2ème Chambre
ARRÊT N°516
N° RG 19/04777
N° Portalis DBVL-V-B7D-P6DU
(2)
Sté.coopérative Banque Pop. BANQUE POPULAIRE GRAND OUEST
C/
M. [N] [C]
Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
- Me MARION
- Me TESSIER
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 14 OCTOBRE 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Joël CHRISTIEN, Président de Chambre,
Assesseur : Monsieur David JOBARD, Président de Chambre,
Assesseur : Madame Hélène BARTHE-NARI, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Ludivine MARTIN, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 05 Juillet 2022
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 14 Octobre 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
BANQUE POPULAIRE GRAND OUEST
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Chrystelle MARION de la SCP MARION-LEROUX-SIBILLOTTE-ENGLISH-COURCOUX, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-BRIEUC
INTIMÉ :
Monsieur [N] [C]
né le [Date naissance 3] 1954 à MAROC
[Adresse 5]
[Localité 2]
Représenté par Me Alexandre TESSIER de la SELARL BAZILLE, TESSIER, PRENEUX, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2019/012002 du 18/10/2019 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de RENNES)
EXPOSE DU LITIGE :
Suivant acte sous seing privé en date du 17 septembre 2005, la société Banque populaire de l'ouest a consenti à M. [N] [C] et Madame [M] [F], son épouse, un prêt n° 00797197 d'un montant de 8 500 € remboursable en 60 mensualités.
Suivant acte sous seing privé en date du 3 avril 2006, la banque a consenti aux époux [C] un prêt n° 01186594 d'un montant de 130 735 € remboursable en 180 mensualités.
Suivant acte sous seing privé en date du 6 juillet 2007, la banque a consenti aux époux [C] un prêt n° 8600595 d'un montant de 140 000 € remboursable en 189 mensualités.
M. [N] [C] a adhéré à l'assurance emprunteur garantissant les risques décès, perte totale et irréversible d'autonomie et arrêt de travail souscrite par la banque auprès de la compagnie AGF aux droits de laquelle est venue la société Allianz vie.
M. [N] [C] a été placé en arrêt maladie à compter du 15 octobre 2007 puis en invalidité à compter du 1er mars 2009.
Suivant acte d'huissier en date du 7 juillet 2011, M. [N] [C] a assigné en garantie la société Allianz vie devant le tribunal de grande instance de Saint-Brieuc.
Suivant jugement en date du 9 juillet 2013, le tribunal a sursis à statuer sur les demandes de M. [N] [C] et ordonné une expertise médicale. L'expert a déposé son rapport le 12 août 2014.
Suivant acte d'huissier en date du 4 septembre 2015, M. [N] [C] a assigné la société Banque populaire de l'ouest devant le tribunal de grande instance de Saint-Brieuc.
Suivant jugement en date du 23 février 2016, le tribunal de grande instance de Saint-Brieuc a accueilli partiellement les demandes de M. [N] [C] à l'encontre de l'assureur au titre de la garantie arrêt de travail mais a rejeté la totalité des demandes présentées au titre de la garantie perte totale et irréversible d'autonomie.
M. [N] [C] a sollicité le rétablissement au rôle de l'instance dirigée contre la société Banque populaire de l'ouest aux droits de laquelle est venue la société Banque populaire grand ouest (ci-après la société BPGO).
Par jugement du 4 juin 2019, le tribunal a :
Rejeté comme mal fondée la fin de non-recevoir opposée par la société BPGO à l'action de M. [N] [C].
Déclaré M. [N] [C] recevable en son action.
Dit que la banque avait failli à son obligation d'alerter M. [N] [C] sur l'inadéquation à sa situation personnelle des garanties offertes par l'assurance emprunteur souscrite auprès de la société AGF devenue Allianz Vie.
Condamné la banque à payer à M. [N] [C] la somme de 50 000 € en réparation du préjudice subi.
Ordonné la compensation entre la somme de 50 000 € due par la banque et la somme que M. [N] [C] resterait devoir au titre du prêt n°1186594.
Condamné en tant que de besoin la banque à procéder à la mainlevée de l'inscription de M. [N] [C] au Fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers.
Condamné la banque aux dépens de l'instance.
Condamné la banque à payer Me Stéphanie Rass la somme de 1 500 € en application de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Débouté les parties de leurs autres demandes.
Suivant déclaration en date du 16 juillet 2019, la banque a interjeté appel.
Suivant conclusions en date du 15 janvier 2020, M. [N] [C] a interjeté appel incident.
En ses dernières conclusions en date du 1er avril 2020, la banque demande à la cour de :
Vu l'article 2224 du code civil,
Vu l'article 1353 nouveau du code civil,
Infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
Rejeté comme mal fondée la fin de non-recevoir opposée à l'action de M. [N] [C].
Déclaré M. [N] [C] recevable en son action.
Dit qu'elle avait failli à son obligation d'alerter M. [N] [C] sur l'inadéquation à sa situation personnelle des garanties offertes par l'assurance emprunteur souscrite auprès de la société AGF devenue Allianz Vie.
Prononcé sa condamnation à payer à M. [N] [C] la somme de 50 000 € en réparation du préjudice subi.
Ordonné la compensation entre la somme de 50 000 € due par elle et la somme que M. [N] [C] resterait devoir au titre du prêt n°1186594.
Prononcé en tant que de besoin sa condamnation à procéder à la mainlevée de l'inscription de M. [N] [C] au Fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers.
Prononcé sa condamnation aux dépens de l'instance.
Prononcé sa condamnation à payer à Me Stéphanie Rass la somme de 1 500 € en application de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Et statuant à nouveau,
À titre principal,
Dire irrecevable car prescrite la demande indemnitaire de M. [N] [C].
En conséquence,
Le débouter de sa demande au titre de son appel incident.
Le débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions.
À titre subsidiaire,
Dire et juger infondée la demande indemnitaire de M. [N] [C].
En conséquence,
Le débouter de sa demande au titre de son appel incident.
Le débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions.
En toute hypothèse,
Le condamner M. [N] [C] à lui payer la somme de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le condamner aux entiers dépens.
En ses dernières conclusions en date du 15 janvier 2020, M. [N] [C] demande à la cour de :
Vu l'article 2224 du code civil,
Vu les articles 1231-1 et suivants du code civil,
Débouter la société BPGO de ses demandes, fins et conclusions.
En conséquence,
Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
Rejeté comme mal fondée la fin de non-recevoir opposée par la banque.
Déclaré recevable son action.
Dit que la banque avait failli à son obligation de l'alerter sur l'inadéquation à sa situation personnelle des garanties offertes par l'assurance emprunteur souscrite auprès de la société AGF devenue Allianz Vie.
Condamné en tant que de besoin la banque à procéder à la mainlevée de son inscription au Fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers.
Condamné la banque à payer à Me Stéphanie Rass la somme de 1 500 € en application de l'articles 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
Condamné la banque à lui payer la somme de 50 000 € en réparation du préjudice subi.
Ordonné la compensation entre la somme de 50 000 € due par la banque et la somme qu'il resterait devoir au titre du prêt n°1186594.
En conséquence et à titre d'appel incident,
Constater que l'indemnité accordée au titre de la perte de chance est insuffisante au regard du préjudice réellement supporté.
Condamner la banque à lui payer la somme de 181 153 € en réparation du préjudice subi.
Ordonner la compensation entre la somme de 181 153 € due par la banque et la somme qu'il resterait devoir au titre du prêt n°1186594.
À titre extrêmement subsidiaire, si par impossible la cour ne faisait pas droit à sa demande au titre de son appel incident, confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions.
En tout état de cause,
Condamner la banque à payer à son conseil la somme de 2 500 € en application des articles 37 et 75 de la loi relative à l'aide juridictionnelle.
Condamner la banque aux dépens dont distraction au profit de la société Bazille-Tessier-Preneux, avocats aux offres de droit.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions des parties.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 mai 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la prescription.
La banque fait valoir que M. [N] [C] a été placé en invalidité à compter du 1er mars 2019 et qu'il a sollicité une prise en charge auprès de la compagnie d'assurance. Elle considère que le délai de prescription a commencé à courir à compter du mois d'avril 2009, date du refus de prise en charge. Elle rappelle que le moyen tiré d'un manquement à son obligation d'information n'a été soulevé que dans des conclusions en date du 7 juillet 2017 et considère que la prescription est acquise.
M. [N] [C] soutient que le point de départ du délai de prescription doit être fixé à la date du dépôt du rapport d'expertise médicale, soit le 12 août 2014. Il considère que son action n'est pas prescrite.
Comme relevé par le premier juge, dont il convient d'adopter les motifs, il n'est pas démontré que l'assureur a opposé de manière formelle un refus de garantie au titre de la perte totale et irréversible d'autonomie à M. [N] [C] hormis dans le cadre de l'instance introduite par lui suivant acte d'huissier en date du 7 juillet 2011, l'assuré n'ayant acquis la connaissance des faits lui permettant d'exercer une action à l'égard de la banque qu'à la suite du dépôt du rapport d'expertise médicale qui lui était défavorable, soit le 12 août 2014, la réalisation du dommage étant certaine à la date du jugement rejetant son action en garantie.
L'action de M. [N] [C] à l'égard de la banque n'est pas prescrite.
Sur le fond.
La banque soutient que M. [N] [C] ne démontre pas que l'assurance souscrite n'était manifestement pas en adéquation avec sa situation personnelle alors qu'il avait déclaré au moment de la souscription être en parfaite santé. Elle considère que le caractère sérieux de la perte de chance invoqué n'est pas établi.
M. [N] [C] reproche à la banque de ne pas l'avoir informé du caractère extrêmement restrictif de la garantie perte totale et irréversible d'autonomie et partant de l'intérêt très restreint voire illusoire d'une telle souscription. Il rappelle qu'il exerçait la profession d'artisan maçon et qu'il était essentiel de garantir le risque d'inaptitude à sa profession.
Comme relevé par le premier juge, le banquier, qui propose à son client auquel il consent un prêt, d'adhérer au contrat d'assurance de groupe qu'il a souscrit à l'effet de garantir, en cas de survenance de divers risques, l'exécution de tout ou partie de ses engagements, est tenu de l'éclairer sur l'adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d'emprunteur, la remise de la notice ne suffisant pas à satisfaire à cette obligation. La banque ne justifie pas avoir attiré l'attention de l'emprunteur sur le fait que la garantie perte totale et irréversible d'autonomie souscrite ne s'appliquait qu'aux situations les plus graves et le plus invalidantes. M. [N] [C] est fondé à rechercher la responsabilité de la banque qui s'est abstenue de souligner l'étendue de la garantie procurée par le contrat de groupe et son intérêt à souscrire une garantie plus étendue compte tenu de la profession qu'il exerçait, l'exposant à un risque particulier d'invalidité prématurée, de son âge, 50 ans à la date de souscription du premier prêt, et de la durée des prêts souscrits.
M. [N] [C] fait valoir que s'il avait souscrit une garantie adaptée, il aurait bénéficié d'une prise en charge des mensualités de remboursement des prêts toujours en cours à la date du 2 septembre 2010. Il chiffre son préjudice à la somme de 181 153 €, soit le montant des sommes restant dues à cette date. Il n'est cependant pas fondé à réclamer la réparation intégrale de son préjudice alors qu'il n'est pas démontré que parfaitement informé, il aurait pu souscrire une assurance effective et efficace couvrant l'intégralité de son préjudice et supporter le paiement des primes correspondantes. Son préjudice s'analyse comme une perte de chance et il convient d'approuver le premier juge en ce qu'il a fixé les dommages et intérêts devant lui revenir à la somme de 50 000 €.
La banque sollicite l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il a ordonné la mainlevée de l'inscription de M. [N] [C] au Fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers. Comme constaté par le premier juge, cette radiation est intervenue le 27 octobre 2018.
Le jugement sera infirmé sur ce point, la demande de M. [N] [C] étant sans objet, et confirmé en ses autres dispositions.
Sur les autres demandes.
Il n'est pas inéquitable de condamner la banque à payer à la société Bazille-Tessier-Preneux la somme de 2 000 € en application des articles 37 et 75 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique au titre des frais exposés en cause d'appel.
La banque sera condamnée aux dépens de la procédure d'appel et il sera fait application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la société Bazille-Tessier-Preneux.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Infirme le jugement du tribunal de grande instance de Saint Brieuc en date du 4 juin 2019 en ce qu'il a condamné en tant que de besoin la société Banque populaire Grand ouest à procéder à la mainlevée de l'inscription de M. [N] [C] au Fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers.
Statuant à nouveau,
Rejette cette demande comme sans objet.
Confirme le jugement déféré en ses autres dispositions.
Y ajoutant,
Condamne la société Banque populaire Grand Ouest à payer à la société Bazille-Tessier-Preneux la somme de 2 000 € en application des articles 37 et 75 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique au titre des frais exposés en cause d'appel.
Condamne la société Banque populaire Grand Ouest aux dépens de la procédure d'appel et dit qu'il sera fait application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la société Bazille-Tessier-Preneux.
Rejette toute demande plus ample ou contraire.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT