3ème Chambre Commerciale
ARRÊT N°548
N° RG 20/03384 - N° Portalis DBVL-V-B7E-QZCP
S.A.S. ENERGIE ET TRANSFERT THERMIQUE (ETT)
C/
S.E.L.A.R.L. EP & ASSOCIES
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me DEMIDOFF
Me LEYER
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 15 NOVEMBRE 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre,
Assesseur : Madame Fabienne CLEMENT, Présidente de chambre, rapporteur,
Assesseur : Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseillère, rédacteur,
GREFFIER :
Mme Aichat ASSOUMANI, lors des débats, et Madame Julie ROUET, lors du prononcé,
DÉBATS :
A l'audience publique du 27 Septembre 2022
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 15 Novembre 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
S.A.S. ENERGIE ET TRANSFERT THERMIQUE (ETT), immatriculée au rRCS de Brest sous le N°316 607 225 ayant pour Président la société AB AIR, immatriculée au RCS de Brest sous le numéro 493 707 095, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Bruno MION de la SELAS FIDAL DIRECTION PARIS, Plaidant, avocat au barreau de BREST
Représentée par Me Eric DEMIDOFF de la SCP GAUVAIN, DEMIDOFF & LHERMITTE, Postulant, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉE :
S.E.L.A.R.L. EP & ASSOCIES, prise en la personne de Maitre Jordy Pagani es qualités de liquidateur judiciaire de la société 3 E SOLUTIONS désigné à cette fonction par jugement du tribunal de Commerce de BREST du 7 Juillet 2020
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentée par Me Dominique LEYER, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de BREST
La SAS Energie et transfert thermique (ETT) a pour objet « la conception, fabrication, commercialisation d'appareils de climatisation, de ventilation de chauffage et de déshumidification ».
La SAS 3 E Solutions exerçant sous l'enseigne commerciale Innetech a pour objet « l'étude, la conception, l'ingénierie, l'assemblage, la commercialisation, l'installation ainsi que la maintenance des systèmes et matériels dans le secteur du génie climatique notamment en matière de diffuseurs d'air et d'unités de traitement d'air ».
La SAS ETT est présidée par la société Ab'Air, elle-même dirigée par M. [S] [R].
Le 1er septembre 2000, M. [Y] [U] a intégré la société ETT comme agent commercial. En 2008 il a pris la responsabilité de la société ETT Services et a été nommé cadre dirigeant en 2009.
Le 3 juillet 2009, M. [U] et M. [R] ont signé une rupture conventionnelle. M. [U] a quitté la société ETT le 30 septembre 2009, libre de toute obligation de non-concurrence vis-à-vis de la société ETT.
Le 23 février 2010, M. [U] a créé la société 3 E Solutions.
La société ETT a soupçonné la commission d'actes de concurrence déloyale après s'être aperçue que le site internet de la société 3 E SOLUTIONS reprenait des éléments lui appartenant et que ses commerciaux lui aient indiqué que selon les clients, la société 3 E SOLUTIONS se présentait comme pouvant fournir des solutions identiques à ETT, qu'elle visait systématiquement dans son argumentaire, mais moins coûteuses.
Par ordonnance du 3 août 2012 rendue sur requête de la société ETT, le président du tribunal de commerce de Brest a ordonné à un huissier de justice, de procéder à la recherche des documents et logiciels propriétés de la société ETT, qui seraient indûment présents dans la société 3 E Solutions, et de prendre les documents relatifs à dix-huit marchés spécifiques pour lesquels la société 3 E Solutions proposerait des prix attractifs après que ETT ait proposé ses offres, et ce à partir de documents et logiciels de la société ETT.
Par acte en date du 10 octobre 2012, la société 3 E Solutions a assigné la société ETT devant le juge des référés du tribunal de commerce de Brest afin d'obtenir la rétractation de l'ordonnance en date du 3 août 2012 et la restitution des fichiers saisis.
Par ordonnance du 17 octobre 2012, le juge des référés du tribunal de commerce de Brest a rétracté intégralement l'ordonnance précédemment rendue.
La société ETT a interjeté appel de cette décision.
Pa arrêt en date du 29 octobre 2013, la cour d'appel de Rennes a infirmé l'ordonnance du 17 octobre 2012 et ordonné la rétractation seulement partielle de l'ordonnance du 3 août 2012 en excluant de la mission de l'huissier les investigations relatives à dix-huit marchés spécifiques et a ordonné la restitution à la société 3 E Solutions Innetech de l'ensemble des objets,fichiers, données saisis en ce qui concerne les 18 marchés susvisés.
Le 2 novembre 2012, la société ETT a déposé une plainte auprès du procureur de la République du tribunal de grande instance de Brest pour vol, abus de confiance et recel. Dans le cadre d'une information judiciaire une expertise a précisé en 2015 que les documents présents dans la clé USB issue des opérations de l'huissier de justice provenaient de la société ETT. Les locaux de la société 3E Solutions ont été perquisitionnés et un complément d'expertise a été ordonné. Le rapport d'expertise a été déposé en septembre 2016.
Le 7 mai 2014, la société ETT a fait assigner la société 3E Solutions devant le tribunal de commerce de Brest lui reprochant des agissements déloyaux et parasitaires.
Le 4 mars 2019, le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Brest a rendu une ordonnance de non-lieu partiel et de renvoi de M. [U] et de la société 3 E Solutions devant le tribunal correctionnel.
Par jugement du 6 mars 2020 le tribunal de commerce de Brest a :
- dit qu'il n'y a pas eu appropriation déloyale du savoir-faire de la société ETT par la société 3 E Solutions
- dit qu'il n'y a pas eu utilisation abusive du nom commercial ou de la marque ETT par la société 3 E Solutions, que celle-ci n'a pas indûment copié ses produits ni démarché abusivement sa clientèle et que le parasitisme n'est pas avéré
- dit que la société 3 E Solutions n'a pas procédé à un débauchage massif du personnel de la société ETT susceptible d'entraîner une véritable désorganisation de ladite société
- débouté la société ETT de l'intégralité de ses demandes
- dit qu'il n'y a pas eu de dénigrement massif de la part de la société ETT visant à discréditer la société 3 E Solutions
- débouté la société 3 E Solutions de sa demande de dommages et intérêts.
- condamné la société ETT aux entiers dépens
- condamné la société ETT à payer à la société 3 E Solutions, 20 000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement en date du 7 juillet 2020, le tribunal de commerce de Brest a placé la société 3E Solutions en liquidation judiciaire et a désigné la SELARL EP & Associés en la personne de Me Pagani comme mandataire liquidateur.
Par déclaration d'appel du 24 juillet 2020, la société ETT a interjeté appel du jugement du 6 mars 2020.
La clôture de la mise en état est intervenue par ordonnance du 30 août 2022.
Par conclusions du 21 avril 2021, la société ETT a demandé que la Cour:
- réforme le jugement du Tribunal de Commerce de BREST du 6 mars 2020 en ce qu'il a:
- dit qu'il n'y a pas eu appropriation déloyale du savoir faire de la société ETT par la société 3 E SOLUTIONS,
- dit qu'il n'y a pas eu utilisation abusive du nom commercial ou de la marque ETT par la société 3 E SOLUTIONS, que celle-ci n'a pas indument copié ses produits ni démarché
abusivement sa clientele et que le parasitisme n'est pas avéré,
- dit que la société 3 E SOLUTIONS n'a pas procédé à un débauchage massif du personnel de la société ETT susceptible d'entrainer une véritable désorganisation de ladite société,
- condamné la société ETT à payer a la société 3ESOLUTIONS la somme de 20 000 euros a titre d'indemnités sur le fondement de l'article 700 du CPC, ainsi qu'aux dépens,
- débouté l'appelante de ses demandes aux fins de voir dire etjuger que la société 3 E SOLUTION à l'enseigne INNETECH, s'est rendue coupable d'agissements déloyaux et parasitaires, au détriment de la société ETT.
- ordonne à la société 3 E SOLUTIONS INNETECH de cesser de fabriquer et commercialiser des produits selon des procédés techniques empruntés à la société ETT, d'utiliser des documents identiques a ceux qu'a conçus la société ETT et de diffuser des plaquettes publicitaires et des catalogues reproduisant précisément ou servilement les catalogues conçus et diffusés par la société appelante sous astreinte par infraction constatée de 20.000 euros,
- autorise la publication du dispositif de la décision dans deux journaux ou magazines au choix de la société ETT, et aux frais avancés de la société 3 E SOLUTIONS INNETECH, sans que le coût global de ces insertions n'excède la somme de 10.000 euros hors taxes,
- condamne la société 3 E SOLUTIONS INNETECH à payer à la société appelante la somme de 4 272 605 euros au titre de la perte d'exploitation et la somme de 500 000 euros au titre de trouble commercial,
- à titre subsidiaire ordonne la nomination d'un expert comptable qui aurait pour mission de fournir les éléments d'informations financiers afin de permettre au tribunal d'apprécier le préjudice réel et exhaustifde la société appelante depuis la création de la société 3 E SOLUTIONS INNETECH jusqu'a la date du dépôt du rapport en explicitant naturellement le mode de calcul suivi,
- condamner dans cette hypothèse, à titre subsidiaire, la société 3 E SOLUTIONS INNETECH a verser une provision au titre des préjudices subis, à la société appelante qui ne saurait étre inférieure a la somme de 500.000 euros
- condamne la société 3 E SOLUTIONS INNETECH au paiement d'une somme de 20.000 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC, ainsi qu'aux entiers dépens et frais du cabinet ACTIAJURIS, chiffrés a la somme de 3.604,16 euros.
- dise que la société 3 E SOLUTIONS, à l'enseigne INNETECH, s'est rendue coupable d'agissements déloyaux et parasitaires, au détriment de la Société E'TT,
- autorise la publication du dispositif de l'arrêt à intervenir dans deux journaux ou magazines au choix de la Société ETT, et aux frais avancés de la S.E.L.A.R.L. EP & ASSOCIES, prise en la personne de Maitre Jordy PAGANI, es qualités de liquidateur de la liquidation judiciaire de la société 3 E SOLUTIONS sans que le coût global de ces insertions n'excède lasomme de 10.000 Euros hors taxes,
- fixe la créance de la société ETT au passif de la société 3 E SOLUTIONS à la somme de 4.272.605 Euros au titre de la perte d'exploitation et a la somme de 500.000 Euros au titre du trouble commercial,
A titre subsidiaire et si la Cour l'estimait nécessaire, ordonne la nomination d'un expert comptable qui aurait pour mission de fournir au tribunal les éléments d'informations financiers afin de permettre au tribunal d'apprécier le préjudice réel et exhaustif de la société ETT depuis la création de la société 3 E SOLUTIONS INNETECH jusqu'a la date du dépôt du rapport en explicitant naturellement le mode de calcul suivi, et ce, aux frais à la charge de la S.E.L.A.R.L. EP & ASSOCIES, prise en la personne de Maitre Jordy PAGANI, es qualités de liquidateur de la liquidation judiciaire de la société 3 E SOLUTIONS,
- confirme le jugement en ce qu'il a :
- dit qu'il n'y a pas eu de dénigrement massif de la part de la société ETT visant à discréditer la société 3 E SOLUTIONS,
- débouté la société 3 E SOLUTIONS de sa demande de dommages et intérêts,
- débouté la société 3 E SOLUTIONS de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamne enfin la S.E.L.A.R.L. EP & ASSOCIES, prise en la personne de Maitre Jordy PAGANI, es qualité de liquidateur de la liquidation judiciaire de la société 3 E SOLUTIONS au paiement d'une somme de 30.000 Euros sur le fondement de l'article 700 du CPC, ainsi qu'aux entiers dépens et frais du cabinet ACTIAJURIS, chiffrés à la somme de 3.604,16 Euros.
Par conclusions du 21 juillet 2021, la SELARL EP & ASSOCIES prise en la personne de Me PAGANI ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société 3E SOLUTIONS a demandé que la Cour:
- juge que la société ETT ne rapporte pas la preuve nécessaire au succès de sa prétention.
- juge qu'elle ne rapporte pas la preuve de ce que la société 3 E SOLUTIONS s'est livrée à des actes de concurrence déloyale à son encontre.
- déboute en conséquence la société ETT de l'ensemble de ses demandes.
- juge qu'en menaçant des bureaux d'études et en diffusant des informations fausses sur son concurrent auprès de la clientèle, de nature à faire obstacle à la passation de contrats, la société ETT s'est livrée à des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société 3 E SOLUTIONS.
- condamne la société ETT à payer à la société E&P Associés, prise en sa qualité de mandataire liquidateur de la société 3 E SOLUTIONS, la somme de 2.500.000 € à titre de dommages et intérêts.
- condamne la société ETT à payer à la société E&P Associés, prise en sa qualité de mandataire liquidateur de la société 3 E SOLUTIONS la somme de 10.000 €, au titre des frais irrépétibles.
- condamne la société ETT aux entiers dépens.
MOTIFS DE LA DECISION:
A titre liminaire, la Cour constate qu'à la demande du tribunal de commerce de Brest et avec l'accord des parties et du Ministère Public, le dossier d'instruction consécutif à la plainte avec constitution de partie civile déposée par la société ETT a été versé aux débats.
Les prétentions de la société ETT:
La société ETT se prévaut des actes de concurrence déloyale suivants:
- appropriation de son savoir-faire,
- pillage de son savoir-faire,
- positionnement de la société 3 E SOLUTIONS dans son sillage,
- recrutement important d'anciens salariés.
Le principe de liberté du travail implique que le recrutement de salariés d'une entreprise concurrente ne constitue une faute que s'il est massif et conduit à la désorganisation de l'entreprise qui les employait initialement.
En l'espèce, la société ETT est une entreprise employant deux cent personnes environ.
S'agissant de la société 3 E SOLUTIONS, elle disposait en septembre 2011, quand le litige a pris naissance et que la société ETT a commencé à lui reprocher des actes de concurrence déloyale, de 19 salariés (y compris son directeur général M. [U]), ce chiffre ressortant de la pièce numéro 10 de la société ETT.
La société 3 E SOLUTIONS a été immatriculée au mois de février 2010.
Il peut difficilement lui être reproché d'avoir embauché un ancien salarié d'ETT parti à la retraite en février 2009, de même qu'il ne peut être considéré comme un acte déloyal de tirer parti de l'une des nombreuses exonérations de charges prévues par le droit social français, dans le cadre du cumul emploi retraite.
Le même raisonnement vaut pour l'embauche de M. [L], parti en retraite en 2007, de M. [C], parti en retraite en 2008, de M. [D] parti en retraite après avoir travaillé au sein de la société ETT.
Restent trois salariés embauchés après avoir démissionné de chez ETT, pour lesquels il est sans incidence qu'ils aient été débauchés ou recrutés sur annonce: ce très faible nombre, pour des personnes qui n'exerçaient pas des fonctions essentielles au sein de la société ETT ne peut constituer un débauchage fautif.
L'appropriation du savoir-faire:
L'appropriation du savoir-faire peut difficilement être contestée.
Il a été établi, d'une part par les mesures de constat non contradictoires, ensuite par les investigations du juge d'instruction suite à la plainte avec constitution de partie civile de la société ETT, que se trouvaient sur la drop-box de l'entreprise 3 E SOLUTIONS, accessibles via l'ordinateur de M. [U], son directeur général, pas moins de 13.000 fichiers appartenant à la société ETT.
Sur ce point, le constat d'huissier du 27 septembre 2012 indique bien que lors de sa venue au siège de la société 3 E SOLUTIONS, qui était la seule personne contre laquelle devait être exécutée l'ordonnance, M. [U], en sa qualité de dirigeant, a donné accès à l'huissier au serveur commun de la société 3 E SOLUTIONS, sur lequel l'huissier s'est livré à ses constatations.
Il est donc inexact de conclure désormais que ces fichiers, se trouvant sur une DROP BOX personnelle à M. [U] et verrouillés par un mot de passe dont il avait seul connaissance, n'étaient pas mis à la disposition de la société, cette assertion étant en contradiction avec les constatations.
Les documents saisis dans le cadre de la mesure de constat ont fait l'objet d'une expertise à la demande du juge d'instruction.
Se trouvaient sur une première clef USB appartenant à l'huissier constatant, ayant donc été copiés lors de la mesure de constat, des fichiers provenant de la société ETT et concernant:
- les achats (base fournisseurs, nomenclature),
- les clients (contacts commerciaux, matériels vendus, contrats de service, offres commerciales),
- les produits (plans, objet 3D, documentation technique et commerciale),
- la stratégie commerciale (documents de présentation internes)
- des logiciels de simulation, contenant toute une série de bases de données, nécessitant un fichier d'identification pour fonctionner, fichier non retrouvé,
- un logiciel de calcul permettant de calculer les caractéristiques techniques d'un projet;
Selon l'expert judiciaire, 'la connaissance de ces documents associée à la maîtrise du métier et du marché de M. [U] permet d'estimer finement la marge commerciale de la société ETT et d'être à même de prévoir son positionnement en terme d'offre commerciale, du moins dans les premiers mois ayant suivi le départ de M. [U]'.
L'expert judiciaire concluait que seule une partie des documents relevait du domaine public (site internet de ETT), tous les autres documents étant internes à la société ETT et beaucoup possédant une mention de réserve de propriété.
La majorité des fichiers avait été créée les 24 et 25 août 2009, ainsi que durant le mois de septembre 2009, soit durant la période de préavis de M. [U].
Ce dernier, qui ne le conteste pas, soutient qu'en agissant ainsi, il voulait se constituer des preuves en cas de litige prud'hommal, la société ETT ayant à l'origine initié contre lui une procédure de licenciement avant que ne soit signée une rupture conventionnelle.
M. [U] était 'directeur Grands Comptes' au sein de la société ETT. Il exerçait donc des fonctions commerciales. Selon ses propres conclusions, la différence avec un commercial classique concerne l'importance des clients avec lesquels il interagit et il définit la stratégie d'approche commerciale en collaboration avec la direction commerciale, il est responsable de la réalisation d'objectifs qualitatifs et quantitatifs, il élabore un plan de prospection, anime la force de vente, répond à des appels d'offres, assure le suivi commercial du contrat.
Il en résulte que pour démontrer le cas échéant qu'il avait respecté les objectifs qui lui avaient été fixés, il n'avait certainement pas besoin:
- de la base fournisseurs,
- de la base clients (les seuls contrats conclus dans les deux années précédant son départ de la société étant à cet égard suffisants, ainsi que ses courriels et courriers d'échanges avec les clients),
- des données sur les produits: plans, dessins 3D,
- des logiciels de calculs.
A cet égard, la société ETT justifie, contrairement à ce qui est conclu par la société 3 E SOLUTIONS, qu'elle dispose d'un savoir-faire propre.
A la date de la mesure de constat, elle justifiait du dépôt de quatre brevets, et selon son expert comptable, exposait par an de 150.000 à 300.000 euros de dépenses ouvrant droit au Crédit Impôt Recherche.
Ensuite, la mesure de constat a été complétée par une perquisition dans les locaux de la société 3 E SOLUTIONS, réalisée à la demande du juge d'instruction.
Il en est résulté la découverte d'un logiciel utilitaire de calcul (FRIGO LOGICIEL) issu de la société ETT (mentions ETT et Propriété ETT passées au blanco).
S'il a été modifié au fil du temps par la société 3 E SOLUTIONS (la perquisition a eu lieu en 2015), il est toutefois certain que cette dernière s'est à l'origine approprié le savoir-faire de la société ETT.
Sur ce point, les conclusions de l'expert judiciaire ont été les suivantes: 'l'utilisation par la société 3 E SOLUTIONS du logiciel de détermination des installations (FRIGO) est un avantage très important, car il permet sans le coût ni le délai d'un développement spécifique, d'obtenir le choix des machines correspondant aux besoins du client. Même si par la suite 3 E SOLUTIONS a modifié ce logiciel, il n'en reste pas moins que l'utilisation de celui-ci a permis à la société d'être opérationnelle plus rapidement'.
Dès lors, la présence, sur le serveur de la société 3 E SOLUTIONS, des fichiers décrits ci-dessus, qui avaient été copiés sans autorisation de la société ETT, constitue un acte de concurrence déloyale.
Le pillage du savoir-faire:
Par pillage du savoir-faire, la société ETT entend l'utilisation de ses données techniques.
S'agissant du logiciel FRIGO, cette appropriation est certaine.
S'agissant en revanche de la copie des machines, l'expert judiciaire a été très circonspect et a indiqué qu'il ne résultait pas des pièces mises à sa disposition.
Les auditions des anciens salariés de la société 3 E SOLUTIONS réalisées dans le cadre de l'instruction n'ont pas de caractère réellement probant dans la mesure où à l'époque de leurs auditions ils étaient revenus travailler chez ETT.
Le placement dans le sillage:
A l'examen des documents examinés lors de la mesure d'instruction, il apparaît que la société 3 E SOLUTIONS disposait toujours des offres qui avaient été faites par ETT lors du démarchage d'un client.
Si l'expert indique qu'il est courant que des clients remettent eux-mêmes à un concurrent le devis ou l'offre qui ont été établis par une précédente entreprise, en lui demandant de faire 'moins cher', le caractère systématique de la présence de l'offre de la société ETT ne peut résulter que du fait que cette offre était systématiquement demandée aux clients potentiels par la société 3 E SOLUTIONS, afin d'adapter la sienne.
La société 3 E SOLUTIONS, ainsi qu'il a été vu plus haut, disposait de toutes les données nécessaires, côté clients comme fournisseurs, pour adapter ses offres. Elle connaissait aussi le parc mis en place chez chaque client.
Il est évidemment permis à une société qui se crée et dont le dirigeant et / ou des salariés proviennent d'une société concurrente, de démarcher les clients de leur ancien employeur, ce dernier n'en étant pas propriétaire et la libre concurrence étant un principe du droit commercial.
Constitue en revanche un procédé de concurrence déloyale celui qui consiste à élaborer toute sa stratégie commerciale à partir de celle de son employeur précédent, au surplus en se servant de données obtenues frauduleusement.
Le placement déloyal dans le sillage de la société ETT est établi.
Les demandes de la société ETT:
La société 3 E SOLUTIONS ayant été placée en liquidation judiciaire, la demande relative à la publication de l'arrêt est rejetée comme étant sans utilité et inutilement coûteuse au préjudice des créanciers de sa liquidation judiciaire.
La société ETT réclame que soit fixée une somme de 4.272.605 euros au passif de la société 3 E SOLUTIONS au titre de sa perte d'exploitation et de 500.000 euros au titre de son préjudice commercial.
Aucun état comptable n'est versé aux débats.
Est versé aux débats sous forme de tableau une liste, établie de 2011 à 2017, de marchés, qui soit auraient été emportés par la société 3 E SOLUTIONS après qu'elle ait proposé des prix plus bas que ceux de la société ETT, soit auraient obligé la société ETT à consentir un rabais.
Sur cette base est calculée une perte de marge variable dont la somme aboutit à la fixation de créance demandée.
Pour autant, ce tableau n'est justifié par aucune pièce.
De surcroît l'avantage accordé par la possession de pièces appartenant à son concurrent est de courte durée et rapidement frappé d'obsolescence: techniques et offres commerciales varient très vite, de nouveaux concurrents se placent sur le marché, des clients ferment leur entreprise etc ...
Le préjudice résulant d'actes de concurrence déloyale tels que ceux décrits dans le présent arrêt se constitue donc sur trois années au maximum après la prise de possession des fichiers.
Il se constate principalement sur le chiffre d'affaires puisqu'il consiste en la perte de marchés et/ou en la nécessité de diminuer ses prix.
Concomitamment à la création de la société 3 E SOLUTIONS (février 2010) l'évolution du chiffre d'affaires de la société ETT a été le suivant, selon une attestation de son expert comptable:
- CA 2009-2010 : 34.051 K€
- CA 2010-2011 : 39.403 K€
- CA 2011-2012: 38.114 K€
- CA 2012-2023 : 39.267 K€
Il s'en déduit nécessairement que les effets des actes de concurrence déloyale ont été limités et n'ont certainement pas atteint l'importance alléguée, d'autant que les chiffres 2012-2013 permettent de constater un retour à la rentabilité de la société ETT: marge nette redevenue positive, résultat net de 1.447 K€.
D'autre part, aucune demande n'a été faite contre la société 3 E SOLUTIONS pour lui demander de produire ses états comptables pour le même laps de temps et il en résulte que la Cour n'a aucune connaissance de l'importance réelle de son activité sur cette période, alors même que cette donnée est un élément permettant d'objectiver la 'réussite' des actes de concurrence déloyale, le chiffre d'affaires réalisé pouvant être considéré comme celui ayant été distrait de l'activité du concurrent lésé.
Une mesure d'instruction ne pouvant être ordonnée pour pallier une carence dans l'administration de la preuve, aucune expertise comptable ne sera ordonnée.
Le préjudice d'exploitation, certain au regard des actes de concurrence déloyale établis, sera en conséquence fixé forfaitairement par la Cour à la somme de 100.000 euros, et sera fixé pour ce montant au passif de la liquidation judiciaire de la société 3 E SOLUTIONS.
Le préjudice commercial allégué se confond avec le préjudice d'exploitation et la demande émise à ce titre est rejetée.
Sur la demande reconventionnelle présentée par la liquidation judiciaire de la société 3 E SOLUTIONS:
La société 3 E SOLUTIONS estime avoir fait l'objet d'un dénigrement massif par la société ETT chez les clients pour lesquels elle a établi des offres.
Elle a été déboutée de la demande émise à ce titre par le premier juge.
Elle ne demande pas dans ses conclusions que soient infirmées les dispositions suivantes:
'dit qu'il n'y a pas eu de dénigrement massif de la société ETT visant à discréditer la société 3 E SOLUTIONS' et 'déboute la société 3 E SOLUTIONS de sa demande de dommages et intérêts'.
Ces dispositions, dès lors, ne sont pas dévolues à la Cour puisque pour sa part la société ETT en demande la confirmation.
Il n'y a dès lors pas lieu à statuer.
Sur les dépens et les frais irrépétibles:
Les dispositions du jugement déféré relatives aux dépens et frais irrépétibles sont infirmées.
La liquidation judiciaire de la société 3 E SOLUTIONS est condamnée aux dépens de première instance et d'appel, comprenant les frais de constat réalisés en exécution de l'ordonnance sur requête du 03 août 2012.
Elle paiera à la société ETT la somme de 20.000 euros au titre de ses frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS:
La Cour, dans les limites de l'appel,
Infirme le jugement déféré.
Dit que la société 3 E SOLUTIONS a commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société ETT.
Evalue à un montant de 100.000 euros le préjudice en étant résulté pour la société ETT.
Fixe au passif de la société 3 E SOLUTIONS une créance indemnitaire de 100.000 euros au bénéfice de la société ETT.
Rejette le surplus des demandes.
Condamne la SELARL EP& ASSOCIES prise en la personne de Me PAGANI ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société 3 E SOLUTIONS aux dépens de première instance et d'appel comprenant les frais de constat exécuté en vertu de l'ordonnance sur requête du 03 août 2012.
Condamne la SELARL EP& ASSOCIES prise en la personne de Me PAGANI ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société 3 E SOLUTIONS à payer à la société ETT la somme de 20.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT