8ème Ch Prud'homale
ARRÊT N°472
N° RG 19/03941 -
N° Portalis DBVL-V-B7D-P3KE
SAS TJ PASSY aux droits de JM & B
C/
Mme [I] [R]
Confirmation
Copie exécutoire délivrée
le : 18 nov. 2022
à :
Me Christophe LHERMITTE
Me Tiphaine LE BERRE BOIVIN
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 18 NOVEMBRE 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Président de chambre,
Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller,
Madame Gaëlle DEJOIE, Conseillère,
GREFFIER :
Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 09 Septembre 2022
devant Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 18 Novembre 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE et intimée à titre incident :
La SAS TJ PASSY venant aux droits de JM & B prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège social :
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Aliser EKICI substituant à l'audience Me Christophe LHERMITTE de la SCP GAUVAIN, DEMIDOFF & LHERMITTE, Avocats postulants du Barreau de RENNES et ayant Me Justine BRAULT, Avocat au Barreau de PARIS, pour conseil
INTIMÉE et appelante à titre incident :
Madame [I] [R]
née le 21 Octobre 1983 en Malaisie
demeurant [Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Tiphaine LE BERRE BOIVIN, Avocat postulant du Barreau de RENNES et ayant Me Sandrine PARIS de la SELARL ATALANTE AVOCAT, Avocat au Barreau de NANTES, pour conseil
Mme [I] [R] a été embauchée le 2 septembre 2013 par la SAS JM & B aux droits de laquelle vient la SAS TJ PASSY dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée à temps plein en qualité de vendeuse, statut employé, catégorie B.
Dans le dernier état des relations contractuelles régies par la Convention collective Nationale des maisons à succursales de vente au détail d'habillement, Mme [I] [R] occupait des fonctions de conseillère de vente en contre partie d'un salaire mensuel moyen de 1.628,99 € brut.
Placée en arrêt maladie du 1er mars au 24 avril 2015, Mme [R] a bénéficié d'un congé maternité du 25 avril au 15 août 2015 puis de congés payés jusqu'au 31 août 2015. Elle a ensuite bénéficié d'un congé parental à mi-temps à compter du 1er septembre 2015 jusqu'au 28 février 2016, avant de reprendre son poste à temps plein à compter du 1er mars 2016.
Par courrier en date du 22 mars 2016, la SAS JM & B a adressé plusieurs propositions de reclassement à Mme [R] qui les a toutes refusées.
Le 15 avril 2016, Mme [R] a fait l'objet d'une convocation à un entretien préalable à son licenciement pour motif économique.
Par courrier du 27 avril 2016 Mme [R] s'est vue proposer d'adhérer à un contrat de sécurisation professionnelle.
Par courrier du 11 mai 2016, Mme [R] a été licenciée pour motif économique.
Par lettre recommandée du 12 mai 2016, la SAS JM & B a informé l'Inspection du travail, Direccte des Pays de Loire, du licenciement économique de Mme [R] et des deux autres salariées de la boutique de [Localité 4], du fait de sa fermeture définitive.
Le 9 octobre 2017, Mme [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Nantes aux fins de voir :
' Dire que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse et que la SAS JM & B n'a pas satisfait à son obligation de reclassement,
' Condamner la SAS JM & B au paiement des sommes suivantes :
- 16.484,60 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 12.363,50 € à titre de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de loyauté,
- 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
' Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir,
' Condamner la partie défenderesse aux entiers dépens dont les frais d'exécution forcée du jugement à intervenir.
La cour est saisie de l'appel régulièrement formé le 18 juin 2019 par la SAS TJ PASSY contre le jugement de départage en date du 28 mai 2019 notifié le 3 juin 2019 par lequel le Conseil de prud'hommes de Nantes a :
' Dit n'y avoir lieu à rejeter les pièces employeur 15 à 19,
' Dit que le licenciement de Mme [R] est dénué de cause réelle et sérieuse,
' Fixé à 1.628,99 € brut la moyenne de référence de la rémunération mensuelle,
' Condamné la SAS JM & B à payer à Mme [R] les sommes suivantes :
- 9.800 € net à titre de dommages-intérêts du fait de son licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 1.200 € net au titre des dispositions de l'article 700 du code procédure civile,
' Débouté Mme [R] de sa demande de dommages-intérêts au titre d'un manquement à l'obligation de loyauté,
' Débouté la SAS JM & B de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
' Condamné la SAS JM & B à verser aux organismes intéressés le remboursement des indemnités de chômage versées à la salariée du jour de son licenciement dans la limite d'un mois d'indemnité chômage,
' Ordonné l'exécution provisoire,
' Condamné la SAS JM & B aux entiers dépens.
Vu les écritures notifiées par voie électronique le 6 mars 2020, suivant lesquelles la SAS TJ PASSY venant aux droits de la SAS JM & B demande à la cour de :
' Infirmer le jugement de départage entrepris, sauf en ce qu'il a débouté Mme [R] de ses demandes de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
Statuant à nouveau,
' Fixer la moyenne des salaires de Mme [R] à la somme de 1.183,45 € brut,
' Dire que le licenciement économique de Mme [R] relève d'une cause réelle et sérieuse,
' Débouter Mme [R] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions à cet égard,
' Débouter plus largement Mme [R] de l'intégralité de son appel incident, ses demandes, fins et conclusions,
' Condamner Mme [R] au paiement, au bénéfice de la SAS TJ PASSY de la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Vu les écritures notifiées par voie électronique le 6 mai 2021, suivant lesquelles Mme [R] demande à la cour de :
' Rejeter l'appel de la SAS TJ PASSY et le dire mal fondé,
' Recevoir Mme [R] en son appel incident et y faire droit,
A titre principal,
' Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que le licenciement était dénué de cause réelle et sérieuse et en ce qu'il a alloué à Mme [R] une somme de 1.200 € au titre des frais irrépétibles d'instance,
' Débouter la SAS TJ PASSY - JM & B de toutes ses fins, demandes et conclusions,
' Dire que le licenciement de Mme [R] est dénué de toute cause réelle et sérieuse,
' Dire que la SAS TJ PASSY - JM & B n'a pas satisfait à son obligation de reclassement et a violé son obligation de loyauté,
' Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a limité à la somme de 9.800 € le montant des indemnités dues à Mme [R],
' Condamner la TJ PASSY - JM & B à payer à Mme [R] les sommes suivantes:
- 16.484,60 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de son licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 12.363,50 € au titre du manquement à l'obligation de loyauté,
A titre subsidiaire,
' Confirmer le jugement entrepris,
En tout état de cause,
' Condamner la SAS TJ PASSY - JM & B à payer à Mme [R] la somme de 3.000€ au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles d'appel, outre les entiers dépens dont frais d'exécution forcée de la décision à venir.
La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance 1er septembre 2022
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions notifiées via le RPVA.
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MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le manquement à l'obligation de loyauté :
Pour infirmation et bien fondé de ses prétentions, Mme [R] entend faire valoir qu'elle n'a pas été informée directement de la perspective de son licenciement et de la fermeture de la boutique, qu'elle l'a appris de la part de collègues d'autres boutiques, ayant seulement fait l'objet de pressions pour accepter le principe d'une rupture conventionnelle de son contrat de travail.
La SAS TJ PASSY rétorque que la salariée ne rapporte pas la preuve du manquement allégué et ne démontre pas l'existence d'un préjudice.
En application des dispositions de l'article L. 1222-1 du Code du travail, le contrat de travail est présumé exécuté de bonne foi, de sorte que la charge de la preuve de l'exécution de mauvaise foi dudit contrat incombe à celui qui l'invoque.
Les moyens soutenus par la salariée ne font que réitérer mais sans justification complémentaire utile, ceux dont les premiers juges ont connu et auxquels, se livrant à une exacte appréciation des faits de la cause et à une juste application des règles de droit s'y rapportant, ils ont répondu par des motifs pertinents et exacts que la cour adopte, sans qu'il soit nécessaire de suivre les parties dans le détail d'une discussion se situant au niveau d'une simple argumentation ;
Sur le salaire de référence :
Les premiers juges ont expressément exclu de l'assiette de calcul du salaire de référence, l'indemnité compensatrice de congés payés perçue par la salariée en mai 2016, de sorte que c'est à juste titre qu'ils ont fixé au montant critiqué, le salaire de référence. Le jugement entrepris étant confirmé de ce chef.
Sur le bien fondé du licenciement économique :
Pour infirmation et bien fondé du licenciement de Mme [I] [R], la SAS TJ PASSY fait essentiellement valoir que la réalité du motif économique du licenciement tel que développé dans ses conclusions a été reconnue par les premiers juges et qu'il ne pouvait être déclaré sans cause réelle et sérieuse dès lors que l'obligation de reclassement a été respectée par l'employeur.
Mme [R] réfute l'argumentation de l'employeur, arguant de l'absence du motif économique qui aurait pu justifier le licenciement et de l'absence de recherches loyales et personnalisées de reclassement.
En application de l'article L1233-3 du code du travail dans sa version antérieure au 1er décembre 2016, est constitutif d'un licenciement pour motif économique, le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non-inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques ; lorsqu'une entreprise fait partie d'un groupe, les difficultés économiques de l'employeur doivent s'apprécier tant au sein de la société, qu'au regard de la situation économique du groupe de sociétés exerçant dans le même secteur d'activité, sans qu'il y ait lieu de réduire le groupe aux sociétés ou entreprises situées sur le territoire national ;
Une réorganisation de l'entreprise ne constitue un motif de licenciement que si elle est effectuée pour sauvegarder la compétitivité de l'entreprise ou du secteur d'activité du groupe dont elle relève, en prévenant des difficultés économiques à venir et leurs conséquences sur l'emploi du salarié licencié ;
La sauvegarde de compétitivité ne se confond pas avec la recherche de l'amélioration des résultats et dans une économie fondée sur la concurrence, la seule existence de celle-ci ne représente pas une cause économique de licenciement ;
Par application de l'article L1233-4 du même code dans sa version applicable entre le 8 août 2015 et le 24 septembre 2017, le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent ou, à défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, sur un emploi d'une catégorie inférieure ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie; les offres de reclassement proposées au salarié doivent êtres écrites et précises ;
Le reclassement doit en outre être recherché avant la décision de licenciement, au sein de la société comme au sein des sociétés du groupe entre lesquelles la permutabilité du personnel est possible et l'employeur doit s'expliquer sur la permutabilité et ses éventuelles limites, au regard des activités ou de l'organisation, ou du lieu d'exploitation; dans le cadre de cette obligation, il appartient encore à l'employeur, même quand un plan social a été établi, de rechercher effectivement s'il existe des possibilités de reclassement, prévues ou non dans le plan social et de proposer aux salariés dont le licenciement est envisagé des emplois disponibles ; il ne peut notamment se borner à recenser dans le cadre du plan social les emplois disponibles au sein de la société et dans les entreprises du groupe ;
En l'espèce, il est établi que le 16 mars 2016, Mme [Z] [K], Responsable des ressources humaines du Groupe TARA JARMON a adressé aux responsables régionaux un courriel ainsi rédigé : "(...) Dans la perspective d'un licenciement économique du personnel de la boutique de [Localité 4], nous devons formuler des propositions de reclassement à l'équipe.
Je vous remercie donc de m'adresser AVANT lundi 21 mars tous les postes disponibles sur vos réseaux respectifs, export inclus, selon le modèle suivant :
Intitulé :
Point de vente :
Date de prise de poste :
Temps de travail :
Merci par avance de votre réactivité."
Le 25 mars 2016, la SAS JM & B aux droits de laquelle vient la SAS TJ PASSY, a adressé à Mme [I] [R] un courrier au terme duquel elle lui faisait part des difficultés économiques à l'origine de la décision de fermeture du point de vente où elle était employée et elle lui communiquait un ensemble de reclassements identifiés, correspondant aux réponses apportées par les responsables régionales entre le 16 et le 21 mars 2016.
Cependant, aucune des offres ainsi communiquées à l'intéressée ne répond à l'obligation faite à l'employeur d'adresser au salarié des propositions personnalisées, dans la mesure où il s'est non seulement contenté de recenser les postes disponibles sans communiquer aux responsables régionaux le moindre élément un tant soit peu précis sur la situation personnelle de l'intéressée tels que notamment le poste occupé, ses diplômes, son ancienneté, voire son âge mais également dans la mesure où ainsi que l'ont à juste titre relevé les premiers juges, les treize offres communiquées l'ont été de manière indifférenciées aux trois salariées licenciées.
Il y a lieu par conséquent de confirmer le jugement entrepris de ce chef.
Sur les conséquences du licenciement :
En application de l'article L.1235-3 du code du travail, si un licenciement intervient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse et qu'il n'y a pas réintégration du salarié dans l'entreprise, il est octroyé au salarié à la charge de l'employeur une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Compte tenu de l'effectif du personnel de l'entreprise, de la perte d'une ancienneté de 2 ans et 8 mois pour une salariée âgée de 33 ans ainsi que des conséquences matérielles et morales du licenciement à l'égard de l'intéressée qui ne produit aucun élément sur sa situation postérieure ainsi que cela résulte des pièces produites et des débats, il lui sera alloué, en application de l'article L. 1235-3 du Code du travail dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 une somme de 9.800 € net à titre de dommages-intérêts, le barème critiqué n'étant pas applicable à un licenciement intervenu le 11 mai 2016 ;
En conséquence, la décision entreprise sera confirmée de ce chef.
Sur le remboursement ASSEDIC
En application de l'article L.1235-4 du Code du travail, dans les cas prévus aux articles L.1235-3 et L.1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé. Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées
Les conditions d'application de l'article L 1235-4 du Code du travail étant réunies en l'espèce, le remboursement des indemnités de chômage par l'employeur fautif, est de droit ; ce remboursement sera ordonné, le jugement entrepris étant confirmé de ce chef ;
Sur l'article 700 du Code de procédure civile
Les éléments de la cause et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile dans la mesure énoncée au dispositif ; la société appelante qui succombe en appel, doit être déboutée de la demande formulée à ce titre et condamnée à indemniser la salariée intimée des frais irrépétibles qu'elle a pu exposer pour assurer sa défense en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
et y ajoutant,
RAPPELLE que les sommes à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter de la décision qui les alloue ;
CONDAMNE la SAS TJ PASSY à payer à Mme [I] [R] 1.800 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE la SAS TJ PASSY de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la SAS TJ PASSY aux entiers dépens de première instance et d'appel,
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT.