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21/10/2022 | FRANCE | N°19/04525

France | France, Cour d'appel de Rennes, 8ème ch prud'homale, 21 octobre 2022, 19/04525


8ème Ch Prud'homale





ARRÊT N°443



N° RG 19/04525 -

N° Portalis DBVL-V-B7D-P5CP













Association UNEDIC AGS CGEA DE [Localité 4]



C/



M. [P] [Z]



-SELARL [M] MJ-O (Liquidation judiciaire de la SARL NORMES HABITAT 44)

- SASU PROBATISO CORPORATE SOLUTIONS

- SAS PROECOWATT

- SCP THEVENOT PARTNERS (plan de continuation de la SAS PROECOWATT)

-SELARL [M] MJ-O (mandataire judiciaire de la SAS PROECOWATT)






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Infirmation













Copie exécutoire délivrée

le :



à :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 21 OCTOBRE 2022





COMPOSITION DE LA COUR LORS D...

8ème Ch Prud'homale

ARRÊT N°443

N° RG 19/04525 -

N° Portalis DBVL-V-B7D-P5CP

Association UNEDIC AGS CGEA DE [Localité 4]

C/

M. [P] [Z]

-SELARL [M] MJ-O (Liquidation judiciaire de la SARL NORMES HABITAT 44)

- SASU PROBATISO CORPORATE SOLUTIONS

- SAS PROECOWATT

- SCP THEVENOT PARTNERS (plan de continuation de la SAS PROECOWATT)

-SELARL [M] MJ-O (mandataire judiciaire de la SAS PROECOWATT)

Infirmation

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 21 OCTOBRE 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Président de chambre,

Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller,

Madame Gaëlle DEJOIE, Conseillère,

GREFFIER :

Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 02 Juin 2022

devant Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT :

Réputé contradictoire, prononcé publiquement le 21 Octobre 2022, date à laquelle a été prorogé le délibéré initialement fixé au 7 octobre précédent, par mise à disposition au greffe

****

APPELANTE :

L'Association UNEDIC, Délégation régionale AGS-CGEA DE [Localité 4] prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège :

[Adresse 5]

[Adresse 5]

Représentée par Me Matthieu FOUQUET substituant à l'audience Me Bruno CARRIOU de la SCP IPSO FACTO AVOCATS, Avocat au Barreau de NANTES

INTIMÉS :

Monsieur [P] [Z]

né le 04 Août 1960 à [Localité 3]

demeurant [Adresse 1]

[Adresse 1]

Ayant Me Augustin MOULINAS de la SELARL AUGUSTIN MOULINAS, Avocat au Barreau de NANTES, pour Avocat constitué

.../...

- La SELARL de Mandataires Judiciaires [M] MJ-O prise en la personne de Me [I] [M] ès qualités de mandataire liquidateur de la SARL NORMES HABITAT 44

[Adresse 2]

[Adresse 2]

INTIMÉE NON CONSTITUÉE

- La SASU PROBATISO CORPORATE SOLUTIONS (PCS) prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège social :

[Adresse 1]

[Adresse 1]

INTIMÉE NON CONSTITUÉE

- La SAS PROECOWATT admise au bénéfice du plan de continuation prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège social :

[Adresse 1]

[Adresse 1]

INTIMÉE NON CONSTITUÉE

- La SCP de Mandataires Judiciaires THEVENOT PARTNERS prise en la personne de Me [V] [Y] ès-qualités de Commissaire à l'éxécution du plan de continuation de la SAS PROECOWATT

[Adresse 1]

[Adresse 1]

INTIMÉE NON CONSTITUÉE

- La SELARL de Mandataires Judiciaires [M] MJ-O prise en la personne de Me [I] [M] ès-qualités de mandataire judiciaire de la SAS PROECOWATT

[Adresse 2]

[Adresse 2]

INTIMÉE NON CONSTITUÉE

=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=

M. [Z] a été embauché en qualité de comptable par la société NORMES HABITAT 44 dans le cadre d'un contrat à durée déterminée du 17 novembre 2014 au 17 mai 2015.

Le 24 mars 2015, le contrat de travail de M. [P] [Z] a été transféré vers la société PROECOWATT à compter du 1er avril 2015 et s'est poursuivi dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée au terme d'un avenant du 17 mai 2015.

Le 1er juin 2016, le contrat de travail de M. [Z] a été transféré vers la société PROBATISO CORPORATE SOLUTIONS.

Dans le dernier état des relations contractuelles régies par la Convention collective nationale du personnel des prestataires de services dans le domaine du secteur tertiaire du 13 août 1999, M. [P] [Z] a occupé le poste de comptable, statut agent de maîtrise, niveau 5, coefficient 230 au sein de la société PROBATISO CORPORATE SOLUTIONS.

Par jugement du 5 octobre 2016, le tribunal de commerce de Nantes a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la SARL NORMES HABITAT 44, convertie en procédure de liquidation judiciaire par jugement du 2 novembre 2016, Me [M] étant désigné mandataire liquidateur.

Par jugement du 5 octobre 2016, le tribunal de commerce de Nantes a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la SAS PROECOWATT, Me [V] [Y] étant nommé administrateur judiciaire, Me [M] étant nommé mandataire judiciaire.

M. [Z] a été élu délégué du personnel le 14 septembre 2017 pour un mandat de 4 ans.

La société PROECOWATT a bénéficié d'un plan de redressement au terme du jugement du 31 janvier 2018 du tribunal de commerce de Nantes ;

Le 17 juillet 2018, la société PROBATISO CORPORATE SOLUTIONS a convoqué M. [P] [Z] à un entretien préalable à une mesure disciplinaire pour les motifs suivants : « Incompatibilité d'humeur, diffusion d'informations confidentielles à l'égard des autres salariés du Groupe, propos dégradants et insultants, menaces perpétuelles à l'encontre de la Direction ».

M. [Z] a été mis à pied à titre conservatoire à compter de cette date et l'entretien préalable s'est tenu le 1er août 2018.

Par courrier du 6 août 2018, l'employeur a confirmé au salarié sa réintégration au sein de la société le rappelant toutefois à l'ordre.

Au terme d'un courrier du 10 septembre 2018, M. [Z] a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur.

Le 18 septembre 2018, la société PROBATISO CORPORATE SOLUTIONS a contesté les griefs invoqués par le salarié.

Le 8 octobre 2018, M. [Z] a saisi le conseil de prud'hommes de Nantes aux fins de voir :

' Fixer le salaire de référence à la somme de 2.503,70 € brut,

' Dire que les parties défenderesses sont responsables in solidum des préjudices de M. [Z],

' Fixer la créance de M. [Z] au passif de la société NORMES HABITAT 44,

' Condamner in solidum les sociétés PROECOWATT et PROBATISO CORPORATE SOLUTIONS aux sommes suivantes :

- 30.044,47 € net à titre de dommages-intérêts pour rupture du contrat à durée indéterminée aux torts de l'employeur équivalent à un licenciement nul,

- 2.503,70 € à titre d'indemnité de licenciement,

- 5.007,40 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents,

- 2.879,25 € à titre d'indemnité compensatrice de congés payés,

- 105.155,40 € à titre d'indemnité pour violation du statut protecteur,

- 15.022,20 € à titre d'indemnité pour travail dissimulé,

- 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens,

' Intérêts de droit à compter de la saisine du conseil pour les sommes ayant la nature de salaire outre l'anatocisme,

' Remise des documents de fin de contrat,

' Exécution provisoire.

La cour est saisie de l'appel formé le 5 juillet 2019 par l'AGS CGEA de [Localité 4] contre le jugement du 5 juin 2019 notifié le 12 juin 2019 par lequel le conseil de prud'hommes de Nantes a :

' Dit que le licenciement M. [Z] est nul,

' Fixé la créance à l'égard des procédures collectives de la société NORMES HABITATS 44 et de la société PROECOWATT et condamné la société PROBATISO CORPORATE SOLUTIONS à payer à M. [Z] les sommes suivantes :

- 15.022,20 € à titre d'indemnité de licenciement nul,

- 105.155,40 € au titre de la violation du statut protecteur,

- 2.879,25 € à titre d'indemnité compensatrice de congés payés,

- 5.007,40 € à titre d'indemnité de préavis,

- 500,74 € au titre des congés payés afférents,

- 2.347,21 € à titre de prime de licenciement,

- 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

' Dit que lesdites sommes sont à payer solidairement par les parties défenderesses,

' Lesdites condamnations étant assorties des intérêts au taux légal à compter de la date de saisine du conseil pour les sommes à caractère salarial et du prononcé de la présente décision pour celles à caractère indemnitaire,

' Les intérêts produisant eux-mêmes intérêts conformément à l'article 1154 du code civil,

' Ordonné la remise à M. [Z] des documents de fin de contrat,

' Ordonné l'exécution provisoire à hauteur de 50 % des condamnations pour les sommes pour lesquelles elle n'est pas de droit et fixé la moyenne du salaire à 2.503,70 € brut,

' Débouté M. [Z] du surplus de ses demandes,

' Débouté la procédure collective de la société PROECOWATT et la société PROBATISO CORPORATE SOLUTIONS de leurs demandes reconventionnelles,

' Déclaré la présente décision opposable à l'AGS-CGEA de [Localité 4],

' Condamné les parties défenderesses aux dépens,

' Dit qu'à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par la présente décision et qu'en cas d'exécution par voie extrajudiciaire, les sommes retenues par l'huissier instrumentaire en application des dispositions de l'article 10 du décret du 8 mars 2001, portant modification du décret du 12 décembre 1996, devront être supportées par les parties

Vu les écritures notifiées par voie électronique le 19 juillet 2019, suivant lesquelles le CGEA de [Localité 4] demande à la cour de :

' Recevoir l'AGS et le CGEA do [Localité 4] en leur intervention,

' Donner acte au CGEA de [Localité 4] de sa qualité de représentant de l'AGS à l'instance,

' Décerner acte à l'AGS des conditions de son intervention sur le fondement de l'article L.625-1 du code de commerce et de ses conséquences,

' Réformer le jugement en ce qu'il a :

- retenu l'existence d'une situation de co-emploi,

- jugé la prise d'acte justifiée et jugé qu'elle produisait dans ce cadre les effets d'un licenciement nul,

- rejeté la demande reconventionnelle tendant à voir la prise d'acte produire les effets d'une démission,

- alloué à M. [Z] des indemnités de rupture

(indemnité de licenciement et indemnité de préavis outre congés payés) et dommages-intérêts pour licenciement nul,

- alloué à M. [Z] une indemnité pour violation du statut protecteur,

- fixé des créances au passif des sociétés NORMES HABITAT 44 et PROECOWATT, qualifiées de solidaires avec les condamnations prononcées à l'encontre de la société PROBATISO CORPORATE SOLUTIONS,

- déclaré le jugement opposable à l'AGS-CGEA de [Localité 4],

- alloué à M. [Z] la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

' Débouter M. [Z] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions sur le fond,

' Débouter M. [Z] de toute demande au titre de l'opposabilité du jugement à l'AGS-CGEA de [Localité 4] et de couverture des sommes le cas échéant allouées par la

garantie légale de l'AGS,

' Débouter M. [Z] de toute demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des éventuels dépens.

Vu les écritures notifiées par voie électronique le 30 août 2019, suivant lesquelles M. [Z] demande à la cour de :

' Le recevoir dans ses explications,

' Dire qu'elles sont bien fondées en fait et en droit,

' Fixer le salaire de référence à la somme de 2.503,70 € brut,

' Dire que les sociétés défenderesses sont responsables in solidum des préjudices de M. [Z],

' Fixer la créance de M. [Z] au passif de la société NORMES HABITAT 44,

' Confirmer le jugement entrepris,

' Condamner in solidum les sociétés PROECOWATT et PROBATISO CORPORATE SOLUTIONS aux sommes suivantes :

- 30.044,40 € net à titre de dommages-intérêts pour rupture du CDI aux torts de l'employeur équivalent à un licenciement nul,

- 2.503,70 € à titre d'indemnité de licenciement,

- 5.007,40 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents,

- 2.879,25 € à titre d'indemnité compensatrice de congés payés,

- 105.155,40 € à titre d'indemnité pour violation du statut protecteur,

- 15.022,20 € à titre d'indemnité pour travail dissimulé,

- 1.251,85 € brut à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied du 17 au 31 juillet 2018,

- 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens,

' Intérêts de droit à compter de la saisine du conseil pour les sommes ayant la nature de salaire outre l'anatocisme,

' Remise des documents de fin de contrat,

' Exécution provisoire,

' Débouter les sociétés PROBATISO CORPORATE SOLUTIONS, PROECOWATT et NORMES HABITAT 44 de toutes leurs demandes, fins, et conclusions.

La SELARL [M] MJO, la SASU PROBATISO CORPORATE SOLUTIONS, la SAS PROECOWATT et la SCP THEVENOT PARTNERS n'ont pas constitué avocat, le présent arrêt sera réputé contradictoire à leur égard.

La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance 19 mai 2022

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions notifiées via le RPVA.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'existence d'une situation de co-emploi :

Pour infirmation et débouté du salarié, le CGEA de [Localité 4] soutient d'abord que M. [Z] ne prouve pas l'existence d'une situation de co-emploi, que conformément à la conception jurisprudentielle restrictive du co-emploi, une unité de direction ou des flux financiers croisés ne caractérisent pas de co-emploi, qu'il faut une immixtion d'une société dans le fonctionnement des autres entités, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, que M. [Z] n'a pas été soumis de manière simultanée à un lien de subordination à l'égard des trois sociétés qui l'ont employé successivement, de sorte qu'il ne peut y avoir eu de co-emploi.

Le CGEA ajoute que la société NORMES HABITAT 44 a fait l'objet d'une liquidation judiciaire en 2016 et n'a plus d'existence légale depuis, de sorte qu'aucune situation de co-emploi ne peut la concerner s'agissant de créances réclamées au titre de l'année 2018.

M. [Z] objecte que le co-emploi est manifeste, qu'il a été employé par les trois sociétés, qu'il a toujours reçu des ordres de la direction du groupe PROBATISO à l'égard duquel l'état de subordination est caractérisé et qu'il existe une véritable confusion d'intérêts, d'activités et de direction entre les sociétés PCS, PROECOWATT et NH44 qui doivent être condamnées conjointement et solidairement dès lors qu'elles ont :

- une même activité autour du dispositif des certificats d'économie d'énergie ;

- une unité de direction ;

- des flux financiers croisés ;

- une instruction pénale en cours sur la confusion totale entre les entités juridiques et les escroqueries de l'employeur, notamment la fraude aux règles du droit du travail,

- le Conseil de prud'hommes de Nantes a déjà jugé l'existence d'un co-emploi entre ces entités juridiques.

que pour toutes ces raisons, et il y a par conséquent lieu deles trois sociétés susvisées.

Il est constant que, hors l'existence d'un lien de subordination, une société faisant partie d'un groupe ne peut être considérée comme un co-employeur à l'égard du personnel employé par une autre que s'il existe entre elles, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d'intérêts, d'activités et de direction se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale d'une autre entité à laquelle appartient le salarié, et ce, notamment dans le domaine de gestion du personnel, que celui des résultats, des stocks, du développement des produits, en particulier en donnant des instructions et injonctions précises au salarié concerné.

Il est établi que M. [P] [Z] a été successivement employé par les sociétés NORMES HABITAT 44, PROECOWATT et PROBATISO CORPORATES SOLUTIONS qui ont en commun d'avoir une activité e lien avec les dispositifs de certificat d'économie d'énergie, que ces trois sociétés étaient dirigées par M. [K] directement ou indirectement par le biais de la société PROBATISO FINANCES, que M. [P] [Z] a perçu deux virements de 1.700 € émanant de la société NORMES HABITAT 44 en avril et mai 2015, alors que son contrat de travail avait été transféré de cette société vers la société PROECOWATT depuis le 1er avril 2015.

Cependant, le salarié ne produit aucun bulletin de salaire se rapportant aux périodes éventuellement concernées par ces deux virements et procède essentiellement par affirmation sans démontrer en quoi il y aurait une immixtion dans la gestion économique et sociale de la société PROECOWATT à laquelle il appartenait par l'une ou l'autre des deux autres sociétés, étant relevé comme le souligne l'AGS CGEA qu'à la période concernée par les prétentions de M. [P] [Z], la société NORMES HABITAT 44 n'avait plus d'existence légale.

De surcroît l'existence d'une information judiciaire concernant l'employeur dont il n'est pas précisé si cela concerne une ou plusieurs personnes morales ou des personnes physiques ne peut suffire en soi à caractériser le co-emploi allégué.

Il y a lieu en conséquence d'infirmer le jugement entrepris de ce chef et de débouter M. [P] [Z] de la demande formulée à ce titre.

***

Sur la requalification de la prise d'acte :

Pour infirmation et débouté du salarié, le CGEA de [Localité 4] entend faire valoir que M. [Z] ne rapporte pas la preuve des manquements graves et répétés de l'employeur (SASU PROBATISO CORPORATE SOLUTIONS) dont il se prévaut dans sa lettre de prise d'acte, de sorte que sa prise d'acte doit être qualifiée de démission.

M. [Z] soutient que sa prise d'acte de rupture doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse dès lors qu'elle repose sur les multiples fautes répétées et graves de l'employeur, telles que listées dans la lettre de prise d'acte du 10 septembre 2018, à savoir :

- les transferts du contrat de travail ;

- les retards de paiement des salaires ;

- l'atteinte aux fonctions de délégué du personnel / délit d'entrave ;

- la discrimination à caractère sexuel ;

- la sanction pécuniaire (défaut de paiement des salaires à compter de juillet 2018), sans sanction disciplinaire du salarié ;

- le travail dissimulé.

Lorsque qu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit soit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués le justifiaient, soit dans le cas contraire d'une démission ;

L'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, ne fixe pas les limites du litige ; dès lors le juge est tenu d'examiner les manquements de l'employeur invoqués devant lui par le salarié même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans cet écrit.

La lettre de prise d'acte est ainsi rédigée :

'Monsieur le Président,

1. Je suis salarié de votre entreprise depuis le 19 novembre 2014, sous contrat avec NORMES

HABITAT 44, PROECOWATT puis PROBATISO CORPORATE SOLUTIONS. Ces changements m'ont été imposés sans jamais aucune explication, ni aucune contrepartie. C'est un premier reproche.

2. Comme vous le savez, les salaires sont souvent payés avec retard, ce qui est intenable pour les salariés de l'entreprise. En tant que délégué du personnel, je vous ai alerté à de multiples reprises sur cette irrégularité qui pèse lourdement sur la situation de chacun, et sur la mienne en particulier.

3. Vous avez porté atteinte à mes fonctions de représentation en voulant m'humilier devant mes collègues de travail, notamment lorsque vous avez déchiré devant moi une lettre que je vous avais adressée pour critiquer les retards de paiement des salaires. Un tel comportement est discriminatoire.

4. Non seulement vous n'avez jamais pris en compte la réclamation légitime visant le paiement régulier des salaires, mais pire, vous avez considéré que mes propos étaient 'dégradants et insultants' et que je serais dans 'la menace perpétuelle à l'encontre de la direction'. Vous m'avez également reproché 'incompatibilité d'humeur, diffusion d'informations confidentielles à l'égard des salariés du Groupe'. Ce sont les motifs qui vous ont conduit à me convoquer à un entretien préalable à une mesure de sanction disciplinaire qui s'est déroulé le 1er août dernier.

Préalablement, j'avais été mis à pied avec suspension du paiement de mon salaire à partir du

17 juillet 2018. Au cours de l'entretien du 1er août, j'étais accompagné de Monsieur [E] [S], mon conseiller extérieur à l'entreprise. Monsieur [S] a relevé avec moi, les faits suivants :

5. Vous avez commencé par dire que vous n'aviez rien à me reprocher 'au niveau du boulot'.

6. Mais que mon attitude en tant que délégué du personnel serait critiquable, me reprochant d'adresser à l'employeur des lettres pour demander le paiement des salaires. C'est pourtant ma fonction de délégué du personnel, de défendre les intérêts des salariés. La première obligation de l'employeur est de payer les salaires en temps utile, pour le travail effectué. J'ai donc été choqué par votre reproche discriminatoire qui porte atteinte directement à ma fonction de représentant du personnel.

7. Ensuite, vous avez dit que je pourrais revenir à mon poste de travail si je cessais 'de me comporter comme une nana ménopausée', sans d'ailleurs préciser à la fin si la mise à pied était levée ou non. Cette remarque caractérise de la discrimination sexuelle. J'ai été meurtri par vos propos qui touchent à mon intimité.

8. Plus généralement au cours de mes journées de travail, j'ai eu à souffrir de votre vulgarité et de vos insultes telles que 'bouffon' ou 'rigolo' en vous adressant à moi.

9. A la suite de l'entretien du 1er août, je suis tombé malade. Vous ne m'avez notifié aucune sanction disciplinaire et j'en déduis donc que vous n'avez rien à me reprocher. Cependant, je n'ai pas été rétabli dans mes droits pour la période de mise à pied du 17 au 31 juillet 2018 : mon salaire ne m'a pas été payé.

Pour toutes ces raisons, dont la responsabilité vous incombe entièrement en tant que représentant de l'employeur, je suis contraint de vous notifier la présente prise d'acte de la rupture de mon contrat de travail.

Cette rupture vous est entièrement imputable puisque les faits précités constituent un grave manquement aux obligations contractuelles, conventionnelles et légales auxquelles l'employeur est soumis.

Cette rupture prendra effet à la date de première présentation du présent recommandé avec AR.

L'effet de la rupture sera immédiat et sera suivi d'une saisie du Conseil de prud'hommes de NANTES afin d'obtenir le respect de mes droits et la réparation financière du préjudice subi.

A réception de cette lettre, je vous demande de bien vouloir me transmettre un reçu pour solde de tout compte, un certificat de travail ainsi qu'une attestation Pôle emploi.

Salutations.'

S'agissant du grief relatif aux transferts du contrat de travail, M. [P] [Z] soutient à juste titre que son transfert de la société NORMES HABITAT 44 à la société PROECOWATT est intervenu sans que le choix lui soit laissé de l'accepter et qu'il en a été de même en ce qui concerne son transfert de la société PROECOWATT à la société PROBATISO CORPORATE SOLUTIONS, cependant le salarié n'explicite pas en quoi les transferts intervenus notamment au terme d'une convention tripartite le 1er juin 2016 sur laquelle il a porté la mention "lu et approuvé" au pied de sa signature mais aussi au terme du contrat à durée indéterminée qu'il a approuvé le 17 mai 2015 à la suite du transfert de son contrat à durée déterminée de la société NORMES HABITAT 44 au sein de la société PROECOWATT, seraient fautifs. En conséquence, le grief formulé à ce titre n'est pas établi.

En ce qui concerne les retards de paiement de salaire dont l'employeur admet la réalité, il ressort des pièces produites et notamment du courrier du 18 novembre 2018 par lequel l'employeur explique au salarié que les retards de paiement étaient imputables à des difficultés rencontrées par les sociétés du groupe, aux procédures collectives dont elles ont fait l'objet ainsi qu'aux plans de continuation, qu'aucun retard de paiement n'est intervenu depuis le mois de janvier 2018, ce qui n'est pas remis en cause par le salarié, de sorte que pour réel que soit ce manquement pour la période antérieure, il ne pouvait à la date de la prise d'acte constituer un obstacle à la poursuite du contrat de travail, ni plus que le fait d'avoir déchiré un courrier le 10 juillet 2018, plusieurs mois avant la prise d'acte.

S'agissant de l'atteinte aux fonctions de délégué du personnel et de délit d'entrave, M. [P] [Z] évoque ses difficultés relationnelles avec M. [K] qu'il rattache au refus de l'employeur de lui adresser la parole depuis qu'il est délégué syndical mais également l'entrave à ses fonctions syndicales tenant à la procédure disciplinaire engagée par l'employeur à ce titre, produisant à cet égard le compte rendu de l'entretien préalable du 1er août 2018 consécutif à sa mise à pied conservatoire.

Il ressort de ce compte rendu qui n'est ni signé ni accompagné d'un document établissant l'identité et la qualité de M. [E] [S] qui l'aurait établi, que les reproches faits au salarié concernaient les modalités d'exercice par ce dernier de ses attributions de délégué syndical.

Cependant, si M. [P] [Z] produit effectivement un courrier qu'il a adressé à l'Inspection du travail concernant ses rapports avec M. [K] depuis qu'il exerce ses fonctions syndicales, il ne justifie pas du moindre courrier au même inspecteur concernant les reproches faits par son employeur et les termes qui auraient été employés par ce dernier au cours de l'entretien préalable.

En outre, le compte rendu de cet entretien comporte une appréciation concernant la situation financière de la société et des "soucis avec la brigade financière" manifestement hors du champ de l'entretien préalable, altérant la valeur probante de ce document qui apparaît sujet à caution, de sorte qu'il appert que le manquement imputé à ce titre à l'employeur est insuffisamment caractérisé.

En outre, à cet égard il doit être relevé que la lettre par laquelle l'employeur répond à la prise d'acte du salarié (pièce 24 du salarié) permet de constater que la retenue de salaire effectuée au titre de la mise à pied conservatoire a fait l'objet d'une régularisation de la part de l'employeur dès le bulletin de salaire de septembre 2018.

Par ailleurs, la discrimination à caractère sexuel tenant au fait d'avoir été traité de "nana ménopausée" n'est documentée par le salarié qu'au moyen du compte rendu du conseiller extérieur dénué de valeur probante, l'emploi de ce qualificatif étant contesté par l'employeur au même titre que les autres qualificatifs qu'il aurait attribués à M. [P] [Z], sans que ce dernier ne produise le moindre élément à ce titre.

Les documents produits par le salarié à l'appui de ses développements concernant le travail dissimulé, se rapportent aux déclarations tardives de deux salariés et au défaut de déclaration annuelles sociales au titre de l'année 2015 concernant la société PROECOWATT et par conséquent sans rapport avec sa propre situation à une date contemporaine de la prise d'acte, de sorte que le manquement qu'il impute à son employeur à ce titre, n'est pas établi.

Il résulte des développements qui précèdent que le salarié échoue à rapporter la preuve de manquements de la part de son employeur de nature à faire obstacle à la poursuite de son contrat de travail.

Il y a lieu en conséquence d'infirmer le jugement entrepris et de requalifier la prise d'acte de rupture de M. [P] [Z] en démission, le salarié étant débouté de l'ensemble des demandes formulées à ce titre, y compris en ce qui concerne l'application de l'article 700 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,

INFIRME le jugement entrepris,

et statuant à nouveau,

DÉBOUTE M. [P] [Z] de l'ensemble de ses demandes,

CONDAMNE M. [P] [Z] aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER,LE PRÉSIDENT.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 8ème ch prud'homale
Numéro d'arrêt : 19/04525
Date de la décision : 21/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-21;19.04525 ?
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