3ème Chambre Commerciale
ARRÊT N°558
N° RG 20/02343 - N° Portalis DBVL-V-B7E-QTUV
S.A.S. LESSONIA
C/
S.A.R.L. GREENPHYT
S.A.S. TECHNATURE
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me BONTE
Me LE BERRE BOIVIN
Me PAILLER
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 22 NOVEMBRE 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre,
Assesseur : Madame Fabienne CLEMENT, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseillère, rapporteur,
GREFFIER :
Madame Julie ROUET, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 04 Octobre 2022
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 22 Novembre 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
S.A.S. LESSONIA immatriculée au RCS de BREST sous le n° 442 612 487, prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Bertrand AUDREN de la SELARL AUDREN & MULLER, Plaidant, avocat au barreau de BREST
Représentée par Me Mikaël BONTE, Postulant, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉES :
S.A.R.L. GREENPHYT immatriculée au RCS de BREST sous le n° 534 017 355, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 1]
Représentée par Me Bertrand ERMENEUX de la SELARL AVOXA RENNES, Plaidant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Tiphaine LE BERRE BOIVIN, Postulant, avocat au barreau de RENNES
S.A.S. TECHNATURE, immatriculée au RCS de BREST sous le n° 403 264 583, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social
[Adresse 6]
[Localité 2]
Représentée par Me Yann PAILLER de la SELARL BRITANNIA, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de BREST
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 15 janvier 1996, la SAS TECHNATURE comportait initialement deux branches d'activité, à savoir d'une part, la fabrication de matières premières pour l'industrie à partir d'algues et, d'autre part, la fabrication de cosmétiques. Par contrat du 26 juin 2002, elle a consenti à la SAS LESSONIA immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 11 juillet 2002, un contrat de location-gérance portant sur son activité de fabrication de matières premières pour l'industrie.
Par acte de cession du 28 novembre 2003, elle a cédé à la société LESSONIA sa branche d'activité 'Transformation d'algues, fabrication et commercialisation de produits à base d'algue'' à l'exclusion de la production de mélanges d'alginates incluse dans la partie du fonds qu'elle se réservait d'exploiter personnellement, aucune clause de non-concurrence n'étant cependant stipulée entre les deux sociétés.
A la suite de cette cession, la société LESSONIA est devenue le fournisseur de la société TECHNATURE en matières premières. Un différend portant sur le règlement d'une facture les ayant opposées, la société LESSONIA a, le 20 juin 2011, adressé à la société TECHNATURE, un courriel indiquant : 'Nous arrêtons simplement de travailler pour le compte de TECHNATURE et nous en informons séance tenante le client'.
Le 12 août 2011, la SARL GREENPHYT, ayant pour objet social la fabrication, commercialisation et négoce de matières premières pour les marchés entre autres cosmétiques et alimentaires, a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés, ses gérants en étant MM. [O] [Y] et [M] [U].
Le 12 novembre 2012, la société LESSONIA a assigné la société GREENPHYT devant le tribunal de commerce de Brest en indemnisation d'actes de concurrence déloyale et la société TECHNATURE en complicité de concurrence déloyale.
La société TECHNATURE a formé, devant cette juridiction non spécialisée, à l'encontre de la société LESSONIA, une demande reconventionnelle fondée sur l'article L.442-6 5° du code de commerce et en concurrence illicite.
Par jugement du 29 mai 2015, le tribunal de commerce de Brest a :
- dit que les pièces du dossier de LESSONIA étaient recevables ;
- débouté la société LESSONIA de ses demandes ;
- débouté les sociétés GREENPHYT et TECHNATURE de leurs demandes reconventionnelles;
- condamné la société Lessonia à verser à chacune des sociétés Greenphyt et Technature la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles et les dépens.
Le 25 juin 2015, la SAS LESSONIA a relevé appel total de ce jugement devant la cour d'appel de Rennes, intimant tant les sociétés GREENPHYT que TECHNATURE.
Le 25 Juin 2015, la société TECHNATURE a relevé appel devant la Cour d'appel de Paris du jugement rendu par le tribunal de commerce de Brest en limitant son appel aux dispositions relevant de l'article L442-6 du code de commerce.
Statuant sur déféré d'une ordonnance du conseiller de la mise en état, la Cour d'appel de Paris, par arrêt du 09 septembre 2016, s'est déclarée compétente pour connaître du litige.
Par arrêt du 20 janvier 2017, la Cour d'appel de Paris a:
- évoqué les demandes au titre de la rupture brutale des relations commerciales,
- débouté la société TECHNATURE de ce chef de demande,
- condamné la société TECHNATURE à payer à la société LESSONIA la somme de 8.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société TECHNATURE aux dépens.
Un pourvoi a été formé contre cet arrêt.
Parallèlement, la procédure s'est poursuivie devant la Cour d'appel de Rennes.
A l'audience des plaidoiries du 05 décembre 2017, la présente Cour, au regard de la procédure parallèle suivie devant la Cour de Paris, a invité les sociétés LESSONIA et TECHNATURE à s'expliquer sur la recevabilité de leurs appels principal et incident dans la mesure où elles avaient saisi la cour d'appel de Paris d'un appel portant sur le même jugement, laquelle a statué par arrêt du 20 janvier 2017 à l'encontre duquel un pourvoi a été formé devant la Cour de cassation.
Par arrêt avant dire droit du 05 décembre 2017, la présente Cour a:
- sursis à statuer sur l'intégralité des demandes jusqu'à la décision qui sera rendue par la Cour de Cassation sur le pourvoi formé contre l'arrêt rendu le 20 janvier 2017 par la Cour d'appel de Paris statuant sur l'appel formé contre le jugement rendu le 29 mai 2015 par le tribunal de commerce de Brest,
- ordonné la radiation du rôle de la procédure, à charge pour la partie la plus diligente d'en demander la réinscription sur présentation de l'arrêt de cassation.
Par arrêt du 05 avril 2018, la Cour de Cassation a rejeté le pourvoi formé contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris.
Le 07 avril 2020, la société LESSONIA a demandé la réinscription de l'affaire au rôle.
Par conclusions d'incident du 05 janvier 2022, la société GREENPHYT a saisi le conseiller de la mise en état afin qu'il prononce l'irrecevabilité de l'appel en raison de l'autorité de chose jugée de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, devant laquelle il aurait appartenu à la société LESSONIA de faire appel incident des dispositions du jugement déféré sur la concurrence déloyale.
Par ordonnance du 12 mai 2022, le conseiller de la mise en état a dit n'y avoir lieu à statuer sur cette demande, la Cour, dans son arrêt avant dire droit du 05 décembre 2017 ayant précisément sursis à statuer notamment sur cette question et pouvant dès lors seule y répondre.
Par conclusions du 09 septembre 2022, la société LESSONIA a demandé que la Cour:
- déboute la société GREENPHYT de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions au titre de l'irrecevabilité de l'appel interjeté par la société LESSONIA,
- déclare recevable et bienfondé l'appel interjeté par la société LESSONIA devant la Cour d'appel de RENNES,
- réforme le jugement du tribunal de commerce de BREST du 29 mai 2015 et, en conséquence,
- déboute la société GREENPHYT de l'intégralité de ses demandes,
- juge irrecevables les demandes de TECHNATURE fondées sur les dispositions de l'article L 442-6 du code de commerce et, à défaut, l'en débouter,
- constate le désistement d'instance des demandes de la société TECHNATURE fondées sur les dispositions de l'article L 442-6 du Code de commerce et plus généralement sur les demandes relatives à une prétendue rupture brutale des relations commerciales.
- dise irrecevables les demandes de TECHNATURE à l'encontre de la société LESSONIA et à défaut,
- déboute la société TECHNATURE de l'ensemble de ses demandes.
- condamne in solidum les sociétés GREENPHYT et TECHNATURE à verser à la société LESSONIA la somme de 1 800 000 € à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation et capitalisation des intérêts,
- condamne in solidum les sociétés GREENPHYT et TECHNATURE à retirer tous catalogues, tous sites informatiques, réseaux sociaux ou autres présentant les caractéristiques de ceux de la société LESSONIA, immédiatement et sans délai, sous astreinte de 1 000 € par jour de retard pendant deux mois à compter de la décision à intervenir, puis sous astreinte de 10 000 € par infraction constatée,
- condamne in solidum les sociétés GREENPHYT et TECHNATURE à verser à la société LESSONIA la somme de 15 000 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamne in solidum les sociétés GREENPHYT et TECHNATURE aux entiers dépens d'instance et d'appel qui seront recouvrés par Maître BONTE, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par conclusions du 05 juillet 2022, la société TECHNATURE a demandé que la Cour:
A titre principal,
- dise la société LESSONIA irrecevable en son appel par application de l'article 122 du code de procédure civile pour chose jugée en l'état de l'Arrêt définitif de la Cour d'Appel de Paris du 9 septembre 2016, avec toutes les conséquences de droit quant à l'appel incident de la société TECHNATURE,
- déboute en conséquence la société LESSONIA de toutes ses demandes.
A titre subsidiaire:
- Se déclare incompétente pour statuer sur la demande de condamnation financière de la société LESSONIA à l'encontre de la société TECHNATURE («préjudice n° 3 : 608 150 € ») par application de l'article L. 442 ' 6 du code de commerce,
- dise injustifiée la demande de dommages-intérêts formée par la société LESSONIA à l'encontre de la société TECHNATURE,
- dise irrecevable pour cause de demande nouvelle en cause d'appel, et à tout le moins injustifiée la demande de condamnation sous astreinte formée par la société LESSONIA à l'encontre de la société TECHNATURE,
- déboute la société LESSONIA de toutes ses demandes en tant que dirigées à l'encontre de la société TECHNATURE,
- condamne la société LESSONIA à régler à la société TECHNATURE la somme de 100 000 € à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,
-dise la société TECHNATURE recevable et bien fondée en son appel incident, et réforme le jugement dont appel en ce qu'il a débouté la société TECHNATURE de ses demandes dirigées contre la société LESSONIA,
- donne acte du désistement d'appel de la société TECHNATURE quant à ses demandes relatives à la cessation brutale des relations commerciales,
- dise que la société LESSONIA a violé l'engagement de non-concurrence en ayant procédé à compter de 2011 à la production et la commercialisation de masques pelliculables ou peel-off fabriqués à partir d'alginates,
- condamne la société LESSONIA à régler à la société TECHNATURE la somme de 1 356 769 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par la violation de l'engagement de non-concurrence,
- ordonne à la SAS LESSONIA la cessation immédiate de l'activité de production et commercialisation de masques pelliculables ou peel-off, et assortit cette condamnation d'une astreinte de 5000 € par jour de retard passé le délai de trois mois à compter de la signification du jugement à intervenir,
- condamne la société LESSONIApour concurrence déloyale par détournement de clientèle à régler à la société TECHNATURE la somme de 200 000 € à titre de dommages-intérêts,
- enjoigne à la société LESSONIA de cesser, soit directement, soit par l'intermédiaire de la société NOUVEAU SOIN, tout agissement de concurrence déloyale à l'avenir et ce, avec astreinte de 100 000 € par violation constatée,
- condamne la SAS LESSONIA à régler à la SAS TECHNATURE la somme de 30 000 € par application des dispositions de l'article 700 du CPC,
- condamne la société LESSONIA aux entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL BRITANNIA par application de l'art. 699 du CPC.
Par conclusions du 14 septembre 2022, la société GREENPHYT a demandé que la Cour:
A titre principal :
- déclare la société LESSONIA irrecevable en son appel devant la Cour d'appel de Rennes
A titre subsidiaire :
- rejette les pièces 4 et 44 à 47 communiquées par la société LESSONIA, faute d'identification précise de celles-ci dans ses conclusions et subsidiairement, écarte des débats les éventuelles cotes de plaidoiries du dossier de la société LESSONIA,
- confirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les demandes de la société LESSONIA de ses demandes fondées sur la concurrence déloyale et parasitaire y additionnant une somme de 5.000 € au titre des frais irrépétibles,
- dise les demandes présentées par la société LESSONIA non fondées et par voie de conséquences l'en débouter.
En tout état de cause :
- condamne la société LESSONIA à verser à la société GREENPHYT la somme de 60.000 € de dommages-intérêts pour procédure abusive,
- condamne la société LESSONIA à verser à la société GREENPHYT la somme de 30.000 € par application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- condamne la société LESSONIA aux entiers dépens de l'instance qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.
- rejette toutes demandes, fins et conclusions autres ou contraires aux présentes.
MOTIFS DE LA DECISION:
Les sociétés LESSONIA et TECHNATURE ont fait appel le même jour du jugement rendu le 29 mai 2015 par le tribunal de commerce de Brest.
La société LESSONIA a formé un appel 'total' devant la Cour d'appel de Rennes.
La société TECHNATURE a formé un appel limité aux dispositions l'ayant déboutée sur le fondement de l'article L442-6 du code de commerce devant la Cour d'appel de Paris.
La société LESSONIA a immédiatement contesté la compétence de la Cour d'appel de Paris, conduisant le conseiller de la mise en état par ordonnance du 25 juin 2016 à rejeter cette exception d'incompétence.
La société LESSONIA a alors déféré cette ordonnance et par arrêt du 09 septembre 2016, la Cour d'appel de Paris a confirmé l'ordonnance lui étant déférée.
Il appartenait dès lors à la société LESSONIA de former appel incident devant cette Cour des dispositions du jugement non visées par l'appel de la société TECHNATURE, le caractère limité d'un appel principal n'interdisant jamais un appel incident sur d'autres dispositions, en application des dispositions de l'article 550 du code de procédure civile.
Dans son arrêt de sursis à statuer du 05 décembre 2017, la présente Cour a dit que:
'Aucune disposition du code de procédure civile n'autorise les parties à saisir plusieurs cours d'appel du recours contre une même décision de première instance et à diviser leurs prétentions entre ces différentes cours, la cour valablement saisie ayant le pouvoir d'examiner l'intégralité des demandes principales et reconventionnelles qui lui sont soumises. Le seul tempérament apporté à cette règle consiste à obtenir de la cour d'appel saisie le prononcé d'une disjonction au profit d'une autre cour d'appel, procédure qui n'a pas été mise en oeuvre en l'espèce (...) L'intimé qui a eu la possibilité de former un appel incident contre les dispositions d'un jugement n'est plus recevable à former ou à maintenir un appel principal à son encontre'.
Cette analyse ne se dément pas et l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 20 janvier 2017 s'imposait à la cour d'appel de Rennes, l'autorité de chose jugée de l'arrêt de la cour de Paris faisant obstacle à la plénitude de compétence de la cour de Rennes.
L'appel formé par la société LESSONIA est irrecevable.
Il n'est pas démontré que la société LESSONIA ait maintenu son appel devant la Cour d'appel de Rennes dans un autre objectif que celui de faire valoir ses droits.
La demande de dommages et intérêts présentée par la société GREENPHYT est rejetée.
La société LESSONIA, qui succombe, supportera la charge des dépens d'appel et paiera aux sociétés GREENPHYT et TECHNATURE la somme de 5.000 euros chacune sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS:
La Cour,
Déclare irrecevable l'appel principal de la société LESSONIA.
Déboute la société GREENPHYT de sa demande de dommages et intérêts.
Condamne la société LESSONIA aux dépens d'appel.
Condamne la société LESSONIA à payer à la société GREENPHYT la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne la société LESSIONIA à payer à la société TECHNATURE la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT