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08/11/2022 | FRANCE | N°22/01833

France | France, Cour d'appel de Rennes, 6ème chambre b, 08 novembre 2022, 22/01833


6ème Chambre B





ARRÊT N° 429



N° RG 22/01833

N°Portalis DBVL-V-B7G-SSQG













Mme [W] [G]



C/



Mme [R] [F]

M. [X] [P]

































Copie exécutoire délivrée

le :



à :





REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 08 NOVEMBRE 2022






COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Madame Véronique CADORET, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Emmanuelle GOSSELIN, Conseillère,

Assesseur : Monsieur Marc JANIN, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,



GREFFIER :



Madame Catherine DEAN, lors des débats et lors du pr...

6ème Chambre B

ARRÊT N° 429

N° RG 22/01833

N°Portalis DBVL-V-B7G-SSQG

Mme [W] [G]

C/

Mme [R] [F]

M. [X] [P]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 08 NOVEMBRE 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Véronique CADORET, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Emmanuelle GOSSELIN, Conseillère,

Assesseur : Monsieur Marc JANIN, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,

GREFFIER :

Madame Catherine DEAN, lors des débats et lors du prononcé,

DÉBATS :

A l'audience publique du 19 Septembre 2022

devant Madame Véronique CADORET, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 08 Novembre 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANTE :

Madame [W] [G]

née le 04 Janvier 1975 à [Localité 7]

[Adresse 5]

[Localité 2]

Rep/assistant : Me Nathalie TROMEUR (SCP LARMIER - TROMEUR-DUSSUD), avocat au barreau de QUIMPER

INTIMÉS :

Madame [R] [F]

née le 29 Avril 1955 à [Localité 7]

[Adresse 3]

[Localité 6]

Rep/assistant : Me Danaé PAUBLAN (ASSOCIATION LAURET - PAUBLAN), avocat au barreau de QUIMPER

Monsieur [X] [P]

né le 07 Juin 1961 à [Localité 7]

[Adresse 4]

[Localité 1]

Rep/assistant : Me Danaé PAUBLAN (ASSOCIATION LAURET - PAUBLAN), avocat au barreau de QUIMPER

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2022/003842 du 13/05/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de RENNES)

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Monsieur [X] [P] et Madame [W] [G] se sont mariés le 12 mai 2006 devant l'officier d'état civil de [Localité 6] après contrat de mariage reçu le 13 avril 2006 en l'étude de Maître [D], notaire à [Localité 7]. De leur union est né un enfant, [T], le 25 septembre 2004.

Le 09 juillet 2018, Madame [G] a saisi le juge aux affaires familiales au tribunal de grande instance de QUIMPER d'une requête en divorce, lequel, par ordonnance de non-conciliation en date du 28 mars 2019, a notamment attribué la jouissance du domicile conjugal à Monsieur [P] à titre onéreux, à charge pour lui d'assurer le règlement du prêt immobilier y afférent à titre d'avance pour le compte de la communauté, condamné celui-ci au paiement à son épouse d'une pension alimentaire mensuelle de 150 euros au titre du devoir de secours, organisé les dispositions relatives à l'enfant commun et fixé la résidence habituelle de cet enfant au domicile paternel avec, à la charge du père, une pension alimentaire mensuelle de 150 euros à titre de contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant.

Par jugement en date du 24 juillet 2020, le juge aux affaires familiales au tribunal judiciaire de QUIMPER a prononcé le divorce entre Monsieur [X] [P] et Madame [W] [G], renvoyé les parties à procéder amiablement à la liquidation de leurs intérêts patrimoniaux, ceux-ci ayant été mariés sous le régime de la séparation de biens, et condamné Monsieur [P] à payer à son épouse une prestation compensatoire sous la forme d'un capital de 15.000 euros.

Par acte en date du 08 avril 2021 Madame [R] [F], soeur de Monsieur [X] [P], a fait assigner Madame [W] [G] devant le tribunal judiciaire de QUIMPER en sollicitant la condamnation de cette dernière, sur le fondement de l'article 1360 du code civil, à lui verser les sommes respectives de :

- 76 180 euros avec intérêts au taux légal à compter du jugement, en remboursement d'un prêt consenti entre le 29 septembre 2012 et le 3 juin 2016,

- 1 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Madame [W] [G] a appelé en garantie son ex-mari, Monsieur [X] [P], suivant acte en date du 14 juin 2021.

Les deux affaires ont été jointes par ordonnance en date du 24 septembre 2021.

Madame [W] [G] a saisi le juge de la mise en état par conclusions notifiées par voie électronique le 27 octobre 2021, afin de dire irrecevables comme prescrites les demandes en paiement formées au titre des sommes supposées prêtées antérieurement à la date du 8 avril 2016.

Par ordonnance contradictoire en date du 4 mars 2022, le juge de la mise en état au tribunal judiciaire de QUIMPER a :

- déclaré irrecevables les conclusions notifiées par Madame [R] [F] le 4 février 2022 comportant une nouvelle demande tendant à voir écarter des débats les pièces 7 et 8 communiquées par Madame [W] [G],

- rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de Madame [R] [F],

- déclaré recevable l'action introduite par Madame [R] [F],

- dit n'y avoir lieu à faire application de dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que les dépens de l'incident suivraient le sort de ceux de l'instance au fond.

Par déclaration en date du 17 mars 2022, Madame [W] [G] a interjeté appel de cette décision en ce qu'elle a rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de Madame [R] [F], déclaré recevable l'action introduite par Madame [R] [F] et dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 13 juin 2022, Madame [W] [G] demande à la cour de :

- réformer la décision entreprise en ses dispositions critiquées,

et, statuant à nouveau,

- recevoir la fin de non-recevoir qu'elle a soulevée,

- voir déclarer irrecevables comme prescrites les demandes en paiement formées par Madame [R] [F] au titre de sommes supposées prêtées antérieurement à la date du 8 avril 2016,

- débouter Madame [R] [F] et Monsieur [X] [P] de toutes leurs demandes plus amples ou contraires,

- condamner solidairement Madame [R] [F] et Monsieur [X] [P] au paiement d'une indemnité de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en tous les dépens, dont distraction au profit de la SCP LARMIER-TROMEUR-DUSSUD, avocats.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 07 juin 2022, Madame [R] [F] demande à la cour de :

- confirmer l'ordonnance dont appel en ce qu'elle a rejeté la fin de non-recevoir tirée de son défaut de qualité à agir et déclaré recevable l'action introduite,

- condamner Madame [G] à lui régler la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à l'ensemble des frais et dépens.

Il est renvoyé aux dernières conclusions sus-visées des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile.

Monsieur [X] [P] a constitué avocat mais n'a pas conclu.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 21 juin 2022.

MOTIFS DE LA DECISION

I - Sur l'objet du litige devant la cour

Il résulte de l'article 562 du code de procédure civile tel qu'applicable à l'espèce, que, sauf s'il tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible, l'appel ne défère à la cour la connaissance que des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent.

Selon l'article 901 du même code, dans le cadre de la procédure ordinaire devant la cour, c'est la déclaration d'appel qui énonce les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité. C'est donc l'acte d'appel qui, seul, opère la dévolution de ces chefs et détermine, à l'égard de l'appelant, l'étendue de cette dévolution.

En l'espèce, si Madame [G] dans sa déclaration d'appel a critiqué expressément notamment la disposition de la décision déférée ayant rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de Madame [R] [F], dans ses dernières conclusions d'appelante elle ne soutient plus de critique de ce chef mais concentre sa contestation sur la disposition ayant écarté la fin de non-recevoir tirée de la prescription des demandes en paiement formées par cette dernière au titre de sommes supposées prêtées antérieurement à la date du 8 avril 2016.

Pour sa part, Madame [R] [F] n'a pas formé appel incident et Monsieur [X] [P] n'a pas conclu.

Aussi, la cour examinera la contestation de la décision du premier juge portant sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription mais confirmera les autres dispositions critiquées par Madame [G] dans sa déclaration d'appel sans être reprises dans ses dernières conclusions ni contestées dans le cadre d'un appel incident.

II - Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription

Il résulte de l'article 2224 du code civil que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Toutefois, aux termes de l'article 2245 du même code, l'interpellation faite à l'un des débiteurs solidaires par une demande en justice ou par un acte d'exécution forcée ou la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription contre tous les autres, même contre leurs héritiers.

Enfin, aux termes de l'article 220 du code civil, chacun des époux a le pouvoir de passer seul les contrats qui ont pour objet l'entretien du ménage ou l'éducation des enfants ; toute dette ainsi contractée par l'un oblige l'autre solidairement.

La solidarité n'a pas lieu, néanmoins, pour des dépenses manifestement excessives, eu égard au train de vie du ménage, à l'utilité ou à l'inutilité de l'opération, à la bonne ou mauvaise foi du tiers contractant.

Elle n'a pas lieu non plus, s'ils n'ont été conclus du consentement des deux époux, pour les achats à tempérament ni pour les emprunts à moins que ces derniers ne portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante et que le montant cumulé de ces sommes, en cas de pluralité d'emprunts, ne soit pas manifestement excessif eu égard au train de vie du ménage.

En l'espèce, Madame [R] [F] soutient avoir prêté diverses sommes pour un montant représentant, au jour de l'établissement d'une reconnaissance de cette dette invoquée par celle-ci, une somme de 78.880 euros destinée à l'entretien du ménage formé par son frère, Monsieur [P], et l'appelante, Madame [G]. Elle se prévaut par ailleurs, d'une part d'une reconnaissance de dette établie par ce dernier le 12 juin 2016, qu'elle soutient opposable à Madame [G] en tant que solidairement tenue et avoir interrompu la prescription, d'autre part d'un écrit de l'appelante elle-même prenant la forme d'un SMS en date du 8 octobre 2018 et valant, selon l'intimée, reconnaissance de dette de la part de Madame [G].

Madame [G] conteste d'une part la recevabilité de la demande en paiement de Madame [R] [F] pour la période courant du 8 avril 2016 au 8 avril 2021, date de l'exploit introductif d'instance devant le premier juge, d'autre part la solidarité de cette dette qui lui est opposée sur le fondement de l'article 220 du code civil en ce que, selon l'appelante, les sommes prêtées représentent un montant excessif eu égard au train de vie du ménage et en ce que l'emprunt n'était pas nécessaire aux besoins de la vie courante. Elle fait encore valoir la mauvaise foi de l'intimée, tiers contractant.

1°) Sur l'existence d'un événement interruptif de prescription

Il résulte de l'article 2245 précité du code civil que la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription contre tous les autres débiteurs solidaires.

Même partielle, la reconnaissance que le débiteur fait du droit de celui contre lequel il prescrivait entraîne, pour la totalité de la créance, un effet interruptif qui ne peut se fractionner.

Enfin et aux termes de l'article 1376 du code civil, l'acte sous signature privée par lequel une seule partie s'engage envers une autre à lui payer une somme d'argent ou à lui livrer une chose fongible ne fait preuve que s'il comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres.

En l'espèce, Madame [G] conteste avoir eu connaissance de la dette qui lui est opposée et de l'engagement pris par son époux avant la réception d'un courriel que lui adressait sa belle-soeur, Madame [R] [F], le 25 mai 2018.

Dans ce courriel, l'intimée écrit à sa belle-soeur concernant les modalités de remboursement de dettes familiales, dont le prêt litgieux pour lequel elle proposait à Madame [G] de signer une reconnaissance de dette jointe au message et de faire directement un virement du montant de 39.400 euros soit de la moitié de la somme de 78.880 euros qui aurait été prêtée.

Pour autant, il n'est pas établi de document écrit et signé par Madame [G], contemporain du prêt litigieux, ni de signature par l'appelante de la reconnaissance de dette qui lui était soumise dans le message précité. Sans doute, dans un SMS envoyé le 08 octobre 2018 à Madame [R] [F], en réponse à une question de celle-ci portant sur le 'prêt partagé', Madame [G] lui écrivait en ces termes : 'Salut [R]. En effet j'ai vue mon avocate en juillet. Les vérifs seront faites pour que tout soit bien claire avec [X] sur tout. Mais j'ai dis à l'avocate que, quoi qu'il en soit, je te paierai ce que tu estime que je te doive. Il m'est impossible de rester avec une dette envers toi' . Pour autant, ce seul SMS ne porte aucune précision sur la nature ni sur la date du prêt dont s'agit ni a fortiori sur l'étendue de la dette qui serait reconnue. Aucune autre reconnaissance de dette effectivement signée par Madame [G] au profit de Madame [R] [F] et répondant aux exigences précitées de l'article 1376 précité du code civil n'est produite aux débats ni invoquée, ni aucune autre élément permettant de compléter le cas échéant et de parfaire ce qui serait un commencement de preuve par écrit.

A l'inverse, est versée la reconnaissance de dette signée du nom de [X] [P] et datée du 12 juin 2016, lequel, sous un titre 'Bon pour acceptation de prêt solidaire' et par des mentions manuscrites, se reconnaît 'solidairement redevable avec mon épouse Mme [B] envers ma soeur Mme [F] de la somme de 78.880 euros (soixante dix-huit mille huit cent quatre-vingt euros) qu'elle nous a prêtée à partir du 29-09-2012 à ce jour'. Sous cette mention est porté le titre 'Bon pour reconnaissance de dette remboursable sans intérêts', suivi d'une signature et du nom de [R] [F]. Sur ce même document, sont listées des dates et des sommes de montants variables, pour un total de 78.880 euros et sur une période comprise entre le 29 septembre 2012 et le 03 juin 2016.

Aucune des signatures portées sur ce document, ni celle de Monsieur [X] [P] ni celle de Madame [R] [F], ne sont contestées. N'est pas davantage discuté le fait que l'acte, qui notamment reprend de manière manuscrite, en chiffres et en lettres, le montant total de 78.880 euros, vaut reconnaissance de dette pour ce montant de la part de son auteur, Monsieur [X] [P], à l'égard de sa soeur, Madame [R] [F].

Incontestablement cette reconnaissance de dette a un effet interruptif de prescription pour la totalité de la créance et ce, par application des effets secondaires de la solidarité, contre tous les débiteurs solidaires.

Cependant, est contesté en l'espèce par Madame [G] le caractère solidaire à son égard donné dans ce document et prêté par Madame [R] [F] à la dette litigieuse.

Divorcée de Monsieur [X] [P] par un jugement prononcé le 24 juillet 2020, Madame [G] était bien dans les liens du mariage avec ce dernier sur la période concernée par le prêt litigieux et encore au jour de la rédaction par celui-ci de sa reconnaissance de dette. Or, même une séparation de fait ne met pas un terme à l'existence du ménage et le principe de la solidarité ménagère au sens de l'article 220 du code civil persiste entre époux même séparés de fait. Certes Monsieur [P] aura signé le 24 mai 2017 un écrit au termes duquel il déclare 'accepter le désengagement de Madame [W] [G] (...) pour toutes les dettes financières suivantes et par conséquent assumer seul les remboursements et charges. En contrepartie Madame [W] [G] déclare abandonner, le cas échéant, le résultat positif des ventes des biens et des revenus locatifs', les dettes ensuite listées incluant une dette 'prêt [R] (soeur [X])' de 78.880 euros. Il n'en reste pas moins que cet engagement sur la répartition du poids de cette dette entre les époux eux-mêmes n'est pas opposable aux tiers cocontractants.

Cependant, vis-à-vis de ce tiers contractant qu'est en l'espèce Madame [R] [F], Madame [G] conteste que la dette litigieuse, ainsi reconnue par son ex-époux, puisse l'engager en qualité d'épouse tenue solidairement des dettes ménagères.

2°) Sur le caractère solidaire de la dette

Il résulte de l'article 220 précité du code civil que la solidarité ménagère organisée par ce même article n'a toutefois pas lieu notamment, s'ils n'ont été conclus du consentement des deux époux, pour les emprunts à moins que ces derniers ne portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante et que le montant cumulé de ces sommes, en cas de pluralité d'emprunts, ne soit pas manifestement excessif eu égard au train de vie du ménage.

En l'espèce, Madame [R] [F] fait valoir d'une part l'affectation des sommes prêtées au remboursement de prêts sur la maison et à la consommation, aux charges de la SCI dont Madame [G] elle-même détenait des parts et au règlement des charges courantes de la famille, d'autre part leur caractère modeste eu égard au train de vie de la famille et aux besoins du ménage, dont les charges fixes mensuelles s'élévaient selon l'intimée, à l'époque de l'emprunt litigieux, à 4.640,22 euros, enfin le fait que lesdites sommes profitaient à Madame [G] autant qu'à son époux.

L'ensemble de ces moyens, tenant au montant comme à l'objet des sommes prêtées, est contesté par l'appelante qui enfin dénonce la mauvaise foi de Madame [R] [F], tiers contractant.

a - sur l'objet des sommes prêtées

La cour rappellera qu'il appartient à celui qui a prêté les fonds et qui entend bénéficier de la solidarité de l'article 220 précité du code civil d'établir que le prêt portait sur des sommes nécessaires aux besoins de la vie courante.

Or, le seul versement des sommes sur le compte joint des époux ne peut à lui seul faire présumer le caractère ménager de la dette.

Madame [R] [F] verse aux débats un tableau listant les charges du couple [P]/[G] sur les années 2010 à 2015, hors charges alimentaires, vestimentaires, de véhicule et de téléphone, ce tableau totalisant une moyenne mensuelle de 4.640 euros de charges fixes comprenant les taxes foncières sur l'ensemble du patrimoine immobilier (résidence principale et 3 SCI), la taxe d'habitation sur la résidence principale, les assurances véhicule et sur les biens immobiliers, les charges de fluides (600 euros), le RSI et la complémentaire santé pour la famille (1.400 euros), les échéances de prêts sur la résidence principale (1.509 euros) et les charges sur l'immobilier locatif outre la 'compensation impayés'.

Il sera noté que les charges afférentes, non pas à la résidence principale de la famille et aux besoins courants de celle-ci, mais à la constitution d'un patrimoine immobilier à objet locatif, ainsi des dépenses listées au tableau précité et portant sur les taxes foncières et assurances sur les SCI comme sur les charges de l'immobilier locatif et de compensation des impayés, ne peuvent être qualifiées de dépenses nécessaires aux besoins de la vie courante.

Pour compléter ce tableau, qui ne constitue qu'une pièce reconstituant un catalogue de charges et leur montant, sont joints des documents relatifs au prêt immobilier du couple sur la résidence familiale et les relevés sur les années 2011 à 2016 d'un compte chèque n°30619850858 ouvert à la BPA au nom de 'Mr. ou Mme. [X] [P] ou Mme. [W] [P]' où apparaissent les mouvements de compte, soit :

- l'ensemble des sommes venant chaque mois en crédit, dont les virements reçus de Madame [R] [F], d'autres reçus de MME. [L] [P], de [T] [P] ou de la SARL TERRE ET MER CO ou encore d'un compte à terme,

- l'ensemble des sommes débitées au titre de retraits par cartes ou au titre de chèques, virements ou prélèvements, au profit de [P] [X] ou de [W] [P] ou encore de [O] [Y] [F], enfin des virements vers la SARL TERRE ET MER CO de même que vers un compte à terme ou un 'livret invest local'ou encore vers des SCI Lilas, Hellebore ou Exess.

Se sont ajoutés, en crédit de ce compte, en février 2014, trois virements dont l'un de 10.000 euros, deux autres de 5.000 euros chacun, correspondant à un remboursement partiel auprès de Madame [R] [F] de la dette litigieuse, remboursement déjà déduit des sommes restant dues, à hauteur de 78.880 euros, au jour de la signature par Monsieur [P] de sa reconnaissance de dette.

Si certaines sommes venant en débit dudit compte joint, dont sont titulaires Monsieur [P] et Madame [G], peuvent correspondre à des dépenses courantes et notamment alimentaires eu égard à la mention du bénéficiaire, les montants les plus importants débités ou virés le sont à l'inverse au profit de la SARL TERRE ET MER CO (dont notamment, sur le seul mois de février 2014, pour cette société, deux virements respectivement de 3.000 et 5.000 euros) ou sur un compte à terme (dont, sur le seul mois de février 2014, 4 virements de 10.000 euros chacun) ou sur un 'livret invest local' (dont, en février 2014, 10.000 euros sur ce livret) ou encore vers les SCI Lilas, Hellebore ou Exess. Aussi, en l'état de ces seuls relevés du compte joint, alimenté par les sommes provenant de Madame [R] [F], ne peut être vérifiée l'affectation de ces versements aux besoins de la vie courante.

Le motif du premier juge, selon lequel Madame [G] conteste l'affectation des fonds prêtés aux besoins du ménage mais ne verse aux débats aucune pièce établissant que lesdits fonds ont servi à financer des dépenses sans lien avec l'entretien du ménage et notamment des achats somptuaires, ne peut être retenu en ce que précisément la charge de la preuve repose sur Madame [R] [F]. De même, si le premier juge note que les virements effectués par celle-ci 'apparaissent' avoir été affectés au paiement des charges courantes du couple [P]-[G], la cour constate que la démonstration n'en est pas faite en l'état des pièces versées aux débats.

b - sur l'importance des sommes prêtées

Il résulte de la reconnaissance de dette sus-visée et du détail des sommes, soit 78.880 au total entre les 29 septembre 2012 et le 03 juin 2016 outre 20.000 euros remboursés en février 2014, que Monsieur [P] a reconnu lui avoir été prêtées par sa soeur, qu'elles ont représenté :

- sur le dernier trimestre 2012, un total de13 versements entre 400 euros et 4.000 euros chacun, ceux-ci totalisant notamment 4.200 euros entre les 26/10 et 19/11/2012 et 10.000 euros sur la seule période du 2 au 6/12/2012,

- sur l'année 2013, un total de 27 versements ceux-ci totalisant notamment 3.500 euros en 02/2013, 9.500 euros en 04/2013, 3.500 euros en 05/2013, 3.500 euros en 11/2013, 2.500 euros en 12/2013,

- sur l'année 2014, un total de 17 versements ceux-ci totalisant notamment 4.500 euros en 01/2024, 13.500 euros en 02/2024 suivis, sur le même mois, de trois remboursements pour un total de 20.000 euros, entre 800 et 500 euros par mois entre 07 et 10/2022, 6.000 euros au total sur le seul mois de 11 2014,

- sur l'année 2015, un total de 17 versements de 1.400 euros au total en 02/2015, 500 euros par mois entre 03 et 06/2015 de même que sur chacun des mois de 09 et 12/2015, 3.500 euros sur chacun des mois de 07 et 08/2015 et 8.500 euros sur la seule période comprise entre le 2 et le 05/10 2015,

- sur les 5 premiers mois de l'année 2016, un total de 7 versements soit 500 euros par mois entre 01 et 05/2016 et 600 euros le 03/06/2016.

Il en résulte des sommes empruntées importantes, même si la moyenne mensuelle lissée sur plusieurs années réduit le montant mensuel moyen à 1.792 euros sur 44 mois. En atteignant à plusieurs reprises chaque année, sur un seul mois voire en quelques jours, entre 3.500 euros et 10.000 euros, ces sommes ne peuvent être tenues pour des sommes modestes eu égard par ailleurs aux possibilités financières du couple.

En effet, sur la période des versements, les seuls éléments produits aux débats sur les ressources et sur le train de vie du couple montrent qu'il était propriétaire indivis, via des SCI dont chaque époux détenait partie des parts, d'un patrimoine immobilier sur lequel pesaient toutefois des taxes, emprunts et diverses autres charges, sans que les revenus soit de l'un soit de l'autre des époux ne soient démontrés être sensibles ni permettre de couvrir l'ensemble de leurs dépenses et remboursements de dettes, d'un poids sensible.

Sont ainsi versés aux débats :

- un projet de convention de divorce par consentement mutuel, établi entre les parties mais non signé et ne pouvant engager l'un ou l'autre des époux, ce projet mentionnant toutefois, pour l'époux, architecte de profession et exerçant alors en libéral, un revenu annuel de 10.664 euros en 2015, de 4.443 euros en 2016 et une absence de revenu depuis le mois de mai 2016, date du dépôt de bilan de sa société, ses ressources se réduisant ainsi à une indemnité d'élu communal de 557 euros, outre les loyers de location d'un gîte dont les parties étaient propriétaires indivis, Madame [G] percevant pour sa part, dans le cadre d'une succession de contrats de travail à durée déterminée et depuis le mois d'avril 2016, un simple revenu net mensuel de 1.000 euros outre les loyers sus-visés ;

- l'acte d'engagement sus-visé signé le 24 mai 2017 par Monsieur [P] listant l'ensemble des dettes d'emprunts notamment auprès de banques (au titre de crédits à la consommation, d'un prêt de trésorerie in fine, de crédits immobiliers) ou de la famille (des parents pour 43.000 euros et de la soeur de Monsieur [P] pour 78.880 euros), pour un capital restant dû de plus de 800.000 euros au total, non compris les dettes professionnelles;

- une ordonnance du 30 novembre 2017 du juge d'instance de QUIMPER donnant force exécutoire à des mesures recommandées de la commission de surendettement des particuliers prises au profit de Madame [G], lui accordant un moratoire de 24 mois sur un ensemble de dettes notamment de crédits immobiliers, en notant pour celle-ci des ressources mensuelles de 792 euros constituées d'une allocation solidarité spécifique (489 euros) et de revenus fonciers (303 euros) et la propriété d'une résidence principale d'une valeur de 480.000 euros et d'une résidence secondaire de 465.000 euros ;

enfin, dans le cadre de la procédure de divorce entre les parties,

- l'ordonnance de non-conciliation du 28 mars 2019, mentionnant pour Monsieur [P] un revenu mensuel net imposable de 587 euros et des revenus fonciers de 1.583 euros par mois et, pour Madame [G], un revenu mensuel net imposable de 1.300 euros ;

- les écritures des parties dans cette procédure de divorce et notamment dans le cadre du débat sur la prestation compensatoire, aux termes desquelles :

. le domicile de la famille avait été vendu au prix de 460.000 euros sur lequel la somme de 168.096 euros était revenue à Monsieur [P] et celle de 54.345 euros à Madame [G], et les époux avaient investi du temps de leur union dans le domaine de l'immobilier, via une SCI EXESS, elle-même propriétaire d'un immeuble à DOUARNENEZ ensuite vendu, et une SCI Les Lilas, elle-même propriétaire d'un autre immeuble à DOUARNENEZ composé de 4 appartements en location, dont Madame [G] avait 20% des parts et Monsieur [P] 80% des parts,

. Monsieur [P], s'appuyant sur son avis d'imposition 2019, exposait ne percevoir qu'une indemnité de gérance de l'ordre de 513 euros par mois, des revenus fonciers résultant des parts détenus dans la SCI des Lilas qu'il soulignait être 'particulièrement endettée' soit 577 euros par mois et, à titre exceptionnel, pour l'année 2018, un revenu mensuel de 270 euros pour des formations dispensées ;

enfin,

- un document reçu le 4 novembre 2019 de Monsieur [P] sur son revenu social sur les précédentes années, soit un revenu annuel réduit à 8.643 euros en 2013, à 8.607 euros en 2014, à 10.664 en 2015, puis seulement à 1.662 euros en 2016, un seul trimestre ayant par ailleurs été validé en 2016 et aucun en 2017.

Or, les relevés du compte joint versés aux débats montrent un compte qui, au fil des mois et de plus en plus régulièrement, sera faiblement créditeur ou débiteur plus spécialement à compter de l'année 2014.

Le premier juge a relevé que les virements réalisés par Madame [R] [F] 'n'apparaissent pas disproportionnés eu égard au train de vie du couple'. Cependant, la cour constate l'importance de ces virements eu égard par ailleurs aux revenus perçus par le couple sur la même période. Loin de représenter des sommes modestes, ils étaient conséquents et cependant ne permettaient plus, spécialement sur les dernières années où notamment se réduisaient encore les revenus de Monsieur [P], de parvenir à un équilibre financier du compte.

Aussi la preuve d'un prêt, portant sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante au sens de l'article 220 du code civil, n'est pas rapportée.

En conséquence et dès lors par ailleurs que le prêt n'a fait l'objet d'aucune reconnaissance de dette de la part de Madame [G] et n'est pas autrement établi avoir engagé celle-ci, la reconnaissance de dette de Monsieur [X] [P] n'a pu avoir d'effet interruptif de la prescription à l'égard de Madame [W] [G].

L'acte introductif de l'instance, délivré à la requête de Madame [R] [F] et à l'encontre de Madame [W] [G], l'ayant été à la date du 08 avril 2021, sont irrecevables comme prescrites les demandes en paiement au titre de sommes supposées prêtées antérieurement à la date du 8 avril 2016.

III - Sur les frais et dépens

Les dépens de la présente instance d'appel seront laissés à la charge de Madame [R] [F].

La SCP LARMIER-TROMEUR-DUSSUD, conformément à sa demande et dans la mesure où la présente instance d'appel est une procédure à représentation par avocat obligatoire, sera autorisée à recouvrer directement les dépens dont elle aura fait l'avance sans avoir reçu provision préalable et suffisante, en application de l'article 699 du code de procédure civile.

L'équité commande de ne pas prononcer de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant dans les limites de l'appel,

Confirme la décision déférée sauf en ce qu'elle porte sur la fin de non-recevoir tirée de la prescrition,

Infirme la décision déférée en ce qu'elle dit recevable, comme non prescrite, l'action introduite par Madame [R] [F] à l'encontre de Madame [W] [G],

Statuant à nouveau de ce chef infirmé,

Dit que sont irrecevables comme prescrites les demandes en paiement de Madame [R] [F] soutenues au titre de sommes supposées prêtées antérieurement à la date du 8 avril 2016,

Y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Laisse les dépens d'appel à la charge de Madame [R] [F],

Autorise la SCP LARMIER-TROMEUR-DUSSUD, avocats, à recouvrer directement les dépens dont elle aura fait l'avance sans avoir reçu provision préalable et suffisante.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 6ème chambre b
Numéro d'arrêt : 22/01833
Date de la décision : 08/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-08;22.01833 ?
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