3ème Chambre Commerciale
ARRÊT N°513
N° RG 21/03780 - N° Portalis DBVL-V-B7F-RYEW
Société CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE GUINGAMP
C/
M. [H] [W]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me DARDY
Me CHAUDET
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 18 OCTOBRE 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre,
Assesseur : Madame Fabienne CLEMENT, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Julie ROUET, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 12 Septembre 2022 devant Monsieur Alexis CONTAMINE, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 18 Octobre 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE GUINGAMP, immatriculée au RCS de SAINT-BRIEUC sous le n° 309 517 316, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité au siège,
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Hervé DARDY de la SELARL KOVALEX, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-BRIEUC
INTIMÉ :
Monsieur [H] [W]
né le [Date naissance 1] 1969 à [Localité 6] (22)
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représenté par Me Astrid GUILLOT de la SELARL LEMASSON & ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de SAINT-BRIEUC
Représenté par Me Jean-David CHAUDET de la SCP JEAN-DAVID CHAUDET, Postulant, avocat au barreau de RENNES
FAITS ET PROCÉDURE :
Le 8 juillet 2017, la société Cuisines Caradec a souscrit auprès de la société Caisse de Crédit Mutuel de Guingamp (le Crédit Mutuel) un contrat de crédit de trésorerie n°0803 46915679 40, pour une durée indéterminée, d'un montant principal de 50.000 euros, au taux d'intérêt variable de 2,67%.
Le 15 juillet 2017, M. [W], gérant de la société Cuisines Caradec, s'est porté caution solidaire au titre de ce crédit de trésorerie dans la limite de la somme de 60.000 euros, couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour une durée de 60 mois.
Le 12 septembre 2018, la société Cuisines Caradec a été placée en redressement judiciaire.
Le 10 octobre 2018, le Crédit Mutuel a déclaré sa créance entre les mains du mandataire judiciaire.
Le 26 avril 2019, la société Cuisines Caradec a été placée en liquidation judiciaire.
Le 18 juin 2019, le Crédit Mutuel a mis en demeure M. [W] d'honorer son engagement de caution.
Le 8 août 2019, le Crédit Mutuel a assigné M. [W] en paiement.
Par jugement du 14 juin 2021, le tribunal de commerce de Saint Brieuc a :
- Dit et jugé que l'engagement de caution est inopposable à M. [W],
- Débouté le Crédit Mutuel de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- Condamné le Crédit Mutuel à régler à M. [W], la somme de 2.500 euros par application des dispositions de1'article 700 du code de procédure civile,
- Condamné le Crédit Mutuel aux entiers dépens,
- Dit les parties mal fondées en leurs demandes plus amples ou contraires au dispositif du jugement, les en déboute respectivement,
- Liquidé au titre des dépens les frais de greffe.
Le Crédit Mutuel a interjeté appel le 22 juin 2021.
M. [W] a déposé ses dernières conclusions le 4 juillet 2022. Le Crédit Mutuel a déposé ses dernières conclusions le 29 août 2022.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 30 août 2022.
PRÉTENTIONS ET MOYENS :
Le Crédit Mutuel demande à la cour de :
- Infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau :
-Condamner M. [W] à payer au Crédit Mutuel la somme de 52.869,47 euros au titre de son engagement de caution du crédit de trésorerie n°0803 46915679 40, majorée des intérêts au taux contractuel à compter du 18 juin 2019, date de la mise en demeure,
- Ordonner la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil,
- Condamner M. [W] à payer au Crédit Mutuel la somme de 2.500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner M. [W] aux entiers dépens, dont distraction à la SELARL Kovalex.
M. [W] demande à la cour de :
A titre principal :
- Confirmer le jugement
Ce faisant, et y ajoutant :
- Déclarer M. [W] recevable en ses demandes,
-Déclarer que l'engagement de caution du Crédit Mutuel est inopposable à l'égard de M. [W],
- Débouter le Crédit Mutuel de toutes ses demandes, fins et conclusions,
A titre subsidiaire :
- Déclarer que le Crédit Mutuel a manqué à son obligation d'information due à la caution,
- Prononcer la déchéance du droit du Crédit Mutuel à percevoir des intérêts conventionnels, pénalités et accessoires,
- En conséquence que dans les rapports entre M. [W] et le Crédit Mutuel, les paiements effectués par la société Cuisines Caradec doivent être imputés en priorité sur le principal de la dette,
- Avant dire droit, enjoindre le Crédit Mutuel de produire un décompte rectifié de la créance faisant apparaître le solde dû en principal après imputation sur le seul capital des règlements faits par la société Cuisines Caradec,
- Débouter le Crédit Mutuel de sa demande de condamnation avec intérêts contractuels,
En toutes hypothèses :
- Confirmer le jugement ayant condamné le Crédit Mutuel à payer à M. [W], la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et Condamner le Crédit Mutuel à verser à M. [W] la somme de 2.500 euros, en cause d'appel en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner le Crédit Mutuel aux entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières conclusions visées supra.
DISCUSSION :
Sur la disproportion manifeste :
L'article L 332-1 du code de la consommation, dans sa rédaction en vigueur du 1er juillet 2016 au 1er janvier 2022 et applicable en l'espèce, prévoit que le créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un cautionnement manifestement disproportionné :
Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
C'est sur la caution que pèse la charge d'établir cette éventuelle disproportion manifeste.
Cet article n'impose pas au créancier professionnel de s'enquérir de la situation financière de la caution préalablement à la souscription de son engagement. La fiche de renseignements que les banques ont l'usage de transmettre aux futures cautions n'est, en droit, ni obligatoire ni indispensable. En revanche, en l'absence de fiche de renseignements, les éléments de preuve produits par la caution doivent être pris en compte.
M. [W] a rempli une fiche de renseignements le 15 juillet 2017. Cette fiche est concomitante à son engagement de caution. Il y a indiqué être divorcé, avoir un enfant à charge et percevoir un revenu annuel de 9.000 euros, soit environ 750 euros par mois. Il a précisé ne pas être propriétaire de bien immobilier et ne posséder aucune épargne.
Si la fiche de renseignements remplie par la caution lie cette dernière quant aux biens et revenus qu'elle y déclare, le créancier n'ayant pas, sauf anomalie apparente, à en vérifier l'exactitude, elle ne fait pas obstacle à ce que les éléments d'actif ou de passif dont le créancier ne pouvait ignorer l'existence soient pris en compte, ce, quand bien même ils n'auraient pas été déclarés.
Le Crédit Mutuel fait valoir qu'il doit être tenu compte des titres sociaux détenus par M. [W] dans la société Cuisines Caradec mais également de sa créance en compte-courant à hauteur de 157.854 euros. Il produit à l'appui de cette argumentation les comptes annuels de la société Cuisines Caradec clos au 31 mars 2017 faisant apparaître l'avance en compte courant et un bénéfice de 24.605 euros.
Cependant, et comme souligné par M. [W] dans ses conclusions, la fiche de renseignement remplie par ce dernier ne mentionnait ni le montant des parts sociales détenues par ce dernier, ni le montant de sa créance en compte-courant. Faute de démontrer avoir eu connaissance de ces actifs au moment de la souscription du cautionnement, le Crédit Mutuel ne peut faire valoir qu'il s'agissait d'éléments dont elle ne pouvait ignorer l'existence et qui devaient être pris en compte pour apprécier l'éventuelle disproportion du cautionnement litigieux.
Il résulte de ces éléments que le cautionnement souscrit par M. [W] auprès du Crédit Mutuel le 15 juillet 2017 était, au jour de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus.
Lorsque le cautionnement est considéré comme manifestement disproportionné au moment de sa conclusion, il revient au créancier professionnel d'établir qu'au moment où il appelle la caution, le patrimoine de celle-ci lui permet à nouveau de faire face à son obligation.
En l'espèce, le Crédit Mutuel ne produit aucun élément permettant d'apprécier le patrimoine de M. [W] au jour où il a été appelé. Il ne rapporte donc pas la preuve qu'au jour de l'assignation, soit le 8 août 2019, le patrimoine de M. [W] lui permettait à nouveau de faire face à son obligation.
Le cautionnement discuté doit ainsi être considéré comme étant manifestement disproportionné tant au jour de l'engagement de M. [W] qu'à celui où il a été appelé. Le Crédit Mutuel ne peut s'en prévaloir. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu le caractère manifestement disproportionné de l'engagement de caution litigieux.
Sur l'information annuelle de la caution :
Le cautionnement conclu par M. [W] ayant été déclaré inopposable supra, il n'y a pas lieu d'examiner sa demande au titre du non-respect de l'obligation d'information annuelle de la caution.
Sur les frais et dépens :
Il y a lieu de condamner le Crédit Mutuel, partie succombante, aux dépens d'appel et de rejeter les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour :
- Confirme le jugement,
Statuant à nouveau et y ajoutant :
- Rejette les autres demandes des parties,
- Condamne le Crédit Mutuel aux dépens d'appel.
Le greffier Le président