9ème Ch Sécurité Sociale
ARRÊT N°
N° RG 19/05376 - N° Portalis DBVL-V-B7D-QAR3
URSSAF BRETAGNE
C/
Société [8]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Copie certifiée conforme délivrée
le:
à:
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 09 NOVEMBRE 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Elisabeth SERRIN, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Véronique PUJES, Conseillère,
Assesseur : Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, Conseillère,
GREFFIER :
Monsieur Philippe LE BOUDEC, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 14 Septembre 2022
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 09 Novembre 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats ;
Arrêt signé par Madame Véronique PUJES, pour la présidente empêchée, conformément à l'article 456 du code de procédure civile ;
DÉCISION DÉFÉRÉE A LA COUR:
Date de la décision attaquée : 20 Juin 2019
Décision attaquée : Jugement
Juridiction : Tribunal de Grande Instance de SAINT-BRIEUC - Pôle Social
Références : 18/00468
****
APPELANTE :
L'UNION DE RECOUVREMENT DES COTISATIONS DE SÉCURITÉ SOCIALE ET D'ALLOCATIONS FAMILIALES BRETAGNE
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Mme [W] [O] en vertu d'un pouvoir spécial
INTIMÉE :
La Société [8]
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Me Olivier CHENEDE de la SELARL CAPSTAN OUEST, avocat au barreau de NANTES
EXPOSÉ DU LITIGE :
A la suite d'un contrôle de l'application de la législation de sécurité sociale concernant la réduction générale des cotisations, opéré par l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales Bretagne (l'URSSAF) sur la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015, la société [8] (la société) s'est vue notifier une lettre d'observations du 30 septembre 2016.
L'URSSAF a adressé à la société une mise en demeure du 9 décembre 2016 tendant au paiement des cotisations notifiées dans la lettre d'observations et des majorations de retard y afférentes, pour un montant de 55 312 euros.
Par lettre du 4 janvier 2017, la société a saisi la commission de recours amiable de l'organisme, qui par décision du 14 décembre 2017, a maintenu l'ensemble des redressements contestés.
Le 13 février 2018, la société a porté le litige devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Saint-Brieuc.
Par jugement du 20 juin 2019, ce tribunal, devenu le pôle social du tribunal de grande instance de Saint-Brieuc, a :
- annulé la lettre d'observations du 30 septembre 2016 et le redressement notifié à la société par mise en demeure du 9 décembre 2016 ;
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté l'URSSAF Bretagne de l'intégralité de ses demandes à l'encontre de la société ;
- condamné l'URSSAF Bretagne aux dépens.
Par déclaration adressée le 26 juillet 2019, l'URSSAF a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 9 juillet 2019.
Par ses écritures n°3 parvenues au greffe le 4 août 2022 auxquelles s'est référé et qu'a développées son représentant à l'audience, l'URSSAF demande à la cour de :
- infirmer en tous points le jugement entrepris ;
En conséquence,
- confirmer la décision prise par la commission de recours amiable en date du 14 décembre 2017 ;
- confirmer le redressement qui a été notifié par lettre d'observations du 30 septembre 2016 ;
- confirmer que la société ne conteste pas le chef de redressement n°1 pour un montant de 4 009 euros ;
- confirmer le bien-fondé des chefs de redressement n°2 pour un montant de 9 357 euros et n°3 pour un montant de 34 561 euros ;
- confirmer la mise en demeure du pour un montant de 47 927 euros en cotisations et 7 385 euros de majorations de retards soit 55 312 euros sous réserve du calcul des majorations de retards complémentaires prévues aux articles R. 243-18 et suivants du code de la sécurité sociale ;
- condamner la société à verser à l'URSSAF la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile (sic) ;
- rejeter la demande d'article 700 du code de procédure civile de la société ;
- délivrer un jugement revêtu de la formule exécutoire ;
- débouter la société de l'ensemble de ses demandes.
Par ses écritures n°2 parvenues par le RPVA le 24 mai 2022 auxquelles s'est référé et qu'a développées son conseil à l'audience, la société demande à la cour, au visa des articles R. 243-7 et R. 243-59 et suivants du code de la sécurité sociale, de :
- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
- condamner l'URSSAF de Picardie (sic) à verser à la société la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions susvisées.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Il doit être indiqué à titre liminaire que trente huit sociétés du groupe [7], dont la société [8], ont fait l'objet d'un contrôle simultané diligenté par l'URSSAF Bretagne à compter du 12 juillet 2016 (identité de période vérifiée et d'objet du contrôle). Le groupe [7] est appelé ainsi par simplification de langage mais il n'a pas d'existence légale, chaque société étant une entité juridique indépendante.
La société [8] dispose d'un établissement principal situé à [Localité 6] et d'un siège social situé à [Localité 5], ce dernier bâtiment accueillant également les sièges sociaux d'autres sociétés du groupe.
Quatre inspecteurs (Mme [C], M. [D], Mme [R] et M. [B]) se sont rendus sur place ensemble pour procéder aux dits contrôles.
1 - Sur la question de la signature de la lettre d'observations par les inspecteurs ayant procédé au contrôle :
L'URSSAF fait valoir que seul un inspecteur a été mandaté par entité juridique pour réaliser la vérification des déclarations sociales ; que chaque SIREN du groupe [7] était contrôlé par un seul inspecteur nommément désigné dans l'avis de contrôle et dans la lettre d'observations adressée aux sociétés contrôlées ; qu'il résulte clairement des pièces de la procédure que seul M. [D] a diligenté le contrôle de la société [8] ; que le simple fait que les quatre inspecteurs en charge des contrôles des sociétés du groupe [7] aient été reçus le même jour et au même endroit ne signifie pas pour autant qu'ils ont effectué un contrôle conjoint ; que par souci de simplification et afin de ne pas alourdir les procédures de demande de documents auprès des services comptables et de ressources humaines des différentes sociétés composant le groupe, les inspecteurs ont sollicité pour l'ensemble des sociétés les documents nécessaires au contrôle auprès des responsables du groupe ; que ce n'est pas parce que les demandes de documents étaient communes que pour autant les élément transmis ont été examinés par tous les inspecteurs et que ceux-ci intervenaient sur toutes les sociétés ; que c'est dans le même souci de simplification qu'un seul entretien de clôture des contrôles diligentés a été proposé pour l'ensemble des sociétés du groupe ; que la société ne saurait se fonder sur ces seuls éléments pour affirmer que le contrôle a été effectué conjointement par quatre inspecteurs de l'URSSAF ; que le seul fait que le contrôle soit concerté ne signifie pas qu'il a été mené conjointement par les quatre inspecteurs ; que le tribunal s'est justement prononcé au regard des éléments de procédure (avis de contrôle, lettre d'observations, réponse aux observations du cotisant, courrier de réponse de l'inspecteur, procès-verbal de contrôle) qui seuls permettent de déterminer les conditions dans lesquelles le contrôle a été diligenté.
La société réplique que selon la Cour de cassation, lorsque les opérations de contrôle sont effectuées par plusieurs inspecteurs, la lettre d'observations doit comporter la signature de chacun d'eux, à peine de nullité du contrôle et du redressement subséquent, en application de l'article R. 243-59 du code de la sécurité sociale; qu'en l'espèce il ne pourra qu'être constaté que le contrôle de la société n'a pas été mené uniquement par M. [D] ; que les quatre inspecteurs ont été reçus dans la même salle de réunion et ont tous eu accès à l'ensemble des documents requis auprès d'elle-même pour mener à bien leur contrôle ; qu'il ressort de la correspondance électronique entre elle et l'URSSAF que les inspecteurs se substituaient les uns les autres pour obtenir des éléments complémentaires auprès du cotisant, quel que soit l'auteur de la demande ; que l'ensemble des inspecteurs recevait copie du courriel et des réponses du cotisant ; qu'il n'a été proposé qu'un seul entretien de clôture pour l'ensemble des sociétés contrôlées ; que pour autant, la lettre d'observations n'a été signée que par M. [D] alors qu'elle aurait dû l'être par l'ensemble des inspecteurs ayant procédé au contrôle ; que la nullité des observations de contrôle est encourue comme l'a décidé le tribunal.
Sur ce :
Aux termes de l'article R. 243-59 du code de la sécurité sociale dans sa version applicable :
"A l'issue du contrôle, les inspecteurs du recouvrement communiquent à l'employeur ou au travailleur indépendant un document daté et signé par eux mentionnant l'objet du contrôle, les documents consultés, la période vérifiée et la date de la fin du contrôle. Ce document mentionne, s'il y a lieu, les observations faites au cours du contrôle, assorties de l'indication de la nature, du mode de calcul et du montant des redressements et des éventuelles majorations et pénalités définies aux articles L.243-7-2, L.243-7-6 et L.243-7-7 envisagés".
Pour la Cour de cassation, le respect de cette disposition est prescrit à peine de nullité du contrôle. (2e Civ., 6 novembre 2014, pourvoi n° 13-23.990)
En l'espèce, le 10 juin 2016, l'URSSAF a adressé à la société un avis de contrôle (pièce n°2 de la société) l'informant de la venue d'un inspecteur du recouvrement, M. [D], le 12 juillet 2016 vers 9h30, afin de procéder au contrôle de l'application de la législation de sécurité sociale concernant uniquement la réduction patronale de cotisations (allégements Fillon) et ce pour la période ayant couru à compter du 1er janvier 2013.
Le 12 juillet 2016, quatre inspecteurs de recouvrement se sont présentés au siège social de la société, dont M. [D].
Il est constant que les quatre inspecteurs ont été installés dans la même salle de réunion.
Même si les sociétés du groupe [7] ont regroupé leur siège social en un lieu unique, il incombait à chacune d'elles de veiller à l'accueil de l'inspecteur mandaté pour la contrôler, comme à l'organisation matérielle du contrôle sur place. C'est à la seule diligence des sociétés contrôlées que les inspecteurs ont été réunis dans la même salle de réunion.
Il doit être retenu que si, se trouvant dans la même salle de réunion, les quatre inspecteurs ont pu communiquer entre eux, cette hypothèse n'est soutenue par aucune offre de preuve.
La preuve n'est pas davantage rapportée que le redressement opéré au détriment de l'intimée s'appuie sur des documents intéressant une autre société du groupe.
La société [8] ne peut être admise à soutenir que le contrôle est nul pour ce seul motif.
En revanche, il doit être relevé qu'au cours des opérations de contrôle, les inspecteurs ont procédé à l'envoi de courriels communs tels que :
' celui du 12 juillet 2016, rédigé par M. [D], avec en copie Mme [C], Mme [R] et M. [B], lequel a pour objet "Demandes sociales" et dont les termes sont les suivants :
" M. [M],
Vous trouverez ci-joint les demandes sociales relatives au contrôle des réductions générales des cotisations pour les sociétés d'intérim du groupe [7] :
Onglets 1) structures contrôlées
2) demandes de bulletins de salaire
3) rubriques de paie à ajouter
4) calcul des effectifs.
(Voir fichier joint : Demandes sociales.xlsx)
Compte tenu des plannings respectifs, merci de bien vouloir procéder au traitement des demandes pour le 26 août 2016 au plus tard. Merci de nous transmettre les éléments en format dématérialisé (Excel ou PDF pour les bulletins de salaire) si possible par mail ou, à défaut, sur support dématérialisé (USB ou CD) que nous récupérerons au siège de [7].
Nous prévoyons de revenir dans vos locaux du lundi 5 au mercredi 7 septembre 2016.
Cordialement".
' celui du 5 septembre 2016 rédigé par Mme [R], avec en copie Mme [C], M. [D] et M. [B], lequel a pour objet "contrôle URSSAF" et dont les termes sont les suivants :
"M. [M], Mme [N],
Nous souhaiterions obtenir :
' le règlement du CET
' pour les salariés permanents : le livre de paye annuelle, l'ensemble des bulletins de salaire de décembre N -1 à novembre N et les états Fillon du logiciel de paye correspondants pour les agences suivantes :
Lorient 2013
Le Mans 2014
Rennes 2015.
Avec nos remerciements anticipés, cordialement ".
Il est certain que l'envoi de courriels communs aux fins de demande de pièces et l'emploi du pluriel "nous" laissent entendre au destinataire que les documents sont à adresser en retour à l'ensemble des inspecteurs pour examen et traduit une mise en commun des documents contrôlés. A aucun moment il n'est rappelé ou précisé que les documents demandés doivent être communiqués, pour chacune des sociétés contrôlées, à l'inspecteur signataire de l'avis de contrôle. Chacun d'eux a pu bénéficier des documents demandés par les autres.
Ils ont également rédigé une lettre commune le 23 septembre 2016, signée par eux quatre, adressée à "[7], en la personne de son représentant légal" (il a été vu supra que le groupe n'a pas d'existence légale), avec en en-tête "Affaire (au singulier) suivie par : [P] [R], [I] [C], [Z] [B], [F] [D]", contresignée par "[7]" et dont les termes sont les suivants :
"Par mesure de simplification, en accord avec l'entreprise (souligné dans le document), et dans le respect de l'article R. 243-59 du code de la sécurité sociale, il est accepté, pour chacune des sociétés mentionnées en page 2, que l'ensemble des redressements soit porté sur la lettre d'observations au compte principal de chaque URSSAF.
Ce rassemblement des motifs sur ce compte est sans incidence financière sur le montant des redressements notifiés et permet une meilleure lisibilité de la lettre d'observations".
Il doit être enfin relevé qu'il n'a été proposé qu'un seul entretien de clôture, commun à tous les inspecteurs et à toutes les sociétés du groupe.
L'ensemble de ces éléments démontre suffisamment que le contrôle a fait l'objet d'une appréhension globale au niveau du groupe de sociétés et qu'il n'a pas été opéré de traitement différencié par entité juridique des documents et informations, nonobstant le fait que l'avis de contrôle, la lettre d'observations, la réponse aux observations du cotisant, le courrier de réponse de l'inspecteur et le procès-verbal de contrôle ont été signés du seul M. [D] s'agissant de la société [8].
Il sera en conséquence considéré que le contrôle a été conduit de manière conjointe par les quatre inspecteurs.
Faute pour ceux-ci d'avoir signé la lettre d'observations, les opérations de contrôle sont entachées d'irrégularité.
Le redressement ne peut qu'être annulé ainsi que les actes subséquents, le jugement étant confirmé en toutes ses dispositions.
2 - Sur les frais irrépétibles et les dépens :
Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de la société ses frais irrépétibles.
S'agissant des dépens, l'article R.144-10 du code de la sécurité sociale disposant que la procédure est gratuite et sans frais en matière de sécurité sociale est abrogé depuis le 1er janvier 2019.
Il s'ensuit que l'article R.144-10 précité reste applicable aux procédures en cours jusqu'à la date du 31 décembre 2018 et qu'à partir du 1er janvier 2019 s'appliquent les dispositions des articles 695 et 696 du code de procédure civile relatives à la charge des dépens.
En conséquence, les dépens de la présente procédure exposés postérieurement au 31 décembre 2018 seront laissés à la charge de l'URSSAF qui succombe à l'instance et qui de ce fait ne peut prétendre à l'application des dispositions l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement dans toutes ses dispositions ;
DÉBOUTE la société [8] de sa demande d'indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales Bretagne aux dépens, pour ceux exposés postérieurement au 31 décembre 2018.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT