de la construction et de la réparation navales pour la période de sa création à 1986 ;

- par arrêté n° ETST1601470A du 2 mars 2016 faisant référence à l'arrêté du 3 juillet 2000 et au même article 41 de la loi du 23 décembre 1998, la société [10] a été inscrite sur la liste des établissements de fabrication, flocage et calorifugeage à l'amiante pour la période de 1986 à 1999.

M. [E] [H] a travaillé pour la [10] sur une partie de la période de 1986 à 1999. Il se prévaut d'un préjudice d'anxiété consécutif à la seconde activité de la [10], soit son activité de fabrication, flocage et calorifugeage à l'amiante.

M. [E] [H] n'a pu avoir connaissance du risque encouru sur cette période et du fait de cette activité de fabrication, flocage et calorifugeage à l'amiante que par l'arrêté du 2 mars 2016 n° ETST160l470A.

Il résulte des pièces de la procédure non contredites par les parties, que M. [E] [H] a saisi le conseil de prud'hommes de Saint Nazaire le 20 novembre 2017.

L'arrêté ministériel n° ETST1601470A du 2 mars 2016 qui a inscrit l'établissement de [Localité 9] sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre du régime légal de l'ACAATA a été publié le 24 mars 2016, le délai de prescription de l'action de M. [E] [H] expirait le 24 mars 2018 de sorte que la demande introduite avant cette date n'est pas prescrite.

Le jugement est confirmé de ce chef.

***

Sur le préjudice d'anxiété

Pour infirmation à ce titre, les appelants et l'AGS CGEA soutiennent que les demandeurs ne justifient pas de l'existence du préjudice allégué dans la mesure où ils ne démontrent ni avoir personnellement inhalé de l'amiante dans le cadre de leurs fonctions respectives, ni avoir été soumis à des contrôles médicaux.

Pour confirmation, M. [E] [H] fait valoir que la [10] s'est peu inquiétée des conditions dans lesquelles ses salariés se sont trouvés exposés à l'inhalation de fibres d'amiante, en dépit d'un ensemble de textes, identifiant très précisément les dangers de l'amiante et les moyens devant être mis en place afin de préserver les salariés contre ce risque.

En application des dispositions des articles 1137 et 1147 du code civil et L. 4121-1 du code du travail, l'employeur est tenu envers le salarié d'une obligation de sécurité, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise et le manquement à cette obligation est établi lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Compte-tenu de la dangerosité du matériau amiante, le législateur a créé un dispositif spécifique destiné à compenser la perte d'espérance de vie que peuvent connaître des salariés en raison de leur exposition à l'amiante, prévoyant le versement à ces salariés ou anciens salariés d'une allocation de cessation anticipée d'activité par un article 41 de la loi n ° 98-1194 du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale.

Ainsi, un salarié qui a travaillé dans l'un des établissements mentionnés à cet article, figurant sur une liste établie par arrêté ministériel, pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, bénéficie d'une présomption d'existence d'un préjudice d'anxiété et d'un lien de causalité avec l'exposition à l'amiante.

Le salarié se trouve alors, par le fait de l'employeur, sauf à celui-ci à démontrer une cause d'exonération de responsabilité, dans une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, peu important la nature de l'exposition - fonctionnelle ou environnementale - qu'il a subi, qu'il ait fait l'objet d'une surveillance médicale ou non et qu'il ait ou non adhéré à ce régime légal et le préjudice spécifique d'anxiété qu'il subit recouvre l'ensemble des troubles psychologiques, y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d'existence.

Le risque de déclaration d'une telle maladie, en ce qu'il est avéré, pour être connu, identifié et certain et pour causer une réelle menace, est indemnisable, indépendamment de la réalisation de l'événement redouté, l'existence de ce risque se trouvant affirmée par l'inscription sur la liste établie par arrêté ministériel et est indifférente l'adhésion ou non au dispositif ACAATA, laquelle répare un préjudice exclusivement patrimonial.

Aucune condition liée à la manifestation de signes objectifs du phénomène d'angoisse n'est nécessaire pour que le salarié puisse prétendre à l'indemnisation de son préjudice spécifique d'anxiété généré par la probabilité de manifestation liée à l'amiante, en outre, la nature des fonctions exercées par le salarié n'emporte aucune conséquence sur la caractérisation du préjudice dès lors que les arrêtés ministériels visent des établissements, sans opérer aucune distinction selon les catégories de salariés exposés ou les tâches effectuées, compte tenu notamment de la polyvalence des employés au sein de ces entreprises.

M. [E] [H] a travaillé au sein de l'établissement situé [Adresse 2] de la SIDES du 1er février 1980 au 24 octobre 1986.

La [10] a été inscrite par arrêté du 2 mars 2016 (n° ETST1601470A) sur la liste des établissements classés ACAATA, en sa qualité d'établissement de fabrication, flocage et calorifugeage à l'amiante susceptible d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité pour les travailleurs de l'amiante, au titre la période de 1986 à 1999.

En l'absence de preuve d'une cause d'exonération de responsabilité, il convient d'admettre le principe d'une indemnisation par l'employeur du préjudice d'anxiété invoqué par M. [E] [H]. Le jugement est confirmé de ce chef.

Sur l'indemnisation

L'indemnisation accordée au titre du préjudice d'anxiété répare l'ensemble des troubles psychologiques, y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d' existence résultant du risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante.

Compte-tenu du poste occupé par M. [E] [H] et de la durée de son emploi au sein de la société couvrant pour partie la période retenue par l'arrêté Acaatas, le jugement lui ayant alloué la somme de 10.000 € est réformé du chef de ce montant et il est alloué à M. [E] [H] un montant de 8.000 €.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile

Les éléments de la cause et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile dans la mesure énoncée au dispositif ; la [10] qui succombe en appel, doit être déboutée de sa demande formulée à ce titre et condamnée à indemniser M. [E] [H] des frais irrépétibles exposés pour assurer sa défense en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant en dernier ressort et par arrêt réputé contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement entrepris à l'exception de l'évaluation du préjudice d'anxiété de M. [E] [H],

et statuant à nouveau,

CONDAMNE la SASU [10] à payer en réparation du préjudice d'anxiété 8.000 € net à M. [E] [H] à titre de dommages et intérêts ;

RAPPELLE que les sommes à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter de la décision qui les alloue ;

Et y ajoutant,

CONDAMNE la SASU [10] à payer à M. [E] [H] la somme de 1.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la SASU [10] aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 8ème ch prud'homale
Numéro d'arrêt : 19/01913
Date de la décision : 24/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-24;19.01913 ?
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