1ère Chambre
ARRÊT N°330/2022
N° RG 20/02459 - N° Portalis DBVL-V-B7E-QUQZ
S.A.R.L. DAJIMMO
C/
S.A. CRÉDIT MUTUEL REAL ESTATE
S.C.I. LE SHOGUN
S.C.I. [Localité 11] JPMAG
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 25 OCTOBRE 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Aline DELIÈRE, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère entendue en son rapport,
GREFFIER :
Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 14 Juin 2022
ARRÊT :
rendu par défaut, prononcé publiquement le 25 Octobre 2022 par mise à disposition au greffe après prorogation du délibéré annoncé au 27 septembre 2022 à l'issue des débats
****
APPELANTE :
La société DAJIMMO, SARL agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 9]
[Localité 3]
Représentée par Me Alain PALLIER, Plaidant, avocat au barreau de NANTES
Représentée par Me Flora PÉRONNET, Postulant, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉES :
La société CRÉDIT MUTUEL REAL ESTATE, SA agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 6]
[Localité 12]
Représentée par Me Julien VIVES de la SCP CALVAR & ASSOCIÉS, avocat au barreau de NANTES
La société LE SHOGUN, SCI agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 10]
[Localité 7]
Représentée par Me Julien VIVES de la SCP CALVAR & ASSOCIES, avocat au barreau de NANTES
La S.C.I. [Localité 11] JPMAG, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 1]
[Localité 4]
Régulièrement assignée par acte d'huissier délivré le 17 juillet 2020 en l'étude, n'a pas constitué
EXPOSÉ DU LITIGE
Suivant acte sous seing privé du 9 mars 2012, la SCI [Localité 11] JPMAG a vendu à Monsieur [W] [L], avec faculté de substitution, un ensemble immobilier sis [Adresse 2] (Loire- Atlantique), cadastré section IV n° [Cadastre 5], comprenant un plateau de bureaux d'une superficie de 414 m2 situé au rez-de-chaussée et douze places de parking, selon plans annexés, moyennant le prix de 598 000 euros TTC. Cet acte a été conclu sous conditions suspensives, notamment de l'établissement d'un état descriptif de division-règlement de copropriété à la charge du vendeur.
L'acte précise que l'immeuble est actuellement donné à bail à la ville de [Localité 11] en vertu d'un acte sous seing privé du 30 septembre 2011 et de son avenant du 5 décembre 2011.
Un pacte de préférence au profit de M. [L] d'une durée d'une année y est stipulé, pour le cas où la SCI [Localité 11] JPMAG se déciderait à vendre le plateau de bureaux situé au premier étage d'une superficie de 276 m2.
L'état de description de division de l'immeuble - règlement de copropriété a été reçu le 8 octobre 2012 par Maître [Z] [H], notaire à [Localité 11].
La vente a été réitérée par acte authentique le même jour, en l'étude de Me [Z] [H], avec la participation de Me [I] [B], notaire à [Localité 12], conseil de l'acquéreur. Aux termes de cet acte, la SCI [Localité 11] JPMAG a vendu à la SA CMCIC LEASE, substituant M. [L], un ensemble immobilier sis [Adresse 2], cadastré section IV, numéro [Cadastre 8], comprenant le lot numéro 1, à savoir « dans le bâtiment A, au rez-de-chaussée, un plateau de bureaux », le lot numéro 4, à savoir « dans le bâtiment A, au rez-de-chaussée, des sanitaires, accès par le hall d'entrée de l'immeuble », ainsi que les lots numéros 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19 correspondant à des emplacements de stationnement, suivant plans annexés, le tout pour une superficie loi Carrez de 392,04 m2, moyennant le prix de 469 788,66 euros HT.
La SCI LE SHOGUN est intervenue à l'acte en qualité de crédit-preneur.
L'acte précise que le bien est toujours loué à la ville de [Localité 11].
Le pacte de préférence y est également stipulé au profit de la SCI LE SHOGUN pour une durée d'une année, dans le cas où la SCI [Localité 11] JPMAG se déciderait à vendre, même par fractions, le lot n° 5, à savoir au premier étage, un plateau de bureaux, 'étant précisé que l'escalier d'accès au premier étage depuis le hall d'entrée du bâtiment est privatif au lot numéro 5".
Par acte authentique reçu le même jour, par Me [B], notaire à Paris, en l'office notarial de Me [H], notaire à NANTES et avec sa participation, la CM CIC LEASE a consenti à la SCI LE SHOGUN un contrat de crédit-bail immobilier, d'une durée de 12 ans, relativement à l'immeuble sus-mentionné qu'elle venait d'acquérir.
Sollicitée par courrier du 27 juin 2013 de Me [H], la SCI LE SHOGUN a fait savoir qu'elle renonçait à son droit de préférence sur le lot n° 5 que la SCI [Localité 11] JPMAG se proposait de vendre au prix de 412 620 euros TCC.
Par acte authentique du 12 décembre 2013, dressé par Mre [M] [R] [N], notaire à la [Localité 13] (Vendée), avec la participation de Me [H], la SCI [Localité 11] JPMAG a vendu à la SARL DAJIMMO le lot numéro 2, à savoir un bâtiment B formant un plateau de bureaux, le lot numéro 3, à savoir un bâtiment C formant un plateau de bureaux, le lot numéro 5, à savoir dans le bâtiment A, au premier étage, un plateau de bureaux, 'étant précisé que l'escalier d'accès au premier étage depuis le hall d'entrée du bâtiment est privatif au lot numéro 5", le lot numéro 6, à savoir 'à l'extérieur, un jardin privatif, accès par les lots numéros 2 et 3" et le lot numéro 7, à savoir à l'extérieur, un emplacement de stationnement, suivant extrait de plan cadastral, plans de situation des lots de copropriété et plans des bâtiments anciens annexés.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 5 mars 2014, la société DAJIMMO a mis en demeure la société CMCIC LEASE de libérer les lots 2 et 3 du règlement de copropriété, correspondant aux bâtiments B et C, qu'elle estimait occupés sans droit ni titre et de lui rétrocéder l'ensemble des loyers perçus sur ces locaux depuis le 13 décembre 2013.
En réponse, la SCI LE SHOGUN a fait savoir qu'il y avait une erreur dans la description des lots dans l'acte du 12 décembre 2013 et a invité la SARL DAJIMMO à procéder un acte rectificatif.
Par courrier du 22 avril 2014, le notaire de la SARL DAJIMMO a indiqué à Me [H] refuser tout acte rectificatif, en l'absence d'erreur sur les biens vendus.
Par acte d'huissier du 5 juin 2014, la SCI LE SHOGUN et la SA CMCIC LEASE ont alors fait assigner la SARL DAJIMMO et la SCI [Localité 11] JPMAG aux fins de rectification des actes authentiques du 8 octobre 2012 et du 12 décembre 2013 et de condamnation de la SARL DAJIMMO au paiement de la somme de 15 000 euros pour résistance abusive et injustifiée.
Une mesure d'expertise a été ordonnée par jugement du 9 février 2017 et confiée à M. [F] [D], lequel a déposé son rapport le 18 juin 2018.
Considérant que les actes authentiques des 8 octobre 2012 et 12 décembre 2013 étaient affectés d'une erreur matérielle dans la désignation des biens vendus et qu'il n'y avait pas lieu de faire droit à la demande de nullité de l'acte de vente du 12 décembre 2013 formée par la SARL DAJIMMO, le tribunal judiciaire de NANTES, suivant jugement du 9 janvier 2020, a :
-Ordonné qu'il soit procédé par la SCI [Localité 11] JPMAG d'une part et SCI LE SHOGUN et la SA CMCIC LEASE d'autre part à la rectification de l'acte authentique du 8 octobre 2012, afin que la désignation des biens vendus comprenne, outre le LOT UN (1) :
LOT NUMERO DEUX (2)
Un bâtiment B formant un plateau de bureaux avec terrasse inaccessible au-dessus.
Et les quatre-vingt-trois millièmes (83/1000èmes) des parties communes générales.
Et les seize millièmes (16/1000èmes) des parties communes spéciales à la voirie de circulation extérieure.
LOT NUMERO TROIS (3)
Un bâtiment C formant un plateau de bureaux avec terrasse inaccessible au-dessus.
Et les cent cinq millièmes (105/1000èmes) des parties communes générales.
Et les vingt millièmes (20/1000èmes) des parties communes spéciales à la
voirie de circulation extérieure ;
-Ordonné qu'il soit procédé par la SCI [Localité 11] JPMAG d'une part et la SARL DAJIMMO d'autre part à la rectificaction de l'acte authentique du 12 décembre 2013, afin que la désignation des biens vendu exclut :
LOT NUMERO DEUX (2)
Un bâtiment B formant un plateau de bureaux avec terrasse inaccessible au-dessus.
Et les quatre-vingt-trois millièmes (83/1000èmes) des parties communes générales.
Et les seize millièmes (16/1000èmes) des parties communes spéciales à la voirie de circulation extérieure.
LOT NUMERO TROIS (3)
Un bâtiment C formant un plateau de bureaux avec terrasse inaccessible au-dessus.
Et les cent cinq millièmes (105/1000èmes) des parties communes générales.
Et les vingt millièmes (20/1000èmes) des parties communes spéciales à la voirie de circulation extérieure ;
-Dit qu'il sera procédé à ces deux rectifications aux frais de la SCI [Localité 11] JPMAG ;
-Condamné la SCI [Localité 11] JPMAG à verser à la SCI LE SHOGUN et à la SA CMCIC LEASE la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
-Condamné la SCI [Localité 11] JPMAG à verser à la SARL DAJIMMO la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
-Débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
-Condamne la SCI [Localité 11] JPMAG aux dépens ;
-Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement.
Suivant déclaration du 27 mai 2020, la SARL DAJIMMO a relevé appel du jugement en ce qu'il a ordonné la rectification aux frais de la SCI JP MAG des actes authentiques du 8 octobre 2012 ( vente SCI JP MAG à CM CIC LEASE/ SCI LE SHOGUN) et du 12 décembre 2013 ( vente SCI JP MAG à SARL DAJIMMO) et débouté la SARL DAJIMMO de ses demandes.
Aux termes de ses dernières conclusions, transmises le 20 octobre 2020 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens et prétentions, la SARL DAJIMMO demande à la cour de :
A titre principal :
Rejetant toutes demandes, fins et conclusions contraires :
-confirmer le jugement en ce qu'il a débouté les sociétés [Localité 11] JPMAG, SCI LE SHOGUN et la SA CREDIT MUTUEL REAL ESTATE de leurs demandes indemnitaires à l'égard de la société DAJIMMO ;
-infirmer le jugement en ce qu'il a conclu à une erreur matérielle entachant l'acte de vente du 12 décembre 2013 ;
-infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de nullité de la vente des lots 2, 3 et 6 mentionnés à l'acte de vente du 12 décembre 2013 ;
-infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société DAJIMMO de sa demande de réparation de son préjudice ;
Statuant à nouveau :
A titre principal,
-prononcer la nullité de l'acte de vente du 12 décembre 2013 entre la société DAJIMMO et la société [Localité 11] JPMAG, concernant les lots 2, 3 et 6 ;
-condamner la [Localité 11] JPMAG à payer à la société DAJIMMO la somme à parfaire de 229 220,25 euros, en réparation du préjudice subi ;
Subsidiairement,
-constater la validité du contrat de vente du 12 décembre 2013 entre la société DAJIMMO et la société [Localité 11] JPMAG ;
-condamner la société CREDIT MUTUEL REAL ESTATE à payer à la société DAJIMMO les sommes retenues au titre des loyers indûment perçus à compter du 13 Décembre 2013 jusqu'à parfaite libération des locaux ;
-enjoindre la société CREDIT MUTUEL REAL ESTATE à modifier ses baux afin de les mettre en conformité avec les actes de vente et notamment que la part des loyers revenant à DAJIMMO soit soustraite des baux ;
-condamner les sociétés [Localité 11] JPMAG, CREDIT MUTUEL REAL ESTATE et la société LE SHOGUN, ou l'une à défaut de l'autre à payer à la société DAJIMMO la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
-condamner la société [Localité 11] JPMAG, la société CREDIT MUTUEL REAL ESTATE et la société LE SHOGUN ou l'une à défaut de l'autre, à payer à la société DAJIMMO les entiers dépens de la procédure.
Aux termes de leurs dernières conclusions, transmises le 30 septembre 2020, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des moyens et prétentions, la SA CREDIT MUTUEL REAL ESTATE LEASE et la SCI LE SHOGUN demandent à la cour de :
-Recevoir la société CREDIT MUTUEL REAL ESTATE et la SCI LE SHOGUN et leurs moyens,
-Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 09 janvier 2020 par le tribunal judiciaire de NANTES,
-Constater que la société DAJIMMO ne forme aucune demande à l'encontre de la SCI LE SHOGUN,
-Constater que les demandes formées par la société DAJIMMO à l'encontre de la société CREDIT MUTUEL REAL ESTATE sont mal fondées et l'en débouter,
-Condamner la société DAJIMMO à verser à la SCI LE SHOGUN et à la société CREDIT MUTUEL REAL ESTATE la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
-Condamner la société DAJIMMO aux entiers dépens avec application de l'article 699 du Code de procédure civile.
A titre subsidiaire,
-Condamner la SCI [Localité 11] JPMAG à relever indemne la SCI LE SHOGUN et la société CREDIT MUTUEL REAL ESTATE de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées contre elles,
-Condamner la société [Localité 11] JPMAG à verser à la SCI LE SHOGUN et à la société CREDIT MUTUEL REAL ESTATE la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, -Condamner la société [Localité 11] JPMAG aux entiers dépens avec application de l'article 699 du Code de procédure civile.
La SCI [Localité 11] JPMAG, venderesse, n'a pas constitué. La déclaration d'appel et les conclusions d'appel lui ont été notifiées le 17 juillet 2020.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire, il n'y a pas lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté les sociétés [Localité 11] JP MAG, LE SHOGUN et CRÉDIT MUTUEL REAL ESTATE de leurs demandes indemnitaires à l'égard de la société DAJIMMO, la cour n'étant saisie d'aucun appel de ce chef.
Par ailleurs, la cour relève que la SARL DAJIMMO ne conteste pas le jugement en ce qu'il a retenu que l'assiette des lots de copropriété n°2 et 3 était bien incluse dans le périmètre de la vente intervenue entre la SCI [Localité 11] JPMAG et les sociétés LE SHOGUN et CRÉDIT MUTUEL REAL ESTATE. Il n'est d'ailleurs pas demandé l'infirmation du jugement en ce qu'il a ordonné la rectification de l'acte authentique du 8 octobre 2012, afin que la désignation des biens vendus comprenne les lots de copropriété n°2 et n°3.
La propriété de l'assiette des lots de copropriété n°2 et 3 n'est donc plus en discussion. Le litige porte sur les conséquences pour la SARL DAJIMMO des mentions erronées de son titre.
Celle-ci fait grief au tribunal d'avoir considéré que la mention des lots de copropriété n°2 et n°3 dans la désignation du bien vendu, portée sur l'acte du 12 décembre 2013, n'était que la reproduction de l'erreur matérielle figurant dans le premier acte de vente ( du 8 octobre 2012) de sorte qu'elle devait également s'analyser comme une erreur matérielle.
La SARL DAJIMMO, qui soutient avoir cru de bonne foi acquérir les espaces de bureaux situés dans les immeubles B et C et désignés dans l'acte de vente comme étant constitutifs des lots n°2 et 3 de la copropriété, estime pour sa part, avoir été dupée par la société venderesse. Elle soutient que la nullité de la vente s'impose tant sur le fondement de l'article 1599 du code civil (nullité de la vente de la chose d'autrui) que sur le vice du consentement résultant de l'erreur sur une qualité substantielle du contrat de vente.
1°/ Sur la nullité de la vente conclue le 12 décembre 2013 entre la SARL DAJIMMO et la SCI [Localité 11] JPMAG
Selon l'article 1599 du code civil, la vente de la chose d'autrui est nulle : elle peut donner lieu à des dommages-et-intérêts lorsque l'acheteur a ignoré que la chose fût à autrui.
En l'espèce, il est constant que l'assiette foncière correspondant aux lots n°2 et 3 de la copropriété était bien incluse dans le périmètre de la vente intervenue par compromis du 9 mars 2012 et réitérée par acte authentique du 8 octobre 2012, entre la SCI [Localité 11] JPMAG et les sociétés LE SHOGUN et CRÉDIT MUTUEL REAL ESTATE.
Indéniablement, lorsqu'elle a vendu à la société DAJIMMO l'assiette foncière correspondant aux lots n°2 et 3 de la copropriété, la SCI [Localité 11] JPMAG n'en était plus propriétaire pour l'avoir déjà vendue aux sociétés LE SHOGUN et CRÉDIT MUTUEL REAL ESTATE.
Il s'avère que la SCI [Localité 11] JPMAG a donc vendu deux fois la même assiette foncière à deux acquéreurs différents, ce qu'elle ne pouvait ignorer au vu des contenances indiquées dans la première vente, des plans annexés aux différents actes authentiques et de l'existence d'un bail en cours sur la totalité du plateau du rez-de chaussée.
La société DAJIMMO est bien fondée à solliciter l'annulation de la vente des lots n°2 et n°3 de la copropriété sur le fondement de l'article 1599 précité.
S'agissant du jardin privatif constitutif du lot n°6 de la copropriété dont la nullité de la vente est également demandée, l'article 1599 du code civil n'est pas applicable dans la mesure où celui-ci ne fait pas partie des biens vendus aux sociétés LE SHOGUN et CRÉDIT MUTUEL REAL ESTATE.
En revanche, l'article 1110 du code civil dans sa rédaction applicable au litige énonce que « l'erreur n'est une cause de nullité de la convention que lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l'objet. »
En l'espèce, la SARL DAJIMMO pouvait légitimement croire que son co-contractant, la SCI [Localité 11] JPMAG, était propriétaire des lots n°2 et 3.
Par ailleurs, il est certain qu'elle n'aurait jamais acquis le lot n°6 à usage de jardin privatif si elle n'avait pas eu la certitude d'être également propriétaire des lots n°2 et 3 attenants. Ce d'autant que d'après les plans annexés aux actes de vente, le jardinet ne communique qu'avec les lots n°2 et 3 dont il est par conséquent un accessoire.
En tout état de cause, n'étant pas propriétaire des lots n°2 et 2, la société DAJIMMO n'a aucun intérêt à conserver ce jardinet auquel elle ne peut accéder depuis ses bureaux.
Il convient de considérer que les mentions erronées relatives à la désignation des biens vendus portées sur son acte de propriété n'ont pu qu'induire en erreur la société DAJIMMO sur la substance même de son acquisition et que par conséquent, le vice du consentement est caractérisé.
L'annulation de la vente du lot n°6 ne peut qu'être prononcée sur ce fondement.
Au total, après infirmation du jugement, il convient de prononcer la nullité de la vente des lots n°2,3 et 6 mentionnés à l'acte de vente du 12 décembre 2013 ;
2°/ Sur les conséquences de l'annulation partielle de la vente
a. sur la restitution du prix
L'annulation partielle de la vente entraîne l'obligation pour la SCI [Localité 11] JPMAG de restituer le prix qu'elle a perçu en contrepartie des lots n°2, 3 et 6 vendus à la SCI DAJIMMO.
Le prix de 1 950 000 euros HT visé dans l'acte de vente du 12 décembre 2013 correspondait au prix de cession de tout un ensemble immobilier, sans ventilation précise des différents éléments composant la vente.
Il est observé que l'avocat de la société DAJIMMO avait exposé dans son dire à l'expert n°1 du 11 mai 2018, la réduction du prix de vente qu'il considérait devoir être opérée au regard de la réduction des surfaces réellement acquises. L'expert avait considéré comme valable la proposition de calcul de réduction de prix ainsi proposée, après avoir noté que la SCI [Localité 11] JP MAG n'avait émis aucune objection. La SCI [Localité 11] JP MAG n'a pas constitué devant la cour.
Il convient donc d'adopter la méthodologie de calcul exposée par la SARL DAJIMMO dans ses conclusions dont il ressort que :
-Les lots n°2 et 3 litigieux sont situés dans la partie neuve ( construite il y a moins de 5 ans ) de l'ensemble immobilier vendu à la SARL DAJIMMO. Pour des raisons fiscales, les parties ont opéré une ventilation du prix et ont convenu dans l'acte de vente que l'immeuble neuf était vendu pour 950 000 euros.
Cet immeuble neuf valorisé à 950 000 euros incluait :
* les lots n° 2 et 3 soit 58,70 + 73,10 = 131,80 m2
* le lot n° 5 (premier étage), soit 288,80 m2
* le lot n° 6 (jardin privatif)
* le lot n° 7 (parking)
Soit un total de 420, 60 m2.
Étaient également incluses dans cet immeuble neuf ( et donc dans le prix) des surfaces de bureaux situées dans une extension pour un total de 445,64 m2.
-Il en résulte un total des surfaces vendues de 866,24 m2 pour le prix de 950 000 euros.
-La surface réelle des lots n°2 et 3 d'après l'expertise est de 131,80 m2.
-La SARL DAJIMMO en conclut que les lots n°2 et 3 pourraient être valorisés à hauteur de 144.544,23 euros ( 131,80/ 866,24 x 950 000 euros).
Il y a donc lieu de retenir que la fraction du prix payé par DAJIMMO correspondant à l'acquisition des lots n°2 et 3 de la copropriété est égale à 144.544,23 euros. La SCI JP MAG sera par conséquent condamnée à restituer cette somme à la SARL DAJIMMO. Le jugement sera infirmé en ce sens.
b. sur les dommages et intérêts
Pour pouvoir prétendre à l'octroi de dommages et intérêts, la SARL DAJIMMO doit démontrer qu'elle a légitimement cru acquérir les lots n°2 et 3.
En l'espèce, la cour relève que le compromis de vente du 26 juin 2013 et l'acte authentique du 12 décembre 2013 mentionnent clairement les lots n°2 et n°3 de la copropriété dans la désignation des biens vendus et que ceux-ci ont d'ailleurs été surlignés en jaune sur le plan de localisation des lots annexés à l'original de l'acte de vente.
Par ailleurs, comme précédemment indiqué, la SARL DAJIMMO a acquis le jardin privatif constitutif du lot n°6 ( non revendiqué par les sociétés intimées), ce qui n'avait pour elle aucun intérêt si elle n'était pas également propriétaire des bureaux attenants, c'est à dire des lots n°2 et 3. Il est d'ailleurs faux de prétendre que l'accès aux lots n°2 et 3 ne pouvait se faire que via le lot n°1 puisqu'il existait au moins un accès extérieur par le jardinet.
Le prix de vente payé par la SARL DAJIMMO a tenu compte de cette surface, étant observé que l'expert judiciaire a mis en évidence un décalage important entre la surface vendue et les contenances réelles s'agissant du lot n° 3 (73 m2 au lieu de 122 m2, soit une erreur de contenance de 40% ).
La SARL DAJIMMO justifie enfin avoir acquitté pendant plusieurs années la taxe foncière afférente aux surfaces litigieuses, ce qu'elle n'aurait pas fait si elle ne se pensait pas en être propriétaire.
Le point de savoir si la SARL DAJIMMO a pu visiter les lots n°2 et 3 est contesté. L'attestation de la SCI [Localité 11] JP MAG tendant à dire que les lieux n'ont pas été visités, dont il est fait état dans le jugement, n'est pas produite devant la cour. En tout état de cause, cet élément ne suffit pas à écarter la bonne foi de la SARL DAJIMMO dont il convient de considérer qu'elle a été dupée par le comportement fautif de la SCI [Localité 11] JP MAG, ce qui justifie la condamnation de cette dernière à l'indemniser de ses préjudices.
-S'agissant des taxes foncières acquittées et de l'assurance pour les lots n°s 2, 3 et 6.
Les sociétés SHOGUN et CRÉDIT MUTUEL REAL ESTATE sont effectivement propriétaires des surfaces constitutives des lots n°s 2 et 3 de la copropriété. A ce titre, elles ont, elles aussi, réglé les taxes foncières afférentes ainsi que les assurances obligatoires. Il serait inéquitable de leur faire payer deux fois. Dès lors contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, il y a lieu de considérer que le remboursement à la SARL DAJIMMO des taxes foncières et des assurances qu'elle a exposé incombe à la société venderesse et non aux sociétés propriétaires des lieux.
De fait, ces dépenses doivent s'analyser non pas comme la conséquence de la nullité prononcée, entrant dans le champs des restitutions réciproques, mais comme le préjudice financier découlant directement de la faute de la SCI [Localité 11] JP MAG qui a vendu à la SARL DAJIMMO une chose qu'elle avait déjà vendue quelques mois auparavant.
La société DAJIMMO justifie suffisamment des taxes foncières correspondantes aux lots n°2, 3, 6, qu'elle a acquittées au titre des années 2014 à 2020, pour un montant total de 19.667,75 euros.
La SCI [Localité 11] JP MAG sera donc condamnée à payer cette somme à la SARL DAJIMMO.
-S'agissant de l'assurance propriétaire non occupant des locaux n°s 2, 3 et 6
Pour exactement les mêmes motifs que ceux précédemment exposés, la SARL DAJIMMO est fondée à réclamer à la SCI [Localité 11] JP MAG la somme de 1.304,42 euros, au titre des cotisations d'assurance qu'elle a exposées en tant que propriétaire non occupant alors qu'elle est réputée n'avoir jamais eu cette qualité.
La SARL DAJIMMO sollicite encore la somme de 3.471,69 euros au titre « de l'assurance de la copropriété que la SARL DAJIMMO paie à la place de la copropriété inexistante ». Cette demande n'est cependant pas suffisamment explicitée. Il n'est pas démontré en quoi la copropriété serait inexistante puisque la SARL DAJIMMO a valablement acquis les lots n°s 5 et 7 de cette copropriété. En outre, le préjudice ne peut être égal à la totalité des cotisations payées mais seulement à la part correspondant aux lots n°s 2 et 3. Cette demande sera donc rejetée.
La SARL DAJIMMO sollicite enfin la somme de 49 486,77 euros HT (à parfaire) au titre du manque à gagner de loyers.
La SARL DAJIMMO expose que si elle avait valablement acquis les plateaux de bureaux constitutifs des lots n°2 et 3 de la copropriété, elle aurait pu percevoir des loyers à hauteur de 49 486,77 euros HT, correspondant au montant proratisé des loyers encaissés par la société SHOGUN sur la période.
Cependant, il n'existe aucun lien de causalité entre la régularité de la vente et la possibilité pour la SARL DAJIMMO de percevoir les loyers sollicités dans la mesure où, si la SARL DAJIMMO n'avait pas été induite en erreur sur la chose vendue, notamment au vu de la désignation erronée figurant tant au compromis que dans l'acte authentique, elle n'aurait pour autant eu aucun titre pour appréhender les loyers qu'elle revendique.
De fait, aucun espoir de gain n'a jamais juridiquement existé puisqu'il était rigoureusement impossible pour la SARL DAJIMMO, quelles que soient ses intentions, d'acquérir la propriété des lots n°2 et 3 et donc percevoir les loyers afférents à cette surface de bureaux, laquelle était déjà vendue aux sociétés SCHOGUN et CREDIT MUTUEL CIC REAL ESTATE LEASE.
Par ailleurs, il n'est pas démontré que cet espoir de gain ait même réellement existé dans l'esprit de la SARL DAJIMMO dès lors que son acte de vente précisait bien que les lots n°s 2 et 3 étaient libres de toute occupation et qu'elle a quand même acheté.
Il y a lieu de retenir que la SARL DAJIMMO ne peut se prévaloir d'aucun préjudice indemnisable au titre d'un quelconque manque à gagner. Sa demande sera donc rejetée.
Au total, la SCI [Localité 11] JP MAG sera condamnée à payer à la SARL DAJIMMO la somme totale de 20. 972,17 euros à titre de dommages et intérêts. Le jugement sera infirmé en ce sens.
3°/ Sur les demandes accessoires
Il n'a pas été fait appel des dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.
La SCI [Localité 11] JP MAG qui succombe, sera condamnée aux dépens d'appel et à payer à la SARL DAJIMMO la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La SARL DAJIMMO qui n'est pas condamnée aux dépens et qui ne succombe pas en ses demandes ne peut être condamnée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à payer une indemnité au titre des frais irrépétibles aux sociétés LE SHOGUN et CRÉDIT MUTUEL REAL ESTATE, qui seront par conséquent déboutées de leur demande.
En revanche, il sera fait droit à leur demande subsidiairement dirigée contre la SCI JP MAG sur ce fondement, à hauteur de 3.000 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement rendu le 9 janvier 2020 par le tribunal judiciaire de Nantes en toutes ses dispositions déférées à la cour, c'est à dire en ce qu'il a débouté la SARL DAJIMMO de sa demande en nullité de la vente des lots n°s 2, 3 et 6 mentionnés à l'acte de vente du 12 décembre 2013 et en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts ;
Statuant à nouveau des chefs du jugement infirmés :
Prononce la nullité de l'acte de vente du 12 décembre 2013 intervenu entre la SCI [Localité 11] JP MAG et la SARL DAJIMMO, seulement en ce qu'il porte sur la vente des lots n°s 2, 3 et 6 de la copropriété de l'immeuble du [Adresse 2] ;
Condamne la SCI [Localité 11] JP MAG à restituer à la SARL DAJIMMO la somme de 144.544,23 euros correspondant à la fraction du prix de la vente annulée ;
Condamne la SCI [Localité 11] JP MAG à payer à la SARL DAJIMMO la somme de 20. 972,17 euros à titre de dommages et intérêts ;
Condamne la SCI [Localité 11] JP MAG à payer à la SARL DAJIMMO la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute la SCI LE SHOGUN et la SA CREDIT MUTUEL CIC REAL ESTATE LEASE de leur demande dirigée contre la SARL DAJIMMO sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SCI [Localité 11] JP MAG à payer à la SCI LE SHOGUN et à la SA CREDIT MUTUEL CIC REAL ESTATE LEASE la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SCI [Localité 11] JP MAG aux dépens d'appel.
LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE